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Décisions

Cass. com., 8 novembre 2017, n° 16-17.226

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Président de l'Autorité de la concurrence , Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique

Défendeur :

Graham & Brown France (SARL) , Graham & Brown Limited (Sté) , MCF investissements (Sté) , Société de conception et d'édition (SAS) , AS Création France (SAS) , AS Création Tapeten AG (Sté) , Décoralis (SAS) , Tapetenfabrik Gebr. Rasch GmbH & Co. KG (Sté) , Rasch France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Tréard

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, SCP Gaschignard, SCP Piwnica, Molinié

Cass. com. n° 16-17.226

8 novembre 2017

LA COUR : - Joint les pourvois n° 16-17.226 et 16-17.330, qui attaquent le même arrêt ; - Donne acte au président de l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) de ce qu'il se désiste de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Tapetenfabrik Gebr. Rasch GmbH & Co. KG et Rasch France ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué tel que rectifié par un arrêt du 30 juin 2016, qu'à la suite d'une demande de clémence relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des papiers peints, consistant en des échanges d'informations sensibles portant sur les conditions commerciales, les prix des papiers peints et l'évolution des chiffres d'affaires, intervenus entre des sociétés fournisseurs en situation de concurrence sur le marché des papiers peints français, l'Autorité s'est saisie d'office de ces pratiques ; que certaines des sociétés mises en cause, notamment les sociétés MCF investissement (la société MCF) et Société de conception et d'édition (la société SCE), et leurs sociétés mères, les sociétés Décoralis, AS Création France et AS Création Tapeten, ont déclaré ne pas contester les griefs ; que, par une décision n° 14-D-20 du 22 décembre 2014, l'Autorité a dit établi que plusieurs sociétés, dont les sociétés MCF, SCE et Graham & Brown France, avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et leur a infligé des sanctions pécuniaires ; qu'elle a également déclaré les sociétés Décoralis, AS Création France et AS Création Tapeten AG solidairement responsables du paiement des sanctions infligées à leurs filiales, les sociétés MCF et SCE, et la société Graham & Brown France solidairement tenue, avec sa société mère Graham & Brown Limited, du paiement de cette sanction ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 16-17.226 : - Attendu que l'Autorité fait grief à l'arrêt de réformer la décision n° 14-D-20 du 22 décembre 2014 en ce qui concerne le montant des sanctions pécuniaires infligées aux sociétés MCF, SCE, Décoralis, AS Création France, AS Création Tapeten, Graham & Brown France et Graham & Brown Limited alors, selon le moyen, que lorsqu'elles mettent en œuvre le droit de la concurrence de l'Union européenne, les autorités de concurrence des Etats membres et leurs juridictions de contrôle sont tenues de respecter les principes généraux du droit de l'Union et les droits fondamentaux reconnus par la Charte des droits de l'Union européenne, le cas échéant tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne ; qu'il résulte de l'arrêt Pilkington de la Cour de justice du 7 septembre 2016 que le " caractère moins diversifié " de l'activité de certaines entreprises sanctionnées " ne saurait en soit constituer un motif suffisant pour justifier " une réduction du montant de la sanction, car une telle réduction " reviendrait à avantager les entreprises les moins diversifiées, sur la base de critères qui sont sans pertinence au regard de la gravité et de la durée de l'infraction " ; que cette interprétation de la règle de droit s'intègre immédiatement dans l'ordre juridique, de sorte qu'il doit en être fait application dans les litiges en cours ; qu'ainsi, en réduisant le montant de la sanction, d'une part, des sociétés MCF, SCE, AS Création France, AS Création Tapeten AG, outre de la société Décoralis tenue solidairement, d'autre part, des sociétés Graham & Brown France et Graham & Brown Limited, qui ont participé à une entente, aux motifs qu'elles menaient " l'essentiel de leur activité sur le secteur ou marché en relation avec l'infraction, à savoir la vente de papiers peints ", la cour d'appel a violé les articles 101 § 1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tels qu'interprétés par la Cour de justice, et les articles L. 464-2 I et 420-1 du Code de commerce ;

Mais attendu qu'en application de l'article 5 du Règlement (CE) n° 1/2003 du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, devenus 101 et 102 TFUE, les autorités de concurrence des Etats membres sont compétentes pour appliquer ces articles dans des cas individuels et adopter des décisions infligeant des sanctions pécuniaires ; qu'en droit national, la sanction infligée par l'Autorité doit être prononcée conformément aux dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans le respect du communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires qu'elle a publié le 16 mai 2011, qui s'impose à elle, sauf à ce qu'elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter ; que, si la Cour de justice de l'Union européenne a exclu que la différence de pourcentage que représenterait l'amende dans le chiffre d'affaires total des entreprises concernées constitue un motif suffisant pour justifier que la Commission s'écarte de la méthode de calcul, ne prévoyant pas la prise en compte de cette situation, qu'elle s'est elle-même fixée (arrêt du 7 septembre 2016, C-101/15, aff. Pilkington), cette analyse ne s'oppose pas à ce que l'Autorité retienne ce facteur d'appréciation, prévu par son communiqué du 16 mai 2011 ; que le moyen, qui postule le contraire, manque en droit ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 16-17.330 : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le second moyen du pourvoi n° 16-17.226, pris en sa troisième branche : - Vu l'article L. 464-2 du Code de commerce et le communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ; - Attendu que pour réformer la décision de l'Autorité en ce qui concerne le montant des sanctions infligées aux sociétés Graham & Brown, MCF, SCE, Décoralis, AS Création France, et AS Création Tapeten France, au titre de pratiques concertées ou d'ententes mises en œuvre sur le marché des papiers peints, de dimension nationale, l'arrêt relève que, conformément à la méthode présentée dans son communiqué du 16 mai 2011, l'Autorité s'est demandée s'il y avait lieu d'" adapter à la baisse " le montant des sanctions, au cas où il s'avérerait que les entreprises en cause mèneraient l'essentiel de leur activité sur le secteur ou marché en relation avec l'infraction, autrement dit si elles exerçaient une activité " mono-produit " ; qu'il constate que l'Autorité a appliqué cette réduction aux sociétés L'Editeur et Zambaiti tandis qu'elle a refusé d'accorder ce bénéfice aux sociétés MCF, SCE, AS Création France et AS Création Tapeten, ainsi qu'aux sociétés Graham & Brown, en considérant que les comptes des groupes auxquels elles appartiennent ne permettent pas de conclure à une activité " mono-produit " ; qu'il relève qu'une telle activité, au sens du communiqué du 16 mai 2011, implique une comparaison sur des bases homogènes en ce qui concerne la détermination de la valeur des ventes, d'une part, et du chiffre d'affaires auquel cette valeur est rapportée, d'autre part ; qu'il en déduit que, dès lors que l'Autorité a retenu le chiffre d'affaires consolidé du groupe auquel appartiennent ces sociétés, il y a lieu de prendre en compte non pas la valeur des seules ventes qu'elles ont réalisées, mais la valeur des ventes réalisées par toutes les sociétés de ce groupe dans le secteur de la vente de papiers peints, incluant par conséquent, en ce qui concerne la situation des sociétés SCE et MCF, les ventes de la société AS Création France, qui a pour seule activité la vente de papiers peints, et de la société allemande AS Création Tapeten dont la part du chiffre d'affaires réalisé sur ce secteur est supérieure à 90 %, et en ce qui concerne la situation de la société Graham & Brown France, les ventes de la société anglaise Graham & Brown Limited, qui a pour seule activité la fabrication et la commercialisation de papiers peints ; qu'il retient, sur la base de ces éléments, que les sociétés en cause mènent l'essentiel de leur activité sur le secteur ou marché en relation avec l'infraction, à savoir la vente de papiers peints, et qu'il y a lieu, en conséquence, d'adapter à la baisse le montant de la sanction prononcée dans une proportion identique à celle dont ont bénéficié, au même titre, les sociétés L'Editeur et Zambaiti, soit à hauteur de 70 % ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a intégré dans les termes de son analyse des valeurs de ventes sans lien avec l'infraction, a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : rejette le pourvoi n° 16-17.330 ; et sur le pourvoi n° 16-17.226 : casse et annule, mais seulement en ce que, réformant la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-D-20 du 22 décembre 2014 concernant le montant des sanctions pécuniaires infligées aux sociétés MCF investissements, Société de conception et d'éditions, Décoralis, AS Création France, AS Création Tapeten AG, Graham & Brown France et Graham & Brown Limited, il fixe le montant de leurs condamnations, l'arrêt rendu le 14 avril 2016, rectifié le 30 juin 2016, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.