CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 6 décembre 2017, n° 15-00644
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
ITM Alimentaire International (Sasu)
Défendeur :
Carrefour Hypermarchés (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Boccon Gibod, André, Guerre, Moreau-Margotin
Faits et procédure
Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 28 novembre 2014 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :
- condamné la société ITM alimentaire international, venant aux droits de la société ITM marketing alimentaire, à payer à la société Carrefour hypermarchés :
* la somme de 300 000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de la diffusion des publicités incriminées qui constituent des actes de concurrence déloyale,
* la somme de 30 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
- condamné la société ITM alimentaire international, venant aux droits de la société ITM marketing alimentaire aux dépens ;
Vu l'appel relevé par la société ITM alimentaire international, venant aux droits de la société ITM marketing alimentaire, et ses dernières conclusions notifiées le 9 octobre 2017 par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles L. 121-2 et suivants, L. 122-1 et L. 122-2 du Code de la consommation, de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Carrefour hypermarchés de ses demandes de publication et d'affichage,
- le réformant pour le surplus et statuant à nouveau :
- constater que la DGCCRF, consultée en qualité d'amicus curiae n'a pas respecté les principes directeurs du procès en se livrant à une enquête de concurrence qui ne lui était pas demandée et, en conséquence, rejeter son enquête,
- écarter les conclusions en réplique des 11 avril et 20 juin 2014 de la société Carrefour hypermarchés qui se réfèrent à ce rapport d'enquête,
- débouter la société Carrefour hypermarchés de l'intégralité de ses demandes,
- la condamner aux dépens et lui payer la somme de 15 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 16 octobre 2017 par la société Carrefour hypermarchés qui demande à la cour, au visa des article L. 121-2, L. 121-3, L. 122-1 et L. 122-2, 2° du Code de la consommation (anciennement L. 121-1, L. 121-8 et L. 121-9, 2° du Code de la consommation), de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
* jugé que les publicités incriminées constituaient des actes de concurrence déloyale à son détriment,
* condamné la société ITM alimentaire international à réparer le préjudice par elle subi,
* débouté la société ITM alimentaire international de l'ensemble de ses demandes,
* condamné la société ITM alimentaire international aux dépens et à lui payer la somme de 30 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- le réformant pour le surplus :
- condamner la société ITM alimentaire international à lui payer la somme de 500 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du caractère illicite des publicités incriminées,
- autoriser la société Carrefour hypermarchés à faire publier l'arrêt à intervenir dans cinq journaux de son choix et aux frais avancés par la société ITM alimentaire international,
- ordonner à la société ITM alimentaire international d'afficher sur son site accessible à l'adresse http://www.intermarche.com l'arrêt à intervenir pendant une durée d'un mois, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt,
- ordonner à la société ITM alimentaire international d'afficher l'arrêt à intervenir sur les portes de tous les magasins à enseigne " Intermarché " et " Ecomarché " pendant une durée d'un mois, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- se réserver la liquidation des astreintes ordonnées,
- en tout état de cause, débouter la société ITM alimentaire international de toutes ses demandes, la condamner à lui payer la somme de 30 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamner aux dépens de première instance et d'appel ;
SUR CE
Le 23 juillet 2012, la société Carrefour hypermarchés a fait assigner la société ITM marketing alimentaire, aux droits de laquelle se trouve maintenant la société ITM alimentaire international, devant le Tribunal de commerce de Paris, lui reprochant la diffusion de deux publicités comparatives en avril et mai 2012 :
- l'une avec le slogan " Intermarché moins cher sur vos produits de grandes marques " puis le slogan " Intermarché s'engage sur les prix ", portant sur la comparaison du prix du jambon de marques distributeurs Carrefour et Intermarché, publicité diffusée à la télévision et sur le site internet d'Intermarché,
- l'autre avec le slogan " Votre fidélité rapporte plus chez Intermarché " ayant pour objet de comparer la carte de fidélité d'Intermarché avec la carte de fidélité Carrefour, publicité ayant fait l'objet de dépliants et d'un mailing.
Par jugement avant dire droit du 31 janvier 2014, le tribunal a demandé l'avis de la DGCCRF sur le slogan " Intermarché moins cher sur vos produits de grandes marques " par rapport aux dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-8 du Code de la consommation, désormais L. 121-2 et L. 122-1 du Code de la consommation.
Puis, par le jugement déféré, refusant d'écarter le rapport d'enquête que la DGCCRF lui avait adressé le 28 mars 2014, le tribunal a retenu que les publicités incriminées constituaient des actes de concurrence déloyale, condamné la société ITM alimentaire international au paiement de la somme de 300 000 euros à titre de dommages-intérêts, et débouté la société Carrefour hypermarchés de ses demandes de publication et d'affichage de la décision.
La société ITM alimentaire international, ci-après ITM, demande en premier lieu à voir rejeter l'enquête de la DGCCRF ainsi que ses annexes et à voir écarter les conclusions prises devant le tribunal par la société Carrefour hypermarchés, ci-après Carrefour, les 11 avril et 20 juin 2014 en ce qu'elles reprennent des griefs nouveaux développés par la DGCCRF ; elle fait d'abord valoir que la DGCCRF s'est prévalue de ses pouvoirs d'enquête prévus à l'article L. 450-3 du Code de commerce destinés à constater les infractions en matière de pratiques commerciales trompeuses et de publicité - ce qu'elle ne pouvait pas faire pour rendre un avis objectif - et que son enquête non contradictoire remet en cause l'égalité des armes entre les parties ; elle soutient ensuite que cette enquête porte atteinte aux principes directeurs du procès en ce que l'objet du litige a été modifié par l'adjonction de nouveaux griefs et en ce qu'elle opère une modification de la charge de la preuve que la DGCCRF tente de faire peser sur elle.
Carrefour réplique que le tribunal a recueilli l'avis de la DGCCRF par application de l'article 181 du Code de procédure civile, que la DGCCRF a diligenté une enquête lui permettant de déterminer les conditions de réalisation des publicités litigieuses dans le seul but de rendre un avis objectif et que son enquête n'a pas conduit à un déséquilibre du procès au détriment de ITM.
Même si la DGCCRF ne s'est pas bornée à donner un simple avis, mais a procédé à une enquête en auditionnant le responsable juridique d'ITM, en réclamant divers documents relatifs à la campagne de publicité et en les annexant à son rapport, il convient de retenir que ce rapport ne constitue qu'un élément d'information parmi d'autres dans le cadre du litige opposant les parties et qu'il est soumis à la libre discussion de celles-ci ; contrairement à ce qu'allègue ITM, il n'a pas entraîné une modification de l'objet du litige qui porte sur sa campagne de publicité contre laquelle les mêmes griefs avaient déjà été invoqués antérieurement devant le tribunal par conclusions du 25 octobre 2013, ni une modification de la charge de la preuve sur laquelle seul le juge peut se prononcer.
En conséquence, il n'y a pas lieu d'écarter des débats le rapport de la DGCCRF ni d'écarter les conclusions de Carrefour des 11 avril et 20 juin 2014 devant le tribunal, étant observé qu'aucune irrecevabilité n'est soulevée à l'encontre des dernières conclusions notifiées par Carrefour devant la cour le 16 octobre 2017.
Sur le fond du litige, ITM soutient d'abord que sa publicité " Intermarché s'engage " constitue une annonce de réduction de prix comparative loyale et non trompeuse ; elle fait valoir pour l'essentiel :
- qu'une annonce de réduction de prix est une pratique commerciale au sens de la directive 2005/29 du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales,
- que le prix de référence d'une annonce de réduction de prix peut être librement fixé par une entreprise dès lors que cette référence et sa présentation sont loyales,
- qu'en l'espèce, l'annonce de réduction de prix est loyale et non trompeuse pour le consommateur, s'agissant d'un engagement de prix de sa part sur un produit déterminé par rapport au prix moyen pratiqué antérieurement dans les magasins à enseigne Carrefour,
- que sa publicité indiquait au consommateur que le jambon de marque Carrefour " 4 tranches 180 g découenné, dégraissé " a été vendu en moyenne au prix de 1,72 euros dans les magasins à enseigne Carrefour du 10 au 14 avril 2012 et qu'ITM s'engageait pour sa part à vendre le jambon de marque Monique Ranou 180 g " 4 tranches découenné, dégraissé " au prix de 1,63 euros dans les magasins à enseigne Intermarché à compter du 30 avril 2012,
- sa publicité ne reposait aucunement sur un alignement de prix ainsi qu'il ressort des " cadenciers " adressés aux différents points de vente, leur préconisant un prix de vente de 1,63 euros,
- sa publicité a été validée par l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité et sa licéité n'a pas à être appréciée par comparaison avec les publicités comparatives diffusées par ses concurrents,
- qu'elle n'a pas utilisé le slogan " Intermarché moins cher sur vos produits de grande marque " dans le film diffusé à la télévision ni sur son site internet,
- qu'en choisissant de procéder à des relevés de prix dans les hyparmarchés Carrefour et dans les supermarchés Carrefour market, elle n'a fait qu'exercer sa liberté de choix des paramètres de comparaison,
- qu'en toute hypothèse, dès réception de la mise en demeure de Carrefour, elle a modifié sa publicité en faisant état uniquement des prix relevés dans les 89 magasins à enseigne Carrefour market,
- que le 7 mai 2012, elle a communiqué à Carrefour la liste des 144 magasins ayant fait l'objet des relevés de prix, lesquels n'ont pas été choisis de façon arbitraire mais sélectionnés pour déterminer un échantillon représentatif des points de vente Carrefour,
- qu'elle n'a pas à rapporter la preuve du respect du prix de 1,63 euros dans ses points de vente qui sont constitués de magasins indépendants, sa publicité étant accompagnée d'un engagement de rembourser la différence au consommateur qui aurait trouvé moins cher dans un magasin concurrent,
- qu'il ne peut lui être reproché de ne pas connaître les prix pratiqués par ses concurrents le 30 avril 2012, ni de ne pas avoir réalisé des relevés de prix dans ses magasins pour la période du 10 au 14 avril 2012, sa publicité consistant en un engagement à compter du 30 avril 2012 par rapport au prix moyen pratiqué par Carrefour du 10 au 14 avril 2012,
- que le jugement doit être infirmé en ce qu'il repris les développements du rapport de la DGCCRF rédigé sur la base du slogan " Intermarché moins cher sur vos produits de grandes marques " qu'elle n'a jamais utilisé et que c'est à tort qu'il lui a été reproché une généralisation trompeuse.
ITM soutient par ailleurs que sa publicité comparative " Votre fidélité rapporte plus chez Intermarché ", diffusée sous forme de leaflet (dépliant) par voie de mailing à l'occasion du passage sous enseigne Intermarché de 11 magasins exploités auparavant sous enseignes Carrefour, Carrefour market, Champion et ED, n'a aucun caractère trompeur :
- les affirmations qui y sont contenues étant exactes,
- la simple lecture du leaflet permettant de constater que le consommateur était informé des avantages offerts par la carte ITM puisqu'il comporte 4 renvois en bas de page détaillant les conditions d'obtention de ces avantages,
- la finalité de cette publicité comparative étant de prouver que le programme de fidélité ITM est supérieur à celui de Carrefour sur les 6 points de comparaison mentionnés dans le leaflet et non de faire état de l'ensemble des avantages offerts par la carte de fidélité d'ITM.
ITM ajoute que cette publicité comparative n'a aucun caractère dénigrant.
L'article L. 122-1 du Code de la consommation dispose : " Toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si :
1) elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;
2) elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif,
3) elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie. "
Il est précisé à l'article L. 122-5 du Code de la consommation que l'annonceur pour le compte duquel la publicité comparative est diffusée doit être en mesure de prouver dans un bref délai l'exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité.
Sur le film publicitaire
Il ressort des pièces versées aux débats que ITM a fait diffuser à la télévision le film publicitaire suivant :
Voix : " Intermarché s'engage !
Quelle différence y a-t-il entre ces packs de jambon ? Une vraie.
Aujourd'hui le jambon Monique Ranou d'Intermarché est le moins cher. Et en plus comme il est produit sur notre propre site de Quimper, avec du porc 100 % français, nous pouvons maîtriser parfaitement la qualité et les coûts. Et oui, ce qui est essentiel pour vous est moins cher chez nous.
Intermarché, tous unis contre la vie chère ".
Sur ce film défilaient en incrustations les mentions suivantes :
" 1) prix moyen constaté sur le pack de jambon Paris dégraissé-découenné 4 tranches 180 g, marque Carrrefour (soit 9,56 euros/kg) du 10 au 14 avril 2012 parmi 115 magasins à enseigne Carrefour,
2) prix moyen constaté sur le pack de jambon Paris dégraissé-découenné 4 tranches 180 g marque U (soit 10,26 euros/kg du 10 au 14 avril 2012 parmi 77 magasins à enseigne hyper U et super U,
3) prix en vigueur chez Intermarché à partir du 30 avril 2012 hors promotion (soit 9,06 euros/kg),
Voir modalités et conditions de remboursement sur Intermarché.com,
Intermarché tous unis contre la vie chère. www.intermarché.com ".
Le 2 mai 2012, Carrefour a fait constater par huissier de justice que sur le site internet d'Intermarché apparaissait à cette date le slogan : " Intermarché moins cher sur vos produits de grande marque " suivi de la reproduction du logo de la marque Monique Ranou et des mentions suivantes :
" Un constat a été réalisé à la demande d'Intermarché afin d'établir le prix moyen pratiqué par trois enseignes concurrentes pour les produits de marque de distributeur suivants : Paris dégraissé-découenné 4 tranches 180 g Monique Ranou, Paris dégraissé-découenné 4 tranches 180 g marque Carrefour et Paris dégraissé-découenné 4 tranches 180 g marque U, présents en France au cours de la période de relevé (10 au 14 avril 2012).
Le prix moyen constaté chez Carrefour était de : 1,72 euros, soit 9,56 euros/kg.
Le prix en vigueur aujourd'hui chez Intermarché est de 1,63 euros, soit 9,06 euros/kg ".
L'huissier de justice a constaté qu'il était possible de télécharger la méthodologie relative aux modalités du relevé et de visionner le film publicitaire diffusé à la télévision.
Par lettre du 3 mai 2012, Carrefour a fait observer à ITM que seuls deux de ses hypermarchés proposaient le produit visé dans sa publicité comparative à un prix égal ou supérieur à 1,72 euros et l'a mise en demeure de cesser sa publicité ainsi que de lui communiquer, au visa de l'article L. 121-12 (devenu depuis L. 122-5) du Code de la consommation, notamment : les différentes publicités sur la thématique " Intermarché moins cher sur vos produits de grande marque " si celles-ci avaient été diffusées sur d'autres supports que son site internet et la télévision, tous les justificatifs des relevés de prix réalisés dans les magasins à enseigne Carrefour et à enseigne Intermarché ainsi que le nom de la société indépendante visée dans sa publicité.
ITM a répondu que sa publicité n'avait été relayée qu'en télévision et sur son site internet et que les relevés de prix avaient été effectués par la société Sad marketing, en joignant la liste des magasins Carrefour et Carrefour market dans lesquels ces relevés avaient eu lieu ; elle a indiqué que sa campagne de publicité présentant un engagement de prix actuel dans les magasins Intermarché au vu d'un constat de prix opéré chez ses concurrents, elle ne disposait pas à ce jour de relevés de prix dans les magasins Intermarché.
Le 9 mai 2012, Carrefour a souligné le caractère incomplet de la réponse en demandant à ITM de lui fournir la liste des 144 magasins à enseigne Intermarché choisis de façon aléatoire dans sa méthodologie et en réitérant sa mise en demeure de cesser sans délai la diffusion de la publicité compte tenu de la confusion créée entre les enseignes Carrefour et Carrefour market.
Le 10 mai 2012, ITM a adressé à Carrefour la liste des 144 magasins à enseigne Intermarché sélectionnés, a contesté tout caractère déloyal de sa campagne publicitaire mais a précisé que sa diffusion avait cessé. Entre temps, le 9 mai 2012, Carrefour avait fait constater que la publicité incriminée avait pris fin.
Le 16 mai 2012, Carrefour a fait dresser un nouveau constat sur le site internet d'ITM ; l'huissier de justice a alors relevé que sous le slogan " Intermarché s'engage sur les prix " figurait le logo de la marque Monique Ranou et deux paragraphes, l'un dédié aux lardons et l'autre au jambon de cette marque, le second paragraphe étant libellé comme suit :
" Un constat a été réalisé à la demande d'Intermarché afin d'établir le prix moyen pratiqué par un panel de magasins d'enseignes concurrentes pour les produits de marque de distributeur suivants :
jambon dégraissé-découenné 4 tranches 180g et Jambon Le Paris dégraissé-découenné 4 tranches 180 g marque U, présents en France au cours de la période du relevé (10 au 14 avril 2012). Ces produits ont été comparés au produit Intermarché suivant : jambon Mon Paris dégraissé-découenné 4 tranches 180 g Monique Ranou.
Le prix moyen constaté chez Carrefour Market était de 1,72 euros, soit 9,56 euros/kg '.
Le film publicitaire était modifié en ce qu'il mentionnait au 1) : " prix moyen constaté sur le pack de jambon Paris dégraissé-découenné 4 tranches 180g marque Carrefour, soit 9,56 euros/kg du 10 au 14 avril 2012 parmi 89 magasins à enseigne Carrefour Market ".
Il en résulte que contrairement à ce qui est prétendu, ITM a bien fait diffuser sur son site internet, de façon temporaire, une première campagne de publicité avec comme slogan " Intermarché moins cher sur vos produits de grandes marques " avant d'y mettre fin et d'adopter le nouveau slogan " Intermarché s'engage sur les prix ".
Si ITM se prévaut d'un avis favorable donné par l'autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) à la diffusion du film, cet organisme n'a donné qu'un avis sur la compatibilité de ce film avec la déontologie professionnelle et la réglementation en vigueur.
Carrefour soutient à juste raison que la première publicité était trompeuse ou de nature à induire en erreur en ce qu'elle était précédée d'un slogan général laissant à penser que les prix des produits de grandes marques étaient moins chers, alors que la comparaison de prix ne portait que sur un seul produit de marque distributeur, et en ce que le prix moyen de la marque Carrefour était annoncé sans distinguer entre les magasins à l'enseigne Carrefour qui sont des hypermarchés et ceux à l'enseigne Carrefour market qui sont des supermarchés, ces deux types de magasins ayant des formats et des politiques de prix différents.
Il est constant qu'à la suite des deux publicités, ITM n'a pu justifier que le prix pratiqué dans les magasins sous enseigne Intermarché pour le produit concerné était bien de 1,63 euros comme annoncé ; c'est en vain qu'elle fait valoir que les magasins sous l'enseigne Intermarché sont indépendants, qu'elle leur a recommandé ce prix dans ses " cadenciers ", qu'elle s'est engagée à rembourser les consommateurs si un concurrent pratiquait un prix inférieur et qu'aucun d'eux n'a formé une demande de remboursement ; en effet, comme soutenu par Carrefour, il incombait à ITM, par application de l'article L. 122-5 du Code de la consommation, de prouver à bref délai l'exactitude de ses énonciations ; de plus, ITM laissait croire que le consommateur trouverait effectivement le produit moins cher dans ses magasins, ce qu'elle ne pouvait garantir.
En conséquence, les deux publicités successives ne sont pas licites comme étant trompeuses ou de nature à induire en erreur.
Sur le slogan publicitaire
ITM a diffusé un prospectus publicitaire qui se présente comme suit :
- en première page, le slogan en gros caractères " Votre fidélité rapporte plus chez Intermarché " suivi de la reproduction de la carte de fidélité Intermarché surmontée du mot aujourd'hui, cette carte masquant partiellement une reproduction de la carte de fidélité Carrefour surmontée du mot hier,
- en page intérieure gauche, sous le bandeau " Plus d'économies, c'est essentiel pour vous ", une comparaison des cartes de fidélité Intermarché et Carrefour, cette dernière ne répondant pas aux six avantages faisant l'objet des affirmations suivantes :
" Je rapporte des euros sur mon compte fidélité dès mon passage en caisse et j'en profite quand je veux, sans minimum de cagnottage " ;
" Je profite de mon cagnottage directement en caisse. Je n'ai pas besoin d'avoir recours à un chèque "
" Je profite de 5 % sur une sélection de marques distributeurs, pas seulement sur 800 produits mais sur plus de 10 000 " ;
" Jeune parent, je profite de 10 % en avantage carte sur les produits bébé alimentaires et non alimentaires, pas seulement un jour de la semaine, mais tous les jours " ;
" Je suis à la tête d'une famille nombreuse, je bénéficie de 10 % en avantage carte sur les produits de 4 grandes marques familiales " ;
" J'ai des enfants âgés de 6 à 11 ans, je bénéficie de 10 % en avantages carte sur plus de 200 produits de la gamme enfants " ;
- en page intérieure droite, sous la reproduction d'une horloge constituée des jours de la semaine avec une aiguille portant la carte de fidélité Intermarché, sous la phrase " Parce que nous pensons que vous devez faire des économies tous les jours et pas une fois de temps en temps ", la mention en gros caractères " 5 % en avantage carte tous les jours sur plus de 10 000 produits de la sélection des Mousquetaires ", suivie des termes " voir conditions en magasins ", mention qui comportait des renvois libellés en petits caractères portant l'énumération des produits non concernés par l'avantage et l'indication " voir les modalités complètes à l'accueil du magasin et sur www.intermarche.com. " ;
- en dernière page :
* sous l'accroche " Parce que nous savons bien qu'une famille nombreuse a plus de dépenses que les autres " la mention " 10 % en avantage carte pour les familles nombreuses " suivie des quatre marques Apta, Chabrior, Paquito et Pâturages avec l'indication " Inscrivez-vous sur www.famillenombreusefamilleheureuse.com. ", un renvoi étant opéré sur les modalités d'usage libellées en petits caractères ;
* sous l'accroche " Parce que nous savons aussi tout ce dont un bébé a besoin pour bien grandir ", la mention " 10 % en avantage carte sur les rayons bébé " avec l'indication " Inscrivez-vous sur www.monquotidienavecbébé.com ", un renvoi étant opéré sur les modalités de l'avantage libellées en petits caractères,
* sous l'accroche " Parce qu'il n'y a pas que les grands qui ont le droit d'être chouchoutés ", la mention " 10% en avantage carte sur les produits Zigos " avec l'indication " Inscrivez-vous sur www.zigosclub.com. ", un renvoi étant opéré aux modalités de l'avantage libellées en petits caractères.
A l'occasion de l'ouverture d'un magasin Intermarché à Savignac les Ormeaux le 26 juin 2012, cette publicité a fait l'objet d'un mailing avec le prospectus joint, invitant les clients à venir découvrir les avantages du nouveau programme de fidélité et offrant à titre de bienvenue de leur créditer 10 euros sur leur nouvelle carte de fidélité.
Carrefour fait justement valoir :
- que les conditions générales d'utilisation de la carte Intermarché applicables au 1er janvier 2012 prévoient que le crédit sur la carte n'est pas utilisable " quand je veux " mais seulement 48 heures après l'achat qui a permis de créditer la carte et qu'il n'est pas annoncé dans le dépliant que cette carte n'est utilisable que dans le point de vente qui l'a délivrée, contrairement à sa carte de fidélité utilisable dans tous les magasins Carrefour,
- que le prospectus ne précise pas que les 5 % en avantage carte sur une sélection de marques distributeurs sur plus de 10 000 produits ne sont accordés qu'à partir de 5 produits de marques distributeurs achetés, cette restriction n'étant connue que par la consultation du site internet d'ITM,
- que ITM qui se borne à produire un listing de produits non certifié ne justifie pas que le nombre de produits sous marque de distributeur serait supérieur à 10 000,
- que le slogan très général " Votre fidélité rapporte plus chez Intermarché " est trompeur dans la mesure où la moitié des avantages énumérés à la suite ne concerne qu'une clientèle familiale très ciblée et que l'inscription au programme " Mon quotidien avec bébé ", détaillée sur le site internet d'Intermarché est limitée aux 130 000 premières inscriptions enregistrées avant le 31 décembre 2011, ne concerne que les futures mamans enceintes de plus de 7 mois et les parents ayant un bébé de moins de 24 mois, alors que les 10 % de réduction offerts tous les mercredis chez Carrefour market sur les produits alimentaires et non alimentaires pour bébé bénéficient à tous les porteurs de la carte de fidélité Carrefour.
Au regard de ces éléments, la publicité d'ITM apparaît de nature à induire en erreur le consommateur cependant, elle ne présente aucun caractère dénigrant, en l'absence de toute image ou propos dévalorisant à l'encontre de Carrefour.
ITM allègue que Carrefour n'a subi aucun préjudice du fait de la diffusion des deux publicités incriminées et se trouve dans l'incapacité de rapporter la preuve de l'existence et du montant d'un préjudice.
Carrefour est mal fondée à invoquer un quelconque dénigrement et ne démontre pas que la publicité opérée par ITM a permis à celle-ci de gagner des parts de marché à son détriment ; elle ne rapporte pas non plus la preuve qu'elle subirait de manière durable la concurrence déloyale de ITM qui aboutirait à un détournement de clientèle.
Toutefois Carrefour a subi un préjudice résultant du fait que son enseigne a été présentée aux consommateurs, de façon trompeuse, comme plus chère sur certains produits et moins intéressante en terme de carte de fidélité, ce qui porte atteinte à son image ; le tribunal, au regard des éléments du dossier, lui a exactement alloué la somme de 300 000 euros, à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.
Les publicités comparatives datent de 2012, sans preuve de la persistance des messages véhiculés dans l'esprit des consommateurs ; en conséquence, il n'y a pas lieu d'ordonner les mesures de publication et d'affichage demandées par Carrefour.
ITM qui succombe en ses prétentions doit supporter les dépens.
Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il convient d'allouer la somme supplémentaire de 15 000 euros à Carrefour et de débouter ITM de sa demande à ce titre.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société ITM alimentaire international à payer à la société Carrefour hypermarchés la somme de 15 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, Condamne la société ITM alimentaire international aux dépens d'appel.