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Décisions

CA Besançon, ch. civ. et com., 24 octobre 2017, n° 16-01584

BESANÇON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

John Deere (SAS) , Terre Comtoise (SCA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mazarin

Conseillers :

Mmes Uguen Laithier, Chiaradia

TI Besançon, du 28 juin 2016

28 juin 2016

Faits, moyens et prétentions des parties

La SARL de la Forge, aux droits de laquelle vient l'EARL M. a acquis, suivant facture du 20 décembre 2011, auprès de la SCA Terre Comtoise un tracteur de marque John Deere au prix de 145 000 euro.

Le 22 avril 2013, alors que le tracteur circulait sur la commune de Bonnal, un des flexibles hydrauliques des vérins de relevage avant du tracteur s'est rompu, provoquant la chute de l'outil de travail de marque Franquet qui y était attelé.

A la suite d'une expertise réalisée par l'assureur de l'EARL M. le 8 octobre 2013, la pièce défectueuse a été remplacée dans le cadre de la garantie contractuelle du vendeur mais tant le vendeur que le constructeur ont refusé d'indemniser les conséquences dommageables de la chute sur l'outil de travail attelé.

Par acte délivré le 23 décembre 2014, l'EARL M. a fait assigner la SCA Terre Comtoise et la SAS John Deere devant le Tribunal d'instance de Besançon aux fins d'obtenir leur condamnation solidaire à l'indemniser de son préjudice.

Par jugement du 28 juin 2016, ce tribunal a :

- condamné la SAS John Deere à payer à l'EARL M. la somme de 3 625 euro à titre de dommages-intérêts,

- débouté l'EARL M. du surplus de ses demandes notamment à l'encontre de la SCA Terre Comtoise,

- rejeté la demande de la SCA Terre Comtoise au titre des frais irrépétibles,

- condamné la SAS John Deere à payer à l'EARL M. une indemnité de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Suivant déclaration parvenue au greffe de la Cour le 22 juillet 2016, la SAS John Deere a relevé appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures transmises le 21 octobre 2016, elle conclut à son infirmation et demande à la Cour de débouter l'EARL M. de ses demandes faute de démontrer l'existence d'un défaut caché antérieur à la vente ou d'un défaut de conformité et de la condamner à lui verser 4 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par dernières écritures déposées le 3 juillet 2017, l'EARL M. demande à la Cour de :

- condamner solidairement la SAS John Deere et la SCA Terre Comtoise à lui payer la somme de 3 625 euro au titre des frais de réparation de l'outil Franquet et celle de 504,29 euro au titre des frais d'expertise,

- subsidiairement, condamner la SAS John Deere à lui payer la somme de 3 625 euro au titre des frais de réparation de l'outil Franquet et celle de 504,29 euro au titre des frais d'expertise,

- en tout état de cause, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SAS John Deere à lui verser une indemnité de 1 500 euro au titre des frais irrépétibles et aux dépens, et condamner la même à lui verser une indemnité de 3 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel avec droit pour Maître Le P. de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du même code.

Suivant derniers écrits transmis le 20 décembre 2016, la SCA Terre Comtoise, demande à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté l'EARL M. de ses demandes à son encontre et de condamner solidairement la SAS John Deere et l'EARL M. à lui verser une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens de première instance et d'appel avec droit pour la SCP S.-G. de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du même code

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la Cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 septembre 2017.

Discussion

* Sur la garantie des vices cachés :

Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article 1641 ancien du Code civil, invoquées à titre principal par l'EARL M., le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ;

Qu'il appartient donc à la SARL M. de rapporter non seulement la preuve de l'existence du vice mais également de son antériorité à la vente ;

Attendu que le tracteur de marque John Deere acquis par la SARL M. auprès de la SCA Terre Comtoise a été mis en circulation le 25 avril 2012, comme en atteste son certificat d'immatriculation ; qu'il n'est pas contesté que le sinistre a consisté en la rupture du flexible hydraulique du relevage avant, au niveau de la tresse du flexible, survenue le 22 avril 2013, soit dans l'année de la mise en circulation, et que cette rupture a provoqué la chute sur le sol de l'outil de travail attelé de marque Franquet et son endommagement ;

Que le remplacement du tuyau hydraulique de relevage avant a été pris en charge dans le cadre de la garantie constructeur ; qu'en revanche l'EARL M. estime que les conséquences dommageables de la rupture sur l'outil de travail attelé doit être pris en charge solidairement par le constructeur et le vendeur comme étant directement liées au défaut caché affectant le flexible ;

Mais attendu que c'est par des motifs pertinents que la Cour adopte que le premier juge a retenu que la cause de la rupture du flexible ne ressortait d'aucune des expertises réalisées à la demande de l'appelant par Doubs Expertise Automobile et qu'il n'était donc pas établi l'existence d'un vice caché antérieur à la vente du véhicule agricole ; qu'en effet si l'expert évoque que, lors de ses déplacements, le flexible peut venir en appui contre la lèvre du bâti du berceau du relevage et subir une contrainte, il n'est pas en mesure de conclure avec certitude qu'il s'agirait de la cause à l'origine du sinistre pas plus qu'il n'exclut la possibilité d'une cause extérieure qui serait survenue postérieurement à la vente ; qu'il précise d'ailleurs que le flexible rompu avait déjà été remplacé lors de sa première expertise, de sorte qu'il n'a pu constater le positionnement de la pièce litigieuse et ne peut ainsi conclure à un défaut de montage en usine ;

Que c'est encore avec raison que le jugement entrepris écarte l'application au présent litige de l'article R. 4312-1 du Code du travail évoqué par l'expert, lequel est inapplicable aux tracteurs agricoles et forestiers comme en dispose à sa suite l'article R. 4312-1-1, et que l'EARL M. n'allègue ni ne démontre que le véhicule ne bénéficiait pas du marquage CE ou d'un certificat de conformité établi par un pays de l'Union européenne, comme l'exige la directive 2003/37/CEE transposée par le décret n°2005-1236 du 30 septembre 2005, complété par le décret n°2011-45 du 22 avril 2011, valant transposition de la directive 2010/52/UE ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que l'apparition du défaut du flexible douze mois après la mise en service du véhicule est insuffisante à justifier qu'il préexistait à la date de la vente et que le dommage causé à l'outil de travail Franquet serait directement lié à l'existence d'un vice caché ou à un défaut de conformité imputable au vendeur et au constructeur ;

* Sur la responsabilité du fait des produits défectueux :

Attendu qu'en vertu des dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil, invoquées à titre subsidiaire par l'EARL M., le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit et par conséquent tenu à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même et ce, quand bien même le produit aurait été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou aurait fait l'objet d'une autorisation administrative;

Que l'article 1386-4 dispose ainsi qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et que, dans l'appréciation de cette sécurité il doit être tenu compte des circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ;

Attendu qu'en l'espèce si l'appelante a prouvé l'existence du dommage et le lien existant entre la rupture du flexible et le dommage causé à son outil attelé, encore faut-il qu'elle démontre que ledit flexible était atteint d'un défaut et qu'il n'offrait pas la sécurité qu'elle était en droit d'attendre dans le cadre d'une utilisation normale ; qu'à ce titre s'il a été démontré que l'EARL M. échouait dans la démonstration d'un défaut intrinsèque à l'origine de la rupture du flexible, elle soutient également à l'appui de son second moyen que l'absence de dispositif de sécurité du flexible empêchant précisément la chute du relevage caractérise le défaut de sécurité exigé par les textes précités ;

Attendu qu'au sens des dispositions précitées le fabricant est tenu de livrer un produit exempt de tout défaut de nature à causer un danger pour les personnes et les biens ; que l'annexe n° 2 du décret précité du 30 septembre 2005 applicable au moment de la vente, précise d'une part que les dispositifs de remorquage assurant la liaison mécanique entre les tracteurs et les véhicules remorqués doivent être conçus et installés de manière à assurer un attelage aisé et sûr et d'autre part que le tracteur doit être accompagné d'une notice donnant notamment les instructions pour que la mise en service, l'utilisation, la manutention, l'installation, le montage, le démontage, le réglage, la maintenance puissent s'effectuer sans risque ;

Que l'EARL M. a bien reçu le livret d'utilisation du tracteur lors de la vente et les explications relatives à l'utilisation et l'entretien de celui-ci, comme en atteste l'exemplaire du rapport de livraison du 20 décembre 2011 dûment signé par son représentant, annexé au deuxième rapport d'expertise ;

Que par ailleurs, si la SAS John Deere souligne à juste titre qu'aucun texte n'impose la présence obligatoire de clapet parachute de sécurité sur les tracteurs agricoles, l'expert a relevé qu'aucune précaution n'avait été prise par le constructeur en cas de rupture des flexibles hydrauliques alimentant les vérins du relevage avant du tracteur et qu'en une telle hypothèse les vérins hydrauliques se vident de leur huile, provoquant la chute au sol de tout ouvrage attelé au tracteur;

Que c'est pertinemment que l'homme de l'art souligne que le simple équipement des vérins de flexibles rigides avec des clapets pilotés empêchant la fuite d'huile en cas de rupture aurait permis de sécuriser l'attelage et d'éviter l'accident lequel, survenu en cours de circulation sur la voie publique, aurait pu avoir des conséquences plus graves, également pour la sécurité des usagers de la route;

Qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que le premier juge a retenu que le système de sécurité était donc insuffisant au regard de ce que pouvait légitimement attendre l'usager du tracteur en cas de rupture du flexible ;

Attendu que le coût de réparation des conséquences dommageables de la chute de l'attelage consécutive à la rupture du flexible et à l'absence de dispositif de sécurité anti-chute n'étant pas contesté et dûment justifié en la cause, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de la SAS John Deere, en qualité de producteur, du fait des produits défectueux et condamné celle-ci à payer à l'EARL M. la somme de 3 625 euro à titre de dommages-intérêts; que le tribunal a pu enfin valablement inclure le coût de l'expertise amiable sollicitée par l'EARL M. dans l'appréciation de l'indemnité allouée au titre des frais irrépétibles, en sorte que le jugement déféré sera également confirmé sur ce point ;

* Sur les demandes accessoires

Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable compte tenu de l'issue du litige à hauteur de Cour de laisser à l'EARL M. et à la SAS John Deere la charge de leurs propres frais irrépétibles d'appel ; qu'en revanche, l'EARL M. qui échoue en sa voie de recours à l'encontre de la SCA Terre Comtoise sera condamnée à verser à celle-ci une indemnité de 1 000 euro, les dispositions du jugement déféré relatives aux frais irrépétibles de première instance étant confirmées ; qu'enfin les dépens d'appel seront supportés par la SAS John Deere, qui succombe en sa voie de recours, à l'exception de ceux exposés en appel par la SCA Terre Comtoise, qui seront à la charge de l'EURL M. qui succombe en son appel incident à l'encontre de celle-ci ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement rendu par le Tribunal d'instance de Besançon le 28 juin 2016 en toutes ses dispositions. Déboute l'EARL M. et la SAS John Deere de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne l'EARL M. à verser à la SCA Terre Comtoise la somme de mille euros (1 000 euro) au titre des frais irrépétibles d'appel. Condamne la SAS John Deere aux dépens d'appel à l'exception de ceux exposés à hauteur de Cour par la SCA Terre Comtoise et condamne l'EARL M. aux-dits dépens. Autorise la SCP S. G. et Maître Le P. à recouvrer ceux des dépens dont elles ont fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l'article 699 du Code de procédure civile. Ledit arrêt a été signé par M. Edouard Mazarin, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Dominique Borowski, greffier.