CA Versailles, 12e ch., 28 novembre 2017, n° 16-04524
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Beratti (EURL)
Défendeur :
Grandvision France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leplat
Conseillers :
M. Ardisson, Mme Muller
Avocats :
Mes Lebrun, Lafon, Simon, Richard
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Grandvision France (ci-après société Grandvision) est une société franchiseur du réseau d'opticiens exerçant sous l'enseigne "Générale d'optique".
M. X était salarié du groupe Grandvision depuis 1997. Il a créé l'EURL Beratti qui a signé un premier contrat de franchise avec la société Grandvision le 25 août 2006 pour une durée de 5 ans. Le 24 août 2011, la société Grandvision et la société Beratti ont conclu un nouveau contrat de franchise pour une nouvelle durée de 5 ans devant se terminer le 24 août 2016.
Le 23 mai 2011, les sociétés Grandvision et Beratti ont également conclu un contrat de prestation de service aux termes duquel la société Beratti donnait mandat à la société Grandvision de traiter les dossiers clients et le recouvrement des sommes dues par les organismes de santé.
Le 11 avril 2014, la société Grandvision France a procédé à la résiliation du contrat de franchise aux torts de la société Beratti, au motif d'un comportement gravement fautif de celle-ci, rendant impossible la poursuite des relations contractuelles.
La société Grandvision a ensuite assigné la société Beratti devant le Tribunal de commerce de Versailles aux fins d'obtenir réparation du préjudice subi du fait de la résiliation anticipée du contrat de franchise.
Par jugement du 8 juin 2016, le Tribunal de commerce de Versailles a, pour l'essentiel :
- constaté le bien-fondé de la résiliation du contrat aux torts de la société Beratti,
- condamné la société Beratti au paiement de la somme de 137 163 euros à titre d'indemnité pour préjudice économique,
- débouté la société Grandvision du surplus de ses demandes,
- débouté la société Beratti de sa demande reconventionnelle
- condamné la société Beratti au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu l'appel interjeté le 16 juin 2016 par la société Beratti.
Vu les dernières écritures signifiées le 3 octobre 2017 par lesquelles la société Beratti demande à la cour de :
- Dire que la société Grandvision France n'a pas respecté la procédure de résiliation prévue par l'article 8.5.2 du contrat de franchise.
- Dire en conséquence, de ce premier chef, que la résiliation faite à l'initiative de la société Grandvision France est irrégulière et de nul effet.
- Ecarter des débats les dossiers antérieurs au 24 aout 2011 à savoir :
* Facture A. Maxime du 14/12/2009
* Facture P. Tessa du 19/12/2009
* Facture L. Françoise du 30/03/2010
* Factures K. Malika du 29/11/2011, du 15/12/2009 du 16/12/2009 et du 27/12/2009
* Facture H. Marie Hélène du 13/05/2008
* Factures T. S. et T. Sarah du 29/09/2007 et 16/10/2007
* Facture L. Denise du 7/10/2008
- Dire, en tout état de cause, que les griefs invoqués par la société Grandvision France ne sont pas démontrés.
- Subsidiairement, dire qu'ils ne sauraient caractériser des manquements graves de nature à justifier la résiliation du contrat de franchise.
- Infirmer en conséquence le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
- Débouter la société Grandvision France de toutes ses demandes, fins et conclusions.
- Accueillir l'appelante en ses demandes reconventionnelles et y faisant droit,
- Condamner la société Grandvision France à verser à la société Beratti les sommes de :
- 356 678 euros HT à titre de dommages et intérêts pour la perte de chiffre d'affaires,
- 120 000 euros au titre des travaux de remise en état du magasin,
- 250 000 euros en réparation de la perte de chance et du préjudice moral,
- 10 000 euros au titre des frais irrépétibles.
- Condamner la société Grandvision France à faire publier un communiqué judiciaire reprenant le dispositif de la décision à intervenir dans les quotidiens Les Echos et le Parisien et les revues Acuité, Bien vu et l'Essentiel de l'Optique, ainsi que pendant une durée de trois mois en page d'accueil de ses sites internet et sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard passé un délai de trente jours à compter du prononcé de l'arrêt
- Condamner la société Grandvision France aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Lebrun Dominique.
Vu les dernières écritures signifiées le 11 octobre 2017 au terme desquelles la société Grandvision France demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Versailles Le 8 juin 2016 en ce qu'il a :
- constaté le bien-fondé de la résiliation du 11 avril 2014 aux torts exclusifs de la société Beratti,
- débouté la société Beratti de sa demande reconventionnelle,
Et statuant à nouveau :
- déclarer la société Beratti irrecevable et mal fondée en l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,
- déclarer la société Grandvision France recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions,
- condamner la société Beratti à payer à la société Grandvision France les sommes suivantes :
- 150 750,74 euros au titre du préjudice subi du fait de la résiliation anticipée du contrat de franchise, et correspondant à la perte de redevances et au manque à gagner,
- 50 000 euros au titre du préjudice moral subi du fait de Ia résiliation anticipée du contrat de franchise,
- 30 000 euros au titre de la perte de redevances subie, au cours de l'exécution du contrat de franchise, au titre de la réalisation de chiffre d'affaires occulte,
- En tout état de cause :
- condamner la société Beratti à payer à la société Grandvision France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Beratti aux entiers dépens, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rejet de certaines pièces
La société Beratti demande à la cour d'écarter des débats un certain nombre de pièces communiquées par la société Grandvision (11 factures de clients) comme étant antérieures au 24 août 2011, date de signature du second contrat de franchise, rappelant que les parties ont signé un avenant de résiliation du premier contrat de franchise, dans lequel figurait une clause de non recours ainsi rédigée : " les parties renoncent expressément et irrévocablement à toute prétention, instance et action à l'encontre de l'une envers l'autre résultant tant du contrat de franchise Générale d'Optique venant à échéance que des conditions de conclusion du nouveau contrat de franchise ".
La société Grandvision répond qu'elle fait état de manquements constatés lors du premier contrat dans le seul but de relater des faits, sans en tirer de conséquence concernant le sort du second contrat. Elle ajoute que la résiliation est uniquement fondée sur les manquements constatés au titre de l'exécution du second contrat.
Dès lors que la résiliation est uniquement fondée sur les manquements constatés au titre du second contrat de franchise, les pièces relatives à l'exécution du premier contrat de franchise ne sont pas utiles au débat. La cour observe en outre que la société Grandvision ne fait pas que " relater les faits " se rapportant au premier contrat, dès lors qu'elle utilise ces pièces à l'appui de son argumentation (ex : double facturation pour le dossier Herisson en page 17 et 27 de ses conclusions). L'utilisation de ces pièces issues du premier contrat est contraire à la clause de l'avenant au terme de laquelle les parties renoncent à toute prétention résultant du premier contrat de franchise. Il convient dès lors de faire droit à la demande de rejet des pièces suivantes afférant au premier contrat : facture A. du 14 décembre 2009, facture Poirier du 19 décembre 2009, facture L. du 30 mars 2010, factures K. de décembre 2009, facture Herisson du 13 mai 2008, factures T. de septembre et octobre 2007, facture L. du 7 octobre 2008.
1 - Sur le bien-fondé de la résiliation du contrat de franchise
1-1 - La procédure de résiliation du contrat de franchise
Il résulte de l'article 1184 du Code civil, dans sa version applicable à l'espèce, que la condition résolutoire est toujours sous entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté peut en demander la résolution avec dommages et intérêts. La gravité du comportement d'une partie à un contrat peut toutefois justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls.
Il résulte en outre de l'article 8-5-2 du contrat de franchise qu'en cas d'inexécution ou de manquement par le franchisé à l'une quelconque de ses obligations - et en dehors de cas limitativement énumérés qui ne sont pas applicables à l'espèce - le franchiseur pourra, après une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au franchisé et non suivie d'effets dans un délai de 30 jours, résilier de plein droit le présent contrat par l'envoi d'une nouvelle lettre recommandée, et ce sans formalité judiciaire.
En l'espèce, la société Beratti fait valoir que la société Grandvision n'a pas respecté les dispositions contractuelles, dès lors qu'elle a prononcé la résiliation par courrier du 11 avril 2014 sans mise en demeure préalable. Elle demande ainsi à la cour de dire que la résiliation est irrégulière et de nul effet.
La société Grandvision fait cependant valoir qu'une partie a toujours la possibilité de résilier unilatéralement un contrat en cas de comportement grave d'une partie, sans être contrainte de recourir à la clause résolutoire prévue au contrat.
Il apparaît ainsi que la société Grandvision n'invoque pas la clause résolutoire prévue au contrat, mais qu'elle se prévaut de cette possibilité de résiliation unilatérale du contrat pour manquement grave telle que définie par la jurisprudence.
Il convient dès lors de rechercher si les conditions d'une résiliation unilatérale pour manquement grave de la société Beratti à ses obligations sont réunies.
1 - 2 - Les manquements de la société Beratti pouvant justifier la résiliation unilatérale du contrat de franchise
La société Grandvision reproche à la société Beratti des pratiques "gravement illicites et illégales" mises en place afin d'obtenir des remboursements indus des mutuelles complémentaires, faisant valoir que ces pratiques pouvaient avoir de graves conséquences sur son réseau de franchise (perte d'accords avec les mutuelles, et mise en cause éventuelle pour concurrence déloyale par des concurrents). Elle rappelle que de grandes enseignes d'optique ont été lourdement condamnées, notamment en 2014 pour des faits de concurrence déloyale, du fait qu'elles pratiquaient ce système de "fraude à la mutuelle".
La société Beratti soutient qu'aucune anomalie n'a jamais été relevée avant le contrôle effectué dans son magasin le 28 mars 2014, à la suite de la dénonciation malveillante d'un salarié. Elle ajoute que les irrégularités dénoncées sont tout à fait "ténues". Elle soutient qu'il n'est pas démontré qu'elle ait mis en place les pratiques dénoncées, ajoutant toutefois - de manière ambiguë - qu'il lui est arrivé, de façon exceptionnelle, d'utiliser un programme informatique permettant de modifier les facturations, précisant toutefois que ce programme a été installé par la société Grandvision elle-même, celle-ci recommandant en outre son utilisation.
Les manquements reprochés par la société Grandvision à la société Beratti portent d'une part sur les pratiques permettant d'obtenir des remboursements indus des mutuelles (utilisation de deux programmes informatiques distincts permettant la modification, soit de la date de facturation, soit de la nature des produits vendus), d'autre part sur l'utilisation d'une ordonnance médicale unique pour plusieurs dossiers, enfin sur des "sorties de caisse" non explicitées.
Le premier juge, sans entrer dans le détail des manquements reprochés à la société Beratti, a estimé de manière générale que la société Beratti s'était livrée à des pratiques visant à abuser les assurances complémentaires, notamment par l'utilisation du fichier Excel, ajoutant que les fautes ainsi commises étaient d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation unilatérale.
Il convient de revenir sur les différents manquements reprochés à la société Beratti afin de déterminer si, comme l'a estimé le premier juge, leur gravité est suffisante pour justifier la résiliation unilatérale opérée par la société Grandvision.
* Remboursement en espèces
La société Grandvision reproche à la société Beratti des remboursements en espèces inexpliqués, générant des sorties de caisse et une minoration du chiffre d'affaires du magasin.
La société Beratti fait observer qu'il n'est justifié que de deux sorties de caisse à hauteur des sommes de 89 euros et 149 euros, indiquant que la somme de 89 euros correspond à des frais de repas, ce qui n'est pas contesté.
Il apparaît ainsi qu'il n'existe qu'une sortie de caisse en espèces d'un montant de 149 euros, dont il n'est pas justifié. Ce manquement de la société Beratti à ses obligations n'est pas d'une gravité suffisante - au regard de la durée des relations contractuelles et de la faiblesse relative de cette somme comparée au chiffre d'affaires annuel de plus de 600 000 euros - pour justifier la résiliation du contrat de franchise.
* Utilisation d'une ordonnance non nominative pour plusieurs dossiers
La société Grandvision reproche à la société Beratti d'avoir utilisé une même ordonnance non nominative pour cinq dossiers (ordonnance du 30 janvier 2014 du docteur Thierry B., médecin généraliste prescrivant uniquement des " lunettes adaptées avec contrôle de la vision " par l'opticien), ce qui a permis à plusieurs clients de la société Beratti d'obtenir un remboursement de leur mutuelle, alors même que ce remboursement aurait été impossible sans production d'une ordonnance. La société Grandvision fait valoir que ce procédé constitue une falsification d'ordonnance médicale dans le but d'obtenir des remboursements indus de la mutuelle, condamnant cette pratique de nature à porter gravement atteinte à son enseigne.
La société Beratti ne conteste pas ce qu'elle qualifie elle-même de " manipulation frauduleuse " des ordonnances, qu'elle impute toutefois exclusivement à son salarié Denis W. qui est l'auteur du courrier dénonçant ces agissements à la société Grandvision.
Force est toutefois de constater, comme le fait justement observer la société Grandvision, que les mentions portées par l'opticien sur les différentes copies de cette ordonnance unique (correction à apporter sur chaque verre) ne sont pas de la même main, de sorte que M. Denis W. n'est manifestement pas le seul à avoir fait usage de cette unique ordonnance qui a servi au montage de 5 dossiers.
Il sera observé que l'attestation de Mme G. - qui soutient qu'elle disposait d'une autre ordonnance - n'est pas pertinente dès lors que son dossier comprend bien l'ordonnance falsifiée. De même, la perte d'une ordonnance par Mme D. ne pouvait légitimer la falsification d'une autre ordonnance.
Il est ainsi établi que plusieurs employés, voire même dirigeants, de la société Beratti ont utilisé le procédé frauduleux de falsification d'ordonnances dans le but de permettre des remboursements de mutuelle qui n'auraient pas dû exister pour cinq dossiers, ce qui caractérise un manquement d'une gravité certaine aux obligations de la société Beratti.
* Pratiques visant à obtenir des remboursements indus des mutuelles
La société Grandvision reproche à la société Beratti d'avoir mis en place un système de double facturation - d'une part dans un programme Excel, d'autre part dans le logiciel Synergie - ce qui permettait de modifier les factures (date ou nature des produits vendus) et d'obtenir des remboursements indus des mutuelles.
La société Beratti fait valoir que l'utilisation du fichier Excel est exceptionnelle (27 factures seulement sur la période d'août 2011 à mars 2014), et que la société Grandvision a elle-même créé la matrice des factures Excel qu'elle lui a remis afin de pallier aux insuffisances du logiciel Synergie. Elle produit aux débats trois attestations de personnes qui déclarent que la société Grandvision incitait ses franchisés à utiliser ce logiciel. Elle explique cette pratique par le fait que le logiciel Synergie ne permet pas d'établir une facture avant livraison du produit, de sorte qu'elle émettait dans un premier temps une facture " Excel " qui était ensuite remplacée par une facture " Synergie ", ajoutant qu'il n'est pas démontré l'existence de remboursements indûs de mutuelle ni de dissimulation de chiffre d'affaires.
Mme Souraya K., opticienne, atteste que : " la générale d'optique, société de Grandvision France, nous a fourni, début 2006, un fichier Excel par l'intermédiaire de notre responsable de secteur, cadre de Grandvision France. Une formation sur ce fichier Excel nous a été assurée par notre responsable de secteur... Les ordres étaient donnés par les responsables cadre... afin d'utiliser cette matrice Excel pour tous les clients qui exigeaient une modification sur leurs factures, portant sur la date de facture ou sur les montants à répartir sur les factures entre la monture et les verres, afin que le client bénéficie au mieux de son remboursement mutuelle... Depuis mon poste de directrice adjointe du magasin de Créteil en 2006 et jusqu'à mon départ en tant que directrice du magasin de Paris Stalingrad en mars 2008, mes responsables de secteur successifs... nous incitaient à utiliser ce fichier afin de ne perdre aucune vente en modifiant les dates de facture Synergie ou en ventilant différemment les sommes pour que le client se fasse rembourser au mieux par sa mutuelle. En effet, le logiciel Synergie étant assez rigide, cette solution avait été mise en place par la direction générale d'optique afin de ne perdre aucune vente... Par la suite, ce système de matrice Excel a été complété par la création dans le logiciel Synergie de quatre options d'un montant différent qui nous permettaient de basculer les options vendues sur la deuxième paire (monture à 1 euro) directement sur les verres de la paire principale destinée au remboursement de la mutuelle... ".
Cette attestation, très circonstanciée, est corroborée par deux autres attestations de Mme M. et de M. D. au terme desquelles il existait un logiciel permettant de modifier des dates et des prix, ce tableau Excel étant " fourni par notre direction afin de satisfaire les clients exigeants ".
Ces attestations tendent ainsi à démontrer que, durant une certaine période, et notamment entre 2006 et 2008, la société Grandvision avait elle-même fourni à son réseau une matrice Excel permettant de modifier les factures, et qu'elle les incitait à utiliser ce système.
Force est toutefois de constater que la société Grandvision a manifestement modifié sa pratique, puisqu'elle produit des lettres circulaires adressées à ses franchisés, notamment en septembre 2011, avril 2013 et janvier 2014 (et même janvier 2007), aux termes desquelles elle rappelle le caractère illégal de la pratique consistant à modifier une facture pour que le client obtienne un meilleur remboursement de sa mutuelle santé. Elle leur rappelle également le risque de sanctions pénales, et précise qu'elle ne peut tolérer de telles pratiques qui porteraient atteinte à la notoriété et à l'image de marque de l'enseigne.
La société Grandvision justifie également d'un courrier recommandé nominatif adressé à la société Beratti le 24 janvier 2012. Elle précise qu'elle a constaté, lors d'une visite du 13 janvier 2012, plusieurs factures ne correspondant pas au prix de vente des montures et verres, et rappelle à la société Beratti que le fait de modifier une facture constitue un délit pénal, et qu'elle ne peut tolérer ce genre de pratiques, ajoutant enfin : "je compte sur vous pour que pareil fait ne se reproduise plus dans votre magasin de Melun, et je vous demande instamment de donner des instructions précises à ce sujet à vos collaborateurs...".
Il apparaît ainsi que, depuis septembre 2011 au moins, la société Grandvision prohibe clairement le système qui vise à modifier les factures, ce que la société Beratti ne pouvait ignorer dès lors qu'elle a été destinataire d'un avertissement en ce sens en janvier 2012.
S'il apparaît - comme l'atteste l'expert-comptable de la société Beratti - que toutes les factures " Excel " ont ensuite été reprises dans le logiciel Synergie de sorte qu'il n'est justifié d'aucune dissimulation de chiffre d'affaires, il apparaît toutefois clairement que les factures créées dans le logiciel Excel avait bien pour objet de modifier la date ou la nature des produits vendus, de sorte que - hormis les quelques anticipations de facture de fin d'année par rapport à la date de livraison qui étaient conseillées par la société Grandvision et n'avaient aucun caractère illicite, rien n'interdisant de facturer un produit dès sa commande - les autres modifications de facture, et notamment celles concernant les dossiers Dollin, Douchet, Batanu, Leite Ruslana, Brayat Amale... correspondent bien à des modifications illicites qui avaient pour objet de permettre des remboursements mutuelle qui étaient normalement impossibles (périodes de carence de la mutuelle, remboursement de certains éléments seulement, application de plafonds de remboursement...).
Même si l'utilisation du fichier Excel par la société Beratti peut être qualifiée d'exceptionnelle (27 factures Excel sur une durée de 2 ans et demi pour un chiffre d'affaires de 6 000 euros environ), cette utilisation - malgré l'avertissement solennel donné par la société Grandvision le 24 janvier 2012 - dans le but de modifier une vingtaine de factures caractérise un manquement grave de la société Beratti à ses obligations contractuelles, en ce sens que son comportement risquait de mettre en difficulté le franchiseur, tant à l'égard des mutuelles concernées qu'à l'égard de ses concurrents qui pouvaient agir à son encontre en concurrence déloyale.
Ce manquement grave, ajouté à la falsification d'ordonnances médicales, justifie que la société Grandvision ait prononcé la résiliation unilatérale du contrat pour manquement grave du franchisé, celle-ci étant dès lors dispensée de suivre la procédure prévue au contrat dans le seul cas d'un manquement sans gravité particulière. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a constaté la résiliation aux torts du franchisé, et en ce qu'il a débouté la société Beratti de ses demandes reconventionnelles.
2 - Sur les conséquences de la résiliation du contrat de franchise
- Sur le préjudice matériel de la société Grandvision
Faisant partiellement droit aux demandes du franchiseur, le premier juge a fixé le préjudice subi par la société Grandvision du fait de la résiliation anticipée du contrat aux redevances que celle-ci aurait dû percevoir si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme, soit jusqu'au 23 août 2016, en prenant pour base de calcul le chiffre d'affaires moyen hors taxe des trois premières années du contrat de franchise, auquel il a appliqué le taux de redevance de 10 %. Le tribunal de commerce a donc condamné la société Beratti au paiement de la somme de 137 163,60 euros.
La société Grandvision sollicite l'infirmation du jugement déféré sur ce point, et reprend sa demande initiale en paiement d'une somme de 150 750,76 euros, soutenant que le chiffre d'affaires moyen doit s'apprécier sur les années 2007 à 2013, et non pas seulement sur les années 2011 à 2013.
La société Beratti s'oppose à la demande indemnitaire, contestant d'une part le caractère fautif de la résiliation, d'autre part le quantum de la demande, au motif qu'il n'est pas établi que son chiffre d'affaires se serait maintenu sur les deux dernières années du contrat.
La société Beratti ne fournit toutefois aucun élément économique qui permettrait de penser que son chiffre d'affaires aurait diminué si le contrat s'était poursuivi.
C'est donc à bon droit que le premier juge a tenu compte du chiffre d'affaires moyen sur les seules années 2011 à 2013 correspondant au second contrat de franchise. Il convient dès lors de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Beratti au paiement de la somme de 137 163,60 euros au titre du préjudice subi du fait de la résiliation du contrat uniquement imputable au franchisé.
- Sur le préjudice matériel du fait de redevances non versées sur un chiffre d'affaires occulte
La société Grandvision reprend ici la demande dont elle a été déboutée en première instance, visant à obtenir la réparation du préjudice subi du fait qu'une partie du chiffre d'affaires n'aurait pas été déclarée par la société Beratti (chiffre d'affaires correspondant aux factures sous fichier Excel).
Il résulte toutefois de l'attestation claire et précise de l'expert-comptable de la société Beratti, au demeurant non contestée par la société Grandvision, que toutes les factures initialement enregistrées dans le fichier Excel ont ensuite été reprises dans le logiciel Synergie, de sorte qu'il n'est pas démontré qu'un chiffre d'affaires occulte ait été réalisé.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Grandvision de sa demande à ce titre.
- Sur le préjudice moral subi par la société Grandvision
La société Grandvision reprend enfin la demande dont elle a été déboutée en première instance, visant à obtenir la réparation du préjudice moral du fait des répercussions négatives dans les partenariats avec les mutuelles, de la mauvaise image donnée par la fermeture d'un magasin et de la nécessité d'engager des frais de prospection pour trouver un nouveau partenaire.
La société Grandvision ne produit toutefois aucun élément qui permettrait de justifier du préjudice allégué, qu'il s'agisse notamment des répercussions négatives sur ses partenaires, ou des frais qu'elle aurait engagés pour trouver un nouveau partenaire.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Grandvision de sa demande à ce titre.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile :
Il est équitable d'allouer à la société Grandvision une indemnité de procédure de 5 000 euros pour la présente instance, le jugement déféré étant en outre confirmé en ce qu'il a alloué à cette société une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance.
Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Ecarte des débats les documents suivants : facture A. du 14 décembre 2009, facture Poirier du 19 décembre 2009, facture L. du 30 mars 2010, factures K. de décembre 2009, facture Herisson du 13 mai 2008, factures T. de septembre et octobre 2007, et facture L. du 7 octobre 2008, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Et y ajoutant, Condamne la société Beratti à payer à la société Grandvision France la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Beratti aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct, par application de l'article 699 du Code de procédure civile.