Cass. 1re civ., 22 novembre 2017, n° 16-24.127
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Cadou; Quer
Défendeur :
Porchier; Grellier; Océa (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Avocats :
SCP Boré, Mes de Bruneton, Mégret, SCP Fabiani, Mes Luc-Thaler, Pinatel
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 3 juin 2016), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 15 mai 2015, pourvoi n° 14-16.811) que, le 3 mai 2004, M. X., marin-pêcheur, a acquis de M. Y. un bateau de pêche immatriculé pour une longueur de 10,51 mètres ; qu'ayant découvert qu'en 1993, la partie arrière du bateau avait été rallongée par l'adjonction d'un caisson, M. et Mme X. (les acquéreurs) ont engagé une action en responsabilité contre la société Océa, qui avait été chargée de la réalisation des travaux de transformation, et contre M. et Mme Y., (les vendeurs) ;
Attendu que les acquéreurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes de condamnation des vendeurs au paiement de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) que le juge ne peut refuser d'évaluer le montant d'un dommage dont il a constaté l'existence en son principe en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; que, pour débouter les acquéreurs de leurs demandes indemnitaires, l'arrêt attaqué, après avoir constaté que ses " caractéristiques " ne correspondaient pas aux " caractéristiques spécifiées par la convention des parties " et que le navire vendu était, au jour de la vente, juridiquement impropre à la navigation, dès lors qu'il ne remplissait pas " les conditions réglementaires exigées suite à la jumboïsation " et qu'en outre " la nécessité d'une dérogation temporaire et de l'obtention d'un titre plus exigeant " que celui dont M. X. était alors titulaire " remettait en cause le permis de patronner de l'acquéreur non avisé de cet aléa ", retient " qu'aucune précision n'est apportée par les acquéreurs quant au coût éventuel des régularisations administratives nécessaires entreprises après la découverte des mesures réelles du navire " ; qu'en refusant d'évaluer le montant d'un préjudice dont elle avait pourtant constaté l'existence dans son principe, la cour d'appel a violé, ensemble, les articles 4 du Code civil et 4 du Code de procédure civile ; 2°) que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que, dans leurs conclusions, les acquéreurs faisaient valoir que la " jumboïsation " du navire, non seulement leur avait été dissimulée, mais qu'elle n'avait en outre pas été effectuée, en son temps, selon les règles de l'art ; qu'ils versaient aux débats, pour en faire la preuve, une attestation de M. Z., du chantier Timolor, déclarant que cet allongement avait été effectué en dépit du bon sens, ainsi qu'un rapport d'expertise amiable du 7 décembre 2007, constatant la médiocrité des travaux de rallongement et leur lien avec la corrosion du navire ; qu'en se bornant à relever, pour débouter les acquéreurs de leurs prétentions indemnitaires, que les réparation auxquelles ils avaient procédé pour remédier aux avaries et problèmes de corrosion du navire concernaient des désordres qui ne pouvaient être imputés avec certitude à la " différence de dimensions " ou " à l'allongement antérieur de la coque ", sans analyser, au moins sommairement, les éléments de preuve qu'ils avaient versés aux débats tendant à établir que ces désordres étaient directement liés à la médiocrité des travaux d'allongement de la coque, et donc à un manquement du vendeur à son obligation de délivrance, la cour d'appel, qui n'a pas pris en compte toutes les dimensions du défaut de conformité invoqué par les acquéreurs à l'appui de leur demande, a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) que les suites immédiates et directes du manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme incluent nécessairement les dépenses engagées par l'acquéreur pour remédier aux désordres nés du défaut de conformité de la chose vendue ; qu'en se bornant à relever, pour débouter les acquéreurs de leur demande indemnitaire, que les réparation auxquelles ils avaient procédé pour remédier aux avaries et problèmes de corrosion du navire concernaient des désordres qui ne pouvaient être imputés avec certitude à la " différence de dimensions " ou " à l'allongement antérieur de la coque, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces désordres n'étaient pas directement imputables à la médiocrité des travaux de rallongement de la coque antérieurs à la vente, la cour d'appel, qui n'a pas pris en compte toutes les dimensions du défaut de conformité invoqué par les acquéreurs à l'appui de leur demande, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1604 du Code civil, ensemble l'article 1151 du même code dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ; 4°) que les suites immédiates et directes du manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme incluent nécessairement le déficit d'exploitation consécutif à l'immobilisation de la chose vendue lors des travaux réalisés par l'acquéreur pour remédier au défaut de conformité ; qu'en se bornant à relever, pour refuser d'indemniser le préjudice d'exploitation subi par les acquéreurs suite à l'immobilisation du navire vendu entre le 23 octobre 2006 et le 3 janvier 2007, que " le retrait du permis de navigation pendant cette période était dû à la réalisation de travaux importants sur la structure du navire... et non au défaut de régularisation de l'acte de francisation (...) ", sans rechercher, comme elle y était invitée, si lesdits travaux n'avaient pas été précisément réalisés pour remédier à la discontinuité des soudures et au caractère sous-dimensionné de la cloison arrière à l'origine d'un défaut d'étanchéité du compartiment, la cour d'appel a, derechef, privé sa décision de base légale au regard de l'article 1604 du Code civil, ensemble l'article 1151 du même code dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ; 5°) que, si l'indemnisation des suites d'un défaut de conformité suppose un préjudice en lien de causalité avec ce défaut, il en va autrement, en l'absence d'exécution en nature, de la sanction de ce défaut lui-même, l'exécution par équivalent de l'obligation de délivrance conforme n'étant pas subordonnée à l'existence d'un préjudice subi par l'acquéreur ; qu'en déboutant les acquéreurs de toutes leurs demandes dirigées contre les vendeurs, après avoir pourtant constaté qu'ils avaient manqué à leur obligation de délivrance conforme, aux motifs qu'il n'était pas établi que ce défaut de délivrance conforme avait causé aux acquéreurs un " préjudice certain ", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1604 du Code civil, ensemble les articles 1147 et 1184 du même code, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Mais attendu, d'abord, qu'après avoir retenu que les vendeurs avaient manqué à leur obligation de délivrance du navire, l'arrêt constate, d'une part, que les acquéreurs n'ont fourni aucune précision sur le coût éventuel des régularisations administratives consécutives à la découverte des dimensions réelles du navire, d'autre part, que celles-ci ont été effectuées pendant la période durant laquelle le navire avait dû être immobilisé pour la réalisation d'importants travaux de structure, faisant ainsi ressortir qu'il n'était démontré ni que les régularisations administratives auraient généré un coût ni qu'elles auraient causé l'immobilisation du navire ;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel, procédant aux recherches prétendument omises, a souverainement estimé, sans être tenue de s'expliquer sur les pièces qu'elle considérait comme non pertinentes, qu'aucun désordre ne pouvait être imputé avec certitude aux travaux d'allongement du navire réalisés antérieurement à la vente litigieuse et qu'il n'était pas davantage établi que les factures de travaux versées aux débats aient été relatives à des avaries causées par la prétendue médiocrité de réalisation des travaux d'allongement ;
D'où il suit que le moyen, nouveau et mélangé de fait, comme tel irrecevable, en sa cinquième branche, n'est pas fondé en ses autres branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.