CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 14 décembre 2017, n° 15-22285
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ecole Supérieure d'Informatique et de Commerce (SARL)
Défendeur :
Institut Gustave Roussy (Association)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Poinseaux
Conseillers :
Mmes Hecq-Cauquil, Chesnot
Avocats :
Mes Elbaz-Grauzam, Elbaz, Gonçalves
Vu l'appel interjeté le 3 novembre 2015, par la SARL Ecole supérieure d'informatique et de commerce (ci-après ESIC) d'un jugement en date du 12 octobre 2015, par lequel le Tribunal de grande instance de Créteil a principalement, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- Débouté la société ESIC de ses demandes,
- déclaré la société ESIC entièrement responsable des dommages causés à l'association IGR,
- condamné en conséquence la société ESIC à payer à l'association Institut Gustave Roussy (IGR) la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamné la société ESIC à payer à l'association IGR la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société ESIC aux dépens ;
Vu les dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 12 janvier 2016 aux termes desquelles la société ESIC demande à la cour, au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil, et L. 442-6 du Code de commerce, d'infirmer le jugement et de :
- Dire que la société ESIC et l'IGR avaient des relations commerciales établies depuis 15 ans et que l'IGR les a brutalement rompues,
- condamner l'IGR à payer à la société ESIC la somme de 105 000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal et anatocisme à compter du jour de la mise en demeure du 11 février 2013, du fait de la rupture brutale sans préavis de leurs relations commerciales, correspondant à la marge brute escomptée sur 18 mois,
- le condamner à lui payer la somme de 36 000 euros, avec intérêts au taux légal et anatocisme à compter de la même date correspondant à la réduction effectuée par ESIC sur la création de l'e-learning,
- condamner l'IGR à payer à la société ESIC la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral du fait de son manque de loyauté et de son comportement vexatoire, avec intérêts au taux légal et anatocisme à compter du jour de la mise en demeure du 11 février 2013,
- condamner l'IGR à payer à la société ESIC la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et ainsi qu'au paiement des dépens ;
Vu les dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 8 mars 2016, par l'Institut Gustave Roussy ci-après IGR tendant à voir pour l'essentiel confirmer le jugement déféré et à titre subsidiaire,
- fixer le montant des dommages et intérêts par la société ESIC à la somme de 52 500 euros, en tout état de cause,
- condamner la société ESIC à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens ;
Sur ce, LA COUR :
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il convient de rappeler que :
* L'IGR a eu recours aux prestations de formation en bureautique proposées par la société ESIC ;
* en 2012, cinq conventions de formation du personnel d'une durée variant entre une journée et un an ont été signées entre l'association IGR et la société ESIC ;
* le 14 décembre 2012, l'association IGR a informé la société ESIC de son intention de ne pas engager de nouvelles formations avec celle-ci pour l'année 2013 ;
* par acte d'huissier en date du 23 avril 2013, la société ESIC a fait assigner l'association IGR devant le Tribunal de grande instance de Créteil, aux fins d'obtenir réparation du préjudice résultant de la rupture des relations commerciales ;
* le 12 octobre 2015 est intervenu le jugement dont appel ;
L'ESIC fait essentiellement valoir que l'IGR entretenait des relations d'affaires stables depuis 1997 avec son prédécesseur l'institut Point Com et à compter de 2003 avec elle-même, les formations et bureautique de l'IGR lui étant par ailleurs toutes confiées exclusivement.
Elle ajoute que la rupture des relations a été faite sans préavis par lettre du 14 décembre 2012 lors du changement, au sein de l'IGR, des équipes chargées de la formation et que seules ont été dispensées jusqu'au 31 mai 2013 les formations déjà commandées.
Elle précise n'avoir commis aucun manquement qui lui serait directement imputable comme le lui reproche l'IGR et qui en tout état de cause ne justifierait pas une rupture des relations commerciales sans préavis.
L'IGR répond avoir fait appel à d'autres prestataires de service pour la formation de son personnel, la société ESIC n'ayant aucune exclusivité en la matière. Il conteste la signature de tout accord cadre, garantie de chiffre d'affaires ou exclusivité.
Il ajoute avoir eu à déplorer de graves manquements contractuels de la part de la société ESIC dans l'exécution des cinq conventions signées de juin à novembre 2012, engendrant une perte totale de confiance et lui faisant courir un risque social important.
Sur l'existence de relations commerciales établies :
L'article L. 442-6 du Code de commerce énonce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
1° (...)
5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...).
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure (...). "
Le jugement déféré a parfaitement retenu qu'il résulte des conventions signées entre la société ESIC et l'association IGR en date des 26 janvier 2012, 14 juin 2012, 16 octobre 2012, 24 octobre 2012 et 27 novembre 2012 que durant l'année 2012, les relations commerciales entre les parties étaient constantes et régulières et des attestations des 14 et 15 mars 2013 de Mme Esther Flamant, chargée des formations bureautiques et informatiques au sein de l'association IGR de 1988 à 2012, et de Mme Marie-Claude Mernet-Ghelfi, responsable du service formation à l'IGR de 1982 à 2006, ainsi que de l'échange de courriers entre les parties et particulièrement de la lettre du 5 février 2013 adressée à Mr Robert Strauser, gérant de la société ESIC, par M. Philippe Bourassin, directeur des ressources humaines au sein de l'association IGR, que la collaboration entre la société ESIC et l'association IGR est ancienne, de sorte que les échanges intervenus entre les parties ne se limitent pas à de simples relations ponctuelles, qu'ils s'inscrivent dans la durée et qu'ils sont réguliers, quand bien même ils ne présentent pas un caractère exclusif et permanent, élément qui n'est pas exigé par l'article L. 442-6 5° du Code de commerce pour caractériser la notion de relations commerciales établies.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a retenu l'existence de relations commerciales établies entre la société ESIC et l'association IGR.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies :
L'article précité autorise la résiliation brutale d'une relation commerciale établie en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Dans le cas contraire, la rupture ouvre droit à indemnisation.
En l'espèce, l'association IGR a informé la société ESIC de son intention de ne pas engager de nouvelles formations avec celle-ci pour l'année 2013 par un courrier du 14 décembre 2012, alors que la dernière prestation avait été effectuée le 27 novembre 2012 et concernait une journée supplémentaire ajoutée à un stage d'e-Learning migration Word Excel et PowerPoint suivant avenant du même jour à la suite de difficultés rencontrées dans la mise en place de cette formation.
Pour justifier cette cessation des relations contractuelles, l'IGR fait état dans son courrier du 14 décembre 2012 de manques de respect des engagements contractuels, principalement des dates limites de livraison des modules et de leurs mises en ligne, et la fermeture de la plate-forme d'e-learning le 11 décembre alors que la convention précisait une ouverture jusqu'au 30 mai 2013.
L'institut reproche en outre à la société ESIC le plagiat des supports pédagogiques livrés qui seraient en fait ceux d'une autre société de formation, la société ENI.
Elle indique que néanmoins la convention d'e-learning en cours s'achèvera comme prévu le 30 mai 2013.
La société ESIC répond qu'elle n'a pas ménagé ses efforts et son temps pour permettre de livrer une prestation conforme et dans les temps à l'IGR alors que les délais étaient très courts et qu'en tout état de cause, le pur respect des " dead-lines " indiquées par l'IGR ne portait pas à conséquence, étant donné que les migrations des postes informatiques se sont effectuées courant 2013. Elle réfute le fait que l'IGR ait dû faire appel à un consultant extérieur pour résoudre les problèmes.
Elle précise que la fermeture de la plate-forme a été une conséquence de l'annonce verbale de la rupture des relations commerciales le 11 décembre et ne peut dès lors en être la cause.
La société ESIC affirme que, quand bien même elle n'avait pas l'autorisation de la société ENI pour l'utilisation de ses supports, le risque d'une poursuite judiciaire ne pesait que sur elle-même et non sur l'IGR.
L'échange de mails entre le pôle développement professionnel de l'IGR et la société ESIC témoigne que la conception et la mise en place des modules " e-learning migration Word, Excel, Powerpoint et Windows 7 " a été laborieuse et a mobilisé à compter du 26 novembre 2012 trois personnes de l'équipe des ressources humaines de l'IGR à plein temps pour relire et lister les nombreuses corrections à apporter.
Il ressort des éléments produits que le module d'e-learning devait être livré aux salariés de l'IGR à l'origine le 26 novembre 2012, date repoussée au 3 décembre 2012 et que selon la teneur d'un mail adressé le 4 décembre à 13h24 par Aline Bailly de l'IGR à Michelle Elbaz de la société ESIC, à cette date, un module de test Excel n'existait toujours pas, des modules PPT étaient inaccessibles, certaines demandes de modifications n'avaient pas été prises en compte et il existait des problèmes de rembobinage sur les modules Word. Ces modules n'ont été livrés que les 7 et 10 décembre 2012. Les délais de livraisons n'ont dès lors aucunement été respectés.
Dans un mail de réponse du 11 décembre 2012, Mme Elbaz a écrit : " Entre temps - faute de clarification sur notre rôle et l'impact financier dans la maintenance des systèmes - j'ai demandé à Frédéric de suspendre à partir de 13 heures l'accès au E-Learning ".
Cette manœuvre d'intimidation survenue 3 jours avant la lettre de rupture précitée constitue une faute supplémentaire, alors que dans un mail du 10 décembre, Aline Bailly faisait état de la prise en compte de ses doléances et de la nécessité d'un suivi jusqu'au 31 mai 2013 en concluant " nous devrions faire la route ensemble sans encombre, j'en suis certaine ".
La circonstance que la société ESIC soit un partenaire privilégié des éditions ENI et bénéficie de la part de cette dernière de conditions commerciales particulières ne l'autorise pas à diffuser à l'IGR des supports réalisés par ENI sans justifier de son autorisation et encore moins en y effaçant son logo de sorte que l'IGR était légitime à réclamer de manière impérative l'autorisation d'ENI de diffusion de ces supports dans l'IGR de mille deux cents exemplaires papier et d'une version électronique sur son intranet. Cette diffusion sans autorisation est fautive et pouvait effectivement engendrer des poursuites pénales à l'encontre de l'IGR.
Le jugement déféré a dès lors justement retenu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société ESIC n'a pas respecté les engagements contractuels qui lui étaient imposés en vertu des conventions de formation signées avec l'association IGR et que ces manquements, qui caractérisent une inexécution contractuelle au sens de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, ont justifié la rupture des relations commerciales établies entre les parties, dans des conditions excluant un préavis de sorte que la brutalité de la rupture des relations entre la société ESIC et l'association IGR n'a pas un caractère fautif.
Sur la demande reconventionnelle :
L'Institut Gustave Roussy fait valoir qu'il a dû, dans l'urgence, gérer la situation des salariés privés de l'accès au e-learning du fait du comportement totalement irresponsable de la société ESIC et d'un chantage pour obtenir, sous la contrainte, la signature de contrats, altérant encore davantage le lien de confiance qui doit exister entre un client et son prestataire.
Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a accordé à l'IGR une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi, après avoir relevé que les manquements de l'ESIC ont engendré une surcharge de travail pour certains de ses salariés, obligés de palier la carence de l'ESIC dans la relecture des supports livrés et la détection des corrections indispensable au bon fonctionnement de l'ensemble.
Sur les autres demandes :
Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'IGR la totalité de frais irrépétibles engagés pour la procédure d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Créteil le 12 octobre 2015 ; Y ajoutant, Condamne la société ESIC à payer à l'Institut Gustave Roussy la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens de l'appel.