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Décisions

CA Riom, 3e ch. civ. et com. réunies, 22 novembre 2017, n° 16-01931

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Volkswagen Group France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Riffaud

Conseillers :

MM. Kheitmi, Talenti

Avocats :

SCP Loiacono-Morel, Me de Caumont, SCP Freydefont-Laloy, SCP Akrich & Savary, Me Lacquit, Selas Vogel & Vogel

TGI Clermont-Ferrand, du 6 juill. 2016

6 juillet 2016

Faits et procédure - demandes et moyens des parties :

Le 9 février 2010, MM. Mustafa A et Serafettin A ont vendu à M. Yassine X un véhicule Audi A 4, mis en circulation le 17 décembre 2003.

Le 12 avril 2011, M. X a revendu ce véhicule à M. Christian Y et à Mme Agnès Y, pour le prix de 8 800 euros ; le véhicule affichait alors 179 000 kilomètres au compteur. Le certificat de contrôle technique, établi le jour même de la vente, mentionnait quatre défauts, sans contre-visite.

Le 23 mai 2011, M. et Mme Y ont constaté une avarie : échappement d'une fumée noire du moteur, et perte de puissance. Ils ont fait procéder à une expertise officieuse mais contradictoire à l'égard de M. X, puis ont mis celui-ci en demeure de procéder à la résolution amiable de la vente. Face au refus de M. X, M. et Mme Y l'ont fait assigner aux mêmes fins devant le Tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, suivant acte introductif d'instance du 29 février 2012.

Le tribunal, suivant jugement avant dire droit du 21 octobre 2013, a ordonné une mesure d'expertise. L'expert, M. Z, a déposé le 14 janvier 2014 un pré-rapport, précisant qu'il lui apparaissait nécessaire de mettre en cause le constructeur du véhicule.

M. et Mme Y, puis M. X, ont fait assigner l'importateur du véhicule, la SA Volkswagen Group France (la société Volkswagen), le 19 mars 2014.

L'expert a déposé son rapport définitif le 27 octobre 2014. Il énonce notamment que les trois cames d'admission du même arbre ont tourné sur leur support, qu'au moment de l'examen le véhicule ne pouvait plus être utilisé sans réparation, qu'au moment de la vente X - Y le désordre ne pouvait être détecté ni par un profane ni par un professionnel à moins de démonter le véhicule, et que le coût des travaux de remise en état, comportant le remplacement de l'arbre à cames, s'établit à 3 933,82 euros. M. Z précise que ni M. et Mme Y, ni M. X n'ont de responsabilité dans la survenue du dommage.

M. et Mme Y ont demandé au tribunal, au vu du rapport d'expertise, de prononcer la résolution de la vente, la restitution du prix, et la condamnation in solidum de M. X et de la société Volkswagen à leur payer en principal 5 255,04 euros de dommages et intérêts pour divers préjudices matériels, et 13 700 euros en réparation du préjudice d'immobilisation.

Le tribunal de grande instance, suivant jugement contradictoire du 6 juillet 2016, a prononcé la résolution de la vente conclue entre M. X et M. et Mme Y, et condamné le vendeur à payer aux acquéreurs les sommes de 9 741,10 euros en restitution du prix et au titre des frais annexes à la vente. Le tribunal a en outre condamné M. X à payer aux autres parties diverses sommes en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et il a rejeté le surplus de ses demandes, au motif notamment de la prescription quinquennale, applicable à l'action de M. et Mme Y contre la société Volkswagen, et à l'action récursoire engagée par M. X contre cette société, et contre MM. Mustafa A et Serfattin A.

Par une déclaration faite au greffe le 29 juillet 2016, M. et Mme Y ont interjeté appel total de ce jugement.

Ils demandent à la cour de confirmer le jugement, en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente, mais de le réformer en ce qu'il a déclaré prescrites leurs demandes contre la société Volkswagen, et de condamner cette société à leur payer 18 710 euros au titre du préjudice d'immobilisation, 2 573,04 euros au titre de leurs préjudices matériels, et 1 000 euros en réparation de leurs préjudices moraux.

M. et Mme Y font valoir que, s'il est vrai que le délai d'action de l'ancien article 1648 du Code civil est enfermé dans le délai de prescription de droit commun, désormais fixé à cinq ans, et que le point de départ de ce délai, dans le cas de ventes successives et d'une action intentée par le sous-acquéreur contre le fabricant, se situe en principe au jour de la vente initiale, cette règle ne s'applique pas lorsque le vendeur agit non contre le fabricant, mais contre un premier vendeur initial non fabricant ; et que tel est le cas de la société Volkswagen, importateur et non pas fabricant du véhicule en litige. Ils déclarent que leur action n'est soumise qu'à la prescription quinquennale de l'article 2244 du Code civil, ayant couru à compter du jour où ils ont été en mesure de connaître les faits leur permettant d'agir, c'est à dire à compter du dépôt du rapport d'expertise officieuse, le 1er juillet 2011.

M. et Mme Y exposent ensuite que le vice ayant provoqué l'avarie existait déjà lors de la vente initiale, de sorte que la société Volkswagen est tenue d'en répondre, par application de l'article 1641 ancien du Code civil.

La société Volkswagen conclut à la confirmation du jugement, en ce qu'il a rejeté toutes les demandes formées contre elle. Cette société expose, comme M. et Mme Y, que le délai biennal d'action en garantie des vices cachés est enfermé dans celui de la prescription de droit commun ; mais elle déclare que ce dernier délai a couru, à son encontre, le jour de la mise en circulation du véhicule, le 17 décembre 2003, et qu'il a expiré le 19 juin 2013, conformément aux dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008, ayant réduit de dix à quinze ans le délai de prescription de l'article L. 110-4 du Code de commerce.

À titre subsidiaire, la société Volkswagen conclut au rejet sur le fond des demandes de M. et Mme Y, au motif qu'il n'est pas établi que le véhicule ait été affecté, dès la vente initiale, d'un vice rédhibitoire au sens de l'article 1641 du Code civil. Elle conteste, plus subsidiairement, le montant des sommes demandées, et sa responsabilité concernant certains chefs de préjudice, notamment l'immobilisation : elle souligne qu'elle n'a pas été appelée aux opérations de l'expertise officieuse.

M. X demande la réformation du jugement, dans ses dispositions ayant retenu la garantie des vices cachés, et prononcé la résolution de la vente conclue entre M. et Mme Y et lui-même. Il relève l'important kilométrage du véhicule au moment de la vente, et l'absence de toute certitude quant à l'origine du défaut, qui en toute hypothèse n'était pas d'une gravité justifiant la résolution prononcée par le premier juge. À titre subsidiaire et pour le cas où la cour confirmerait néanmoins la résolution, M. X demande que la société Volkswagen soit tenue de le garantir de toute condamnation pouvant être prononcée contre lui. Il souligne qu'en matière d'action récursoire en garantie des vices cachés, l'acquéreur intermédiaire ne peut agir contre le vendeur initial qu'après avoir été lui-même assigné par le sous-acquéreur, que M. et Mme Y sous-acquéreurs ne l'ont fait assigner que le 29 février 2012, que l'expert a émis pour la première fois l'hypothèse d'un vice de fabrication lors du dépôt de son pré-rapport en janvier 2014, et qu'il a fait appeler en cause la société Volkswagen le 31 mars 2014, donc dans le délai biennal de l'action pour vices cachés.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 septembre 2017.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées en cause d'appel, les 20 décembre 2016, 29 mai et 22 juin 2017.

Motifs de la décision :

Sur les demandes principales de M. et de Mme Y :

A l'encontre de M. X :

Selon l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à son usage ; et selon l'article 1648 du même code, l'action fondée sur les vices rédhibitoires doit être intentée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

L'action de M. et de Mme Y contre M. X a été engagée dans les deux ans à compter de la découverte du défaut, puisqu'elle l'a été par l'assignation qu'ils lui ont fait délivrer le 29 février 2012, moins de deux ans avant la dernière vente, conclue le 12 avril 2011.

L'expert judiciaire M. Z énonce dans son rapport qu'il a constaté que sur l'un des arbres à cames, deux cames avaient tourné et n'étaient plus calées correctement ; que sur le 4e arbre, le décrochement n'était plus en face de la vis, alors que ce décrochement (qui forme passage pour extraire les vis) se trouvait en face des vis, pour les trois autres arbres à cames ; qu'il existait sur la poulie de droite un repère à la peinture, laissant supposer un calage de la distribution fait sans l'outillage adéquat ; que ce calage défectueux pouvait, selon l'expert, avoir été réalisé lorsque M. X était propriétaire du véhicule, à l'occasion d'un remplacement de distribution, mais que cette origine ne pouvait être prouvée techniquement (pages 10 et 11 de son rapport) ; que la suite de l'examen a confirmé que trois cames avaient tourné sur leur support, provoquant un très léger décalage de la distribution, et la désolidarisation de l'arbre à cames, puis la mise hors d'usage de trois cames ; que toute autre cause de l'avarie (telle qu'un défaut de lubrification ayant provoqué un échauffement) était exclue (pages 12 à 17 du rapport).

L'expert a précisé que le véhicule, depuis son acquisition par M. et Mme Y, a parcouru 2 000 km avant de tomber en panne, fait attesté par le kilométrage indiqué sur le certificat de cession (179 000), et par celui constaté sur le compteur par l'expert, au début de ses opérations : 181 004 km. M. Z a encore précisé que le désordre était, au moment de la vente X - Y, existant au niveau de la pièce, à savoir le défaut de fixation entre le pignon et l'arbre, mais qu'il ne s'était pas encore manifesté : le véhicule ne pouvait parcourir 2 000 km avec un pignon qui tournait en bout d'arbre à cames, cette rotation du pignon sur l'arbre a eu lieu au moment où M. et Mme Y (ou l'un d'eux) ont ressenti une perte de puissance, et ont vu de la fumée sortir de l'échappement.

Ces constatations et énonciations ne sont pas contredites par l'avis donné le 1er juillet 2011 par M. Nicolas B dans le cadre de l'expertise officieuse : ce technicien, désigné par l'assureur de M. et de Mme Y, a constaté lui aussi (au contradictoire de M. X) l'absence de toute trace d'échauffement ou de défaut de lubrification, et la désolidarisation de deux cames de l'arbre à cames inférieur gauche ; il n'a d'ailleurs pas procédé aux démontages ou contrôles plus complets, qui pouvaient permettre de déterminer l'origine exacte du désordre, mais a énoncé que cette origine n'avait pu apparaître pendant la très courte période d'utilisation par M. et Mme Y ; et il a relaté l'historique des différentes interventions réalisées sur le véhicule, dont il ressort qu'aucune d'elles n'a été réalisée depuis la dernière vente conclue le 12 avril 2011.

Un autre expert officieux (M. Alain C, désigné par l'assureur de M. X, et qui a assisté aux opérations de M. X), a exposé dans son avis écrit du 3 août 2011 que la cause de l'avarie restait alors inconnue.

Ces différentes énonciations et constatations des techniciens, conformes entre elles, permettent de tenir pour certain que la voiture en cause était affectée, dès la vente litigieuse, d'un défaut de calage du système de distribution, qui a provoqué l'avarie 43 jours plus tard, après le parcours de quelque 2 000 kilomètres : il est exclu que ce défaut de calage ait pu résulter d'une intervention faite après la vente, dans un laps de temps aussi court, alors que le fonctionnement du véhicule ne révélait aucune anomalie apparente.

Ce défaut, comme l'admet M. X, ne pouvait être décelé au moment de la vente ni par les acquéreurs, ni non plus par le vendeur lui-même, qui tous étaient profanes en la matière ; l'expert judiciaire a précisé que même un professionnel n'aurait pas pu déceler l'anomalie, à moins d'effectuer un démontage.

Il est certain que M. et Mme Y, s'ils avaient eu connaissance de cette anomalie, qui provoque en définitive une mise hors service du véhicule (lequel ne pourra être remis en état que par des travaux d'un coût presque égal à la moitié du prix d'achat - outre les désagréments provoqués par la brusque privation de son usage), auraient renoncé à l'acquérir, ou n'en auraient donné qu'un prix beaucoup moindre, s'ils l'avaient connue ; et M. X ne saurait se retrancher derrière l'inévitable usure, et les aléas pesant sur l'achat d'une voiture d'occasion de 179 000 kilomètres : la qualité de la marque et du modèle du véhicule en cause, et son bon état d'entretien relevé par l'expert, devaient normalement lui permettre encore une assez longue durée d'utilisation, comme le démontre le prix convenu entre les parties.

La gravité du défaut et de ses conséquences justifie la résolution demandée.

C'est donc à bon droit que le premier juge a prononcé la résolution de la dernière vente comme le demandaient M. et Mme Y, avec ses conséquences (restitution du prix par le vendeur, et du véhicule par les acquéreurs), et qu'il a rejeté en revanche leur demande de dommages et intérêts présentée contre M. X, lequel, ignorant le défaut du véhicule, ne pouvait être tenu qu'à restitution du prix et au paiement des frais de la vente, conformément aux articles 1645 et 1646 du Code civil. Le jugement sera confirmé de ces chefs.

A l'encontre de la société Volkswagen :

Selon l'article L. 110-4 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants, ou entre commerçants et non commerçants, se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

En application de cet article, le délai biennal de l'article 1648 du Code civil ne peut être utilement invoqué qu'à l'intérieur du délai de prescription de l'article L. 110-4 du Code de commerce, dont le point de départ se situe à la date de la vente (Cass. com., 27 novembre 2001, pourvoi n° 99-13.428). En cas de ventes successives, le dernier acquéreur (ou sous-acquéreur) est recevable à agir en garantie des vices cachés, directement contre le vendeur initial, à charge pour le sous-acquéreur d'exercer l'action dans le délai de prescription, qui court à compter de la vente initiale (Cour d'appel de Versailles 13e chambre, 9 janvier 2014, Quintard c. Nissan ; Cour d'appel de Lyon 8e chambre, 17 mars 2015, Garcin c. Porsche France ; Cass. com., 10 mai 2012, pourvoi n° 11-13.908).

Dans le cas particulier, la vente initiale par la société Volkswagen apparaît avoir été antérieure au 17 décembre 2003, date qui, selon le rapport C du 3 août 2011, a été celle de le mise en circulation initiale du véhicule, et de sa vente par le Garage Audi de Sallanches (Haute-Savoie) ; en toute hypothèse cette vente initiale par l'importateur fut antérieure à la première révision, effectuée par ce même garage le 28 avril 2004, alors que le véhicule avait parcouru 15 740 km (cf. l'avis de M. Y et celui de M. X) ; la prescription de l'article L. 110-4 du Code de commerce, alors décennale, était donc en cours, lorsque la loi du 17 juin 2008 est entrée en vigueur, modifiant les règles de prescription en matière civile ; et comme l'a justement énoncé le premier juge, la nouvelle prescription quinquennale a commencé de courir le 19 juin 2008, conformément aux dispositions transitoires de la dite loi ; le délai de prescription a donc expiré le 19 juin 2013 ; et M. et Mme Y, comme déjà énoncé, n'ont fait assigner la société Volkswagen qu'après cette date, par un acte extra-judiciaire du 19 mars 2014. C'est donc à juste raison que le tribunal a déclaré prescrite l'action de M. et Mme Y contre cette société, et qu'il l'a rejetée pour ce motif. Le jugement sera encore confirmé de ce chef.

Au surplus : même si M. et Mme Y avaient agi dans le délai de prescription, leur action contre la société importatrice n'aurait pu prospérer que s'il était établi que le véhicule était déjà affecté du défaut ayant provoqué l'avarie, lors de la vente initiale, conclue comme il a été dit avant le 28 avril 2004 ; or une telle preuve n'est nullement rapportée, et il apparaît au contraire exclu que le défaut de calage, à l'origine de l'avarie, ait existé avant cette date : le véhicule n'aurait pas pu continuer de fonctionner pendant plus de sept ans (d'avril 2004 à mai 2011), en parcourant plus de 160 000 km, sans subir de graves désordres, tels que ceux apparus après la dernière vente.

Sur l'action en garantie exercée par M. X :

L'acquéreur intermédiaire, lorsqu'il voit sa responsabilité engagée envers l'acquéreur final, est en droit de demander garantie au vendeur initial (Cass. com., 20 mai 2010, pourvoi n° 09-10.086).

Cependant le délai de prescription applicable à l'action récursoire exercée par l'acquéreur intermédiaire court, lui aussi, à compter de la vente initiale ; il s'ensuit que la demande de garantie formée par M. X est prescrite, pour les mêmes causes que l'action principale exercée par M. et Mme Y contre la société Volkswagen. Et cette demande apparaît au surplus mal fondée, faute de preuve que le défaut ait existé dès la vente initiale, ainsi qu'il a été dit. Le jugement sera confirmé, en ce qu'il a rejeté comme prescrite la demande de garantie de M. X.

Sur les demandes accessoires :

Le tribunal a condamné à bon droit M. X à payer, par application de l'article 700 du Code de procédure civile, une somme de 1 500 euros à M. ou à Mme Y, et une somme de 800 euros à la société Volkswagen ; ces dispositions seront confirmées.

Il est conforme à l'équité d'allouer en outre une somme de 1 000 euros à la société Volkswagen, à la charge des appelants.

Par ces motifs, et par ceux non contraires des premiers juges : Statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ; Y ajoutant, condamne solidairement M. et Mme Y à payer à la SA Volkswagen Group France une somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne M. et Mme Y aux dépens de l'appel.