CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 8 novembre 2017, n° 17-11478
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pouey International (SA)
Défendeur :
Tegometall France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Roy-Zenati
Conseillers :
Mmes Grivel, Quentin de Gromard
Avocats :
Mmes Meggle, Ingold, Canton
Faits et procédure
Par acte sous seing privé du 9 juin 2011 prenant effet le 11 juin 2011, les sociétés Pouey International et Tegometall France ont conclu un " protocole d'accord de gestion de la relation client " aux termes duquel la société Pouey International s'engageait à fournir à la société Tegometall des prestations en matière de recouvrement de créances impayées.
Les sociétés ont convenu de la reconduction du contrat par période triennale, si aucune des parties ne résiliait la convention, trois mois avant l'échéance du terme, par lettre recommandée avec accusé de réception.
Par lettre datée du 2 juin 2014, la société Tegometall France a informé la société Pouey International de son souhait de ne pas renouveler leur collaboration à l'échéance du 11 juin 2014. Le même jour, la société Pouey International a adressé à la société Tegometall une facture pour la période de juin à septembre 2014 de 17 202,61 euros TTC.
N'ayant pas obtenu le règlement de sa facture, la société Pouey International a fait assigner la société Tegometall devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris pour obtenir sa condamnation au paiement de la somme provisionnelle de 17 202,61 euros TTC outre 40 euros à titre d'indemnité forfaitaire.
Par ordonnance du 30 septembre 2015, ce juge des référés s'est déclaré compétent et a condamné la société Tegometall France au paiement à titre provisionnel des sommes suivantes :
- 17 202,61 euros au titre du règlement de la facture du 2 juin 2014,
- 40 euros au titre d'une indemnité forfaitaire,
- 30 000 euros au titre d'une indemnité de résiliation.
Par acte du 16 décembre 2015, la société Pouey International a fait assigner au fond la société Tegometall France devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner principalement au paiement de la facture du 2 juin 2014 de 17 202,61 euros TTC, d'une indemnité de résiliation de 132 460,09 euros TTC et de pénalités de retard pour 3 695,64 euros. A titre reconventionnel et in limine litis, la société Tegometall France a invoqué l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce et l'incompétence du Tribunal de commerce de Paris au profit de celui de Nancy.
Par jugement contradictoire du 22 mai 2017, le Tribunal de commerce de Paris a :
- dit recevable et bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Tegometall France
- s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Nancy,
- dit qu'à défaut de contredit dans le délai prescrit par l'article 82 du Code de procédure civil, le dossier de la présente affaire sera transmis par le greffier de ce tribunal à la juridiction ci-après désignée dans les conditions prévues par l'article 97 du Code de procédure civile,
- dit que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a engagés, - condamné la société Pouey International aux dépens.
Par acte remis au greffe du Tribunal de commerce de Paris le 1er juin 2017, la société Pouey International a formé contredit à l'encontre de cette décision.
Dans son contredit soutenu oralement à l'audience du 2 octobre 2017, la société Pouey International demande à la cour, sur le fondement des articles 48, 80 et suivants et 700 du Code de procédure civile, L. 441-6 et D. 442-3 du Code de commerce, de :
- la dire et juger recevable et bien fondée en son contredit, et y faisant droit,
- infirmer le jugement rendu le 22 mai 2017 par la 15ème chambre du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il déclare cette juridiction incompétente au profit du Tribunal de commerce de Nancy,
- désigner le Tribunal de commerce de Paris pour statuer sur le litige,
- renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce de Paris,
- y ajoutant, condamner la société Tegometall France à lui verser la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux frais du contredit.
Elle fait valoir que dès lors qu'elle se prévaut des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce et que la clause attributive de compétence de juridiction figurant dans les conditions générales de vente du contrat la liant à la société Tegometall France désigne l'une des huit juridictions visées au tableau figurant en annexe de l'article D. 442-3 du Code de commerce, alors ladite clause attributive doit être appliquée.
Par ses écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, la société Tegometall France demande à la cour, sur le fondement des articles 42 et suivants, 80 et suivants du Code de procédure civile et L. 442-6 et D.442-3 du Code de commerce, de :
Sur l'inapplicabilité de la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales de la société Pouey :
- dire et juger que la clause attributive de compétence contenue dans les conditions générales de Pouey doit être écartée en raison de l'application des règles d'ordre public de l'article D. 442-3 du Code de commerce, En conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré le Tribunal de commerce de Paris incompétent pour statuer sur les demandes de Pouey et de Tegometall,
- renvoyer les parties à mieux se pourvoir devant la juridiction compétente, à savoir le Tribunal de commerce de Nancy,
A titre subsidiaire,
- dire et juger que la clause attributive de compétence contenue dans les conditions générales de Pouey n'a pas été valablement convenue par les parties,
En conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré le Tribunal de commerce de Paris incompétent pour statuer sur les demandes de Pouey et de Tegometall,
- renvoyer les parties à mieux se pourvoir devant la juridiction compétente, à savoir le Tribunal de commerce de Nancy,
Sur la détermination de la juridiction territorialement compétente : A titre principal, vu l'article 42 du Code de procédure civile,
- dire et juger que la juridiction spéciale territorialement compétente doit être déterminée par l'application des règles des articles 42 et suivants du Code de procédure civile,
- dire et juger qu'en application de l'article 42 du Code de procédure civile, la juridiction compétente pour statuer sur son moyen de défense ayant trait à l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce est le Tribunal de commerce de Nancy,
En conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré le Tribunal de commerce de Paris incompétent pour statuer sur les demandes de Pouey et de Tegometall,
- renvoyer les parties à mieux se pourvoir devant la juridiction compétente, à savoir le Tribunal de commerce de Nancy,
A titre subsidiaire,
Vu l'article 46 du Code de procédure civile,
Dire et juger que l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce constituant le fondement d'une responsabilité civile délictuelle, aux termes de l'article 46 du Code de procédure civile, le 'lieu où le dommage a été subi' qui permet de déterminer le tribunal territorialement compétent est, en l'espèce, le siège de Tegometall à Forbach, le Tribunal de commerce de Nancy étant dès lors compétent,
En conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré le Tribunal de commerce de Paris incompétent pour statuer sur les demandes de Pouey et de Tegometall,
- renvoyer les parties à mieux se pourvoir devant la juridiction compétente, à savoir le Tribunal de commerce de Nancy,
En tout état de cause, sur les frais irrépétibles et les dépens,
- condamner la société Pouey aux dépens et à lui verser une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Elle réplique que la clause attributive de compétence doit, à titre principal, être écartée du fait des règles d'ordre public posées par l'article D. 442-3 du Code de commerce et, à titre subsidiaire, être écartée en ce qu'elle n'a pas été valablement convenue entre les parties ; que la juridiction territorialement compétente doit être déterminée par application des articles 42 et 46 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Considérant que le contredit, élevé dans les conditions de forme et de délais prévues par l'article 82 du Code de procédure civile, est recevable ;
Considérant que la société Pouey International a assigné la société Tegometall France devant le Tribunal de commerce de Paris afin, le tribunal se déclarant préalablement compétent pour statuer sur sa demande, de faire constater la validité de la reconduction tacite du contrat du 9 juin 2011 et de voir condamner la société Tegometall France au paiement de diverses sommes en application de l'article L. 441-6 du Code de commerce ; que la société Tegometall France a présenté une demande reconventionnelle fondée sur l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce invoquant subir un préjudice dont elle sollicite réparation résultant du caractère totalement déséquilibré des obligations respectives des parties et a soulevé in limine litis l'incompétence du Tribunal de commerce de Paris au profit du Tribunal de commerce de Nancy ;
Considérant que l'article D. 442-3 dudit code prévoit " Pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre " ; que ce tableau désigne notamment les tribunaux de commerce de Paris et de Nancy pour connaître de l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
Considérant que si l'article D. 442-3 attribue de manière impérative à certains tribunaux la connaissance des pratiques restrictives de concurrence, il n'interdit pas de faire application d'une clause attributive de juridiction pour l'introduction de l'instance dès lors que la juridiction choisie par les parties n'y déroge pas ;
Qu'en l'espèce, la clause attributive de juridiction figurant aux conditions générales du contrat liant la société Pouey International à la société Tegometall France stipule que " Les Tribunaux de Paris sont de convention expresse les seuls compétents en cas de désaccord ou de litige " ;
Que pour s'opposer à l'application de cette clause, la société Tegometall France soutient qu'elle n'aurait pas été valablement convenue faute pour la société Pouey International de démontrer qu'elle - société Tegometall France - en aurait pris connaissance et l'aurait acceptée et qu'en outre le contrat du 9 juin 2011 ayant été résilié, la société Pouey International ne pourrait plus s'y référer ;
Considérant cependant qu'en raison de son autonomie par rapport à la convention principale dans laquelle elle s'insère, la clause attributive de compétence n'est pas affectée par l'inefficacité de celle-ci ;
Que par ailleurs le " protocole d'accord de gestion de la relation client " du 9 juin 2011 comprend tant le tampon que la signature de la société Tegometall France au-dessus de la mention " voir conditions générales et particulières au verso " ; que la clause attributive de compétence comprise dans les conditions générales est mentionnée en caractère gras et en lettres majuscules s'agissant du titre " Compétence de Juridiction " ce qui la distingue des autres clauses et est située dans le dernier paragraphe des conditions générales juste avant les conditions particulières, de sorte qu'elle est facilement repérable ; qu'ainsi, manifestement apparente, elle est opposable à la société intimée ;
Que dès lors, le Tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître du litige par application de l'article D. 442-3 du Code de commerce et de l'annexe 4-2-1 ;
Qu'au vu de ces éléments, la société Pouey International sera déclarée bien fondée en son contredit et l'affaire renvoyée devant le Tribunal de commerce de Paris compétent, pour y être instruite et jugée ;
Qu'il n'y a pas lieu d' " infirmer " le jugement, frappé de contredit et non d'appel ;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que la société Tegometall France doit être condamnée aux frais du contredit.
Par ces motifs, Déclare le contredit recevable et fondé, Renvoie la cause et les parties devant le Tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître de la demande, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Tegometall France Laisse aux frais du contredit.