CE, 9e et 10e ch. réunies, 7 juin 2017, n° 386627
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Le Muselet Valentin (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
M. de Sainte Lorette
Rapporteur public :
Mme Bokdam-Tognetti
Avocats :
SCP Odent, Poulet
LE CONSEIL : - La société Le Muselet Valentin a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 383 604 euros ainsi que la somme de 276 920 euros par an à compter du mois de juin 2010 en réparation des préjudices résultant de la méconnaissance par l'Etat du droit de l'Union européenne relatif aux aides d'Etat. Par un jugement n° 1101225 du 20 juin 2013, le tribunal a rejeté cette demande. Par un arrêt n° 13NC01728 du 30 octobre 2014, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Le Muselet Valentin contre ce jugement. Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 décembre 2014 et 26 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Le Muselet Valentin demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler cet arrêt ; 2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. - Vu les autres pièces du dossier ; - Vu : - le traité instituant la Communauté européenne ; - le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; - le règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 ; - le règlement (CE) n° 784/2004 de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en œuvre du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil ; - le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ; - le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes en service extraordinaire, - les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ; La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Odent, Poulet, avocat de la société Le Muselet Valentin ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Le Muselet Valentin a bénéficié, au titre des exercices clos en 1998, 1999 et 2000, de l'exonération temporaire d'impôt sur les sociétés prévue par les dispositions de l'article 44 septies du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur, à raison de la reprise de la société Valentin, placée en redressement judiciaire. Par une décision n° 2004/343/CE du 16 décembre 2003, la Commission européenne a déclaré que ces dispositions constituaient une aide d'Etat méconnaissant le droit de l'Union européenne et prescrit la récupération sans délai des sommes indûment versées par l'administration française. Par un arrêt du 13 novembre 2008 (C-214/07, Commission c/ France), la Cour de justice des communautés européennes a jugé qu'en n'exécutant pas la décision de récupération dans le délai imparti, la France avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 5 de cette décision. Un titre de perception a été émis le 27 novembre 2009 à l'encontre de la société Le Muselet Valentin par la trésorerie générale de la Marne pour le paiement d'une somme de 1 384 604 euros correspondant au montant des aides déclarées incompatibles avec le régime des aides d'Etat dont elle avait bénéficié, assortie d'intérêts à hauteur de 462 156 euros. La société Le Muselet Valentin se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 octobre 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté son appel dirigé contre le jugement du 20 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices résultant de la méconnaissance du droit de l'Union relatif aux aides d'Etat.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Dès lors qu'elle a rejeté comme irrecevables les conclusions de la société requérante tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice découlant de l'illégalité du titre de perception du 27 novembre 2009 au motif que ces conclusions avaient le même objet qu'une contestation de la validité de ce titre exécutoire devenu définitif, la cour n'était pas tenue de répondre au moyen tiré de ce que la récupération des aides dont la société a bénéficié au titre des exercices 1998 et 1999 était atteinte par la prescription de dix ans prévue par l'article 15 du règlement n° 659/1999 du 22 mars 1999.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
3. En premier lieu, si la cour a chiffré le montant des conclusions indemnitaires présentées par la société Le Muselet Valentin au montant total des exonérations d'impôt sur les sociétés dont elle a bénéficié au titres des exercices 1998, 1999 et 2000, alors que les sommes dont le paiement lui a été réclamé correspondent aux seules exonérations déclarées incompatibles avec le droit de l'Union, assorties des intérêts communautaires, cette mauvaise interprétation des écritures est sans incidence sur le bien-fondé du rejet par la cour de ses conclusions.
4. En deuxième lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir rejeté comme irrecevables les conclusions de la société Le Muselet Valentin tendant à la réparation de la faute commise par l'Etat à raison de l'illégalité du titre de perception du 27 novembre 2009, la cour a rejeté comme non fondées les conclusions tendant à la réparation, d'une part, de la faute commise par l'Etat à raison de la méconnaissance du droit de l'Union prohibant les aides d'Etat, d'autre part, de la faute commise par l'administration fiscale à raison du retard pris dans la récupération des sommes correspondant aux aides d'Etat déclarées incompatibles. En rappelant qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'une décision de la Commission européenne demandant à un Etat membre le recouvrement d'une aide déclarée incompatible avec les dispositions du droit de l'Union européenne prohibant les aides d'Etat s'impose aux autorités comme aux juridictions nationales lorsque sa validité n'a pas été contestée dans le délai devant les juridictions de l'Union européenne par le bénéficiaire de l'aide, la cour a pu, sans erreur de droit ni erreur de qualification juridique, en déduire que la somme devant être acquittée par la société requérante correspondant au montant de l'aide accordée, qui résultait uniquement de la décision de la Commission 2004/343/CE en date du 16 décembre 2003 par laquelle cet avantage fiscal a été déclaré incompatible avec le régime des aides d'Etat, ne peut constituer un préjudice indemnisable dès lors que l'Etat est tenu de procéder à la récupération de l'aide en mettant à la charge du bénéficiaire une somme correspondant au montant de l'exonération d'impôt illégalement accordée. La cour n'a pas d'avantage commis d'erreur de droit, et a exactement qualifié les faits dont elle était saisie, en jugeant que l'obligation de payer les intérêts communautaires résultait de l'application par l'Etat français de la décision du 16 décembre 2003 précitée et du règlement de la Commission n° 794/2004 du 21 avril 2004, et qu'elle ne saurait engager la responsabilité de l'Etat, dès lors que ces intérêts communautaires avaient pour seul objet de garantir l'effet utile du régime des aides d'Etat en compensant l'avantage financier et concurrentiel procuré par l'aide illégale entre l'octroi de celle-ci et sa récupération, y compris en cas de retard de l'Etat à la récupérer. Par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier s'agissant du lien de causalité entre la faute alléguée de l'Etat et le préjudice subi.
5. En troisième lieu, c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation des pièces du dossier que la cour a, d'une part, jugé que la société requérante n'apportait aucun élément de nature à justifier de la réalité et de l'étendue du préjudice complémentaire dont elle demandait réparation, relatif à la disparition de ses capacités d'autofinancement causée par le paiement des sommes récupérées et, d'autre part, refusé en conséquence de désigner un expert.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la société Le Muselet Valentin doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le pourvoi de la société Le Muselet Valentin est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Le Muselet Valentin et au ministre de l'action et des comptes publics.