CA Aix-en-Provence, 1re ch. A, 31 octobre 2017, n° 16-01478
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Natura Cosmetic (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vidal
Conseillers :
Mmes Demont, Vignon
Exposé du litige
La société Natura Cosmetic est titulaire de la marque Phyderma, au travers de laquelle elle commercialise par correspondance des produits de bien-être, santé ou beauté sous forme de cosmétiques et compléments alimentaires.
L'envoi des catalogues par la société Natura Cosmetic s'accompagne de propositions de participation à des jeux concours, prenant la forme de loteries publicitaires dotées d'un prix principal et de prix annexes.
Dans ce contexte, la SARL Natura Cosmetic a mis en jeu courant 2010 et 2011, dans le cadre d'une loterie publicitaire, un prix à gagner de 155 000 euro.
Après avoir reçu plusieurs courriers publicitaires de la SARL Natura Cosmetic, M. Hamid Z. a commandé, courant 2010, un certain nombre de produits mais a déploré l'absence de perception de la somme de 155 000 euro qu'il pensait avoir gagnée.
Par acte du 22 juin 2012, M. Z. a fait assigner la SARL Natura Cosmetic devant le Tribunal de grande instance de Saint-Etienne aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 155 000 euro, outre 50 000 euro à titre de dommages et intérêts.
Par ordonnance du 30 mai 2013, le juge de la mise en état a déclaré le Tribunal de grande instance de Saint-Etienne incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Grasse.
Par jugement en date du 14 décembre 2015, prononcé de manière contradictoire, le Tribunal de grande instance de Grasse a:
- débouté M. Z. de l'intégralité de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par acte du 27 janvier 2016, M. Hamid Z. a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 avril 2016, M. Z. demande à la cour, au visa des articles 1370, 1371 du Code civil, L. 121-37 et suivants du Code de la consommation et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, de:
- réformer le jugement rendu le 14 décembre 2015 par le Tribunal de grande instance de Grasse en ce qu'il a débouté M. Z. de ses demandes,
- dire et juger que la SARL Natura Cosmetic, qui annonce un gain à M. Z. sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa, s'oblige par ce fait purement volontaire à le délivrer sur le fondement de l'article 1371 du Code civil,
- condamner la SARL Natura Cosmetic à verser à M. Z. la somme de 155 000 euro,
- condamner la SARL Natura Cosmetic à payer à M.Z. la somme de 2 500 euro au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il reproche à la société Natura Cosmetic de ne pas avoir mis en évidence, dans le cadre de cette loterie publicitaire, l'existence d'un aléa et soutient qu'au regard des nombreux documents qui lui ont été adressés, il a légitimement pu croire qu'il était le gagnant du prix de 155 000 euro. Il se prévaut des termes employés, ainsi que la personnalisation des documents qui lui ont été envoyés, notamment un " bordereau d'attribution formelle nominatif " avec la mention " paiement en attente " et un document intitulé " certificat d'attribution personnelle " avec la mention " gagnant unique ". Il considère que ces documents ne mettent pas en évidence le caractère aléatoire du gain mais le présentent au contraire comme une certitude. Il en tire pour conséquence, qu'en l'absence d'un tel aléa, l'organisateur de la loterie s'oblige à délivrer le gain.
Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 14 juin 2016, la société Natura Cosmetic demande à la cour de:
- dire et juger infondé l'appel interjeté par Monsieur Z. à l'encontre du jugement rendu le 14 décembre 2015 par le Tribunal de grande instance de Grasse,
- confirmer en toutes ses dispositions ledit jugement,
- condamner M. Z. aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient avoir respecté les dispositions des articles L. 121-36 et suivants ainsi que R. 121-11 et suivants du Code de la consommation régissant les opérations de vente par correspondance accompagnées de proposition de participation à des jeux déclinés sous forme de loterie, dès lors que la loterie proposée était gratuite, sans contrepartie d'achat, que le bulletin de participation était distinct du bon de commande et qu'étaient joints une présentation des lots mis en jeu ainsi que le règlement du jeu dans son intégralité en corps 9, permettant une pleine visibilité.
Elle estime qu'elle a avisé M. Z. de l'existence d'un aléa sur l'attribution du prix principal du jeu, que le procédé commercial qu'elle utilise est largement partagé par tous les acteurs de la vente par correspondance et que les messages commerciaux qu'elle diffuse sont formulés de telle manière qu'un lecteur attentif et avisé peut prendre immédiatement conscience du caractère aléatoire du gain. Elle ajoute que la mise en évidence de l'aléa est également assurée par le règlement du jeu lequel est reproduit en intégralité sur les documents adressés à sa clientèle. Elle en conclut qu'elle a délivré à M. Z. une information claire, loyale et dénuée de toute ambiguïté.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 05 septembre 2017.
MOTIFS
Se fondant sur les dispositions des articles 1370 et 1371 du Code civil ainsi que L. 121-37 et suivants du Code de la consommation, M. Hamid Z. sollicite la condamnation de la société Natura Cosmetic à lui verser la somme principale de 155 000 euro au titre du prix principal d'une loterie publicitaire qu'il pensait avoir gagné.
Il est constant que l'envoi des catalogues des produits commercialisés par la société Natura Cosmetic s'accompagne de propositions de participation à des jeux concours prenant la forme de loteries publicitaires dotées d'un prix principal et de prix annexes.
En l'espèce, au cours de l'année 2011, la SARL Natura Cosmetic a mis en jeu dans le cadre d'une loterie publicitaire un prix principal de 155 000 euro et M. Z. a été rendu destinataire de plusieurs propositions de participation à ce jeu.
Les opérations de vente par correspondance accompagnées de proposition de participation à des jeux déclinés sous forme de loterie sont régies par les dispositions des articles L. 131-26 et L. 131-27 du Code de la consommation qui, dans leur rédaction en vigueur à l'époque des faits, prévoient que de telles loteries ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière, ni dépense sous quelque forme que ce soit et que les documents présentant l'opération ne doivent pas être de nature à susciter la confusion avec un documents administratif ou bancaire libellé au nom du destinataire ou avec une publication de la presse d'information.
Les articles R. 121-11 et R. 121-12 du code de la Code de la consommation font également obligation aux organisateurs de telles loteries de joindre, à l'envoi à leur clientèle, un bon de commande, un extrait du règlement, une présentation des lots et un bulletin de participation le tout présenté sur une partie distincte et, de manière particulièrement lisible.
Il ressort des pièces produites que le bulletin de participation adressé à M. Z. était bien distinct du bon de commande, qu'il est rappelé que la participation au jeu est gratuite et sans obligation d'achat et que les documents qui lui ont été envoyés ne peuvent être confondus avec tout autre document bancaire ou administratif ou publication de presse.
Il a été reproduit au verso des documents suivants reçus par l'appelant " communiqué officiel ", " certificat protocolaire d'attribution ", " certificat d'attribution personnelle ", " lettre de la direction générale " ou encore sur " exemplaire du procès- verbal d'huissier de justice à conserver " l'intégralité du règlement de jeu en corps 9, précédée de la mention suivante en majuscules " A LIRE ATTENTIVEMENT- REGLEMENT OFFICIEL ET COMPLET DU JEU INTITULE 155 000 EUROS A REMETTRE ".
Les dispositions du Code de la consommation ont donc été respectées par la SARL Natura Cosmetic.
M. Z., qui précise qu'il a respecté les diverses formalités pour participer au jeu litigieux, considère qu'au regard des nombreux documents qui lui ont été adressés comprenant des mentions particulièrement attractives, il a légitimement cru qu'il était le gagnant du prix de 155 000 euro. Il reproche ainsi à l'intimée de lui avoir annoncé ce gain sans mettre évidence l'existence d'un aléa.
En application des articles 1370 et 1371 du Code civil, l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne s'oblige par ce seul fait purement volontaire à le délivrer s'il a omis de mettre en évidence l'existence d'un aléa, lequel doit s'apprécier à première lecture des documents.
Il convient cependant de prendre en compte l'ensemble des documents dont le consommateur a été rendu destinataire et il ne suffit pas de s'arrêter à certaines formules attractives pour en déduire l'absence d'aléa, s'agissant d'un procédé consistant à susciter la curiosité de la clientèle en lui offrant la possibilité de participer à un jeu dont le prix principal est présenté comme étant susceptible d'être attribué au destinataire.
En l'espèce, à l'examen des documents communiqués par l'appelant, une première lecture un tant soit peu attentive, permettait de révéler immédiatement l'existence d'un aléa :
- les messages de la société Natura Cosmetic relatifs aux annonces de gain sont toujours précédés, sur les courriers, d'une phrase chapeau rappelant que M. Z. doit disposer du numéro grand-gagnant pré-tiré au sort et donnant droit à l'attribution du prix principal " si vous détenez et renvoyez dans les délais le numéro gagnant nous vous annoncerons... " ou encore " le numéro gagnant a été tiré au sort par huissier de justice, si vous disposez de ce numéro et renvoyez dans les délais les documents attendus, vous recevrez le chèque de 155 000 euro ... ",
- la " lettre de direction générale " confirme à M. Z. son " éligibilité à notre grand jeu .... vos chances de gagner ce superbe prix sont vérifiées et certifiées. Ne laissez pas passer une telle opportunité. C'est grâce à votre numéro personnel que nous pourrons enregistrer et faire valoir vos droits potentiels ... "
- la " confirmation d'attribution formelle- dossier vérifié " précise que " Dans un premier temps, je vous confirme que l'huissier de justice a bien procédé au tirage au sort de l'unique numéro gagnant et qu'un procès-verbal a été rédigé suite à ce résultat. Ce numéro est bien gagnant des 155 000 euro. Une réponse du gagnant dans les délais permettra d'envoyer le chèque bancaire (....) Nous n'en sommes pas là mais vous pouvez déjà nous dire en cas de gain ce que vous préférez ",
- le " certificat d'attribution personnelle " indique " EN CAS DE GAIN, c'est bien à cette adresse que seront payés les 155 000 euro M. Hamdi Z. ... "
- le " certificat protocolaire d'attribution " mentionne " M. Z. .... sélectionné comme en atteste son numéro .... Le paiement de 155 000 euro se fera au gagnant... "
- le " bordereau d'attribution formelle " précise que " document à conserver dans l'attente du paiement des 155 000 euro à l'adresse de la personne gagnante " .
L'existence de l'aléa est également renforcée par la reproduction sur plusieurs documents reçus par l'appelant de l'intégralité du règlement de jeu qui précise que:
- " chaque destinataire se voit attribuer de façon aléatoire un numéro systématiquement rappelé sur les documents de participation; parmi les numéros attribués pour ce jeu, figure un numéro pré sélectionné à l'occasion d'un tirage au sort dont le résultat donne lieu à l'établissement d'un procès-verbal dressé par huissier de justice " (article 2)
- " seule la personne dont le numéro correspond à celui pré-tiré par l'huissier, se verra attribuer le prix principal mis en jeu ... " (article 3)
- la société Natura Cosmetic " rappelle que ce jeu est soumis à aléa et que les présents documents ne contiennent aucune offre ferme, ni aucun engagement de sa part permettant aux personnes dont le numéro ne correspondrait pas à celui pré-sélectionné par l'huissier de justice de réclamer le prix principal " (article 8).
Les courriers adressés à M. Z. mentionnaient bien l'existence d'un aléa puisqu'ils précisaient que :
- celui-ci avait été officiellement sélectionné et était éligible à l'attribution du prix mis en jeu et qu'il devait retourner sa participation pour valider son enregistrement,
- le chèque sera envoyé si le document joint porte le numéro désigné gagnant par l'huissier de justice lors du tirage au sort.
M. Z., qui doit être considéré comme un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif, ne peut au regard de ces éléments, avoir eu la croyance légitime qu'il était le gagnant du prix principal, ni ignorer qu'il avait uniquement été sélectionné pour participer à ce jeu et que le versement du gain était soumis à diverses conditions parmi lesquelles l'attribution du numéro désigné grand gagnant lors des opérations de pré-tirage au sort. Au demeurant, le procédé commercial des loteries publicitaires, qui est parfaitement licite, est largement pratiqué par tous les acteurs de vente par correspondance et donc nécessairement connu des consommateurs, la société Natura Cosmetic cherchant par cette démarche ludique et gratuite à fidéliser des clients afin de les détourner des sociétés concurrentes.
L'existence d'un quasi-contrat n'est donc pas établie et c'est à bon droit que le Tribunal de grande instance de Grasse a débouté M. Z. de l'ensemble de ses demandes.
Le jugement déféré sera, en conséquence, confirmé en toutes ses dispositions.
En équité, chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles.
Vu l'article 696 du Code de procédure civile,