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Décisions

CAA Nantes, 4e ch., 10 mai 2017, n° 16NT02222

NANTES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Signalisation France (Sté)

Défendeur :

Département des Côtes d'Armor

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Laine

Rapporteur :

Mme Rimeu

Rapporteur public :

M. Bréchot

Avocats :

Cabinet Bues & Associés, Me Mocaer

TA Rennes, du 2 juin 2016

2 juin 2016

Procédure contentieuse antérieure :

Le département des Côtes d'Armor a demandé au Tribunal administratif de Rennes, à titre principal, de condamner la société Signalisation France, qui vient aux droits de la société Signature SA, à lui verser la somme minimum de 2 429 232,67 euros en réparation du préjudice économique subi en raison des surcoûts supportés du fait de l'entente mise en place entre 1998 et 2006 dans le secteur des panneaux de signalisation verticale, et à titre subsidiaire d'ordonner une expertise afin de déterminer l'étendue de son préjudice.

Par un jugement avant dire droit n° 1505830 du 2 juin 2016, le Tribunal administratif de Rennes a jugé que le département des Côtes d'Armor était fondé à demander réparation du préjudice résultant du surprix des marchés de signalisation routière verticale conclus avec la société Signature SA entre 1998 et 2006 et a ordonné une expertise afin de déterminer le montant de ce préjudice.

Par une ordonnance n° 1505830 du 3 juin 2016, la présidente du Tribunal administratif de Rennes a désigné comme expert Mme C. D.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 juillet 2016, la société Signalisation France, représentée par Me A., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Rennes du 2 juin 2016 ;

2°) d'annuler l'ordonnance de la présidente du Tribunal administratif de Rennes du 3 juin 2016 désignant comme expert Mme D. ;

3°) de rejeter les demandes présentées par le département des Côtes d'Armor devant le Tribunal administratif de Rennes ;

4°) de mettre à la charge du département des Côtes d'Armor la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'action engagée par le département des Côtes d'Armor était prescrite, en application de l'article 2224 du Code civil ;

- le jugement, en tant qu'il ordonne une expertise sur la période 2003 à 2006 n'est pas suffisamment motivé ;

- l'existence d'un surprix n'a pas été établie, de sorte que la demande du département n'est pas fondée ;

- il n'est pas justifié de l'étendue du préjudice.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 janvier 2017, le département des Côtes d'Armor conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, reprend ses conclusions indemnitaires de première instance. Il demande également, dans tous les cas, que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Signalisation France en application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Il soutient que :

- les conclusions tendant à l'annulation de l'ordonnance du 3 juin 2016 sont irrecevables ;

- son action n'est pas prescrite car il n'a eu connaissance ni de l'ampleur de son préjudice, ni de l'ensemble des éléments factuels et juridiques lui permettant d'exercer son action, avant la décision de l'autorité de la concurrence du 22 décembre 2010 ;

- le jugement est suffisamment motivé ;

- il ressort de la décision de l'autorité de la concurrence que les marchés conclus avec la société Signature SA ont fait l'objet de surprix, de sorte que l'engagement de la responsabilité de la société France Signalisation est certaine.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le Code civil ;

- le Code de commerce ;

- le Code de justice administrative

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Rimeu,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de Me Mocaer, avocat du département des Côtes d'Armor.

1. Considérant qu'entre 1998 et 2006, le département des Côtes d'Armor a conclu avec la société Signature SA, devenue société Signalisation France, trois marchés publics de fourniture et de pose de panneaux de signalisation routière ; que par une décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale, l'Autorité de la concurrence a sanctionné huit fabricants de panneaux de signalisation routière verticale, dont la société Signature SA, pour avoir mis en place entre 1997 et 2006 une entente de répartition des marchés publics de la signalisation routière verticale ; que par un arrêt du 29 mars 2012 devenu définitif, la Cour d'appel de Paris a confirmé en substance cette décision et minoré le montant des amendes infligées ; que, par un jugement avant dire droit du 2 juin 2016, le Tribunal administratif de Rennes a jugé que le département des Côtes d'Armor était fondé à demander réparation du préjudice résultant du surprix des marchés de signalisation routière verticale qu'il a conclus avec la société Signature SA entre 1998 et 2006 et a ordonné une expertise afin de déterminer le montant de ce préjudice financier ; que par une ordonnance du 3 juin 2016, la présidente du Tribunal administratif de Rennes a désigné comme expert Mme D. ; que la société Signalisation France relève appel de ce jugement et de cette ordonnance ;

Sur les concluions dirigées contre le jugement du 2 juin 2016 :

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 2224 du Code civil dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin suivant : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. " ; qu'aux termes de l'article 2222 du même code : " En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure " ;

3. Considérant qu'il est constant que le délai de prescription de l'action engagée par le département des Côtes d'Armor, qui a été réduit par la loi précitée du 17 juin 2008, est, en application des dispositions précitées des articles 2224 et 2222 du Code civil, de cinq ans à compter du jour où ce département a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer cette action ; qu'il résulte de l'instruction que si, par un courrier du 27 février 2008, le rapporteur du Conseil de la concurrence chargé du dossier relatif aux pratiques dans le secteur de la signalisation routière verticale a informé le département des Côtes d'Armor de la saisine de ce conseil, lui faisant ainsi connaître les soupçons de pratiques anticoncurrentielles dans ce secteur, également relatés dans la presse, ce n'est que lorsque l'Autorité de la concurrence a rendu sa décision précitée du 22 décembre 2010 que l'entente et les pratiques anticoncurrentielles peuvent être regardées comme établies ; que dans ces conditions, le département n'a pas pu avoir connaissance des faits lui permettant d'exercer une action contre la société Signature SA, devenue Signalisation France, avant cette décision du 22 décembre 2010 ; qu'il suit de là que l'action engagée par le département des Côtes d'Armor devant le Tribunal administratif de Rennes le 22 décembre 2015 n'était pas prescrite ;

4. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de la décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010 et de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012 que la société Signature SA est à l'origine de la mise en place en 1997 du cartel de la signalisation verticale en France, qui sera démantelé en 2006 et qui a permis à huit sociétés, dont Signature SA, de se répartir les marchés de panneaux de signalisation par application d'un plan anticoncurrentiel ; que dans ces conditions, la société Signalisation France n'est pas fondée à soutenir que le département des Côtes d'Armor, qui a conclu avec la société Signature SA entre 1998 et 2006 trois marchés de fourniture et pose de panneaux de signalisation, n'établirait pas, par la seule référence à ces décisions, l'existence d'un préjudice résultant des agissements dolosifs de cette société dans la conclusion de ces marchés ;

5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Signalisation France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 2 juin 2016, qui est suffisamment motivé, le Tribunal administratif de Rennes a ordonné une expertise afin de déterminer le montant du préjudice subi par le département des Côtes d'Armor du fait des pratiques anticoncurrentielles auxquelles a participé la société Signature SA ;

Sur les conclusions dirigées contre l'ordonnance du 3 juin 2016 :

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir soulevée, que la société Signalisation France n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance de la présidente du Tribunal administratif de Rennes du 3 juin 2016 qui désigne Mme D. pour réaliser l'expertise ordonnée par le jugement du 2 juin 2016 ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative :

7. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que le département des Côtes d'Armor, qui n'est pas la partie perdante, verse à la société Signalisation France une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette société la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le département des Côtes d'Armor et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Signalisation France est rejetée.

Article 2 : La société Signalisation France versera au département des Côtes d'Armor la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Signalisation France et au département des Côtes d'Armor.