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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 14 novembre 2017, n° 15/01900

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Combes

Conseillers :

Mmes Jacob, Blatry

TGI Valence, du 14 avr. 2015

14 avril 2015

Faits, procédure et moyens des parties:

Suivant contrat d'agent commercial à effet du 1er septembre 2010, Monsieur Bernard D. a mandaté Madame Françoise C. épouse C. à l'effet de vendre, à titre exclusif, en son nom et pour son compte, tous produits, hors alimentaires, dans les départements de la Drôme, de l'Ardèche, du Vaucluse et du Gard moyennant une commission de 35% sur les montants HT des ventes réalisées.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 août 2012, Monsieur D. a rompu le contrat pour faute grave.

Selon exploit d'huissier du 10 octobre 2012, Madame C. a fait citer Monsieur D., devant le tribunal de grande instance de Valence à l'effet d'obtenir sa condamnation à lui payer diverses sommes.

Par jugement du 14 avril 2015, cette juridiction a :

- débouté Madame C. de ses prétentions,

- condamné Madame C. à payer à Monsieur D. la somme de 103,02€ au titre d'un stock non restitué, ainsi qu'une indemnité de procédure de 2 000€, outre les dépens de l'instance.

Suivant déclaration du 5 mai 2015, Madame C. a relevé appel de cette décision.

Par dernières écriture en date du 13 novembre 2015, Madame C. demande de rejeter les prétentions adverses et de condamner Monsieur D. à lui payer les sommes de :

- 1 614,78€ au titre du préavis de deux mois,

- 19 560,34€ au titre de l'indemnité pour rupture abusive représentant deux ans de commissions,

- 2 000€ pour commission sur la facturation du portefeuille clients, travail et mises en stock,

- 2 000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que :

- aucune faute ne peut lui être reprochée,

- elle était libre d'organiser son activité et n'avait aucun ordre à recevoir de Monsieur D.,

- la rupture basée sur le défaut de visite des clients est abusive,

- elle n'a jamais proposé de ventes sans factures et c'est Monsieur D. qui établissait les factures,

- pour apprécier sa situation, il convient de prendre en compte les chiffres exacts,

- il lui a été confié un portefeuille de 40 clients, elle en a remis 60,

- au contraire, son chiffre d'affaire a connu une nette augmentation,

- il n'y a pas eu d'inventaire au début du contrat,

- c'est à tort que Monsieur D. prétend à un détournement.

Par conclusions récapitulatives du 14 septembre 2015, Monsieur D. sollicite de rejeter les prétentions adverses, confirmer le jugement déféré sauf sur la condamnation de Madame C. qu'il réclame pour la somme de 5 256,82€ au titre du stock détourné et, y ajoutant, de condamner Madame C. à lui payer la somme de 3 500,00€ au titre de ses frais irrépétibles.

Il expose que :

- par application de l'article L. 134-4 du Code de commerce, les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par la loyauté et un devoir réciproque d'information,

- Madame C. a exécuté son contrat dans son seul intérêt,

- l'évolution du chiffre d'affaire selon Madame C. est faux,

- le chiffre d'affaire étant acquis au 2/3 dans les sept premiers mois dans le commerce de la carterie, l'année 2012 est bien en baisse,

- la perte de plusieurs clients sur le premier trimestre 2012 ne peut être contestée et est en relation directe avec son refus de prospecter ainsi qu'elle l'a, elle-même, écrit,

- au surplus, il a été découvert que Madame C. détournait une partie du chiffre d'affaire à son profit selon un stratagème repéré chez quatre clients,

- le quantum des sommes détournées est faux.

La clôture de la procédure est intervenue le 12 septembre 2017.

SUR CE

1/ sur les demandes de Madame C.

sur la rupture du contrat d'agent commercial

Par application de l'article L. 134-1 du Code de commerce, l'agent commercial est un mandataire, qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage d'ouvrage, est chargé de façon permanente de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location, de prestations de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.

Aux termes de l'article L. 134-4 du même code, les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par la loyauté et un devoir réciproque d'information.

Exerçant une profession indépendante, l'agent commercial dispose de la liberté d'organisation de son travail.

Sur le fondement des articles L. 134-11 alinéa 3 et L. 134-12 du Code de commerce, en cas de rupture du contrat d'agent commercial, il est prévu un préavis de deux mois lorsque l'activité de l'agent commercial entre dans sa deuxième année d'exercice, et une indemnité réparatrice au titre du préjudice subi du fait de la rupture des relations contractuelles.

L'article L. 134-13 premier alinéa de ce code dispose que l'indemnité réparatrice n'est pas due lorsque la rupture du contrat intervient du fait de la faute grave de l'agent.

Cette faute grave est définie comme celle, portant atteinte à la finalité du mandat d'intérêt commun, rend impossible le maintien du lien contractuel.

Monsieur D., pour justifier la rupture du contrat d'agent commercial en raison de la faute grave de Madame C., allègue que celle-ci n'a pas visité, régulièrement et selon ses directives, les clients, a détourné du stock, a perdu des clients, a un retard de facturation et a vu son chiffre d'affaire en baisse.

Il appartient au mandant, Monsieur D., de rapporter la preuve des faits qu'il allègue pour caractériser la faute grave de Madame C..

A titre liminaire et contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, Madame C., disposant de la liberté d'organisation de son travail, ne peut se voir reprocher le non-respect des directives de Monsieur D. sur son planning d'intervention auprès des clients.

Les pièces produites par les parties se rapportent, essentiellement, à leurs échanges de courriers et à des pièces qu'elles ont établies elles-mêmes et, de ce fait, dépourvues de force probante.

A l'appui de son allégation de détournement de stock, Monsieur D. produit une attestation de Madame Patricia A., propriétaire d'un bureau de tabac à Bourg de Péage, selon laquelle elle a été sollicitée à de nombreuses reprises par Madame C. pour l'achat de carterie sans facture et à régler en espèce.

Cette unique attestation, non corroborée dans d'autres éléments, est insuffisamment probante, d'autant plus que Monsieur D. prétend que le détournement par Madame C. d'une partie du chiffre d'affaire aurait été découvert chez quatre clients.

Concernant le grief de perte de clients, les parties s'accordent sur le fait que Madame C. disposait d'une quarantaine de clients au début de son contrat d'agent commercial.

Madame C. soutient qu'elle a apporté une vingtaine de clients supplémentaires, ce qui est contesté par Monsieur D..

Toutefois, Monsieur D. verse aux débats, en pièce 21, un listing des clients qu'il a lui-même établi, dans lequel il indique " quant aux clients (20) créés par ses soins, 5 de perdus (tous en dépôt-vente, pour la majorité des petits clients et donc un retour sur investissement négatif ".

Dès lors, Monsieur D. reconnaît un apport de clients supplémentaire, ce qui est contraire à ses écritures, sans pour autant démontrer le moindre intérêt de ceux-ci et donc la faute de Madame C..

Madame C. reconnaît un retard factuel de facturation du fait des vacances d'été et oppose à Monsieur D. un retard de paiement des commissions, tout aussi résiduel lors de la même période, ce qui n'est pas contesté.

Concernant le chiffre d'affaires, chacune des parties fait valoir ses propres chiffres déterminés par elle-même sans production du moindre document comptable extérieur objectif.

Monsieur C. soutient que les 2/3 du chiffre d'affaires est réalisé avant le mois de juillet, ce qui ne paraît pas correspondre à la réalité alors que les fêtes de fin d'année et de nouvelle année sont une occasion importante d'échange de cartes.

En tout état de cause, la baisse, en elle-même, du chiffre d'affaires ne suffit pas à caractériser la faute grave, de nature à supprimer le bénéfice de l'indemnité réparatrice de rupture du contrat.

Pour démontrer, de ce fait, l'existence d'une faute grave, la baisse du chiffre d'affaires doit être significative et résulter d'un désengagement manifeste et généralisé de l'agent commercial dans l'exercice de son mandat.

En l'espèce, Monsieur D., faute de produire d'autres éléments que ceux qu'il a établis lui-même, ne satisfait pas à cette démonstration et ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 134-13 premier alinéa du Code de commerce.

Enfin, même si Monsieur D. affirme qu'il a, à de nombreuses reprises, mis en garde Madame C. et lui a fait part de son mécontentement avant la lettre de rupture des relations contractuelles, il n'en justifie pas, le courrier du 14 mai 2012, qu'il prétend lui avoir adressé ce qui est contesté, n'étant pas une lettre recommandée avec accusé de réception.

En outre, Madame C. a répondu très précisément à chacun des courriers que lui a envoyé Monsieur D. et aucune réplique à cette lettre n'est produite.

Par voie de conséquence et contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, Monsieur D. ne démontre pas à l'encontre de Madame C. l'existence d'une faute lourde.

sur les demandes indemnitaires de Madame C.

L'article L. 134-11 alinéa 3 du Code de commerce prévoit, en cas de rupture du contrat d'agent commercial, un préavis de deux mois lorsque l'activité de l'agent commercial entre dans sa deuxième année d'exercice.

Cette disposition légale est reprise dans le contrat signé entre les parties le 1er septembre 2010 en son article 9.1.

Il convient en conséquence de condamner Monsieur D. à payer à ce titre à Madame C. la somme de 1 614,78€.

L'indemnité réparatrice visée à l'article L. 134-12 du Code de commerce correspond, selon les usages, à deux années de commissions brutes.

La somme réclamées par Madame C. est exprimée en valeur nette.

Au surplus, Madame C. n'a exercé son mandat que vingt-deux mois.

Au regard de ces éléments, la cour estime devoir fixer l'indemnité réparatrice due à Madame C. à la somme de 15 000€.

Enfin, en l'absence de démonstration par Madame C. de ce que Monsieur D. lui doit quelque somme que ce soit au titre d'une commission sur la facturation du portefeuille clients, travail et mises en stock, les parties étant contraires en éléments de preuve, il convient de rejeter cette prétention.

2/ sur la demande de Monsieur D. au titre d'un détournement de stock

Pour les mêmes raisons, il convient de débouter Monsieur D. de ce chef de demande.

3/ sur les mesures accessoires

L'équité justifie de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Enfin, Monsieur D. sera condamné aux dépens de la procédure tant de première instance qu'en cause d'appel avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Condamne Monsieur Bernard D. à payer à Madame Françoise C. épouse C. les sommes de : 1 614,78€ au titre du préavis de deux mois, 15 000,00€ au titre de l'indemnité pour rupture abusive, Déboute Madame Françoise C. épouse C. du surplus de ses demandes indemnitaires, Rejette la demande de Monsieur Bernard D. au titre du stock détourné, Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Monsieur Bernard D. aux dépens de la procédure tant de première instance qu'en cause d'appel avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,