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Décisions

CA Bordeaux, premier président, 14 novembre 2017, n° 16-04813

BORDEAUX

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

ERCTP (SA)

Défendeur :

Direction Régionale des Entreprises, Concurrence Consommation, Travail et Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bougon

Avocats :

Mes Dupin, Picot

TGI Périgueux, JLD, du 22 juin 2016

22 juin 2016

Le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Périgueux, par ordonnance du 22 juin 2016, autorise M. X à procéder ou à faire procéder dans les locaux de diverses entreprises, dont la SA ERCTP aux visites et saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce relevés dans le secteur des travaux de canalisation, ainsi que toutes manifestations de ces comportements prohibées. Conformément à l'ordonnance sus-visée, l'Administration procède aux visites et saisies autorisées, le 28 juin 2016.

La SA ERCTP relève appel de l'ordonnance du juge de la liberté dont elle poursuit l'infirmation avec toutes les conséquences de droit et, dans l'hypothèse où il ne serait pas fait droit à sa demande, elle entend obtenir l'annulation des opérations de visite et de saisies diligentées dans ses locaux et la restitution de l'ensemble des éléments saisis.

Sur l'appel de l'ordonnance du juge des libertés :

La SA ERCTP sollicite l'annulation de l'ordonnance déférée motifs pris :

- à titre principal, du fait que les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce n'est [sic] pas conforme aux exigences de l'article 6 § 1 de la CEDH pour ne pas prévoir parmi les mentions obligatoires de l'ordonnance d'autorisation de visites et saisies la possibilité pour les entreprises, en cas de difficultés lors du déroulement des opérations de s'adresser aux officiers de police judiciaire pour qu'ils procèdent, le cas échéant aux réquisitions nécessaires, et tiennent informé le juge des libertés et de la détention qui peut se rendre dans les locaux pendant l'intervention et à tout moment décider la suspension ou l'arrêt de la visite.

- à titre subsidiaire, de ce que l'ordonnance a autorisé des visites et saisies en l'absence de présomptions de l'existence des pratiques recherchées et n'est donc pas fondée, contrairement aux exigences de l'article L. 450-4 du Code de commerce. Elle estime que les documents remis au juge des appels d'offre ne révèle[nt] aucune anomalie.

Sur le déroulement des opérations de visites et saisies.

La SA ERCTP sollicite à titre principal le sursis à statuer jusqu'à ce qu'il ait été définitivement jugé sur la demande d'annulation de l'ordonnance autorisant visite et saisies et plus subsidiairement, sur demande expresse de la juridiction saisie, elle poursuit l'annulation des opérations de visite et saisies diligentées le 28 juin 2016 par l'Administration au motif que les opérations ont été effectuées sur le fondement d'une ordonnance irrégulière. En conséquence de quoi, elle demande la restitution de l'ensemble des éléments saisis.

L'Administration conclut de la manière suivante :

Sur l'appel de l'ordonnance du juge des libertés.

Elle conclut au débouté de la demande de la SA ERCTP dont elle poursuit la condamnation aux dépens de l'instance.

A. - Sur la non-conformité de l'article L. 450-4 du Code de commerce aux exigences de l'article 6 § 1 de la CESDH.

Elle fait valoir que, si l'article L. 450-4 du Code de commerce ne prévoit pas la possibilité de saisir le JLD en cours d'opération, son ordonnance indique précisément les voies de recours ouvertes à l'entreprise afin qu'en cas de litige elle puisse avoir recours à un procès équitable conformément aux dispositions de l'article 6 § 1 de la CESDH.

B.- Sur l'absence de présomption de nature à justifier une autorisation de procéder aux visites et saisies litigieuses.

Elle explique que les documents communiqués au JLD à l'appui de sa demande d'autorisation de visite constituaient bien des indices permettant de présumer l'existence de pratiques dont la preuve est recherchée au sens des dispositions de l'article L. 450-4 al. 2 du Code de commerce (la déclaration anonyme était corroborée par les pièces de marchés recueillis auprès des collectivité locales compétentes).

C.- Sur l'absence d'anomalie dans les marchés présentés au JLD.

L'Administration précise que chacun des marchés doit être examiné à la lumière des éléments décrits dans la déclaration anonyme (répartition des marchés par entreprise, présentation des offres de couverture, participation des maîtres d'œuvre comme facilitateurs des ententes présumée)s.

Elle souligne qu'en raison du caractère confidentiel des documents recherchés, seule[s] les dispositions de l'article L. 450-4 à l'exclusion des dispositions de l'article L 450-3 pouvaient être requises.

Puis, l'Administration entend répondre, marché par marché à l'argumentation de la société appelante.

Sur la contestation des opérations de visite.

A.- Sur la demande de sursis à statuer.

L'Administration conclut au débouté de cette demande que rien ne vient justifier.

B.- Sur la demande d'annulation des opérations de visite.

L'Administration observe que la société ERCTP ne formule aucune critique sur le déroulement de ces opérations.

SUR CE :

L'article L. 450-4 al. 2 du Code de commerce est rédigé comme suit :

.../...

Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée.

1.- Sur la conformité des dispositions de l'article L. 450-4 al. 2 du Code de commerce aux dispositions de l'article 6 § 1 de la CESDH.

La société ERCTP voit une violation des dispositions conventionnelles dans le fait que l'ordonnance du juge des libertés ne prévoit aucun mécanisme permettant, le cas échéant, à la personne " visitée " de saisir immédiatement le juge pour faire arrêter les opérations de visite et saisie.

Mais, l'article 6 § 1 de la CESDH qui prévoit que toute personne à droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal impartial, n'impose pas, comme voudrait le faire admettre la société ERCTP, l'obligation de prévoir la possibilité pour l'entreprise visitée de saisir le juge pendant les opérations de visite. Les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 450-4, opportunément rappelées à l'avant dernier paragraphe de la requête litigieuse, qui informe l'intéressée de ses possibilités de recours devant la juridiction du premier président dans les 10 jours de la remise du procès-verbal de visite et saisie, garantissant à l'intéressé un recours juridictionnel effectif, satisfont pleinement aux exigences conventionnelles. Par voie de conséquence, ce premier moyen n'est pas fondé.

2.- Sur l'absence de présomptions de concertation anticoncurrentielle entre entreprises.

Au stade de la requête, le juge des libertés, pour donner l'autorisation de visite et saisie, doit vérifier le bien-fondé de la demande et motiver sa décision. Il lui appartient de vérifier concrètement l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles.

Au cas d'espèce, l'Administration produit les déclarations d'un informateur révélant l'existence de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des travaux de canalisation en Dordogne et Charente Maritime. Cette source anonyme va dénoncer nommément les entreprises participant à cette entente (dont la société ERCTP) et décrire le mode de fonctionnement de l'entente (réunions périodiques, clefs de répartition des marchés CA et sectorisation - désignation de l'entreprise ou du groupement d'entreprises attributaire de tel ou tel marché, désignation des entreprises chargées de présenter des offres " de couverture " - offres 5 à 10 % plus chères, moins bien préparées notamment dans ses aspects techniques) participation indirecte de différents maîtres d'œuvre au moment de l'analyse des offres (par exemple, en dévalorisant les notes techniques d'entreprises hors entente). Puis, l'Administration s'est attachée à reprendre les différents marchés des secteurs concernés et d'étudier les procédures d'attribution à la lumière des dénonciations de la source anonyme. Ces examens attentifs ont permis de corroborer les déclarations de l'informateur. A titre d'illustration de ses soupçons, l'Administration propose l'étude de huit marchés de travaux passés par le SDE 17 et de 7 marchés de travaux passés avec différentes autorités compétentes de la Dordogne.

Ces éléments sont suffisants pour justifier une demande de saisie et visite au sens des dispositions de l'article L. 450-4 al. 2 du Code de commerce, ci-dessus reproduites, étant entendu qu'en raison du caractère clandestin de cette organisation, l'Administration ne pouvait procéder autrement pour tenter d'apporter la preuve de l'entente prohibée dont elle soupçonne l'existence.

3.- Sur les opérations de visites et saisies.

La demande de sursis à statuer n'est pas justifiée et force est de constater que la société ERCTP n'articule aucun grief quant au déroulement des opérations de visites et saisies dûment autorisées.

4.- Sur les dépens.

Déboutée de ses demandes, la société ERCTP supportera la charge des dépens de l'instance.

Par ces motifs : Vu le visa du Ministère Public, Déclarons le recours recevable en la forme, Confirmons la décision déférée, Disons n'y avoir lieu à frais irrépétibles, Mettons les dépens de la présente instance à la charge de la société ERCTP.