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Décisions

Cass. com., 22 novembre 2017, n° 16-18.028

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Club opticlibre (SAS)

Défendeur :

Alliance optique (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Boutet, Hourdeaux, Me Le Prado

T. com. Lille Métropole, du 24 mars 2015

24 mars 2015

LA COUR : - Joint les pourvois n° 16-18.028 et 16-18.124, qui attaquent le même arrêt ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 31 mars 2016), que la société Club opticlibre, centrale d'achats dans le secteur de l'optique, regroupant des opticiens indépendants, qui acquiert des produits pour les revendre à ses adhérents sur la base des conditions commerciales négociées avec les fournisseurs, et la société Alliance optique, exerçant la même activité au bénéfice des opticiens indépendants regroupés autour d'elle, achètent leurs produits au même fournisseur ; que reprochant à la société Alliance optique des actes de concurrence déloyale résultant de pratiques de revente à perte, prohibées par l'article L. 442-2 du Code de commerce, la société Club opticlibre l'a assignée en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 16-18.124 : - Attendu que la société Alliance optique fait grief à l'arrêt de dire l'article L. 442-2 du Code de commerce applicable, la condamner à réparer le préjudice financier de la société Club opticlibre et rejeter sa demande en dommages-intérêts alors, selon le moyen, que la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (" directive sur les pratiques commerciales déloyales "), doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une disposition nationale qui prévoit une interdiction générale d'offrir à la vente ou de vendre des biens à perte, pour autant que cette disposition poursuit des finalités tenant à la protection des consommateurs ; que la cour d'appel, qui a dit applicable au litige l'article L. 442-2 du Code de commerce, prévoyant l'interdiction générale de revendre ou d'annoncer la revente d'un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif, bien que les dispositions de ce texte aient été modifiées par la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, tendant à la transposition de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, a violé l'article 2 de ladite directive ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 3 de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, celle-ci s'applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt et des écritures des parties que le litige porte sur des pratiques commerciales entre une centrale d'achat et des détaillants, soit des transactions entre professionnels ; qu'elles ne relèvent donc pas du champ d'application de la directive ; que le moyen, en ce qu'il invoque l'incompatibilité de la législation française avec une directive inapplicable en l'espèce, est inopérant ;

Sur le second moyen de ce pourvoi : - Attendu que la société Alliance optique fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) que l'article L. 442-2 du Code de commerce, disposition pénale d'interprétation stricte, ne permet pas de déduire la dépendance d'un professionnel à l'égard d'un grossiste de la seule existence d'un " lien d'affiliation " avec celui-ci ; que la cour d'appel, qui, pour écarter le statut de grossiste de la société Alliance optique et la condamner en paiement au profit de la société Club opticlibre, a fait de l'absence de lien d'affiliation une condition nécessaire de la qualité de grossiste et a déduit une affiliation exclusive d'indépendance de l'existence d'obligations réciproques résultant d'une convention entre la société Alliance optique et des opticiens, a violé l'article L. 442-2 du Code de commerce, ensemble l'article 111-3, alinéa 1er, du Code pénal et le principe d'interprétation stricte de la loi pénale ; 2°) que l'exigence de clarté et d'intelligibilité du droit, inhérente aux exigences d'un procès équitable, et le principe de légalité des peines imposent qu'une incrimination soit définie en des termes suffisamment clairs et précis ; que la cour d'appel, qui, pour écarter le statut de grossiste de la société Alliance optique et la condamner en paiement au profit de la société Club opticlibre, a fait de l'absence de lien d'affiliation une condition nécessaire de la qualité de grossiste, tout en relevant l'absence de définition juridique de l'affiliation, a violé l'article 6, paragraphe 1, et l'article 7, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 3°) que le prix d'achat effectif défini pour déterminer le seuil de revente à perte est affecté d'un coefficient de 0,9 pour le grossiste qui distribue des produits ou services exclusivement à des professionnels qui lui sont indépendants et qui exercent une activité de revendeur au détail, de transformateur ou de prestataire de services final ; qu'est indépendante au sens de la phrase précédente toute entreprise libre de déterminer sa politique commerciale et dépourvue de lien capitalistique ou d'affiliation avec le grossiste ; que la cour d'appel, pour écarter le statut de grossiste de la société Alliance optique et la condamner en paiement au profit de la société Club opticlibre, a retenu l'existence d'un "réseau", les détaillants accédant à des offres, plus ou moins larges, en contrepartie d'obligations, plus ou moins importantes, mais dépassant largement les relations existants entre un grossiste et son client ; qu'en statuant ainsi, sans préciser en quoi les obligations souscrites auraient remis en cause l'indépendance des opticiens adhérents de la centrale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-2 du Code de commerce ;

Mais attendu qu'après avoir rappelé que l'article L. 442-2 du Code de commerce prévoit un seuil de revente à perte minoré pour les grossistes, l'arrêt relève que l'alinéa 3 de ce texte impose, pour que soit retenue cette qualification, outre une condition de distribution de produits ou de services, exclusivement à des professionnels exerçant une activité de revendeur au détail, de transformateur ou de prestataire de services final, une condition d'indépendance ; qu'il ajoute que le législateur a précisé qu'est indépendante toute entreprise libre de déterminer sa politique commerciale et dépourvue de tout lien capitalistique ou d'affiliation avec le grossiste ; qu'il relève, dans les "conditions générales d'adhésion et de vente", différentes obligations à la charge de l'adhérent, qu'il décrit, et qui renforcent les liens existant entre celui-ci et la centrale et dépassent celles existant entre un grossiste et son client ; qu'il en déduit l'existence d'un réseau dans lequel les détaillants accèdent à des offres plus ou moins larges en contrepartie d'obligations plus ou moins importantes ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a violé ni le principe de légalité des peines, ni celui du droit à un procès équitable, ni encore celui de l'interprétation stricte de la loi pénale, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le moyen unique du pourvoi n° 16-18.028 : - Attendu que la société Club opticlibre fait grief à l'arrêt de limiter le montant de la somme allouée en réparation de son préjudice financier alors, selon le moyen, que le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même n'est pas applicable à la preuve des faits juridiques et que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui lui sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en retenant que la pièce n° 31 - l'attestation du PDG de la SAS Anjou optique - était le seul élément de preuve produit et que le préjudice ne pouvait donc être estimé qu'à l'aune des répercussions auprès du seul et unique opticien auteur d'une attestation (la pièce n° 31) quand la société Club opticlibre produisait les pièces 32 et 40, ainsi que le constate la cour d'appel, comportant des éléments de nature à démontrer qu'elle avait subi un préjudice auprès d'autres opticiens, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que seules trois pièces étaient produites pour établir le préjudice financier allégué et que les éléments versés au débat présentaient un caractère lacunaire, l'arrêt relève les différences d'approche des pièces n° 32 et n° 40 quant aux éléments chiffrés en production ; qu'il retient que si les pièces n° 40 et n° 31 apportent la preuve que la société Club opticlibre a été en mesure de convaincre des opticiens de rester adhérents de la centrale, sans leur concéder des conditions commerciales supplémentaires, la pièce n° 31 est insuffisante à établir le lien entre l'octroi d'une remise complémentaire et les propositions commerciales faites aux dix-huit autres opticiens ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié la force probante des pièces produites, n'a pas méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette les pourvois.