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Décisions

ADLC, 1 septembre 2017, n° 17-DCC-147

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à la prise de contrôle exclusif de la société Labeyrie Traiteur Surgelés par le groupe Ajinomoto

ADLC n° 17-DCC-147

1 septembre 2017

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 3 août 2017 relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Labeyrie Traiteur Surgelés par le groupe Ajinomoto formalisée par un accord d'achat d'actions en date du 19 juillet 2017 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l'instruction ;

Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Ajinomoto Food Europe SA (ci-après " Ajinomoto "), filiale de la société de droit japonais Ajinomoto, cotée à la bourse de Tokyo, commercialise en France des produits traiteurs surgelés élaborés à partir de recettes asiatiques, notamment japonaises. Le groupe Ajinomoto est actif au niveau mondial dans les secteurs des produits alimentaires, des produits chimiques et de la santé.

2. Labeyrie Traiteur Surgelés (ci-après " LTS ") est principalement actif dans la production et distribution de produits alimentaires surgelés dits " festifs " en France. Elle détenue par Labeyrie Fine Foods, elle-même contrôlée conjointement par la coopérative agricole Lur Berri et le fonds d'investissement PAI Partners1.

3. L'opération, formalisée par un accord d'achat d'actions en date du 19 juillet 2017, consiste en l'acquisition de l'intégralité du capital social de LTS par Ajinomoto.

4. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de LTS par le groupe Ajinomoto, l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires total hors taxes sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (Ajinomoto : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 mars 2017 ; LTS : [...] d'euros pour l'exercice clos le 30 juin 2016). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d'affaires total hors taxes supérieur à 50 millions d'euros (Ajinomoto : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 mars 2017 ; LTS : [...] d'euros pour l'exercice clos le 30 juin 2016). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

6. Ajinomoto produit notamment des entrées et des plats principaux traiteur surgelés élaborés à partir de recettes asiatiques, en particulier japonaises. LTS produit des apéritifs, des entrées, des plats principaux et des desserts et pâtisseries traiteur, élaborés à partir de recettes occidentales.

Les parties sont donc simultanément actives sur le marché des entrées et des plats principaux traiteur surgelés. LTS est également active dans les secteurs des apéritifs et des desserts traiteur surgelés qui seront pris en compte au titre de l'analyse des effets congloméraux.

A. DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE PRODUITS

7. L'Autorité de la concurrence a segmenté les marchés des produits traiteur en fonction de la technologie de fabrication employée (produits appertisés, surgelés et frais)2. En l'espèce, les parties sont simultanément présentes sur la production et commercialisation de produits traiteur surgelés.

8. La pratique décisionnelle a par ailleurs envisagé de distinguer différentes catégories de produits, telles que les apéritifs, les entrées, les plats principaux et les desserts3. En l'espèce, les activités des parties se chevauchent sur les entrées et les plats principaux.

9. La pratique décisionnelle a également envisagé une sous-segmentation en fonction de la spécificité de certaines recettes (" régionales " ou " exotiques ", par exemple)4 . En l'espèce, les produits commercialisés par les parties sont, d'une part, des produits issus de recettes traditionnelles (LTS) et, d'autre part, des produits inspirés de recettes asiatiques (Ajinomoto).

10. L'Autorité a également segmenté ces marchés selon les canaux de distribution (grandes et moyennes surfaces ci-après, " GMS ", restauration hors foyer et industries agro-alimentaires). Les activités des parties ne se chevauchent que sur le canal des GMS. S'agissant de ce dernier, une sous-segmentation supplémentaire a été envisagée selon que les produits sont vendus sous marque de fabricant (MDF) ou sous marque de distributeur (MDD)5. En effet, les fabricants de produits MDD n'interviennent qu'en application d'un cahier des charges défini par l'enseigne et n'ont aucun rôle dans la définition des stratégies commerciales de ces marques. L'identité de l'opérateur qui approvisionne une enseigne pour ses MDD reste inconnue du consommateur final. L'Autorité a cependant considéré, pour plusieurs marchés alimentaires, que les produits MDD peuvent exercer une pression concurrentielle significative sur les produits MDF, notamment dans les cas où, du point de vue de la demande, la notoriété des MDF est faible et où, du point de vue de l'offre, les mêmes fabricants fournissent les GMS en produits MDD etMDF. En l'espèce, les activités des parties se chevauchent sur les produits MDF.

11. En tout état de cause, la question de la délimitation exacte de ces marchés peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la segmentation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurent inchangées.

B. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE DES MARCHÉS

12. L'Autorité considère que les marchés des produits traiteur sont de dimension nationale6. En effet, les préférences, les goûts et les habitudes de consommation diffèrent fortement d'un pays à l'autre et les échanges intra-européens de ces produits restent limités. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de l'examen de la présente opération.

III. Analyse concurrentielle

A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX

1. LES ENTRÉES SURGELÉES

13. S'agissant de la fabrication et commercialisation d'entrées surgelées aux GMS, la part de marché de LTS est estimée à [0-5] % et celle d'Ajinomoto à [0-5] %, soit une part de marché cumulée de [0-5] %7.

La distinction qui est également habituellement faite entre produits vendus en libre-service et produits vendus à la coupe n'a pas d'objet en l'espèce, s'agissant de produits uniquement surgelés.

14. S'agissant plus précisément des entrées surgelées vendues sous MDF, les parts de marché sont respectivement de [0-5] % pour LTS et de [0-5] % pour Ajinomoto, soit une part de marché cumulée de [0-5] %.

15. Compte tenu de ces parts de marché limitées, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur ces marchés.

2. LES PLATS PRINCIPAUX SURGELÉÉS

16. S'agissant de la fabrication et commercialisation de plats principaux surgelés aux GMS, la part de marché de LTS est estimée à [0-5] % et celle d'Ajinomoto à [0-5] %, soit une part de marché cumulée de [0-5] %8.

17. S'agissant plus précisément des plats principaux surgelés vendus sous MDF, la partie notifiante a estimé que la part de marché de la nouvelle entité n'excède pas [0-5] %.

18. Compte tenu de ces parts de marché limitées, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur ces marchés.

B. ANALYSE DES EFFETS CONGLOMÉRAUX

19. À l'issue de l'opération, la nouvelle entité détiendra une gamme de produits élargie sur les produits surgelés, dans la mesure où Ajinomoto, peu présent sur ces produits en France, acquiert la gamme complète détenue par LTS.

20. Une concentration a des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur plusieurs marchés dont la connexité peut lui permettre d'accroître son pouvoir de marché.

Il est toutefois peu probable que la détention d'une gamme de produits ou d'un portefeuille de produits porte atteinte à la concurrence sur un ou plusieurs marchés si la nouvelle entité ne bénéficie pas d'une forte position sur un marché à partir duquel elle pourra faire jouer un effet de levier.

La pratique décisionnelle considère en principe qu'un risque d'effet congloméral peut être écarté dès lors que la part de marché de l'entreprise issue de l'opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %.

21. En l'espèce, les parts de marché de la nouvelle entité sont supérieures à 30 % sur le seul marché des ventes d'apéritifs surgelés aux GMS ([50-60] % pour les MDD ; [50-60] % pour les MDF).

22. À titre liminaire, LTS commercialise déjà l'ensemble des catégories de produits surgelés traiteur (apéritifs, entrées, plats principaux et desserts). Ainsi, l'opération n'a pas pour effet d'élargir cette gamme, mais de la renforcer sur certaines catégories de produits (entrées et plats principaux traiteur surgelés élaborés à partir de recettes asiatiques). Par ailleurs, cette forte position ne résulte pas de l'opération dans la mesure où Ajinomoto ne commercialise pas d'apéritifs surgelés. De plus, les positions d'Ajinomoto sur les marchés des entrées et plats principaux traiteur surgelés sont très limitées, inférieures à [0-5] %.

23. Le renforcement de la gamme de la nouvelle entité sur les catégories de produits entrées et plats principaux surgelés n'aura pas pour effet de réduire la concurrence sur les marchés concernés, dans la mesure où d'importants concurrents détiennent également une gamme similaire (Tipiak) ou équivalente (Marie : entrées, plats principaux, desserts ; Findus et Kauffer's : apéritifs, entrées et plats principaux). Ces concurrents, de dimension nationale, disposent également de marques notoires. Par ailleurs, Tipiak, Marie, Findus et Charal proposent, outre des recettes traditionnelles, des recettes exotiques à l'instar des produits commercialisés par Ajinomoto.

24. Enfin, la nouvelle entité commercialisera ses produits auprès des GMS qui disposent d'un fort pouvoir de négociation par le biais de leurs centrales d'achat. Ce pouvoir de négociation est d'autant plus fort que les produits de la nouvelle entité sont, pour une large part, commercialisés sous MDD.

25. Par conséquent, la présente opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets congloméraux sur les marchés des produits traiteur surgelés.

DÉCIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 17-139 est autorisée.

NOTES :

1 Voir la décision de la Commission européenne COMP/M.7281 Lur Berri/PAI Partners/Labeyrie Fine Foods du 8 juillet 2014.

2 Voir notamment les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 16 -DCC-55 du 22 avril 2016 relative à la prise de contrôle conjoint de la société Groupe Aqualande par la société Labeyrie Fine Foods et la coopérative agricole Les Aquaculteurs Landais ; n° 10 -DCC-87 du 4 août 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de l'activité "surgelés" du groupe Brossard par la société Financière de Kiel (groupe Alfesca) ; n° 10 -DCC-21 du 15 mars 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Champiloire SA par la société Bonduelle SA ; n° 09 -DCC-58 du 26 octobre 2009 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Stalaven par la société Euralis Gastronomie Holding ; n° 09 DCC-48 du 22 septembre 2009 relative à l'acquisition par la société LDC Traiteur de la société Marie.

3 Voir notamment les décisions n° 10 -DCC-87 et n° 09-DCC-48 précitées.

4 Voir notamment les décisions n° 09 -DCC-58 et n°09 -DCC-48 précitées ; et les lettres du ministre chargé de l'économie C2006-73 Euralis / Stalaven et C2007-152 Pierre Schmidt / Stoeffler.

5 La distinction qui est également habituellement faite entre produits vendus en libre-service et produits vendus à la coupe n'a pas d'objet en l'espèce, s'agissant de produits uniquement surgelés.

6 Voir notamment les décisions n° 10 -DCC-87 et n° 16 -DCC-55 précitées ; et la décision de l'Autorité de la concurrence n° 13 -DCC-157 du 31 octobre 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de certains actifs des sociétés Norway Seafoods SAS et Norway Seafoods Boulogne SAS par la société Maïsadour.

7 Une segmentation de ce marché selon le type de recette n'occasionne aucun chevauchement d'activités entre les parties, les produits commercialisés par les parties étant, d'une part, des produits issus de recettes traditionnelles et, d'autre part, des produits inspirés de recettes asiatiques.

8 Ibid.