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Décisions

ADLC, 22 septembre 2017, n° 17-DCC-155

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à la prise de contrôle exclusive de la société Quadran par la société Direct Énergie

ADLC n° 17-DCC-155

22 septembre 2017

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 28 août 2017,relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Quadran par la société Direct Énergie, formalisée par un accord d'achat d'actions en date du 31 juillet 2017 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l'instruction ;

Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Direct Énergie SA (ci-après " Direct Énergie ") est une société de droit français dont les actions sont admises à la négociation sur le marché réglementé d'Euronext Paris. Elle est principalement active dans la production, le négoce et la fourniture d'électricité à tous types de clients (particuliers, professionnels, entreprises et collectivités), en France et en Belgique. Elle est également présente dans le négoce et la fourniture de gaz à ces mêmes types de clients.

2. Quadran SAS (ci-après " Quadran ") est la société de tête du groupe éponyme, qui est un producteur indépendant d'électricité à partir de sources renouvelables. Elle intervient dans les domaines de l'éolien, du photovoltaïque, de l'hydraulique, du biogaz et de la biomasse. Quadran est présente sur l'ensemble de la chaîne de production, de l'identification et la conception de sites de production à l'exploitation des centrales [...]*. Quadran est contrôlée par la société Lucia Holding.

3. L'opération notifiée, formalisée par un accord d'achat d'actions en date du 31 juillet 2017, consiste en l'acquisition de la totalité des titres de Quadran par Direct Énergie.

4. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Quadran par Direct Énergie, l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

5. Les entreprises concernées réalisent un chiffre d'affaires total hors taxes sur le plan mondial de plus de 150 million d'euros (Direct Énergie : 1,69 milliard d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2016 ; Quadran : [...] d'euros pour le même exercice).

Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (Direct Énergie : 1,66 milliard d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2016 ; Quadran : [...] d'euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatif à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

6. Les parties sont simultanément présentes sur le marché de la production et de la vente en gros d'électricité (A). À l'amont, Quadran est présente sur le marché du développement, de la construction, de l'exploitation et de la maintenance de centrales photovoltaïques, de fermes éoliennes, de centrales hydroélectriques et de centrales de valorisation de la biomasse (B). Elle fournit par ailleurs des services d'ingénierie et d'études techniques (C). À l'aval, Direct Énergie est présente sur le marché de la fourniture d'électricité au détail1*(D).

A. LA PRODUCTION ET LA VENTE EN GROS D'ÉLECTRICITÉ

1. MARCHÉ DE PRODUITS

7. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence a consacré l'existence d'un marché de la production et de la vente en gros d'électricité, ces deux activités formant un seul et même marché2. Ce marché inclut la production d'électricité domestique, ainsi que l'électricité importée physiquement via les interconnexions en vue de sa revente aux détaillants, aux négociants et, dans une moindre mesure, aux grands industriels consommateurs finaux.

8. Du côté de l'offre, les acteurs du marché sont les producteurs d'électricité, les importateurs et les négociants.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

9. La pratique décisionnelle considère que le marché de la production et vente en gros d'électricité est de dimension nationale, notamment en raison de la faiblesse des interconnexions entre États voisins3.

B. LES OUVRAGES D'ART ET LES ÉQUIPEMENTS INDUSTRIELS

1. MARCHÉ DE PRODUITS

10. Quadran est présente à différents niveaux de la production (développement, construction, exploitation et maintenance) de centrales photovoltaïques (i), de parcs éoliens (ii), de centrales hydroélectriques (iii) et de centrales de production d'électricité à partir de biomasse (iv).

11. L'Autorité a envisagé de segmenter le marché des ouvrages d'art et des équipements industriels en distinguant les activités de développement, construction, exploitation et maintenance de centrales photovoltaïques4.

12. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence a également envisagé l'existence d'un marché du développement, de la construction et de la gestion des parcs éoliens 5, sous-segmenté entre (i) le développement et la gestion de parcs éoliens à usage interne ou en vue de leur vente à des tiers et (ii) le développement et la gestion de parcs éoliens exclusivement en vue de leur vente à des tiers. La question de savoir si le marché du développement, de la construction et de la gestion de parcs éoliens comprend les services de maintenance des fermes a été laissée ouverte6.

13. Cette pratique décisionnelle pourrait trouver à s'appliquer aux centrales hydrauliques et aux centrales de production d'électricité à partir de biomasse, ces dernières n'ayant pas fait l'objet d'une analyse par les autorités de concurrence.

14. Il n'y a toutefois pas lieu de conclure sur la délimitation précise de ces marchés, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la segmentation retenue.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

15. La pratique décisionnelle considère que le marché des ouvrages d'art et des équipements industriels est de dimension nationale7.

16. Il n'y pas lieu de revenir sur cette pratique décisionnelle dans le cadre de la présente opération, Quadran n'étant active qu'en France.

C. LES SERVICES D'INGÉNIERIE ET D'ÉTUDES TECHNIQUES

1. MARCHÉ DE SERVICES

17. Les services d'ingénierie et d'études techniques couvrent l'ensemble des opérations de conception et d'assistance à la réalisation d'équipements industriels (R&D, développement, ingénierie et process, réalisation, exploitation et maintenance). Ces services sont proposés dans de nombreux domaines d'activités tels que l'industrie, l'énergie, le transport, l'environnement, le BTP et les services publics.

18. Les autorités de concurrence ont envisagé plusieurs segmentations de ces marchés8, en identifiant l'ingénierie d'infrastructure9, le conseil en technologies10 et l'assistance à la maîtrise d'ouvrage11.

19. Elles ont également envisagé une segmentation du marché en fonction des secteurs d'activités (aéronautique, défense, télécommunications, énergie, ferroviaire, banque et assurance)12. En l'espèce, seul le secteur de l'énergie est concerné par la présente opération.

20. Il n'y a toutefois pas lieu de trancher la question de la délimitation exacte de ces marchés dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurent inchangées quelle que soit la définition retenue.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

21. La pratique décisionnelle considère généralement que les marchés de l'ingénierie et des études techniques sont de dimension nationale13, tout en n'excluant pas une dimension infranationale selon le type de clientèle et les missions concernées14.

22. S'agissant plus précisément du secteur de l'énergie, l'Autorité considère que le marché de l'ingénierie et des études techniques est de dimension nationale, dans la mesure où les opérateurs du marché proposent une offre de services large, leur permettant d'intervenir sur l'ensemble du territoire, et où les principaux clients sont des groupes de dimension au moins nationale15.

23. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette pratique décisionnelle en l'espèce.

D. LA FOURNITURE D'ÉLECTRICITÉ AU DÉTAIL

1. MARCHÉ DE SERVICES

24. Au sein de la fourniture d'électricité au détail, les autorités de concurrence distinguent (i) la fourniture d'électricité au détail aux gros clients industriels et commerciaux, raccordés au réseau de transport et (ii) la fourniture d'électricité au détail aux petits clients industriels, commerciaux et résidentiels, raccordés au réseau de distribution16. Cette délimitation a été envisagée dans la mesure où les gros clients industriels bénéficient d'offres individualisées basées sur leur consommation réelle, tandis que les clients raccordés au réseau de distribution font l'objet d'une approche commerciale de masse et se voient attribuer un tarif en fonction du profil type de leur consommation. Ces derniers clients sont dits " profilés " : un profil type théorique leur est attribué en fonction de leurs caractéristiques en termes, notamment, d'activité professionnelle et d'équipements domestiques, de manière à pouvoir évaluer par avance leur consommation d'électricité17.

25. En outre, les autorités de concurrence ont envisagé de distinguer, au sein des clients " profilés ",

(i) les petits clients industriels et commerciaux et (ii) les clients résidentiels18. En effet, ces deux segments de clientèle ont des profils de consommation distincts et la fourniture aux clients résidentiels est soumise à une réglementation spécifique résultant des obligations de service public qui ne s'appliquent pas aux clients professionnels.

26. Les autorités de concurrence ont également envisagé de définir des marchés plus étroits de la fourniture d'électricité aux clients ayant souscrit un contrat de fourniture sur le marché libre19.

Ainsi l'Autorité a relevé que des offres de marché dont les prix sont librement fixés et des offres aux tarifs réglementés coexistent en France et que, par ailleurs, la souscription d'un contrat d'approvisionnement sur le marché libre ne permettait pas de revenir à ces tarifs réglementés, sauf exception, notamment pour les gros clients industriels20.

27. Or, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité21, la législation permet désormais aux petits consommateurs (industriels, commerciaux et résidentiels souscrivant à une puissance inférieure à 36 kVA) de revenir aux tarifs réglementés sur simple demande et sans délai pour une durée qui ne peut être inférieure à un an. Depuis le 1er janvier 2016, les gros consommateurs (industriels et commerciaux souscrivant à une puissance supérieure à 36 kVA) ne bénéficient pour leur part que d'offres de marché.

28. Il n'y a toutefois pas lieu de conclure sur la délimitation précise de ces marchés, les conclusions de l'analyse concurrentielles demeurant inchangées, quelle que soit la définition retenue.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

29. L'Autorité considère les marchés de fourniture d'électricité sont de dimension nationale22. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette pratique décisionnelle en l'espèce.

III. Analyse concurrentielle

A. EFFETS HORIZONTAUX

30. Sur le marché national de la production et de la vente en gros d'électricité, les parts de marché cumulées des parties ont été estimées à moins de 5 % en termes de capacités de production installées et en termes d'électricité produite en 2016.

La nouvelle entité sera confrontée à la concurrence d'EDF qui représente 70,5 % de la capacité installée et 81,3 % de l'électricité produite en 2016 en France.

31. Par conséquent, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur le marché national de la production et de la vente en gros d'électricité.

B. EFFETS VERTICAUX

32. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l'accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leur coûts. L'Autorité considère cependant qu'il est peu probable qu'une entreprise ayant une part de marché inférieure à 30 % sur un marché donné puisse verrouiller un marché en aval ou en amont de celui-ci.

1. MARCHÉ DE LA FOURNITURE D'ÉLECTRICITÉ AU DÉTAIL

33. Sur le marché national de la fourniture d'électricité au détail, la part de marché de Direct Énergie n'excède pas 10 %, quelle que soit la segmentation retenue.

34. Tout risque d'atteinte à la concurrence par le biais d'effets verticaux sur les marchés de la production et de vente en gros d'électricité et de la fourniture d'électricité au détail peut donc être écarté compte tenu des positions limitées des parties sur ces marchés.

2. MARCHÉ DES OUVRAGES D'ART ET DES ÉQUIPEMENTS INDUSTRIELS

35. Sur le marché national des ouvrages d'art et des équipements industriels dans le domaine de l'énergie, la part de marché de Quadran n'excède pas 5 %, quelle que soit la segmentation retenue.

36. Tout risque d'atteinte à la concurrence par le biais d'effets verticaux sur les marchés des ouvrages d'art et des équipements industriels et de la production et de vente en gros d'électricité peut donc être écarté compte tenu des positions limitées des parties sur ces marchés.

3. MARCHÉ DES SERVICES D'INGÉNIERIE ET D'ÉTUDES TECHNIQUES

37. Sur le marché national des services d'ingénierie et d'études techniques, la part de marché de Quadran n'excède pas 5 %, quelle que soit la segmentation retenue.

38. Tout risque d'atteinte à la concurrence par le biais d'effets verticaux sur les marchés concernés par l'opération peut donc être écarté compte tenu des positions limitées des parties.

39. Par conséquent, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets verticaux sur les marchés concernés.

DÉCIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 17-173 est autorisée.

NOTES :

* Rectification d'erreur matérielle.

1 [...]* Rectification d'erreur matérielle.

2 Décision de la Commission européenne COMP/M.7137 du 25 juin 2014 EDF / Dalkia, décisions de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-28 du 30 juillet 2009 relative à la prise de contrôle de la société Poweo par la société Österreichsche Elektrizitätwirtschafts - Aktiengesellschaft et n° 17-DCC-16 du 8 février 2017 relative à la prise de contrôle conjoint des sociétés Éole Moulin Tizon, Éole Brocéliande, Éoliennes de l'Ourq et du Clignon par les sociétés Predica Prévoyance, Omnes Capital et Quadran.

3 Id.

4 Décisions de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-195 du 31 décembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Juwi EnR par la société Neoen, et n° 15-DCC-102 du 30 juillet 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de Solairedirect par GDF Suez.

5 Décisions de la Commission européenne COMP/M.5366 du 4 décembre 2008, Iberdrola Renovables/Gamesa, et COMP/M.6540 du 10 mai 2012, Dong Energy Borkum Riffgrund I Holdco/Boston Holding/Borkum Riffgrund I Offshore Windpark et la décision de l'Autorité de la concurrence n° 17-DCC-67 du 26 mai 2017 relative à la prise de contrôle exclusif de la société La Compagnie du Vent par Engie.

6 Id.

7 Décision n° 14-DCC-195 précitée.

8 Décisions de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-164 du 18 novembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de IOSIS Holding par Egis SA, n°14-DCC-08 du 22 janvier 2014 relative à la prise de contrôle exclusifpar le groupe Ortec de la société Financière Sonovision et décision n° 14-DCC-195 précitée.

9 Décision n° 10-DCC-164 précitée.

10 Lettre du ministre de l'économie du 19 octobre 2007 au conseil de la société Akka Technologies relative à une concentration dans le secteur de l'ingénierie.

11 Lettre du ministre de l'économie du 12 décembre 2008 aux conseils de la société CDC Capital Investissement relative à une concentration dans le secteur des contrôles techniques de construction et décision n° 10-DCC-164 précitée.

12 Décisions de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-131 du 1er septembre 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Aeroconseil par la société Akka Technologies.

13 Décision n° 10-DCC-164 précitée.

14 Décision n° 11-DCC-131 précitée.

15 Décision n° 14-DCC-08 précitée.

16 Décision COMP/M.5549 de la Commission européenne du 12 novembre 2009, EDF/Segebel ; décision COMP/M.5170 de la Commission européenne du 19 juin 2008, E.On/Endesa Europa/Viesgo ; et décision n° 09-DCC-28 précitée et la décision de l'Autorité de la concurrence n° 12-DCC-20 du 7 février 2012 relative à la prise de contrôle exclusif d'Enerest par Électricité de Strasbourg.

17 Décisions n° 09-DCCfd-28 et n° 12-DCC-20 précitées.

18Décision COMP/M.4994 de la Commission européenne du 29 avril 2008, Electrabel / Compagnie nationale du Rhône et décision n°09-DCC-28 précitée.

19Décisions COMP/M.4994, n° 09-DCC-28 et n°12-DCC-20 précitées.

20 Décision n° 09-DCC-28 précitée.

21 Voir également la décision n° 17-DCC-67 précitée.

22 Décisions n° 09-DCC-28, n° 12-DCC-20 et n° 17-DCC67 précitées.