Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 novembre 2017, n° 15-07135

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Parfums Christian Dior (SA), Guerlain (SA), LVMH Fragrance Brands (SA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Baechlin, Antoine Lalance, Fisselier, Kanayan, Denbel

T. com. Evry, du 17 déc. 2014

17 décembre 2014

Faits et procédure

M. X est inscrit depuis le 8 novembre 1994 en qualité de commerçant au registre du commerce et des sociétés d'Evry et exerce son activité sur les marchés d'Ile-de-France où il commercialise principalement des produits cosmétiques.

Les sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain et LVMH Fragrance Brands (anciennement dénommée Parfums Givenchy), venant aux droits de la société Kenzo, sont spécialisées dans la fabrication de parfums et de produits pour la toilette.

Les trois sociétés ont adopté des systèmes de distribution sélective qui entraînent, pour les détaillants agréés, l'obligation de ne vendre les produits contractuels qu'aux consommateurs finaux ou à d'autres détaillants agréés membres des réseaux en cause. De leur côté, les fabricants s'engagent à ne pas fournir les produits revêtus de leurs marques à des entreprises de distribution qui ne font pas partie dudit réseau.

Soupçonnant M. X d'avoir mis leurs produits en vente sans y avoir été autorisé, les sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain et LVMH Fragrance Brands ont obtenu, par ordonnance du président du Tribunal de commerce de Paris du 2 mai 2012, l'autorisation de faire effectuer par un huissier de justice des opérations de constat et de séquestre au domicile de M. X à Evry. Lors de ces opérations, l'huissier de justice a constaté la présence sur place, dans la camionnette de M. X, de 592 produits revêtus des marques des intimées qui ont été placés sous séquestre. L'huissier de justice a également trouvé, dans la camionnette, une liste des tarifs des produits litigieux datée du 7 octobre 2003.

Le 1er juin 2013, deux personnes se sont présentées devant le stand de M. X à Montreuil et lui ont demandé les produits des marques des trois sociétés intimées qu'il est allé chercher au fond de sa camionnette, les opérations étant constatées par un huissier de justice. Il a déclaré avoir été contacté et livré en produits litigieux par la même personne qu'un an auparavant, dont il a refusé de livrer l'identité. Les deux personnes ont acheté 17 produits pour un montant total de 858 €.

Par assignation du 31 juillet 2012, les sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain et LVMH Fragrance Brands ont assigné M. X devant le Tribunal de commerce d'Evry.

Par jugement du 17 décembre 2014, le Tribunal de commerce d'Evry a :

- interdit sous peine d'astreinte de 2 000 euros par infraction constatée à compter du prononcé du présent jugement à M. X la commercialisation des produits de beauté et parfums Dior, Guerlain, Givenchy et Kenzo,

- condamné M. X à verser aux sociétés Parfums Christian Dior et Guerlain la somme de 150 000 euros chacune à titre de dommages et intérêts,

- condamné M. X à verser à la société SA LVMH Fragrance Brands, anciennement dénommée Parfums Givenchy et venant aux droits de la société Kenzo Parfums, la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- ordonné la destruction des produits séquestrés,

- condamné M. X à payer aux sociétés SA Parfums Christian Dior, SA Guerlain et SA LVMH Fragrance Brands, anciennement dénommée Parfums Givenchy et venant aux droits de la société Kenzo parfums, la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,

- condamné M. X aux entiers dépens,

- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 127,92 euros, dont TVA 21,32 euros.

LA COUR

Vu l'appel interjeté par M. X et ses dernières conclusions notifiées le 5 août 2017, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire et juger M. X recevable et fondé en son appel,

y faisant droit,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau,

- débouter les sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain et LVMH Fragrance Brands de l'ensemble de leurs demandes indemnitaires à l'encontre de M. X ou, à tout le moins, les réduire à une somme symbolique en relation avec les faits effectivement constatés,

en toute hypothèse,

- condamner les sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain et LVMH Fragrance à payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner les sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain et LVMH Fragrance aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par Maître Jeanne Baechlin ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 31 août 2015 par les sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain, LVMH Fragrance Brands venant aux droits de la société Kenzo Parfums, intimées, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu l'article 1382 du Code civil,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 17 décembre 2014 par le Tribunal de commerce d'Evry,

- débouter M. X de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. X à payer aux sociétés Parfums Christian Dior, LVMH Fragrance Brands et Guerlain la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais engagés en cause d'appel,

- condamner M. X aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP AFG conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE

Sur les actes de concurrence déloyale et de parasitisme

M. X soutient n'avoir acquis les produits litigieux qu'à deux reprises et dans des quantités très limitées. Il rappelle que les deux opérations de constat ont entrainé la mise sous séquestre de l'intégralité des produits litigieux, soit 592 produits, et ont révélé la réalisation d'un bénéfice de 858 euros, suite à la vente de 17 produits litigieux. Ainsi, soutient-il que de telles quantités et constatations permettent de contredire le grief qui lui est fait de mise en place d'un réseau de distribution parallèle. Il prétend également qu'une liste de tarifs trouvée dans sa camionnette, datée de 2003, ne peut suffire à démontrer la continuité des pratiques reprochées, dès lors que rien ne permet de démontrer qu'elle a été remise à M. X à cette date et qu'elle puisse être rapprochée de faits objectifs effectivement commis en des temps non prescrits.

Les sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain, et LVMH Fragrance Brands soutiennent que les opérations de constat réalisées le 11 mai 2012 ont établi que M. X a mis en place un commerce illicite de distribution des produits de leurs marques, ces derniers ayant été découverts en grand nombre (1 000) dans sa fourgonnette immatriculée [xxx] et dans sa résidence. Les sociétés intimées affirment qu'au regard de la quantité découverte, lesdits parfums n'étaient pas destinés à la consommation personnelle de M. X. De plus, elles soutiennent que le second constat du 1er juin 2013 apporte la preuve que M. X persiste à vendre leurs produits, en dépit de l'assignation qui lui a été délivrée par elles et que ses stocks ont été reconstitués afin de faire face à la demande des chalands. Eu égard au volume des produits en stock et de leur tarif d'achat et de vente, les sociétés intimées en concluent à l'existence d'un commerce organisé, régulier et de grande ampleur. Enfin, les sociétés intimées estiment que la lecture du tableau des tarifs des produits litigieux révèle qu'il s'agit d'un listing de références de produits, par marque, avec les prix d'achat hors taxe et prix de revente toutes taxes comprises correspondants et que seuls les prix sont référencés. Par conséquent, elles demandent à la cour de constater la mise en place d'un commerce illicite ancien, régulier et à grande échelle par M. X, ayant persisté postérieurement à l'introduction de l'instance devant le tribunal de commerce.

Il résulte des pièces versées aux débats que M. X a mis en vente des produits des marques des sociétés intimées, essentiellement des flacons testeurs sur lesquels figurait la mention " not for sale " (" ne peut être vendu "), sans avoir la qualité de distributeur agréé et sans pouvoir justifier de son approvisionnement régulier, M. X ayant déclaré s'être vu proposer les flacons par un ancien professionnel de la parfumerie et l'avoir réglé en liquide, sans garder la trace de ces transactions.

La mise en vente des produits des marques concernées obtenus par un tel canal et commercialisés dans des conditions portant atteinte à leur image de marque, dans un étal de marché ou dans une camionnette, en dehors d'un point de vente agréé, est constitutive de concurrence déloyale et de parasitisme, M. X étant clairement conscient du caractère illicite de cette activité, et s'étant affranchi des contraintes pesant sur les membres du réseau de distribution sélective, dont l'étanchéité était préservée à grands frais par les trois sociétés intimées. Celles-ci soutiennent par ailleurs à juste titre que les conditions de vente pratiquées par M. X ne garantissaient pas la bonne conservation et l'intégrité des produits, faisant courir un risque aux consommateurs.

Il est par ailleurs sans conséquence sur la qualification de la pratique, que les sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain et LVMH Fragrance Brands ne démontrent pas que les produits litigieux offerts à la vente portaient bien la mention " ne peut être vendu que par des distributeurs agréés " et qu'il ne puisse être également imputé à M. X l'usurpation de la qualité de distributeur agréé, les conditions de vente sur un étal de marché ou au fond d'une camionnette pouvant au surplus difficilement induire une telle qualité dans l'esprit des consommateurs.

Sur la réparation des préjudices

Si les sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain et LVMH Fragrance Brands considèrent que la vente des produits par M. X n'ayant pas la qualité de distributeur agréé constitue un trouble illicite, justifiant le prononcé d'une astreinte de 2 000 euros afin de faire cesser la commercialisation desdits produits, la cour relève qu'aucune preuve de la continuation ou de la réitération des pratiques litigieuses n'est versée aux débats. Il n'y a donc pas lieu de prononcer cette astreinte.

Les sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain et LVMH Fragrance Brands estiment être victimes d'un préjudice tenant dans la désorganisation du réseau de distribution et dans l'atteinte à l'image de marque de leurs produits de luxe. Les sociétés intimées soutiennent que les agissements en cause les ont contraintes à engager des frais importants pour lutter contre ce type de trafic. Ainsi sollicitent elles, en réparation du préjudice subi, la confirmation des montants des sommes allouées par le tribunal et que M. X soit condamné à leur payer une somme de 150 000 euros chacune et à la société LVMH Fragrance Brands une somme de 200 000 euros. Elles s'opposent à la demande subsidiaire de M. X tendant à la réduction de leurs prétentions indemnitaires en raison du caractère modeste des faits reprochés et des ventes litigieuses effectuées sur une courte période, puisqu'en aucune façon le commerce mis en place par ce dernier n'est empreint de ces caractères. Par conséquent, les sociétés intimées sollicitent la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.

M. X estime que sa condamnation par le Tribunal de commerce d'Evry au paiement d'une somme globale de 515 000 euros en réparation des préjudices subis est disproportionnée, compte tenu, d'une part, de l'absence de justification des montants sollicités et, d'autre part, de l'ampleur limitée des actes de concurrence déloyale lui étant reprochés. Enfin, l'appelant soutient que le stock représente seulement un total de 592 produits, soit la majeure partie des produits que les sociétés intimées reprochent à M. X d'avoir commercialisés. Or, ces produits ont été placés sous scellés et n'ont donc pas été offerts à la vente, ce qui réduit le préjudice subi par les intimées. Il prétend également que les faits qui lui sont reprochés ne peuvent justifier l'allocation de la somme de 500 000 euros en réparation, les produits commercialisés en quantités réduites étant des testeurs sans valeur marchande. La condamnation prononcée par le tribunal constituerait, selon lui, un enrichissement sans cause. Enfin, il précise qu'il lui est impossible de verser une telle somme, au regard de son bénéfice annuel moyen de 20 800 euros. En conséquence, M. X n'entend pas se décharger de ses responsabilités, mais sollicite l'infirmation du jugement entrepris sur le quantum des dommages intérêts alloués aux intimées et son ajustement à de plus justes proportions, soit à l'euro symbolique.

La présentation des produits par M. X est manifestement dévalorisante, les produits étant stockés au fond de sa camionnette ou vendus sur les marchés, et porte atteinte à l'image de ces produits en les banalisant auprès de la clientèle.

Toutefois le volume de ventes que M. X a réalisées par rapport aux ventes opérées par les trois fabricants intimés n'est pas connu, celui-ci s'abstenant de verser aux débats le moindre élément permettant de déterminer la quantité des produits incriminés effectivement vendus et de corroborer ses affirmations selon lesquelles il ne se livrait que ponctuellement à de telles ventes.

Si les sociétés intimées ne peuvent se prévaloir de la seule découverte, dans la camionnette de M. X, d'un tarif de 2003, pour en déduire la continuité des pratiques litigieuses de 2003 à 2012, les deux constats versés aux débats permettent toutefois de déduire qu'il s'agissait de pratiques habituelles et réitérées en dépit de l'assignation des trois sociétés concernées. Par ailleurs, les trois sociétés justifient mener une lutte permanente et à grands frais contre les ventes parallèles de parfums.

M. X, qui sollicite la réduction du montant des dommages et intérêts alloués par le tribunal, ne saurait se retrancher derrière la faiblesse de ses bénéfices industriels et commerciaux déclarés, puisque le commerce illicite de ces produits de luxe s'est effectué sans factures d'achat ou de vente.

Au vu de ces éléments, la cour dispose des éléments suffisants pour condamner M. X à payer à chacune des sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain et LVMH Fragrance Brands la somme de 80 000 euros. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur le quantum des dommages intérêts alloués.

En l'absence de preuves de la continuité des pratiques, il n'y a plus lieu d'interdire sous astreinte la commercialisation des produits en cause.

Il y a lieu par ailleurs d'ordonner la destruction des produits séquestrés, demandée par les sociétés intimées.

Sur les dépens et frais irrépétibles

M. X succombant, il supportera les dépens de l'instance d'appel et sera condamné à payer à chacune des sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain et LVMH Fragrance Brands la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement entrepris, excepté sur l'injonction assortie d'astreinte et le quantum des dommages intérêts alloués aux trois sociétés intimées, l'infirme sur ces points, et, statuant à nouveau, dit n'y avoir plus lieu d'interdire, sous astreinte de 2 000 euros par infraction constatée à compter du prononcé du présent arrêt, à M. X, la commercialisation des produits de beauté et parfums Dior, Guerlain, Givenchy et Kenzo, condamne M. X à verser à chacune des sociétés LVMH Fragrance Brands, (anciennement dénommée Parfums Givenchy et venant aux droits de la société Kenzo Parfums), Parfums Christian Dior et Guerlain la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts, ordonne la destruction des produits séquestrés, condamne M. X aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, condamne M. X à verser à chacune des sociétés LVMH Fragrance Brands, (anciennement dénommée Parfums Givenchy et venant aux droits de la société Kenzo Parfums), Parfums Christian Dior et Guerlain la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.