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Décisions

Cass. soc., 6 décembre 2017, n° 16-21.870

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Bellion (Epoux)

Défendeur :

Total marketing France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Goasguen

Rapporteur :

Mme Aubert-Monpeyssen

Avocat général :

Mme Rémery

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, SCP Piwnica, Molinié

Nancy, ch. soc., du 29 août 2012

29 août 2012

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Soc. 5 mars 2014, n° 12-27.050), que par contrat du 1er décembre 1983, la société Total raffinage distribution, aux droits de laquelle vient la société Total raffinage marketing, a confié l'exploitation d'une station-service à la société Bellion ; que cette dernière a mis fin au contrat le 1er mars 1985 ; que, le 13 décembre 2004, M. et Mme Bellion cogérants de cette société, ont saisi la juridiction prud'homale ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal des co-gérants : - Attendu que les époux Bellion font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes formées au titre de l'exposition au benzène doublée d'un défaut de suivi médical, alors, selon le moyen : 1°) qu'il appartient à l'employeur, débiteur d'une obligation de sécurité de résultat, de prendre toutes les mesures mises à sa charge par la réglementation applicable pour assurer la protection de la santé des travailleurs et la prévention des risques et, en cas de contestation, de démontrer qu'il s'est acquitté de cette obligation ; qu'il incombe, dans ces conditions, à l'entreprise propriétaire d'installations classées de distribution d'hydrocarbures de démontrer avoir pris l'ensemble des mesures prescrites par la réglementation applicable à effet de protéger les travailleurs et des usagers des risques inhérents à son activité ; que cette preuve ne peut résulter de ses seules allégations ; qu'en déboutant les époux Bellion de leur demande de dommages et intérêts pour exposition au benzène, motif pris que la société Total fait valoir que la station-service exploitée par la société Bellion était équipée de dispositifs de récupération des vapeurs d'hydrocarbures, assertion non combattue par les époux Bellion, la cour d'appel a violé les articles 43 de la convention collective des industries du pétrole du 31 mars 1953 et 28 de l'accord cadre du 17 mars 1975, ensemble l'article 1315, recodifié 1353 du Code civil ; 2°) que les termes du litige sont fixés par les conclusions des parties oralement reprises ; qu'en l'espèce, il ressort des conclusions oralement reprises des époux Bellion au soutien de leur demande de dommages et intérêts en raison de leur exposition pendant l'exploitation de la station-service aux hydrocarbures manipulés dans ce lieu dangereux et cancérigènes, que la société Total, qui a voulu ignorer la personne de M. et Mme Bellion, n'a respecté aucune des mesures prévues pour surveiller et protéger la santé de ses travailleurs ; qu'ils énuméraient ensuite les divers impératifs de protection existant en droit interne et notamment, ceux prescrits par la chambre de commerce et d'industrie de Paris, imposant pour limiter les émissions de vapeurs de benzène, la mise en place obligatoire de dispositifs de récupération des vapeurs d'hydrocarbure pour les opérations de remplissage des cuves [et] à la pompe, sur les pistolets de distribution de carburants ; qu'ils concluaient être bien fondés à demander une indemnité pour avoir été exposés sans surveillance médicale à des produits dangereux, les hydrocarbures contenant des substances cancérigènes ; qu'aux termes de ces écritures, les époux Bellion contestaient expressément que la société Total ait pris les mesures de protection décrites et, notamment, la mise en place de dispositifs obligatoires d'extraction des vapeurs de benzène, mentionnée au nombre des mesures n'ayant pas été respectées ; qu'en retenant, pour conclure qu'ils ne démontraient pas avoir été exposés au benzène et les débouter, en conséquence, de leur demande de dommages et intérêts à ce titre, que la société Total fait valoir que la station-service exploitée par la société Bellion était équipée de dispositifs de récupération des vapeurs d'hydrocarbures, assertion non combattue par les époux Bellion, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, violant ainsi l'article 4 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant, d'une part retenu, sans dénaturation, que la société Total faisait valoir, par une assertion non combattue par les époux Bellion, que la station-service était équipée de dispositifs de récupération des vapeurs d'hydrocarbures, et d'autre part relevé, que les co-gérants ne démontraient pas qu'ils auraient été exposés à un agent nocif, et ne se prévalaient d'aucun autre préjudice particulier consécutif à la carence de la société Total dans l'organisation d'un suivi médical à leur bénéfice pendant une durée de dix-sept mois seulement, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens du pourvoi principal des co-gérants : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de l'employeur : - Vu les articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail, ensemble l'article L. 311-3 du Code de la sécurité sociale, l'article 3 de l'accord Arrco du 8 décembre 1961 et l'article 4 de la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 ; - Attendu que pour condamner la société Total à procéder à l'affiliation rétroactive de chacun des époux Bellion au régime de retraite complémentaire appliqué dans l'entreprise pendant la période du 2 décembre 1983 au 25 juin 1985, pour toute la durée de la période, l'arrêt retient que les intéressés font à bon droit valoir qu'ils auraient notamment dû être bénéficiaires d'un régime de retraite complémentaire dont le principe a été généralisé à tout salarié par la loi n° 72-123 du 29 décembre 1972, la société Total ayant manqué à ses obligations d'employeur en vertu des dispositions de l'article L. 781-1 2° du Code du travail et ne pouvant donc valablement se prévaloir de la demande tardive des appelants à ce titre, à l'issue d'une procédure commerciale qui a duré quinze années, dans la mesure où il n'est pas allégué ni démontré que cette demande serait prescrite ;

Qu'en se déterminant ainsi, alors que les gérants de succursale, qui bénéficient des dispositions du Code du travail visant les apprentis, ouvriers, employés, ne sont pas des salariés, la cour d'appel qui n'a pas vérifié si les intéressés remplissaient effectivement les conditions de l'affiliation aux régimes de retraite complémentaire Agirc et Arrco, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Total à procéder à l'affiliation rétroactive de chacun des époux Bellion au régime de retraite complémentaire appliqué dans l'entreprise pendant la période du 2 décembre 1983 au 25 juin 1985, pour toute la durée de cette période, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter du 60e jour suivant la signification du présent arrêt, et ce pendant une durée de 100 jours, l'arrêt rendu le 15 juin 2016, entre les parties, par la Cour d'appel de Metz ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Colmar.