CA Grenoble, ch. com., 26 octobre 2017, n° 12-05012
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Arnaud Dubrisay Services (SARL), Legras de Grandcourt (ès qual.)
Défendeur :
Depagne (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rolin
Conseillers :
Mme Esparbes, Gadat
Avocats :
Mes Mihajlovic, Grimaud, Cabanne
Le 27 octobre 1993, la SAS Depagne qui fabrique et vend des matériels électriques pour la distribution en basse tension et l'éclairage public a conclu avec la SARL Arnaud Dubrisay Services (ADS) un contrat d'agent commercial à effet rétroactif du 1er octobre 1990 avec exclusivité dans neuf départements;
Une obligation de non-concurrence pendant la durée d'exécution du contrat est stipulée au contrat ;
Le 9 novembre 2006, la société Depagne a notifié à la société ADS la rupture du contrat pour faute grave en se prévalant de la violation de son obligation de non-concurrence ;
La société ADS a alors assigné la société Depagne en paiement d'indemnité de cessation de contrat et de préavis ainsi qu'un rappel de commissions concernant le client EDF plateforme d'achats Orléans ;
Par jugement en date du 19 décembre 2008, le Tribunal de commerce de Grenoble a fixé la rupture du contrat d'agent commercial au 9 novembre 2006, débouté la société ADS de ses demandes et l'a condamnée à restituer l'ensemble des produits à la société Depagne ;
Par arrêt en date du 23 juin 2011, la Cour d'appel de Grenoble a confirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Par arrêt en date du 9 octobre 2012, la Cour de cassation a cassé, mais seulement en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de la société ADS, l'arrêt rendu le 23 juin 2011 aux motifs que la cour d'appel n'a pas recherché comme elle y était invitée si le véritable motif de la rupture ne résultait pas de la volonté de la société Depagne de mettre fin à certains commissionnements de l'agent et de conclure avec la société ADS un nouveau contrat qui aurait été moins favorable à l'agent que celui-ci a refusé de signer et qu'elle n'a pas vérifié si la qualification de faute grave retenue ne présentait pas un caractère disproportionné eu égard au chiffre d'affaires non significatif qui aurait été réalisé par la société ADS Normandie sur des produits concurrentiels de ceux de la société Depagne ;
La société ADS a saisi le 26 octobre 2012 la Cour d'appel de Grenoble désignée comme cour de renvoi ;
Par jugement en date du 5 mai 2015, le Tribunal de commerce de Nanterre a ouvert la liquidation judiciaire de la société ADS ;
Par conclusions du 9 décembre 2015, Maître Legras de Grandcourt, qui intervient volontairement à la procédure en qualité de liquidateur judiciaire de la société ADS, demande à la cour de :
infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
A titre principal,
dire et juger que le véritable motif de la rupture du contrat d'agent commercial résulte, non d'une prétendue violation de la clause de non-concurrence, mais de la volonté de la société Depagne de mettre fin à certains commissionnements et de conclure un nouveau contrat d'agent commercial moins favorable à ce dernier,
dire et juger que la société Depagne a rompu de manière abusive le contrat d'agent commercial en l'absence de toute faute imputable à la société ADS,
condamner la société Depagne à lui payer la somme de 199 848 au titre de l'indemnité de rupture et celle de 24 891 au titre de l'indemnité de préavis avec intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2006,
condamner l'intimée à lui payer la somme de 10 000 à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral,
A titre subsidiaire,
dire et juger que la société Depagne a rompu de manière abusive le contrat d'agent commercial compte tenu du caractère disproportionné de la qualification de faute grave,
condamner la société Depagne à lui payer les sommes de 199 848 et 24 891 à titre d'indemnités de rupture et de préavis,
condamner la société Depagne à lui payer la somme de 10 000 en réparation du préjudice moral,
En tout état de cause,
débouter la société Depagne de l'ensemble de ses demandes,
condamner la société Depagne à lui payer la somme de 5 000 au titre de l'article 639 du Code de procédure civile ;
Par conclusions du 8 octobre 2014, la société Depagne demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,
dire et juger que les agissements de la société ADS et/ou son dirigeant sont constitutifs d'un manquement essentiel aux obligations contractuelles découlant du contrat d'agent commercial la liant à elle,
dire et juger qu'ils constituent une faute grave privant l'appelante de toute indemnité de clientèle ainsi que de toute indemnité de préavis,
dire et juger qu'en conséquence, la société ADS se trouve mal fondée dans toutes ses demandes financières qui seront ainsi rejetées,
condamner l'appelante à lui payer la somme de 10 000 au titre des dispositions de l'article 639 du Code de procédure civile,
A titre subsidiaire,
Si la faute commise par la société ADS et son dirigeant ne présentait pas un degré de gravité suffisant pour la priver de toute indemnité,
dire et juger que l'indemnité due sera calculée en tenant compte de l'exact préjudice du mandataire de son comportement, des revenus provenant de sa seule industrie et sur la base d'une moyenne de commission calculée sur ses 24 derniers mois d'activité au profit du mandant et la fixer sur la base des termes ci-dessus,
exclure de l'indemnisation la somme de 90 968 ,
retenir une moyenne de commissions mensuelles de 6 607 ;
La clôture de la procédure a été prononcée le 6 juillet 2017;
Motifs de l'arrêt
Attendu qu'en application de l'article L. 134-4 du Code de commerce, "Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties. Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information ";
Qu'il est de principe constant que manque à son obligation de loyauté l'agent commercial qui cache à son mandant l'exercice, durant le mandat, d'une activité similaire au profit d'un concurrent et qu'un tel manquement à une obligation essentielle au mandat d'intérêt commun constitue une faute grave de nature à provoquer la rupture du contrat;
Attendu que le contrat stipulait à l'article 2-4 une obligation de non-concurrence pendant la durée d'exécution du contrat dont les termes sont les suivants:
" L'agent commercial doit avant toute prise de nouvelle représentation en informer préalablement le mandant.
L'agent commercial ne peut accepter de nouvelles représentations d'articles et produits susceptibles de concurrencer directement ou indirectement, ceux commercialisés par le mandant ou exercer une activité concurrente, directement ou indirectement, à celle du mandant pour son propre compte, ou pour le compte d'un tiers, sauf écrit préalable du mandant (...). Tout manquement de l'agent commercial aux engagements résultant de l'article 2.4 pourra entraîner, par la seule volonté du mandant, la résiliation immédiate et sans indemnité du présent contrat, en ce sens qu'ils sont constitutifs d'une faute grave ";
Que les termes généraux de cet article non contraires à l'article 2-1 et dénués de toute ambiguïté interdisent à la société ADS d'exercer une activité même par personne interposée et sans limitation géographique sans l'autorisation préalable de la mandante;
Attendu en l'espèce que selon statuts signés le 25 février 2006, le gérant de la société ADS a crée une société ADS Normandie inscrite au RCS le 8 mars 2006, société dont il détenait 70 % du capital, était le gérant et dont le siège social était établi dans les locaux de l'appelante;
Que cette société, qui avait pour activité celle d'agent commercial, représentait une société Lès concurrente de l'intimée sur un territoire limitrophe et où un autre agent commercial représentait les produits de l'intimée ;
Qu'elle a ainsi manqué à son obligation contractuelle en représentant indirectement des produits concurrents sans accord préalable de sa mandante;
Attendu que la société ADS soutient que le véritable motif de la rupture du contrat est à rechercher dans son refus de signer le nouveau contrat ;
Que la modification proposée par la société Depagne à tous ses agents est motivée par le fait qu'EDF a décidé de conclure des marchés au plan national de sorte que les commissions sur les commandes locales ne sont que la conséquence dudit marché et non celle de l'industrie des agents commerciaux;
Que suite au refus de la société ADS de signer le contrat proposé, l'intimée lui a indiqué par courrier du 4 septembre 2006 que ses commissions lui seraient payées au taux du contrat prenant ainsi acte de son refus;
Que de la seule chronologie ne peut être déduit que le refus de l'appelante est le véritable motif de la rupture alors qu'elle ne démontre pas que la société Depagne, qui en a pris acte, connaissait l'activité de la société ADS Normandie antérieurement à la proposition de modification du contrat, celle-ci faisant état de plaintes de l'agent local et produisant un courrier en ce sens ;
Attendu que la société ADS soutient que la qualification de faute grave est disproportionnée au regard de la faiblesse du chiffre d'affaires s'agissant de la vente de produits concurrentiels;
Que cependant, et ainsi que le souligne l'intimée, cette disproportion ne peut être estimée en considération du seul chiffre d'affaires;
Qu'en effet, la vente de produits concurrentiels a également eu pour effet de porter préjudice à l'agent local de la société Depagne, de désorganiser son réseau et ce d'autant que le choix du nom de la société normande, de son siège social crée une confusion entre les 2 sociétés de nature à nuire à la mandante;
Que par conséquent la création par la société ADS d'une société commercialisant des produits concurrents sans accord préalable de sa mandante et antérieurement au litige sur le montant des commissions et sur le nouveau contrat est constitutive d'une faute grave de l'agent commercial justifiant la rupture de son contrat sans préavis, ni indemnité;
Que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions;
Attendu que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur des parties;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.