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Décisions

CA Nancy, 1re ch. civ., 6 novembre 2017, n° 16-02236

NANCY

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Mutuelle GMF

Défendeur :

Aldi Ennery (SARL), Pana (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Richet

Conseillers :

MM. Ferron, Creton

TGI Nancy, 6 juill. 2016

6 juillet 2016

Faits et procédure :

Le 12 janvier 2013, un incendie s'est déclaré dans la maison d'habitation dont M. et Mme J. sont propriétaires à Custines. Deux experts mandatés par la société GMF, assureur de biens des époux J., le cabinet F. et M. G., ont conclu que le sinistre trouvait son origine dans un réfrigérateur vendu par la société Aldi, fabriqué en Chine, et importé en France par la société Pana. En conséquence, la société GMF a évalué les conséquences dommageables du sinistre à la somme de 23 245,62 € en valeur à neuf, et réglé à ses assurés celle de 18 629,81 €, vétusté déduite, et à la société Lorraine Intervention celle de 1 282,29 € correspondant au coût des travaux de décontamination confiés à cette société.

Les époux J. et leur assureur, subrogé dans leurs droits, ont saisi successivement le juge des référés du tribunal de grande instance de Nancy qui, par ordonnance du 4 mars 2014, a désigné M. Bernard M. en qualité d'expert judiciaire, puis, au vu du rapport déposé par celui-ci, le 7 novembre suivant, le juge du fond pour voir condamner in solidum la société Aldi sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil, et la société Pana sur le fondement de l'article 1386-1 du même code, à leur payer diverses sommes en réparation de leurs préjudices.

Par jugement contradictoire, assorti de l'exécution provisoire, du 6 juillet 2016, rectifié par jugement du 31 août suivant, le tribunal de grande instance de Nancy, après avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de l'article L. 211-12 du Code de la consommation, a :

- déclaré la société Aldi et la société Pana responsables in solidum à hauteur de 70 %, et les époux J. responsables à hauteur de 30 % des dommages consécutifs au sinistre du 12 janvier 2013 ;

- condamné in solidum la société Aldi et la société Pana à payer, à la société GMF la somme de 13 938,4 €, et aux époux J. celle de 2 487,46 € ;

- condamné la société Pana à garantir la société Aldi du montant des condamnations prononcées à son encontre ;

- condamné in solidum la société Aldi et la société Pana, outre aux dépens incluant le coût de l'expertise judiciaire, à payer à la société GMF la somme de 1 800 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses motifs, le tribunal a considéré que l'action était fondée sur les dispositions du Code civil, et non sur celle du Code de la consommation qui ne trouvaient pas à s'appliquer en l'espèce ; que la société Pana avait la qualité de producteur au sens de l'article 1386-1 du Code civil, et que la chose vendue était affectée d'un vice caché au sens de l'article 1641 du même code ; que les époux J. avaient commis une faute en plaçant, contrairement aux prescriptions du fabricant, un appareil de cuisson à proximité immédiate du réfrigérateur à l'origine du sinistre ; que la société Pana avait fourni à la société Aldi un appareil affecté d'un vice caché.

Par déclaration reçue au greffe de la cour sous la forme électronique, le 5 août 2016, M. et Mme J. et la société GMF ont relevé appel de ce jugement ; dans leurs dernières conclusions, ils demandent à la cour de le confirmer en ce qu'il a fait partiellement droit à leurs prétentions, mais de l'infirmer pour le surplus, et de condamner in solidum la société Aldi et la société Pana, outre aux entiers dépens, à payer :

- à la société GMF la somme totale de 25 117,27 €, incluant celle de 4 205,17 € correspondant aux frais d'expertise réglés à M. G., et celle de 1 000 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, ainsi que les intérêts au taux légal à compter de la demande ;

- à M. et Mme J., la somme de 2 000 € à titre de dommages-intérêts, et celle de 2 053,52 €, montant de la vétusté récupérable, ainsi que les intérêts de droit à compter du jour de la demande ;

- à la société GMF la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de leur recours, ils font valoir que les époux J. n'ont commis aucune faute en relation de cause à effet avec le sinistre ; qu'en effet, contrairement aux motifs du jugement, la cuisinière située à proximité du réfrigérateur n'était pas en fonctionnement lors du sinistre, qu'en tout état de cause cet appareil n'a pu jouer aucun rôle dans le déclenchement de l'incendie, et que contrairement à ce qu'a relevé le tribunal, la notice d'emploi du réfrigérateur ne contenait pas, parmi ses consignes de sécurité, l'interdiction d'installer à proximité un appareil de cuisson.

La société Aldi soutient quant à elle que la preuve d'un vice caché antérieur à la vente ou d'un défaut du produit importé par la société Pana n'est pas rapportée ; qu'en effet, il résulte du rapport d'expertise judiciaire que si l'incendie a pris naissance dans l'un des organes situés en partie basse du réfrigérateur, en revanche les causes de cet incendie restent indéterminées, aucune défectuosité de l'appareil n'étant démontrée, étant rappelé qu'il ne faut pas confondre point de départ et cause de l'incendie, et que l'expert n'a pas été à même de visiter les lieux avant leur remise en état, ce qui lui aurait permis de vérifier la conformité de l'installation électrique ; que par ailleurs, la présence d'une cuisinière à proximité immédiate du réfrigérateur était de nature à générer un phénomène de surchauffe de l'appareil qui a pris feu.

Dès lors, elle forme appel incident pour demander à la cour, à titre principal, de débouter la société GMF et ses assurés de toutes leurs prétentions, subsidiairement de fixer le montant des indemnités susceptibles d'être allouées respectivement à la société GMF et à ses assurés à la somme maximale de 19 912,10 € pour la première, et de 2 523,52 € pour les seconds, en tout état de cause, de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Pana à la garantir du montant des condamnations mises à sa charge, et de lui allouer la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Pana rappelle que l'action fondée sur le défaut de conformité de la chose est prescrite par deux ans à compter de la délivrance du bien, soit en l'espèce depuis le 10 juin 2012. Sur le fond, elle expose qu'aucun vice caché de la chose vendue, qu'aucune défectuosité du produit ne sont établis, et que seule son utilisation prolongée à proximité immédiate d'une source de chaleur, en violation de la notice d'utilisation, a conduit au départ de l'incendie ; qu'en effet, la seule implication d'un produit dans la réalisation d'un dommage ne suffit pas à établir son défaut au sens de l'article 1386-1 du Code civil.

Elle conclut en conséquence à l'infirmation du jugement et, à titre principal à l'irrecevabilité de l'action dirigée contre elle, subsidiairement au rejet des prétentions de la société GMF et de ses assurés, en tout état de cause à la condamnation de la partie perdante à lui payer la somme de 3 000 € à titre d'indemnité de procédure.

L'affaire a été clôturée par ordonnance de mise en état du 20 juin 2017.

Motifs de la décision :

Ainsi que l'a relevé le tribunal, l'action dont il était saisi était fondée, non pas sur la non-conformité de la chose vendue au sens du Code de la consommation, mais sur la défectuosité d'un produit au sens de l'article 1386-1 du Code civil, ou sur le vice caché affectant la chose vendue au sens de l'article 1641 du même code. En conséquence, le jugement mérite d'être confirmé en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de l'article L. 211-12 du Code de la consommation, devenu l'article L. 217-12 du même code, selon lequel l'action résultant du défaut de conformité se prescrit par deux ans à compter de la délivrance du bien.

S'agissant de la cause du sinistre, M. G. et le cabinet F. dépêchés sur place en qualité d'experts par la société d'assurance GMF ont constaté l'un et l'autre que le foyer de l'incendie était situé à l'arrière du réfrigérateur installé dans la buanderie attenante au garage de la maison des époux J., plus précisément en partie basse, au niveau des composants électriques.

M. G. a conclu que selon toute vraisemblance, l'incendie était dû à un échauffement anormal du relais de démarrage du compresseur, précisant qu'une usure prématurée du groupe (moteur) se traduisant par un démarrage de l'appareil de façon incessante produit un échauffement anormal au niveau de l'enroulement auxiliaire, et demande de plus en plus d'intensité au démarrage.

Le représentant du cabinet F. a quant à lui considéré qu'un défaut du condensateur de l'appareil était vraisemblablement à l'origine d'un court-circuit ayant provoqué une rupture du composant.

L'expert judiciaire a constaté que le mécanisme de réfrigération situé en dessous de la cuve du réfrigérateur était la zone la plus dégradée, et confirmé que là se trouvait le foyer de l'incendie. Il exclut ensuite deux causes possibles du sinistre : en premier lieu, il met hors de cause l'installation électrique après avoir relevé que si les trois appareils ménagers de la buanderie, à savoir le réfrigérateur incriminé, le congélateur et le lave-linge étaient branchés sur le même circuit protégé par un fusible de 16 ampères, et que la norme électrique en vigueur lors de la construction de la maison (1980) admettait un maximum de huit prises de courant sur un même circuit, il n'y avait en l'espèce que trois prises sur le même circuit.

En second lieu, l'expert judiciaire indique que si une gazinière située à proximité du réfrigérateur était en fonctionnement lorsque le sinistre s'est déclaré, la chaleur de la cuisson située sensiblement au même niveau que la face supérieure du réfrigérateur n'a eu qu'une très faible influence sur le régime de production du froid, et que le fonctionnement de cet appareil situé à proximité du réfrigérateur n'a pas généré de suractivité de celui-ci.

En conséquence, aucune cause extérieure autre qu'une anomalie de l'installation électrique et l'influence d'un appareil de cuisson situé à proximité du réfrigérateur qui a pris feu n'étant évoquée pour expliquer la cause du sinistre, celle-ci ne peut se situer, comme l'ont indiqué M. G. et le représentant du cabinet F., que dans une défectuosité de l'un des éléments du mécanisme de réfrigération et l'échauffement anormal qui en est résulté.

Le jugement mérite donc d'être confirmé en ce qu'il a considéré que la société Pana, en sa qualité d'importateur du réfrigérateur qui a pris feu, et donc de producteur au sens de l'article 1386-6 du Code civil, devait être déclaré responsable du dommage causé par un défaut de son produit, et que la société Aldi, en sa qualité de vendeur de ce réfrigérateur, devait être déclarée co-responsable de ce même dommage causé par un vice caché qui, affectant la chose vendue, la rendait impropre à sa destination, étant précisé que le vendeur professionnel, réputé connaître un tel vice, est tenu, en vertu de l'article 1645 du Code civil, de tous dommages-intérêts envers l'acheteur, notamment ceux destinés à réparer le dommage matériel causé par la chose défectueuse.

Il mérite encore de l'être en ce qu'il a condamné la société Pana, qui a fourni un produit affecté d'un vice à la société Aldi, à garantir celle-ci du montant des condamnations prononcées à son encontre.

En revanche, il sera infirmé en ce qu'il a mis à la charge de M. et Mme J. une part de responsabilité. En effet, si ceux-ci ont commis une faute en plaçant un appareil de cuisson à proximité du réfrigérateur qui a pris feu, et ce contrairement aux prescriptions contenues dans la notice d'installation, il n'existe pas de lien de causalité entre cette faute et le dommage puisque selon l'expert judiciaire, le fonctionnement de la gazinière n'a eu qu'une très faible influence sur le réfrigérateur, et ne peut donc être à l'origine de l'échauffement anormal de l'un de ses éléments. En outre, il ne résulte pas des éléments de la procédure que cet appareil de cuisson ait été en fonctionnement lorsque l'incendie s'est déclaré.

S'agissant du montant du préjudice consécutif à l'incendie, il résulte de la lettre d'acceptation signée par M. et Mme J. qu'il a été évalué selon l'estimation du cabinet F. à la somme de 23 245,62 € en valeur à neuf, soit la somme de 19 764,10 € vétusté déduite, les frais de décontamination du site payés directement par la société GMF à la société Lorraine Intervention, soit la somme de 1 282,29 €, étant inclus dans cette somme, et ayant donné lieu à une délégation de paiement signée par ses assurés, le 22 avril 2013.

La société Pana et la société Aldi seront en conséquence condamnées in solidum à payer à la société GMF la somme de 19 764,10 €, somme qui produira intérêts au taux légal à compter de la présente décision, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du Code civil.

Ainsi que l'a constaté le tribunal, la société GMF ne produit pas la facture d'honoraires dont elle soutient avoir réglé le montant à M. G. ; le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande en paiement de la somme de 4 205,17 €.

S'agissant du montant du préjudice restant à la charge des assurés, il se compose du montant de la vétusté qui a été déduite de l'indemnité d'assurance, soit la somme de 2 053,52 €, et du montant du préjudice de jouissance que le tribunal a évalué justement à la somme de 1 500 €, soit une somme totale de 3 553,52 € que la société Pana et la société Aldi seront condamnées in solidum à payer à M. et Mme J., et qui produira intérêts au taux légal à compter de la présente décision, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du Code civil.

Il résulte de ce qui précède que la société Pana a importé pour le revendre à la société Aldi un appareil qui présentait un défaut de fabrication ; c'est donc à juste titre que le tribunal a condamné la première à garantir la seconde du montant des condamnations prononcées à son encontre.

La faute qu'auraient commise la société Pana et la société Aldi dans l'exercice du droit de défendre à une action en justice étant alléguée sans être caractérisée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive formée par la société GMF et ses assurés.

La société GMF obtenant pour l'essentiel la satisfaction de ses prétentions, le jugement sera confirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 1 800 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et une somme de 2 000 € lui sera attribuée sur le même fondement en cause d'appel.

Enfin, la société Pana et la société Aldi qui succombent seront déboutées de leurs propres demandes d'indemnités de procédure, et condamnées in solidum aux entiers dépens.

Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a : * rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription ; * déclaré la société Aldi Ennery et la société Pana responsables in solidum des conséquences dommageables du sinistre dont M. et Mme J. ont été victimes le12 janvier 2013 ; * condamné la société Pana à garantir la société Aldi Ennery du montant des condamnations prononcées à son encontre ; * débouté la société GMF de sa demande en paiement de la somme de quatre mille deux cent cinq euros et dix sept centimes (4 205,17 €), et de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ; * condamné in solidum la société Aldi Ennery et la société Pana à payer à la société GMF la somme de mille huit cents euros (1 800 €) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau ; Condamne in solidum la société Aldi Ennery et la société Pana à payer : * à la société GMF la somme de dix neuf mille sept cent soixante-quatre euros et dix centimes (19 764,10 €) ; * à M. et Mme J. la somme de trois mille cinq cent cinquante-trois euros et cinquante-deux centimes (3 553,52 €) ; * les intérêts au taux légal à valoir sur ces sommes à compter de la présente décision ; Y ajoutant, condamne in solidum la société Aldi Ennery et la société Pana à payer à la société GMF la somme de deux mille euros (2 000 €) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne in solidum la société Aldi Ennery et la société Pana aux entiers dépens, y compris le coût de l'expertise judiciaire, et autorise la S.C.P. L.-P.-C.-Z.-V., qui en a fait la demande, à recouvrer directement contre elles ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.