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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 novembre 2017, n° 15-12256

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Carrefour Hypermarchés (SAS), CSF (SAS)

Défendeur :

Galec (SC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Guerre, Moreau-Margotin, Olivier, Parleani

T. com. Paris, du 26 mai 2015

26 mai 2015

Faits et procédure

La société Carrefour Hypermarchés exploite des hypermarchés à enseigne " Carrefour ".

La société CSF exploite des supermarchés à enseigne " Carrefour Market ".

La société coopérative Groupement d'achat des centres Leclerc (ci-après " la société Galec ") est la centrale coopérative de référencement du mouvement E. Leclerc. Elle est notamment l'éditeur du site internet www.quiestlemoinscher.com.

En décembre 2014, la société Galec a diffusé une publicité comparative, par voie de presse et sur son site internet www.quiestlemoinscher.com, comparant les prix pratiqués au sein des enseignes Carrefour, Carrefour Market, Géant Casino, Casino et E. Leclerc, représentant notamment le niveau de prix par enseigne par une pile de pièces de monnaie avec une mention indiquant " Qu'est-ce qui peut justifier de tels écarts de prix - Rien ! ". Cette publicité comparative mettait en évidence non seulement les prix plus bas pratiqués par Leclerc mais également les différences de prix entre les différentes enseignes d'un même groupe et était accompagnée d'un commentaire d'E. Leclerc.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 décembre 2014, la société Carrefour Hypermarchés a indiqué à la société Galec qu'elle contestait la licéité de la publicité litigieuse et lui a demandé de lui communiquer la liste des magasins qui avaient fait l'objet de relevés de prix ainsi que tous les justificatifs de ces relevés dans les magasins sous enseigne Carrefour, Carrefour Market et dans les magasins sous enseigne Géant Casino.

Par courrier recommandé du 19 décembre 2014, la société Galec a adressé à la société Carrefour Hypermarchés un CD contenant les fichiers Excel reprenant les relevés de prix effectués en novembre 2014 pour les enseignes E. Leclerc, Carrefour et Carrefour Market. Dans un second temps, le Galec a communiqué à la société Carrefour la copie des fiches manuscrites de relevés de prix effectués au sein des magasins à l'enseigne Carrefour, à l'exclusion des enseignes Carrefour Market et Leclerc.

En décembre 2014, la société Carrefour Hypermarchés a diffusé une contre-publicité visant à mettre en exergue des écarts de prix entre les différents magasins Leclerc, selon les régions concernées.

Par télécopie du 5 janvier 2015, la société Carrefour Hypermarchés a souligné l'insuffisance des documents communiqués et mis en demeure la société Galec de communiquer la copie fidèle des relevés effectués ou toute preuve permettant de justifier les informations figurant sur le fichier Excel pour les enseignes Carrefour Market et Leclerc.

Par exploit du 9 janvier 2015, les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF ont assigné à bref délai la société Galec aux fins de la voir notamment condamnée :

- au paiement d'une somme de 800 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la diffusion de la publicité litigieuse,

- à cesser de diffuser des publicités de même nature que celle diffusée en décembre 2014,

- à rembourser aux sociétés demanderesses le coût de la contre-publicité. Estimant que la société Carrefour avait utilisé ses marques dans le cadre de sa contre-publicité, l'association des centres distributeurs Leclerc (ACD.Lec) a engagé une procédure à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés devant le Tribunal de grande instance de Paris pour contrefaçon de marque. Par jugement du 28 octobre 2016, le Tribunal de grande instance de Paris a jugé la contre-publicité de la société Carrefour illicite.

Par jugement du 26 mai 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Galec de sa demande de sursis à statuer,

- débouté la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF de l'ensemble de leurs demandes,

- débouté la société Galec du surplus de ses demandes,

- condamné in solidum les sociétés Carrefour Hypermarchés et la société CSF aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 105,84 euros dont 17,42 euros de TVA.

LA COUR

Vu l'appel interjeté par les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF et leurs conclusions signifiées le 22 août 2017, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu l'article 1382 du Code civil (devenu article 1240),

vu les articles L. 121-1, L. 121-2 et L. 121-12 du Code de la consommation (devenus L. 121-2, L. 122-1, L. 122-2 et L. 122-5),

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF de l'intégralité de leurs demandes,

et en conséquence de :

- dire qu'en ne communiquant à la société Carrefour Hypermarchés que des tableaux Excel et les seuls relevés de prix effectués au sein des magasins Carrefour, la société Galec n'a pas démontré l'exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans sa publicité,

- dire que la société Galec a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Carrefour Hypermarchés et de la société CSF en diffusant une publicité déloyale, trompeuse et dénigrante sous le titre " qu'est-ce qui peut justifier de tels écarts de prix - Rien ! ",

- faire interdiction à la société Galec de diffuser des publicités de cette nature sous astreinte de 1000 euros par infraction et par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société Galec à rembourser à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 271 430 euros correspondant au montant de la contre-publicité qu'elle a été contrainte de diffuser,

- condamner la société Galec à payer à la société Carrefour Hypermarchés et à la société CSF la somme complémentaire de 800 000 euros, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la diffusion de la publicité incriminée,

- autoriser la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF à faire publier dans cinq journaux de leur choix, et aux frais avancés par la société Galec, l'arrêt à intervenir,

- d'ordonner à la société Galec d'afficher sur son site accessible à l'adresse www.quiestlemoinscher.com l'arrêt à intervenir pendant une durée d'un mois et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- se réserver la liquidation des astreintes ordonnées,

- condamner la société Galec à verser à la société Carrefour Hypermarchés et à la société CSF la somme de 40 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Galec aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 20 janvier 2017 par la société Galec, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu l'ensemble des anciens articles L. 121-8 et suivants du Code de la consommation (nouveaux articles L. 122-1 et suivants), transposant en droit français les dispositions d'harmonisation exhaustive contenues, en matière de publicité comparative, dans la directive 2006/114, telle qu'interprétée, " pour droit ", par la Cour de justice de l'Union européenne, et l'ancien article 1382 du Code civil (nouvel article 1240), vu la demande formée par les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF tendant au " remboursement " des frais de cette contre-publicité, vu le jugement rendu le 28 octobre 2016 par le Tribunal de grande instance de Paris ayant jugé cette contre-publicité illicite,

- donner acte à la société Galec qu'elle se désiste de sa demande de sursis à statuer,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 26 mai 2015 en ce qu'il a débouté les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF de l'ensemble de leurs demandes,

- débouter les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF de toutes leurs demandes, fins, et conclusions,

- les condamner solidairement à 40 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

SUR CE

Sur la transmission de la preuve à bref délai des exactitudes matérielles des énonciations publicitaires

Les sociétés Carrefour et CSF soutiennent que la société Galec n'a pas été en mesure de prouver l'exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité litigieuse, conformément à l'article L. 121-12 du Code de la consommation, dès lors que :

- la communication, par la société Galec, d'un document Excel modifiable reprenant les relevés de prix ne saurait constituer la preuve des relevés effectivement réalisés en vue de l'élaboration de la publicité incriminée, dans la mesure où ces relevés de prix n'ont pas été certifiés par le Galec, ni par l'organisme tiers indépendant en charge des relevés de prix (en l'espèce les sociétés Ezee World et Panel 9),

- les prix de sortie de caisse, retenus pour les seuls magasins Leclerc, quel que soit leur mode de collecte, ne peuvent constituer une preuve recevable de l'offre réellement pratiquée en rayons.

La société Galec soutient qu'un tableau Excel constitue une preuve suffisante au regard de l'ancien article L. 121-12 du Code de la consommation (nouvel article L. 122-5), conformément à la jurisprudence et au regard du principe de la liberté de preuve en matière commerciale et au droit européen.

La société Galec ajoute que, selon la méthodologie suivie pour la conception de la publicité litigieuse, les relevés de prix effectués auprès des magasins E. Leclerc résultent des fichiers de caisse, car ces données correspondent aux prix réellement payés par les consommateurs et qu'il n'en résulte aucune inexactitude.

Selon l'article L. 122-5 du Code de la consommation (ancien article L. 121-12) : " L'annonceur pour le compte duquel la publicité comparative est diffusée doit être en mesure de prouver dans un bref délai l'exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité ".

Il convient de relever que l'avant dernier considérant de la directive 97/55/CE du 6 octobre 1997, dont est issu l'article L. 121-12 du Code de la consommation, souligne que l'annonceur doit être en mesure de prouver, par des moyens appropriés, l'exactitude matérielle des données de fait contenues dans sa publicité et que, dans des cas appropriés, il peut être tenu de le faire à la demande du tribunal ou de l'organe administratif compétent. Cette même disposition exige également que ces organes administratifs et ces tribunaux se voient conférer le pouvoir de considérer des données de fait comme inexactes si les preuves ainsi exigées ne sont pas apportées ou sont estimées insuffisantes.

Les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF contestent, en premier lieu, la fiabilité des fichiers Excel communiqués par le Galec, en ce qu'il s'agit de documents modifiables. Par ailleurs, elles mettent en doute la méthode de relevé de prix appliquée par le Galec à ses propres magasins, qui est différente de celle appliquée aux magasins de ses concurrents. En effet, le Galec a extrait ses relevés de prix de ses sorties de caisse, alors qu'il a fait procéder à un relevé manuel des prix de la société Carrefour et à une extraction internet des prix pour les magasins Drive.

Mais, ainsi que le souligne Le Galec, la preuve étant libre en droit commercial, il n'y a pas lieu d'exclure a priori un tableau Excel du nombre des preuves admissibles au titre de l'article L. 121-12 du Code de la consommation, dès lors qu'un tel fichier est corroboré par des éléments externes. Il résulte d'une attestation du 6 novembre 2015 de la société Ezeeword que cette société a effectué les relevés de prix sur internet en novembre 2014, " à la demande d'E. Leclerc, selon la méthodologie présentée sur le site quiestlemoinscher.com, définie et certifiée par la société Face Conseil ". De même, il résulte d'une attestation de la société Panel9, du 5 novembre 2015, qu'elle a effectué " pour le compte de l'enseigne E. Leclerc, la recherche et le relevé de prix d'une liste de 1 498 produits, (...) selon la méthodologie de relevé présentée sur le site quieslemoinscher.com, définie et certifiée par le cabinet Face Conseil ". Le sérieux et l'indépendance de ces deux sociétés ne sont pas sérieusement contestés par les appelantes.

Les relevés effectués en magasins par la société Panel9 sont attestés par la copie des fiches de relevés établies manuellement pour chaque produit concerné par les enquêteurs de cette société, non utilement contestés par les sociétés appelantes.

Les prix des produits vendus dans les magasins Leclerc n'ont pas fait l'objet de relevés manuels, mais sont issus des sorties de caisse des magasins Leclerc, ainsi que le prévoit la méthodologie de comparaison des prix figurant sur le site quiestlemoinscher.com. Ces sorties de caisse ont été transmises plusieurs fois par jour à la société Ezeeword " via un bus logiciel appelé " Scanner " ", puis intégrées " en l'état dans la base de données prix, sans aucune modification ", ainsi qu'il résulte d'un courrier de la société Ezeeworld (pièce 8 du Galec).

S'agissant des prix des magasins Drive, ils ont fait l'objet d'une extraction internet, comme il est également précisé dans la méthodologie des relevés, librement accessible sur le site quiestlemoinscher.com.

Si les sociétés appelantes contestent la sincérité des relevés de caisse des magasins Leclerc, au motif qu'ils ne reflèteraient pas les prix en rayon, et qu'ils peuvent être modifiés à la sortie du " bus logiciel " par Leclerc, avant leur transmission à la société Ezeeworld, elles n'en rapportent aucun commencement de preuve, le seul élément versé aux débats pour démontrer une manipulation des prix consistant dans une publicité comparative effectuée quelques mois avant la campagne litigieuse, faisant ressortir des différences de prix bien moindres entre elles et Leclerc (pièce 33 des appelantes), alors que cette publicité ne portait ni sur la même période, ni sur le même nombre de magasins, ni sur le même nombre de produits.

L'extraction Internet des prix des magasins Drive ne fait pas davantage l'objet de critiques sérieuses.

Dès lors, Le Galec a fourni les informations nécessaires pour permettre aux appelantes de vérifier l'exactitude matérielle des relevés de prix.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Carrefour et CSF de leurs demandes sur le fondement de l'article L. 121-12 du Code de la consommation.

Sur la licéité au fond de la publicité comparative

Les sociétés Carrefour et CSF soutiennent que la publicité litigieuse est déloyale et trompeuse en ce que :

- la comparaison n'apparaît manifestement pas objective compte tenu de la différence dans le choix du nombre de produits comparés selon les enseignes,

- la comparaison porte sur des relevés de prix effectués dans des canaux de vente différents, soit des prix relevés en magasin et des prix relevés sur internet, ce qui, d'une part, n'apparaît pas clairement sur la publicité litigieuse et ce qui, d'autre part, fausse la comparaison des prix entre les différents magasins, trompant ainsi le consommateur,

- les relevés de prix ont été effectués par une société manquant d'expérience (EzeeWorld), constituant ainsi une présentation trompeuse de la garantie d'objectivité dont se prévaut la société Leclerc dans sa publicité comparative,

- les informations relatives aux dates de relevés des prix sont contradictoires sur le site internet et sur la méthodologie, empêchant ainsi le consommateur de connaître la période exacte des relevés de prix et le fait qu'il existait un décalage entre la date des relevés de prix et la date de diffusion de la publicité, retirant ainsi toute objectivité à la publicité litigieuse,

- la comparaison est effectuée non seulement entre Leclerc et chacune des enseignes concurrentes visées, mais également entre les enseignes concurrentes.

Le Galec rétorque qu'il était libre du choix du périmètre de sa publicité comparative, afin de disposer d'un panel suffisant et que la variation du nombre des produits comparés entre les enseignes tient à leur présence ou leur absence en magasin lors des opérations de relevés de prix.

Concernant le reproche relatif à la comparaison portant sur des relevés de prix effectués dans des canaux de vente différents, le Galec réplique que, conformément à la méthodologie accessible depuis son site internet, seuls les prix affichés tels qu'ils sont proposés aux consommateurs en rayons sont comparés et que la collecte informatique est privilégiée dès lors que les enseignes communiquent sur l'identité des prix pratiqués sur internet et en magasin, ce qui n'est pas le cas de Carrefour qui se targue de pratiquer des prix plus bas sur internet, obligeant ainsi les enquêteurs à effectuer les relevés en magasin afin de rendre compte des prix réellement payés par les consommateurs. La société Galec estime en tout état de cause que c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré, sur ce point, que " l'information donnée aux consommateurs d'attention moyenne n'est pas de nature à les induire en erreur ".

La société Galec soutient que la critique portant sur la société chargée des relevés est sans fondement dès lors qu'un opérateur peut faire pratiquer des relevés de prix par ses propres salariés.

Concernant les griefs relatifs à la date des relevés de prix, la société Galec rappelle qu'il est impossible de pratiquer tous les relevés le même jour et qu'elle a traité toutes les enseignes de manière égale, dès lors que pour tous les magasins dont les prix ont pu être relevés informatiquement, c'est le prix le plus récent dans la période déterminée qui a servi pour établir la comparaison et que, pour la société Carrefour, il a fallu procéder à des relevés manuels, ce qui explique la durée de collecte des données.

Le Galec rappelle en outre que sa publicité ne mentionne que des écarts de prix en pourcentage par rapport aux magasins Leclerc et n'a jamais consisté à comparer ses concurrents les uns par rapport aux autres.

Selon l'article L. 122-1 du Code de la consommation (ancien article L. 121-8) :

" Toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si :

1° Elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;

2° Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ;

3° Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie ".

Aux termes de l'article 121-1 du même code, " une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes : (...) 2° lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants : (...) le prix ".

Pour sa part, le septième considérant de la directive 97/55/CE du 6 octobre 1997, précise que les conditions de licéité de la publicité doivent inclure des critères de comparaison objective des caractéristiques des biens et des services. L'article 2, point 2, de la directive définit la publicité trompeuse comme étant toute publicité qui, d'une manière quelconque, y compris sa présentation, induit en erreur ou est susceptible d'induire en erreur les personnes auxquelles elle s'adresse ou qu'elle touche et qui, en raison de son caractère trompeur, est susceptible d'affecter leur comportement économique ou qui, pour ces raisons, porte préjudice ou est susceptible de porter préjudice à un concurrent.

Sur la comparaison portant sur un nombre différent de produits selon les enseignes

Les sociétés appelantes soutiennent que si le Galec est libre de déterminer le périmètre de sa publicité, il doit procéder à une comparaison objective des caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ses produits. Or, le Galec a comparé les prix Leclerc avec un nombre différent de produits selon les enseignes : 1449 produits pour Carrefour, 1880 produits pour Carrefour Market, 1689 pour Géant Casino et 1673 produits pour Casino.

Le Galec justifie cette différence par l'absence des produits en cause en rayons lors de la visite en magasin ou de prix disponibles sur le site Internet, dans l'exposé de sa méthodologie accessible sur son site.

Le périmètre de la comparaison relève de la seule responsabilité de l'annonceur, qui peut donc librement déterminer la liste des produits dont il veut comparer les prix. Une fois déterminé ce périmètre, les releveurs de prix, qu'ils agissent manuellement ou par extraction sur Internet, recherchent dans chaque magasin la présence de ces produits. Si certains ne sont pas présents dans l'assortiment du magasin en question, le produit ne figure pas dans les relevés. C'est la raison pour laquelle dans la comparaison entre deux enseignes, le nombre de produits comparés est variable, et toujours inférieur ou égal au nombre total de références.

Il n'est pas démontré par les appelantes qu'une comparaison qui n'est pas fondée sur le même nombre de produits serait en soi faussée.

Les sociétés appelantes relèvent en outre que les produits comparés au sein du même groupe Carrefour, à savoir les prix pratiqués par les enseignes Carrefour et par Carrefour Market ne sont pas identiques, 222 produits n'ayant été relevés que chez Carrefour, et 653 que chez Carrefour Market.

Elles soutiennent à cet égard que l'importance de la différence entre le nombre de relevés effectués pour chacune des enseignes Carrefour (1449) et Carrefour Market (1880), ne refléterait pas la circonstance que le nombre de produits vendus en hypermarchés est plus élevé qu'en supermarché, et fausserait nécessairement la comparaison.

Mais elles n'expliquent pas en quoi cette comparaison serait faussée, aurait pû induire en erreur les consommateurs et modifier leur comportement d'achat.

Sur la comparaison portant sur des relevés de prix effectués dans des canaux de vente différents

Les sociétés appelantes soutiennent que la publicité litigieuse suggère que l'intégralité des enseignes ont fait l'objet de relevés de prix en magasin, alors que les prix de l'enseigne Carrefour Market ont été relevés sur Internet, ce qui renvoie aux prix Carrefour Market Drive. Les consommateurs ne seraient pas clairement informés de cette circonstance, ni que l'enseigne Galec n'a pas fait l'objet de relevés de prix physiques en magasins, mais de reprises des sorties de caisse.

Mais en premier lieu, ces modalités différentes de collecte de prix sont indiquées dans la méthodologie de relevés de prix, librement accessible sur le site quiestlemoinscher.com de Leclerc.

Les consommateurs avaient, de plus, été informés par une mention de la publicité elle-même (" **Prix relevés uniquement sur internet "), que les prix relevés dans les magasins Carrefour Market l'avaient été sur internet et donc, dans les magasins Drive. Aucune tromperie ne peut donc en résulter.

Si les appelantes soutiennent que les conditions générales de vente disponibles sur le site internet de Carrefour stipulent que les prix proposés par les enseignes Carrefour Market et Carrefour Market Drive ne sont pas nécessairement les mêmes et que dès lors, les relevés de prix sur les sites Carrefour Market Drive ne sont pas forcément représentatifs des prix Carrefour Market, elles ne sauraient en tirer argument pour démontrer que la publicité comparative est mensongère.

En effet, s'il ressort d'une publicité effectuée par ailleurs par Leclerc (pièce 25 des appelantes) que les prix Drive de Carrefour Market sont généralement inférieurs aux prix magasins de cette enseigne, la circonstance que la société Leclerc ait retenu les prix Drive pour refléter les prix de l'enseigne Carrefour Market est favorable aux sociétés appelantes dans la comparaison avec les prix Leclerc, puisque cette référence aurait minoré les prix Carrefour Market par rapport aux prix réellement pratiqués en magasins.

Les appelantes soutiennent encore que Le Galec aurait dû, pour assurer une comparaison objective avec les autres enseignes, prendre une base homogène et donc, soit effectuer des relevés de prix physiques au sein de Carrefour Market, soit réaliser des relevés de prix sur les magasins Drive de chacune des enseignes. Il aurait donc faussé la comparaison, dès lors que les prix sont différents entre les deux canaux de vente.

Mais, Le Galec est libre de choisir les termes de la comparaison, dès lors qu'elle est objective. Or, la fin poursuivie par lui à titre principal consistait à démontrer que les prix moyens relevés dans les magasins Leclerc étaient plus bas que ceux relevés dans les enseignes concurrentes, telles, notamment Carrefour et Carrefour Market. Son objectif premier n'était pas de comparer les prix Drive de ses concurrents. Dès lors, Le Galec n'avait pas à relever les prix Drive de chaque enseigne, pour assurer l'objectivité de sa publicité comparative.

La publicité comparative litigieuse n'est donc pas mensongère à ce titre.

Sur la date des relevés

L'examen des dates de relevés, figurant au fichier Excel communiqué par Le Galec, révèle que les relevés effectués chez Carrefour ont été effectués en majorité avant les relevés chez Leclerc, des 20 et 21 novembre 2014, de telle sorte que la période de relevés n'est pas totalement synchrone.

Les sociétés appelantes en concluent, d'une part, que les écarts de prix constatés à des dates différentes ne seraient pas pertinents, compte tenu de la volatilité des prix et, d'autre part, que le décalage de date aurait permis à Leclerc d'ajuster provisoirement ses prix à la baisse sur ceux de ses concurrents.

Mais, en premier lieu, les relevés de prix ont été effectués du 5 au 29 novembre. Cette durée ne semble pas en soi excessive, les appelantes n'évoquant aucun usage contraire et les collectes physiques étant nécessairement chronophages, compte tenu des nécessités statistiques qui imposent un nombre suffisamment étoffé de relevés et répartis dans de nombreux magasins pour être significatifs, de sorte qu'à moins de vouloir rendre irréalisable toute comparaison de prix dans la grande distribution, un certain délai de réalisation est nécessaire. En deuxième lieu, les écarts de dates entre les relevés des magasins Leclerc et les magasins des enseignes du groupe Carrefour sont suffisamment rapprochés pour ne pas priver les comparaisons de prix de toute pertinence.

Par ailleurs, aucun commencement de preuve d'un alignement à la baisse des prix des magasins Leclerc sur ses concurrents, pendant le délai de réalisation des relevés, n'est versé aux débats. Il n'est pas davantage démontré que les informations centralisées au niveau du Galec auraient été disponibles dans chaque magasin Leclerc, ni en sens inverse, que le Galec aurait les moyens et la volonté de dicter leur politique de prix aux indépendants de son réseau.

Les autres arguments avancés par les sociétés appelantes n'étant pas davantage documentés, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a estimé que la publicité comparative litigieuse, fondée sur des critères objectifs, était licite au regard de l'article L. 121-8 du Code de la consommation.

Sur le caractère dénigrant et dévalorisant de la publicité comparative au regard de l'article L. 121-9, 2° du Code de la consommation

Les sociétés Carrefour et Carrefour Market estiment que si la publicité comparative peut licitement vanter l'offre commerciale d'un annonceur, elle ne doit pas pour autant être dénigrante et qu'en l'espèce, la représentation visuelle de piles de pièces censées être plus réalistes, empilées de manière instable, est disproportionnée et excessive par rapport au message véhiculé, et aux écarts de prix effectivement constatés. Elle ajoute que les propos tenus à la suite des graphiques de la publicité incriminée par E. Leclerc sont particulièrement dénigrants.

La société Galec rétorque que la circonstance que les prix des magasins Leclerc ne sont mentionnés qu'avec une seule pièce de monnaie se comprend logiquement, car la publicité comparative litigieuse est centrée sur l'enseigne Leclerc qui constitue le niveau le plus bas des indices, chacune des autres enseignes étant plus chère que Leclerc d'un certain pourcentage, représenté par des pièces supplémentaires constituant une pile plus élevée et que cela ne caractérise aucunement un dénigrement, car il s'agit de la traduction même de la publicité comparative dans laquelle la comparaison ne peut être faite par rapport à un indice extérieur, mais uniquement par rapport à l'annonceur.

Aux termes de l'article L. 122-2, 2° du Code de la consommation (ancien article L. 121-9, 2°) : " la publicité comparative ne peut entraîner le discrédit ou dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d'un concurrent ".

La publicité comparative litigieuse met en évidence les écarts de prix entre les enseignes appartenant à un même groupe de distribution (enseignes Carrefour et Carrefour Market ; Casino et Géant Casino) et également avec les enseignes concurrentes et avec le prix au sein des magasins Leclerc, ces derniers ayant la spécificité d'être exploités par des indépendants sous la même enseigne, quels que soient la taille ou le format des magasins (hyper ou supermarchés).

La mise en évidence de ces écarts relève de la nature même de la publicité comparative. En soi, la comparaison des prix ne peut entraîner le discrédit ou le dénigrement d'un concurrent qui pratique des prix plus élevés. La présentation, sous forme de piles de pièces en équilibre instable, de la différence entre les prix Leclerc et ceux des autres enseignes de la grande distribution ne fait que refléter ces écarts et ne constitue pas, en soi, une pratique de dénigrement.

Mais les propos ajoutés à ce graphique par le président de l'association des centres distributeurs Leclerc constituent un discrédit jeté sur ses concurrents, puisqu'au travers d'un commentaire des écarts de prix constatés au sein des enseignes d'un même groupe, il feint de s'indigner de tels écarts de prix, les disant injustifiés, alors " qu'elles s'approvisionnement dans les mêmes super centrales d'achat, qu'elles n'offrent pas de services supplémentaires à leurs clients, et qu'elles vendent quasiment les mêmes marques et les mêmes produits, de la supérette à l'hypermarché ", alors que les loyers sont un facteur de déférenciation important dans les charges supportées en périphérie des villes par les grandes surfaces et en centre-ville par les plus petites surfaces.

Les propos tenus sont les suivants : " Certains groupes de distribution ont trouvé la parade. Ils reprennent d'une main ce qu'ils ont donné de l'autre " ; " Les écarts de prix peuvent même être considérables (jugez-en !) entre les enseignes d'un même groupe ! " ; " comment peuvent-elles justifier de tels écarts de prix, alors qu'elles s'approvisionnent dans la même super-centrale d'achat, qu'elles n'offrent pas de services supplémentaires à leurs clients, et qu'elles vendent quasiment les marques et les mêmes produits, de la supérette à l'hypermarché ' " ; " avis aux concurrents, entre la bourse et les consommateurs il va falloir choisir ! ".

Au travers d'une comparaison avec les prix pratiqués dans les magasins Leclerc, il remet en cause la différenciation tarifaire pratiquée par le groupe Carrefour, en toute licéité, entre ses enseignes, soutenant qu'elle n'est fondée sur aucune différence de coûts et que le surplus est capté illicitement par Carrefour. Il suggère donc en creux aux consommateurs que les centres Leclerc ont une politique de prix plus soucieuse de l'intérêt des consommateurs et ne pratiquent pas de différenciation tarifaire, ce qui explique la campagne de contre-publicité effectuée par Carrefour démontrant, au contraire, que les magasins Leclerc pratiquent des prix différents au sein d'une même zone de chalandise.

Contenant des propos discréditants et dénigrants de la politique de prix de ses concurrents, la publicité est donc illicite au regard de l'article L. 121-9, 2°. Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande des sociétés appelantes fondée sur cet article.

Sur le préjudice

Les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF estiment qu'il s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale un trouble commercial constitutif de préjudice et sollicitent à cet égard la condamnation de la société Galec au paiement d'une comme de 800 000 euros, outre l'interdiction de la diffusion de cette publicité et outre le remboursement des frais liés à la contre-publicité que la société Carrefour Hypermarchés a été contrainte de mettre en place pour un montant de 271 430 euros.

La société Galec estime que les appelants ne démontrent pas le déplacement de clientèle qui aurait résulté de la publicité comparative, ni qu'un nombre significatif de consommateurs aurait pris, en raison de la publicité, une décision d'achat qu'ils n'auraient pas prise autrement, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'UE et, qu'ainsi, elles ne sauraient solliciter une quelconque indemnisation. La société Galec rappelle en outre que la contre-publicité dont la société Carrefour sollicite le remboursement des coûts a été déclarée illicite pour contrefaçon de la marque E.Leclerc, par le Tribunal de grande instance de Paris et que cela doit conduire la cour à rejeter la demande formulée par la société Carrefour à ce titre.

Il s'infère nécessairement de la publicité illicite, constitutive de concurrence déloyale, un trouble commercial générant un préjudice fut-il seulement moral.

Si la société Carrefour justifie avoir essayé de limiter l'impact de la publicité litigieuse auprès des consommateurs en diffusant dans la presse et la radio des contre-publicités dont le coût a pu être évalué à 271 430 € (pièce 29 de l'appelante), elle ne saurait en solliciter le remboursement, ces contre-publicités ayant été déclarées illicites.

La cour dispose d'éléments suffisants pour évaluer à 100 000 euros le préjudice moral subi par les sociétés appelantes, pour atteinte à leur image.

Leur préjudice étant suffisamment réparé par l'allocation de cette somme, il n'y a pas lieu d'autoriser les sociétés appelantes à faire publier le présent arrêt dans les journaux de leur choix, ni à enjoindre au Galec de le publier sur son site.

Par ailleurs, aucune preuve de continuation de la pratique litigieuse n'étant versée aux débats, il n'y a pas lieu de prononcer à l'encontre du Galec une injonction de cesser celle-ci pour l'avenir.

Le Galec, succombant au principal, sera condamné à supporter les dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer aux sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté les sociétés Carrefour hypermarchés et CSF de leurs demandes fondées sur l'article L. 121-9 2° du Code de la consommation et sur les dépens, déclare illicite la publicité comparative litigieuse, pour violation de cet article L. 121-9, 2°, dit que le Galec s'est rendu responsable de pratiques de concurrence déloyale à l'encontre des sociétés Carrefour hypermarchés et CSF, condamne le Galec à payer aux sociétés Carrefour hypermarchés et CSF la somme de 100 000 € en réparation de leur préjudice, déboute les sociétés Carrefour hypermarchés et CSF du surplus de leurs demandes, condamne le Galec aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, condamne le Galec à payer aux sociétés Carrefour hypermarchés et CSF la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.