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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 novembre 2017, n° 15-24949

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Carrosserie Murat (SARL)

Défendeur :

Chevrolet Deutschland GmbH (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Regnier, Bourgeon, Lallement, Vogel

T. com. Paris, du 4 nov. 2015

4 novembre 2015

Faits et procédure

La société Chevrolet France est une filiale à 100% de la société General Motors Company, assurant les importations en France des véhicules neufs de la marque Chevrolet.

La société Carrosserie Murat est une société spécialisée dans la vente de véhicules automobiles légers.

La vente des véhicules neufs et des pièces de rechange de la marque Chevrolet était réalisée dans le cadre de contrats de concessions par des distributeurs indépendants.

La société Carrosserie Murat est implantée à Bourges et représente la marque Chevrolet depuis décembre 2005.

En juin 2008, la société Carrosserie Murat a entrepris la représentation des véhicules de la marque KIA qu'elle a distribuée conjointement avec les véhicules de la marque Chevrolet.

En 2011, la société Carrosserie Murat a réalisé un investissement global de 340 000€ financé par deux emprunts de 150 000€ pour satisfaire aux nouveaux standards annoncés par la société Chevrolet France.

La société Carrosserie Murat a conclu un contrat de distributeur portant sur les ventes et les services des véhicules de la marque Chevrolet pour une durée indéterminée à effet du 1er juin 2013.

Par courrier du 5 décembre 2013, la société General Motors Korea a annoncé à l'ensemble du réseau sa décision de cesser les ventes de véhicules neufs de la marque Chevrolet en Europe de l'ouest et centrale à compter du 1er janvier 2016.

Le 11 décembre 2013, la société Chevrolet France a notifié à chacun de ses distributeurs, dont la société Carrosserie Murat, la résiliation des contrats de distributeur au 31 décembre 2015, en respectant un préavis contractuel de 24 mois, conformément à l'article 21.3 du contrat de distribution. Dans ce courrier, était annoncé un programme d'incitation à une résiliation volontaire anticipée. Il était également proposé aux concessionnaires la faculté de conclure un contrat de réparateur agréé Chevrolet France pour la période postérieure au 31 décembre 2015.

Le 12 décembre 2013, la société Chevrolet France a annoncé à chacun de ses concessionnaires, dont la société Carrosserie Murat, la désignation d'un " gestionnaire de transition " en charge d'un accord de transition et de décharge.

Par courrier du 17 décembre 2013, la société Chevrolet France a exposé à ses concessionnaires son plan 2014 " Go To Market " (GTM), annoncé en deux phases :

- " la première moitié de 2014 (janvier-juin) se focalisera sur la vente des stocks réseau et Chevrolet France " ; il était annoncé que, par l'intermédiaire d' " offres clients agressives ", l'intention de Chevrolet France était de " vendre la majorité (du) stock distributeur Chevrolet d'ici la fin de juin 2014 " ; " Chevrolet entend travailler ensemble avec vous pour liquider le stock des distributeurs de manière rapide et efficace " ;

- " lors de la deuxième moitié de 2014 (juillet-décembre), une approche et stratégie différentes s'appliqueront. Eu égard aux perspectives de volumes beaucoup plus basses pendant la deuxième moitié de l'année calendaire, nous ne planifierons plus de campagnes importantes de publicité. Notre approche se concentrera presqu'exclusivement sur le support de vos opérations de marketing local. En un mot : ne vous attendez pas à voir des campagnes de publicité et de promotion agressives pendant la deuxième moitié de 2014 ".

S'agissant de " la commande et de la production de véhicules ", la société Chevrolet France a annoncé dans ce même courrier à l'ensemble de ses distributeurs, qu'il était extrêmement difficile de prévoir la demande des consommateurs à court terme. Elle expliquait qu'elle avait décidé de reporter la production des véhicules non encore produits début décembre sur les mois de janvier-février 2014 : " cela vous permettra d'évaluer la demande des consommateurs suite à l'annonce et de nous informer si vous souhaitez que ces unités soient produites. Il est important de savoir que les véhicules produits en janvier n'arriveront pas en Europe avant mars/avril ". Il était également précisé que les commandes clients acceptées dont la production était reportée ne bénéficieraient pas des mesures incitatives renforcées. Les concessionnaires étaient encouragés à regarder avec leurs clients, s'ils étaient susceptibles de prendre livraison d'un véhicule en stock distributeur ou Chevrolet France, au lieu du véhicule antérieurement commandé. Les concessionnaires étaient donc invités à annuler les commandes acceptées et à les remplacer par des véhicules en stock. Enfin, la société Chevrolet rappelait que toute nouvelle commande serait livrée dans un délai d'environ 3 à 4 mois.

Par mail adressé à tous les distributeurs le 18 décembre 2013, il était demandé aux concessionnaires d'indiquer à Chevrolet les " commandes contremarquées clients au 5 décembre 2013 non encore produites " qu'ils ne souhaitaient pas conserver. Il était précisé : " sans réponse de votre part, ces commandes seront produites en priorité, livraison concession estimée sur fin mars 2014 ". Il était également rappelé que ces commandes bénéficiaient du plan commercial en vigueur à la date de la contre marque.

Il résulte d'une attestation du 22 mai 2014 de Monsieur Durand, président de Chevrolet France, que sur les 2037 commandes passées par le réseau de concessionnaires à la date du 5 décembre 2013, 1660 avaient fait l'objet d'une annulation par le réseau.

Par la suite, la société Chevrolet France, dès le 15 janvier 2014, a recherché avec les distributeurs un accord pour une cessation anticipée d'activité. À ce titre, elle a proposé des compensations financières, avec, notamment, le bénéfice d'une indemnité fixe pour la perte d'exploitation par véhicule.

L'indemnité de perte d'exploitation proposée par Chevrolet France en cas de départ anticipé était déterminée de la façon suivante : la moyenne annuelle des Véhicules Neufs vendus par chaque concessionnaire en 2010, 2011 et 2012 multipliée par un montant forfaitaire dégressif dans le temps ; schématiquement, plus tôt était signé le protocole, plus importante était l'indemnisation ; son montant était de :

- 600 € si le protocole était signé avant le 31 mars 2014 avec départ effectif au 30 juin 2014,

- 400 € si le protocole était signé avant le 30 juin 2014 avec départ effectif au 30 septembre 2014,

- 200 € si le protocole était signé avant le 30 septembre 2014 avec départ effectif au 31 décembre 2014,

- 0 € pour un départ entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015.

Prévue initialement pour durer jusqu'au 30 juin 2014 (PC n° 11), la campagne de déstockage " jusqu'à épuisement des stocks " mise en place par Chevrolet France à compter du 2 janvier 2014 a pris fin dès la mi-mars 2014 (PC n° 16 : procès-verbal de constat d'huissier du 8 mars 2014). Si cette campagne à " prix cassés " de liquidation des stocks a permis de maintenir un niveau de vente satisfaisant au cours du mois de janvier 2014, celui-ci a baissé dès le mois de février 2014 pour s'effondrer à compter du mois de mars et sur les mois suivants.

Avant avril 2014, la société Chevrolet France a obtenu la signature de 93 protocoles transactionnels (dits " TARA "), ayant pour objet un arrêt d'activité anticipé et échelonné entre mars et juin 2014.

Par lettre du 6 janvier 2014, le Conseil National des Professions de l'Automobile (CNPA) a fait part à la société Chevrolet France du caractère insuffisant des indemnisations proposées aux concessionnaires.

Par courriel du 3 février 2014, la société Carrosserie Murat s'est plainte auprès de la société Chevrolet France qu'un client avait annulé sa commande de véhicule neuf Orlando, à la suite d'un report de livraison de ce véhicule, prévue fin mars, à fin juin 2014.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 février 2014, la société Carrosserie Murat a constaté l'absence d'exécution normale du contrat par la société Chevrolet France. Au regard de l'absence de proposition d'évaluation annuelle de ventes, du recul des supports commerciaux, de la suppression des plans volumes, et des supports pour les véhicules de démonstration, et d'autres modifications dans l'exécution du contrat, elle s'interrogeait sur la capacité de Chevrolet à continuer à exécuter ses obligations et lui demandait de lui faire connaître ses intentions sur la poursuite du contrat, ainsi qu'une visibilité sur le bulletin de production des prochains mois.

Par lettre du 17 février 2014, la société Chevrolet France prétendait n'avoir commis aucune faute dans l'exécution du contrat.

Le 23 septembre 2014, la société Chevrolet France a mis en demeure les distributeurs Chevrolet, et notamment la société Carrosserie Murat, d'exécuter leur contrat sous peine de résiliation du contrat.

La société Carrosserie Murat a protesté auprès de la société Chevrolet France soulignant que l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait d'exécuter ses obligations contractuelles découlait du non respect par la société Chevrolet France de ses propres obligations.

Le 16 octobre 2014, la société Chevrolet France a notifié à la société Carrosserie Murat la résiliation du contrat de distributeur pour l'activité de vente à ses torts et griefs, à compter du 31 octobre 2014.

Le 29 septembre 2014, la société Carrosserie Murat, s'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales, a assigné la société Chevrolet France devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement en date du 4 novembre 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- constaté que la société Chevrolet France n'a pas commis de faute vis-à-vis de ses partenaires en relayant la décision prise par sa maison mère et en leur notifiant le 11 décembre 2013 la résiliation de leur contrat à effet au 31 décembre 2015,

- dit que la société Chevrolet France a respecté ses obligations contractuelles et n'a pas commis de fautes durant le préavis,

- dit que la société Chevrolet France a agi de bonne foi, a été loyale et n'a pas causé de préjudice à la société Carrosserie Murat,

- constaté la résiliation partielle (véhicules neufs) du contrat aux torts du concessionnaire à la date du 31 octobre 2014,

- débouté la société Carrosserie Murat de toutes ses demandes d'indemnisation,

- condamné la société Carrosserie Murat à payer à la société Chevrolet France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

-condamné la société Carrosserie Murat aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 153,96 euros dont 25,22 euros de TVA.

LA COUR

Vu l'appel interjeté par la société Carrosserie Murat et ses dernières conclusions notifiées le 11 mai 2017, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu les articles 1134, 1147, 1148, 1148 et 1150 du Code civil,

- dire la société Carrosserie Murat recevable et bien fondée en son appel du jugement rendu le 4 novembre 2015 par le Tribunal de commerce de Paris,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

- prononcer la résiliation aux torts de la société Chevrolet France à effet du 5 décembre 2013, pour sa partie relative à la vente des véhicules neufs, du contrat de distributeur à durée indéterminée portant sur les ventes et les services conclu à effet du 1er juin 2013 entre la société Carrosserie Murat et la société Chevrolet France,

- condamner la société Chevrolet Deutschland GmbH, venant aux droits de la société Chevrolet France à payer à la société Carrosserie Murat à titre de dommages et intérêts, les sommes de :

* 203.892 euros en compensation de la perte de marge sur les ventes de véhicules neufs,

* 187.393 euros en compensation de la perte de marge sur les ventes de véhicules d'occasion repris pour la vente des véhicules neufs Chevrolet,

* en compensation de l'incidence de la perte de la vente des véhicules neufs Chevrolet sur l'activité après-vente :

* à titre principal, 451.730 euros,

* à titre subsidiaire, 341 620 euros,

* 63.133 euros en compensation de la valeur non amortie au 31 décembre 2015 des investissements réalisés pour les besoin de la distribution des véhicules Chevrolet,

- condamner la société Chevrolet Deutschland GmbH, venant aux droits de Chevrolet France au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Chevrolet Deutschland GmbH, venant aux droits de la société Chevrolet France aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 5 mai 2017 par la société Chevrolet Deutschland GmbH, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu l'article 1134 du Code civil,

vu l'article 1315 du Code civil,

vu l'article 9 du Code de procédure civile,

- constater que la société Chevrolet Deutschland vient aux droits de la société Chevrolet France suite à la fusion absorption publiée au registre du commerce du 8 décembre 2016,

à titre principal,

- confirmer le jugement du 4 novembre 2015 du Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions,

- dire que la société Chevrolet France aux droits de laquelle vient la société Chevrolet Deutschland n'a commis aucune faute à l'égard de la société Carrosserie Murat,

- dire que l'annonce de la fin de la vente de véhicules neufs de la marque Chevrolet à partir du 1er janvier 2016 n'est ni fautive, ni déloyale,

- dire qu'un constructeur est en droit en raison de l'interdiction des engagements perpétuels, de la liberté d'organisation des entreprises et des réseaux, et de la liberté d'entreprendre, de décider d'arrêter la vente de ses produits sur un marché,

- dire que l'appelante ne démontre pas que la décision d'arrêter la vente des véhicules neufs à Chevrolet à compter du 1er janvier 2016 n'a pas été annoncée le jour où elle a été prise,

- dire qu'en l'absence de faute, aucune responsabilité de Chevrolet Deutschland venant aux droits de Chevrolet France ne saurait être retenue,

- dire que sous couvert du recours à la notion de bonne foi, une partie ne saurait mettre à la charge de son cocontractant des obligations non prévues au contrat ou plus généralement porter atteinte à la substance même des droits et des obligations légalement convenues entre les parties,

- dire que la société Chevrolet Deutschland venant aux droits de Chevrolet France ne peut se voir reprocher les effets d'une annonce qu'elle n'a d'ailleurs même pas faite,

- dire que l'annonce du 5 décembre 2013 n'est pas fautive, subsidiairement qu'elle n'émane pas de Chevrolet France et en tout état de cause, qu'il n'est pas démontré par l'intimée qu'elle aurait hypothéqué l'exécution du préavis,

- dire qu'aucune faute ayant causé un dommage à l'intimée n'est démontrée à l'encontre de la société Chevrolet France aux droits de laquelle vient la société Chevrolet Deutschland s'agissant de la gestion des stocks en cours de préavis,

- dire que l'appelante ne démontre pas qu'elle aurait passé à Chevrolet France des commandes de véhicules qui n'auraient pas été satisfaites en cours de préavis et qu'elle ne peut dès lors pas alléguer une faute du concédant lui ayant causé un préjudice,

- dire que les autres griefs formulés en ce qui concerne l'exécution du préavis ne sont pas davantage justifiés,

- dire que la société Chevrolet Deutschland venant aux droits de la société Chevrolet France ne peut être tenue responsable des effets de l'annonce du 5 décembre 2013 dont elle d'ailleurs même pas l'auteur,

- dire que la société Chevrolet Deutschland venant aux droits de la société Chevrolet France n'a commis aucune faute dans l'exécution du préavis de résiliation du contrat de distributeur Chevrolet qui la liait à la société Carrosserie Murat,

- débouté la société Carrosserie Murat de l'ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire,

- dire que la société Carrosserie Murat ne justifie pas du préjudice allégué ni du lien de causalité entre le préjudice invoqué et les fautes alléguées alors qu'il est notamment établi qu'elle a cessé d'exécuter son contrat et de passer des commandes,

- dire non fondée la demande indemnitaire de la société Carrosserie Murat au titre de la marge, faute de fondement, de cohérence ainsi que de démonstration de l'impact réel de la cessation des ventes de véhicules neufs Chevrolet pour l'appelante, d'autant plus que les sommes demandées au titre du préjudice allégué relèvent d'une volonté d'enrichissement et non d'une simple demande d'indemnisation,

- en conséquence, débouter la société Carrosserie Murat de ses demandes indemnitaires,

en tout état de cause,

- condamner la société Carrosserie Murat à verser à la société Chevrolet Deutschland venant aux droits de la société Chevrolet France la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Carrosserie Murat en tous les dépens dont distraction au profit de la SCP Bolling Durant Lallement conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE

La société Carrosserie Murat soutient que la décision de retrait de la marque Chevrolet n'a pas été exécutée dans le respect des obligations contractuelles de la société Chevrolet France.

Celle-ci réplique qu'aucune violation de ses obligations contractuelles n'est caractérisée par la société Carrosserie Murat.

La société Chevrolet France a décidé de recourir à la procédure de résiliation du contrat de Distributeur Chevrolet, prévue à l'article 21.3 de celui-ci. Cet article dispose que " la résiliation prendra effet à la date indiquée sur la notification, cette date ne pouvant intervenir moins de 24 mois après la réception de la notification ".

La notification faite par la société Chevrolet France à son réseau le 11 décembre 2013, à effet au 31 décembre 2015, respecte la lettre de cet article.

Mais la société Carrosserie Murat expose que la société Chevrolet France n'a pas exécuté loyalement et de bonne foi ce préavis de 24 mois, contrairement aux prescriptions de l'alinéa 3 de l'article 1134 du Code civil. Elle soutient en effet que la société Chevrolet France n'a jamais eu l'intention d'exécuter ce préavis, mais de liquider le réseau au plus tard fin juin 2014, en contraignant les concessionnaires à transiger, après avoir asséché le réseau et arrêté d'exécuter ses obligations contractuelles.

Il lui appartient donc de rapporter la preuve de l'inexécution fautive du préavis ou du comportement déloyal du concédant.

Elle prétend à cet égard, d'une part, que la société Chevrolet France a privé ses concessionnaires de la faculté de vendre des véhicules dans des conditions économiques acceptables, en adoptant une politique de gestion des stocks qui a asséché le réseau en véhicules neufs disponibles et, d'autre part, qu'elle a manqué à ses autres obligations contractuelles essentielles, de sorte que le préavis n'a pas été exécuté dans des conditions normales.

La société Chevrolet France, intimée, réfute tous ces arguments.

Il convient tout d'abord de rappeler qu'un fournisseur peut légitimement arrêter une activité, sous réserve de respecter un préavis et de l'exécuter loyalement. La seule obligation qui pesait sur la société Chevrolet France était donc de poursuivre l'exécution des contrats pendant le préavis dans les termes de ceux-ci.

La société Carrosserie Murat expose que :

- la société Chevrolet France aurait volontairement supprimé son stock, de sorte qu'elle aurait été défaillante dans sa principale obligation qui consistait, en tant qu'importateur en France des véhicules de la marque, à livrer des véhicules neufs à son réseau de distributeurs ;

- elle aurait failli à ses autres obligations contractuelles essentielles, notamment en ne proposant que des prestations d'aides commerciales et de publicité dégradées.

Sur la gestion des stocks par la société Chevrolet France

La société Carrosserie Murat soutient qu'au lieu de bénéficier d'une période d'exploitation satisfaisante du préavis, elle s'est retrouvée confrontée à une situation très précaire dès février 2014 du fait d'une rupture de stock définitive que la société Chevrolet France a délibérément provoquée à l'insu des concessionnaires, violant ainsi l'article 1134 alinéa 3 du Code civil.

En effet, elle expose que :

- la décision de report des commandes clients en cours, non encore produites au 5 décembre 2013, prise unilatéralement par Chevrolet avant l'annonce du retrait plaçait les concessionnaires dans une situation délicate découlant du non-respect du délai contractuel de livraison convenu avec leurs clients,

- Chevrolet France a incité ses concessionnaires à annuler les commandes clients non encore produites du fait du report de leur mise en production, en leur demandant de convaincre leurs clients d'y renoncer et de commander à la place un véhicule en stock, assorti d'importantes promotions,

- l'annulation par Chevrolet France de 900 véhicules commandés sans informer le réseau a précipité l'épuisement de son stock, privant ainsi les distributeurs d'un stock de 900 voitures neuves,

- la vente de 700 véhicules neufs disponibles au réseau belge intervenue dès le 15 janvier 2014 par Chevrolet France, a privé les distributeurs sur janvier et février 2014 de véhicules pour les placer brutalement en situation de rupture de stock dès fin février 2014,

- Chevrolet France a interrompu la communication entre le 27 novembre 2013 et le 15 janvier 2014 dans le but de dissimuler sa décision de fermeture définitive et de non renouvellement de son stock de Barcelone à compter de décembre 2013.

La société Chevrolet Deutschland GmbH soutient que l'appelante ne démontre aucune faute de sa part en matière de gestion de stocks qui lui aurait causé un préjudice.

En effet, la société Chevrolet Deutschland GmbH considère que :

- la campagne de déstockage n'était pas fautive,

- le report des commandes se justifiait par la mise en place des offres de déstockage dont ne pouvaient bénéficier les véhicules non encore produits,

- les distributeurs Chevrolet n'étaient pas contraints d'annuler leurs commandes clients ; elles pouvaient être conservées et les délais de livraison étaient maintenus,

- les distributeurs ne recevaient plus les bulletins papiers de production indiquant l'état du stock de la société Chevrolet France mais ces bulletins étaient librement disponibles sur le nouveau système électronique,

- son stock n'ayant pas bougé depuis plusieurs mois, la société Chevrolet France a vendu à deux reprises des véhicules aux distributeurs belges,

- l'appelante ne peut pas reprocher à la société Chevrolet France une rupture de stock, puisque la baisse de son stock était liée à l'annulation et aux absences de commandes par les concessionnaires,

- la société Chevrolet France pouvait demander la mise en production de toutes les commandes qui lui étaient passées avec le même délai de livraison qu'auparavant.

Il résulte de l'instruction du dossier que les stocks du réseau Chevrolet étaient composés de véhicules déjà en stock chez les concessionnaires, au nombre nécessairement limité, et de ceux placés dans les entrepôts de la société Chevrolet France situés à Barcelone, livrables dans les trois semaines.

Les concessionnaires commandaient aussi des véhicules directement à l'usine Chevrolet de Corée, quand les modèles demandés n'étaient pas disponibles, et par l'intermédiaire de Chevrolet France. La société Carrosserie Murat démontre que sur 21 518 véhicules de la marque Chevrolet distribués en France en 2013, 61,67 % provenaient du stock de Chevrolet France.

Le rôle de l'importateur de véhicules consiste à alimenter son réseau de distributeurs en détenant un certain nombre de véhicules en stock, rapidement disponibles, afin de permettre aux distributeurs du réseau de satisfaire la demande, ceux-ci ne pouvant eux-mêmes qu'entreposer un nombre de véhicules limité et les commandes passées à l'usine de fabrication étant couramment livrables dans des délais de quatre à cinq mois.

Or, les documents versés aux débats par la société Carrosserie Murat permettent de faire les constatations suivantes :

- en 2013, la société Chevrolet France avait un stock moyen à Barcelone d'environ 3 000 véhicules,

- l'état des stocks du 27 novembre 2013 établit la présence, à Barcelone, de 480 véhicules livrables à trois semaines, et de 1121 véhicules disponibles (dates estimées d'arrivée) entre le 15 décembre et la deuxième quinzaine de février 2014 (véhicules non encore arrivés à Barcelone, mais d'ores et déjà commandés par Chevrolet France, dont 900 attendus en février 2014),

- l'état des stocks du 15 janvier 2014 n'a plus qu'une colonne, celle des véhicules libres sous trois semaines, ce qui démontre que Chevrolet France ne faisait plus de commandes en Corée pour alimenter son réseau. Figure dans ce document la mention selon laquelle les prochaines disponibilités interviendront fin mai ou fin juin 2014, ce qui signifie qu'une commande passée aux alentours du 15 janvier ne pouvait être satisfaite que par des demandes à l'usine de Corée et que fin mai ou fin juin,

- les véhicules livrables sous trois semaines, au nombre de 259 en janvier 2014, ne sont plus que 0 le 29 janvier 2014, 2 le 5 février 2014, 1 le 12 mars, 5 le 2 avril et 6 le 6 mai. Ils sont ensuite de 31 le 4 juin, 61 le 3 juillet (outre 15 pour la deuxième quinzaine de juillet), 85 le 6 août et 85 le 3 septembre.

La société Chevrolet France, qui ne nie pas ces constatations, prétend que les concessionnaires, dont la société Carrosserie Murat, ne lui avaient fait aucune commande, malgré ses multiples relances, ce qui démontrerait leur propre inexécution du contrat de concession.

Mais ce simple constat d'absence de commandes ne peut permettre d'exonérer la société Chevrolet France de sa propre responsabilité dans l'exécution du contrat, selon laquelle elle devait, en sa qualité d'importateur, être en mesure d'approvisionner son réseau de distributeurs en véhicules neufs.

Enfin, loin d'être la cause de la rupture du stock, l'abstention des concessionnaires en est la conséquence.

Sur la décision de report

En premier lieu, la décision de report des commandes clients en cours, non encore produites au 5 décembre 2013, prise unilatéralement par Chevrolet France, et justifiée par le plan de déstockage, même si elle n'est pas fautive en soi, a cassé la dynamique des commandes.

En deuxième lieu, les commandes nouvelles des distributeurs étaient clairement découragées dans le courrier de Chevrolet France du 17 décembre 2013, annonçant le plan de déstockage. Les concessionnaires étaient en effet invités à inciter leurs clients à prendre livraison d'un véhicule en stock distributeur ou Chevrolet France, au lieu du véhicule antérieurement commandé. Les concessionnaires étaient donc invités à annuler les commandes acceptées et à les remplacer par des véhicules en stock. Ils n'avaient aucune raison, en décembre 2013, de maintenir des commandes qui n'auraient pas bénéficié à leurs clients, car elles n'ouvraient pas droit aux conditions très favorables du plan de déstockage. Enfin, la société Chevrolet rappelait que toute nouvelle commande serait livrée dans un délai d'environ 3 à 4 mois, délai long au regard de l'incertitude, à ce moment, sur la situation du réseau.

L'attestation du 22 mai 2014 de Monsieur Durand, président de Chevrolet France, selon laquelle sur les 2037 commandes passées par le réseau de concessionnaires à la date du 5 décembre 2013, 1660 avaient fait l'objet d'une annulation par le réseau, révèle les annulations massives résultant de cette campagne.

La société Chevrolet a ensuite aggravé la situation de pénurie du réseau, par la vente des 900 véhicules attendus en février 2014 (figurant sur l'état du stock du 27 novembre 2013) et par la vente de 700 véhicules neufs disponibles au réseau belge intervenue dès le 15 janvier 2014.

La société Carrosserie Murat reproche à juste titre à la société Chevrolet de ne pas avoir reconstitué elle-même son stock, de sorte que dès février 2014, ainsi qu'il ressort des états des stocks, aucun véhicule n'était plus disponible dans un délai de trois semaines. Si les concessionnaires pouvaient évidemment commander des véhicules à l'usine de Corée, les délais de livraison, prolongés de cinq à six mois, étaient beaucoup trop longs au regard des incertitudes sur l'attitude de la société Chevrolet France, dont attestent les courriers des distributeurs concernés et ceux de la société Carrosserie Murat, du 3 février 2014 (pièces 26 et 28). Dans ces courriers, en effet, la fin de l'approvisionnement direct en véhicules neufs et l'arrêt d'un certain nombre de prestations contractuelles par Chevrolet France sont perçus comme un abandon de la marque.

Surtout, les risques commerciaux afférents à la poursuite de l'activité durant le préavis devaient être répartis entre le concédant et les concessionnaires, la société Chevrolet France se devant d'importer des véhicules, disponibles à bref délais, pour amorcer puis entretenir la dynamique des commandes. Or, l'état nul des stocks jusqu'en juin 2014 faisait peser la poursuite de l'activité sur les seuls distributeurs, en les contraignant à commander des véhicules sous un délai de six mois, dans des conditions commerciales et publicitaires dégradées, comme il sera vu plus bas. Enfin, si la proposition d'un plan de sortie anticipée du réseau ne peut être reprochée à la société Chevrolet, la cour ne disposant pas des éléments établissant que les conditions proposées étaient manifestement abusives, ainsi que le prétend la société Carrosserie Murat, les discussions sur la part personnelle d'indemnisation de chaque concessionnaire, relative aux investissements dédiés à la marque, non amortis et non reconvertibles, étaient en cours et insuffisamment avancées en décembre 2013-janvier 2014 pour que les concessionnaires insatisfaits de la proposition qui leur était faite, se lancent dans les commandes de véhicules neufs pour alimenter eux-mêmes le réseau.

Si la société Chevrolet prétend qu'elle disposait du 9 juillet au 9 août 2014, d'un stock de 85 véhicules à Barcelone et que ces véhicules ne trouvaient pas preneurs, elle ne justifie pas que ces modèles n'étaient pas les véhicules des concessionnaires ayant quitté prématurément le réseau et, en toute hypothèse, la dynamique d'achat des véhicules était éteinte à ce stade avancé.

Il résulte de ce qui précède qu'il appartenait à la société Chevrolet France de remplir son obligation de maintenir un stock de véhicules neufs à Barcelone, pour permettre à ses distributeurs d'exécuter le préavis dans des conditions normales, encourager les concessionnaires à commander et ne pas les laisser supporter l'intégralité des risques provoqués par la fin de l'activité annoncée et par la sortie prématurée de la majorité des concessionnaires.

Fautive dans l'exécution d'une obligation essentielle, la société Chevrolet ne peut s'exonérer en soutenant que la société Carrosserie Murat avait été avertie dès le mois de décembre 2013 de la nécessité de passer des commandes pour respecter le contrat.

Sur l'exécution de ses autres obligations essentielles par la société Chevrolet France

La société Carrosserie Murat soutient que la société Chevrolet France a cessé unilatéralement et à l'insu de ses concessionnaires d'exécuter plusieurs de ses obligations essentielles indispensables à la bonne exécution du préavis par ses distributeurs.

En effet, elle constate que :

- le préavis de résiliation n'était censé expirer que le 31 décembre 2015 et que la présence de la marque Chevrolet sur le mondial de l'automobile aurait permis de soutenir l'activité commerciale sur le réseau,

- la société Chevrolet France a décidé de mettre un terme à sa communication avant même que le quart du préavis de résiliation ne soit exécuté,

- la réduction d'effectif au sein de Chevrolet France confirme la volonté de Chevrolet France de réduire ses propres moyens humains avant l'exécution du quart de la durée du préavis,

- la réduction et la suppression des plans marketing destinés à soutenir et à promouvoir les ventes vont dans le même sens,

- la réduction des aides commerciales, alors que l'augmentation des remises était la seule arme susceptible de permettre aux distributeurs Chevrolet de tenter de résister à une concurrence pressée de s'approprier la clientèle d'une marque désormais en voie de disparition, constitue un autre indice du désengagement fautif de Chevrolet France,

- la baisse consécutive des marges des concessionnaires ne pouvait permettre en aucun cas de faire face à la concurrence,

- la suppression du financement des véhicules de démonstration, des véhicules de courtoisie, et des formations a, de même, nui au réseau,

- la suppression de l'outil de gestion prévisionnel BPI a eu pour effet d'en priver les concessionnaires ne représentant que la marque Chevrolet,

- l'absence de fixation d'objectifs de vente est un indice objectif supplémentaire confirmant la décision de la société Chevrolet France de fermer le réseau de distributeur avant décembre 2014.

La société Chevrolet Deutschland GmbH soutient qu'elle a continué à exécuter ses obligations contractuelles et notamment ses obligations essentielles et que l'inexécution de certaines obligations était justifiée et ne préjudiciait en rien aux concessionnaires.

En effet, elle considère que :

- l'absence de participation au mondial de l'automobile 2014 était justifiée par la volonté de cohérence avec l'état de la représentation de la marque en France et avec le nombre de véhicules vendus à partir du deuxième trimestre, et non pas par la volonté de priver le réseau d'un support de communication à la vente,

- le parc et le service presse ont été maintenus,

- le financement des véhicules de démonstration et de courtoisie ainsi que des formations ont été maintenus,

- les aides commerciales et les marges des distributeurs n'ont pas fait l'objet de diminution,

- la réduction des effectifs de la société Chevrolet France ne constitue pas une faute,

- la fin de l'outil de prévision n'a pas eu de conséquences particulières sur les distributeurs Chevrolet,

- l'absence de fixation d'objectifs de vente était justifiée et ne préjudiciait en rien aux distributeurs Chevrolet.

Il y a lieu de noter que, suite au déstockage massif, la poursuite de l'activité des concessionnaires restant dans le réseau, à compter de fin février 2014, ne pouvait reposer que sur une disponibilité rapide des véhicules, qui n'était pas assurée, et sur un effort marketing et commercial au moins équivalent à celui de l'année 2013.

Or, il résulte de l'ensemble des pièces versées aux débats par la société Carrosserie Murat que cet effort a été bien moindre. En effet, si l'absence de participation de la société Chevrolet France au mondial de l'automobile 2014, le rattachement du service de presse à la direction du marketing en mai 2014 et la réduction des effectifs de la société Chevrolet France peuvent, à la rigueur, être justifiés par la nécessité d'adapter son dimensionnement à l'activité restante du réseau, il convient de souligner que les aides commerciales sur les véhicules neufs ont diminué substantiellement en 2014, par rapport à 2013. Si la société Chevrolet prétend qu'au terme de la circulaire " plan commercial " du 14 février 2014, une prime de volume payée sur facture c'est-à-dire sans qu'il soit exigé la réalisation d'un volume pouvait être versée aux concessionnaires, pour toutes les voitures produites après le 1er janvier 2014, il n'en demeure pas moins que la société Carrosserie Murat justifie par un tableau comparatif des supports commerciaux 2013/2014 (PC 24 de la société Carrosserie Murat), non sérieusement contesté par l'intimée, que les aides ont considérablement décru par rapport à 2013. C'est ainsi que les aides commerciales ont diminué de 35 % sur le modèle Spark, de 45 % sur le modèle Aveo, de 19 % sur le modèle Trax, de 34 % sur le modèle Cruze, de 8 % sur les modèles Malibu et Orlando et de 26 % sur le modèle Captiva. Il en est résulté une baisse des marges par modèle, en dehors de la période de déstockage, les concessionnaires restant dans le réseau ayant vu leur marge réduite en moyenne de 30 % par rapport à celle réalisée en 2013.

Par ailleurs, si la société Chevrolet France justifie avoir mis en place un plan unique pour toutes les catégories de véhicules (VN, de démonstration, de courtoisie), elle ne démontre pas qu'il était aussi attractif que les conditions antérieures.

Il convient de souligner que si la société Chevrolet France a mené une campagne publicitaire très visible au cours du premier trimestre 2014, pour assurer le succès de l'opération de déstockage, elle se devait, après cette opération, de maintenir ses campagnes à hauteur de celles de 2013. Or, la publicité a considérablement baissé, à compter du deuxième trimestre 2014, les spots TV passant de 13 550 au deuxième trimestre 2013 à 2 300 au deuxième trimestre 2014. Surtout, à compter du deuxième semestre, la société Chevrolet France a mis fin à ses campagnes nationales TV et web, se focalisant sur une communication purement locale. Anticipé par l'importateur dès le courrier du 17 décembre 2013, ce changement d'envergure des campagnes de publicité ne peut être imputé à l'arrêt anticipé de l'activité de 75 % des distributeurs, qui n'est intervenue que bien après. La société Chevrolet France ne saurait se retrancher derrière l'abstention des distributeurs qui, sollicités par elle, auraient dû lui retourner leur plan de communication, afin qu'elle puisse leur payer les aides, alors que l'initiative lui appartenait d'assurer une publicité d'un rang au moins identique à celui de 2013, compte tenu de la situation critique du réseau.

La société Carrosserie Murat démontre donc que la société Chevrolet France n'a pas exécuté ses obligations essentielles durant le préavis.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a estimé que la société Chevrolet France avait respecté ses obligations contractuelles durant le préavis.

Il convient également de dire, à l'inverse des premiers juges, que la société Chevrolet France n'était pas fondée à résilier par courrier du 16 octobre 2014 à effet du 31 octobre 2014 le contrat de l'appelante pour faute.

Sur la demande indemnitaire de la société Carrosserie Murat au titre de la perte de marge sur l'ensemble des activités

La société Carrosserie Murat sollicite l'évaluation de son préjudice sur une période de 24 mois, soit dès l'ouverture du préavis, en décembre 2013. Elle évalue son préjudice direct à la marge qu'elle aurait dégagée durant l'exécution normale du préavis, soit durant 24 mois. Elle demande à la cour d'inclure dans l'assiette du préjudice non seulement son activité de vente de véhicules, d'accessoires et de réparations, mais également de service après-vente lié à la perte de l'entretien et de la réparation durant 5 ans des véhicules dont elle a été privée de la vente au cours de la période inexécutée du préavis. Elle a déduit de sa perte de marge les charges variables disparues sur la période ainsi que la marge résiduelle dégagée sur cette même période.

La société Chevrolet Deutschland GmbH soutient, de son côté, que la demande indemnitaire de la société Carrosserie Murat sur la marge brute perdue sur 24 mois, toutes activités confondues, ne pouvait avoir de sens, du fait que la résiliation ne portait que sur les véhicules neufs et non sur les autres activités et au vu de l'absence d'estimation de coûts variables venant en déduction de cette marge brute. Elle conteste les évaluations, les estimant non fondées sur des pièces suffisamment probantes.

Sur le préjudice résultant de la perte d'activité subie pendant le préavis

La société Carrosserie Murat demande que soient indemnisés les gains qu'elle a manqués sur la période d'inexécution du préavis, soit de décembre 2013 au 31 décembre 2015.

Mais il convient de reculer le point de départ de la période d'inexécution du préavis au 1er avril 2014, à compter duquel les ventes ont chuté à 362 unités (contre 1368 en janvier 2014, 1081 en février 2014 et 555 en mars 2014). A cette date, le réseau avait quasiment disparu et le stock de véhicules neufs était nul à la fin de l'opération de déstockage de janvier et février.

Le préjudice de la société Carrosserie Murat est constitué de la marge sur coûts variables qu'elle aurait dû dégager du 1er avril 2014 au 31 décembre 2015, sur 21 mois, en maintenant un niveau d'exploitation équivalent à celui des exercices 2012 et 2013, aucun élément ne venant attester d'une baisse d'activité attendue avant la résiliation annoncée.

Il résulte des évaluations effectuées par Laurent Chanel (pièce 30), expert comptable, versées aux débats par la société Carrosserie Murat, que la marge moyenne mensuelle dégagée sur la vente de véhicules neufs (une fois déduites les charges économisées) s'élevait à 8 495 € et celle sur les véhicules d'occasion repris à l'occasion des ventes de véhicules neufs Chevrolet à 7 808 €. La marge perdue sur 21 mois s'élève donc à 342 363 euros.

Il n'y a pas lieu de retenir l'argument de la société Chevrolet selon laquelle la société Carrosserie Murat aurait compensé ses gains manqués résultant de la vente de véhicules Chevrolet par la vente de véhicules Kia. En effet, il n'est pas démontré que la progression des ventes de ces véhicules n'était pas compatible avec le maintien des ventes Chevrolet, les deux activités coexistant au sein de la société Carrosserie Murat depuis 2008.

Sur la perte de marge sur l'entretien du parc constitué des véhicules qui n'ont pu être vendus entre décembre 2013 et le 31 décembre 2015

La société Carrosserie Murat sollicite en outre l'indemnisation de son préjudice consécutif à la perte de marge sur l'entretien du parc constitué des véhicules qui n'ont pu être vendus entre décembre 2013 et le 31 décembre 2015. Elle expose en effet que la vente de véhicules neufs génère pendant cinq ans un volume de ventes de pièces détachées ainsi que des services de réparation, qu'elle évalue à un montant global de 451 730 euros.

Mais si la perte de l'activité de véhicules neufs génère nécessairement une perte sur l'activité d'après-vente, la société Carrosserie Murat ne démontre pas qu'elle a signé un contrat de réparateur agréé Chevrolet en décembre 2015. Faute de lien entre le préjudice allégué et la perte de l'activité de véhicules neufs, ce poste de préjudice ne sera donc pas indemnisé.

Sur l'autre poste de demande d'indemnisation

La société Carrosserie Murat demande en outre le remboursement de ses investissements restant non amortis au 31 décembre 2015, à savoir la valeur nette comptable au 31 décembre 2015 de la moitié du hall d'exposition (pour moitié dédié à l'exposition des véhicules Chevrolet).

Cet investissement de 2012, à le supposer pour partie demandé par la société Chevrolet, non encore amorti et non réutilisable, aurait de toute façon cessé d'être utilisé à la fin du préavis en décembre 2015. Dès lors, faute d'établir un lien direct entre ce préjudice et l'inexécution fautive du contrat par la société Chevrolet France, il n'y a pas lieu de retenir ce poste de préjudice.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant au principal, la société Chevrolet Deutschland sera condamnée à supporter les dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la société Carrosserie Murat la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.