CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 15 décembre 2017, n° 17-04703
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Union des Groupements de Producteurs de Bananes de Guadeloupe et Martinique (SAS)
Défendeur :
Syndicat National des Transformateurs et Distributeurs de Produits Naturels et de Culture Biologique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Kerner-Menay
Conseillers :
M. Vasseur, Mme de Gromard
Avocats :
Mes Lesénéchal, Guerrini, Thomas, Macchetto, Casiro-Cosich
Exposé du litige
Le Syndicat national des transformateurs et distributeurs de produits naturels et de culture biologique (ci-après le Synabio) a pour objet de représenter les entreprises de transformation et de distribution de la filière bio.
L'Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique (ci-après l'Ugpban) fédère quant à elle les producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique.
Autorisé à cette fin par ordonnance du 27 février 2017 délivrée par le délégataire du président du Tribunal de grande instance de Paris, le Synabio a, par acte d'huissier de justice du 28 février 2017, fait assigner l'Ugpban devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris, aux fins d'obtenir, sous astreinte, la cessation d'une campagne intitulée : " La banane française mieux que bio c'est possible ", au motif que celle-ci serait constitutive d'un trouble manifestement illicite.
Par ordonnance du 1er mars 2017, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris a :
- constaté le trouble manifestement illicite constitué par la campagne menée par l'Ugpban depuis le 22 février 2017 et tendant à affirmer que " la banane française " serait " mieux que bio " ; - ordonné en conséquence, à compter de la présente décision, la cessation de la diffusion de la campagne intitulée : " La banane française mieux que bio c'est possible ! " et ce, quel qu'en soit le support ou le mode de diffusion ; - prohibé en particulier dans ce cadre, l'emploi des termes : - " La banane française mieux que bio c'est possible " ; - " Qui peut dire mieux que bio " ; - le paragraphe qui suit immédiatement ces slogans commençant par les termes : " En France comme en Europe " pour s'achever par les termes : " aux normes européennes, bien plus rigoureuses " ; - dit que cette obligation est assortie d'une astreinte provisoire de 50 000 euros par jour de retard et par manquement, à compter du lendemain de la notification de la présente décision et pendant une durée de deux mois ; - dit que le présent juge se réserve la liquidation de l'astreinte ; - condamné l'Ugpban aux dépens ; - condamné l'Ugpban à verser au Synabio, la somme de 4 500 euros au titre des frais irrépétibles ; - ordonné l'exécution sur minute de la présente décision ; - dit n'y avoir lieu à référé pour le surplus.
Par déclaration en date du 3 mars 2017, l'Ugpban a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions remises le 2 novembre 2017, l'Ugpban demande à la cour de :
- la dire recevable et fondée en son appel,
Y faisant droit,
- infirmer l'ordonnance de référé du 1er mars 2017 ;
- ordonner la restitution à l'Ugpban des sommes versées au Synabio ;
Statuant à nouveau,
- dire n'y avoir lieu à référé ;
- débouter le Synabio de l'ensemble de ses demandes ; - condamner le Synabio à payer à l'Ugpban la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner le Synabio aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions remises le 1er novembre 2017, le Synabio demande à la cour de :
- constater l'existence de troubles manifestement illicites constitués :
- de publicités illicites au regard de la législation communautaire relative à la production biologique ;
- de pratiques commerciales trompeuses au sens des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation ;
- d'une publicité comparative illicite au sens des articles L. 122-1 et suivants du Code de la consommation ;
- d'actes de dénigrement ;
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
- prohiber l'emploi des termes et contenus suivants :
- " Une filière plus transparente " ;
- " Une filière plus respectueuse " ;
- Les contenus :
" Une filière plus transparente. Seule la banane de Guadeloupe & Martinique est produite et contrôlée en France, dans le respect des normes sociales et environnementales les plus élevées au monde. Dans leurs exploitations à taille humaine, avec 13 hectares en moyenne, 600 producteurs indépendants, réunis en coopérative, se mobilisent pour aller toujours plus loin, selon les principes de l'agro-écologie.
Une agriculture plus respectueuse. Premier employeur français des Antilles françaises, avec 10 000 emplois directs et indirects, la filière banane emploie 9 salariés sur 10 en CDI. Grâce aux meilleures pratiques, on trouve aujourd'hui dans les bananeraies plus de 200 espèces d'insectes, jusqu'à 780 grenouilles par hectare et des espèces rares comme la grive à pied jaune. Une biodiversité en plantation qu'on ne retrouve nulle part ailleurs dans les Caraïbes.
Tout cela est bien la preuve que la banane française est mieux que bio ! "
- Trois contenus tels qu'extraits de la vidéo diffusée sur le Site Internet de l'Ugpban et comportant les mentions suivantes :
- " Transparente / Produite et contrôlée en France par des organismes indépendants " ;
- " Respectueuse / de l'environnement : cultivée selon des normes européennes " ;
- " Respectueuse / de l'environnement : cultivée selon des normes européennes / des Hommes : produites selon les normes sociales françaises " ;
- Dire que cette obligation ajoutée sera assortie, comme celle résultant de l'ordonnance confirmée, d'une astreinte provisoire de 50 000 euros par jour de retard et par manquement, à compter du lendemain de la notification à partie de l'arrêt à intervenir et pendant une durée de deux mois,
En tout état de cause :
- Débouter l'Ugpban de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner l'Ugpban à la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner l'Ugpban aux entiers dépens, dont distraction en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR
Sur la campagne menée par l'Ugpban :
En application de l'article 809-1 du Code de procédure civile, le président du tribunal de grande instance, statuant en matière de référé, peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
L'article L. 432-6 du Code de la consommation dispose qu'il est interdit d'utiliser un mode de présentation faisant croire ou de nature à faire croire qu'un produit a la qualité de produit de l'agriculture biologique.
Sans qu'il ne soit utile même de se fonder sur cette disposition qui n'est invoquée par aucune des parties aux débats, il convient de relever qu'il résulte de l'article 23 du Règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007, relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques, en ses deux premiers paragraphes et en son annexe, que l'utilisation du terme bio ou biologique, ce dernier terme figurant dans l'annexe, n'est pas autorisée pour la publicité ou les documents commerciaux d'un produit qui ne répond pas aux exigences énoncées dans ledit règlement.
La campagne commerciale de l'Ugpban en cause a pour objet de faire valoir la qualité de la banane produite sur le territoire français et de porter une critique contre le système d'attribution du label bio à des bananes qui, provenant de pays non-membres de l'Union européenne, bénéficient de l'attribution de ce label alors même que les règles de production sont, selon l'appelante, moins contraignantes que celles suivies par les producteurs français de l'agriculture conventionnelle.
Aucun de ces deux objets n'est en soi critiquable et il est loisible à l'Ugpban de communiquer à ce sujet qui peut au surplus revêtir un intérêt public pour l'information des consommateurs.
Cependant, cette communication ne peut se faire que dans le respect de la législation précitée.
Afin de diffuser la critique formulée par l'Ugpban, dont il n'appartient pas au juge des référés d'apprécier la pertinence au fond, il ne saurait être considéré que le seul fait d'employer le terme de bio constituerait en soi un trouble manifestement illicite au regard du règlement précité. En effet, l'usage des mots bio ou biologique ne saurait être réservé par le juge des référés aux seuls producteurs ou distributeurs de produits susceptibles de bénéficier de ce label. Il n'y a pas lieu de priver les agents économiques de débattre du dispositif d'attribution du label bio au seul prétexte que les produits qu'ils commercialisent n'en sont pas eux-mêmes revêtus.
Sur l'utilisation du slogan " mieux que bio " :
En revanche, la communication de l'Ugpban, en ce qu'elle est relative à des bananes issues de l'agriculture dite conventionnelle, ne peut, quelle que soit la qualité et les mérites de cette agriculture, laisser accroire en une quelconque manière que ce produit pourrait avoir la qualité d'un produit issu de l'agriculture biologique.
A cet égard, le fait d'indiquer que la banane française, peu important qu'elle soit issue de l'agriculture conventionnelle, serait " mieux que bio " est manifestement de nature à induire une confusion chez le consommateur, laquelle caractérise en tant que telle le trouble qui peut en résulter pour les producteurs et distributeurs de bananes revêtues du label bio. L'emploi de la formule " mieux que bio " dans une campagne de communication à destination du grand public, quel qu'en soit le vecteur, est ainsi constitutive d'un trouble manifestement illicite, dont les effets sont d'autant plus accentués que la typographie différenciée utilisée dans les publicités sur support écrit fait particulièrement ressortir le terme bio.
Aussi est-ce à bon droit que le premier juge a retenu que l'affirmation selon laquelle la banane française serait mieux que bio est constitutive d'un trouble manifestement illicite et qu'il a prohibé l'utilisation de cette expression dans la campagne de communication engagée par l'Ugpban.
Sur le paragraphe dont la diffusion a été interdite par le premier juge :
L'Ugpban a en outre dans le cadre de cette campagne diffusé un paragraphe ainsi rédigé : " En France comme en Europe, on peut faire confiance à l'agriculture biologique. Peut-on en dire autant des produits Bio importés des pays tiers. Que sait-on des règles qui s'appliquent, des conditions de travail, des contrôles "
Les règles pour produire " Bio " varient d'un pays à l'autre. Les organismes certificateurs, payés par les producteurs - souvent des multinationales - ne vérifient que la conformité aux normes du pays concerné. Ainsi, les bananes dites " Bio " importées de certaines régions du monde ne sont pas conformes aux normes européennes, bien plus rigoureuses.
Contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, ce paragraphe ne tend à établir aucune comparaison péjorative entre les bananes françaises et celles qui sont certifiées bio en provenance de l'extérieur de l'Union européenne. Il formule, de manière certes simplifiée mais sans outrance, les termes d'un débat qui peut légitimement être porté à la connaissance du public et dont se sont au demeurant fait l'écho des travaux parlementaires cités par l'Ugpban.
Si ce paragraphe ne constitue pas un trouble manifestement illicite pour l'essentiel, il convient cependant d'en extraire la dernière phrase ainsi rédigée : " Ainsi, les bananes dites " Bio " importées de certaines régions du monde ne sont pas conformes aux normes européennes, bien plus rigoureuses. " Une telle mention ne peut être admise puisque les " normes européennes " auxquelles il est fait référence admettent justement, en l'état de la législation communautaire, les produits pouvant prétendre à la certification bio par l'un des deux régimes d'équivalence. S'il est loisible à l'Ugpban de formuler une critique quant à la pertinence de ces régimes d'équivalence, il est fallacieux de la part de ce même organisme de prétendre que les bananes qui en bénéficient " ne sont pas conformes aux normes européennes, bien plus rigoureuses " alors que c'est précisément le dispositif communautaire qui leur permet de se prévaloir de la qualité de fruit bio.
Aussi convient-il d'infirmer la décision de première instance en ce qu'elle a prohibé le paragraphe commençant par les termes : " En France comme en Europe. " pour s'achever par les termes : " aux normes européennes, bien plus rigoureuses " et, statuant de nouveau de ce chef, de prohiber la seule phrase suivante : " Ainsi, les bananes dites " Bio " importées de certaines régions du monde ne sont pas conformes aux normes européennes, bien plus rigoureuses. "
Sur l'appel incident formé par le Synabio :
Le Synabio demande que soit interdit la diffusion du message suivant :
" Une filière plus transparente. Seule la banane de Guadeloupe & Martinique est produite et contrôlée en France, dans le respect des normes sociales et environnementales les plus élevées au monde. Dans leurs exploitations à taille humaine, avec 13 hectares en moyenne, 600 producteurs indépendants, réunis en coopérative, se mobilisent pour aller toujours plus loin, selon les principes de l'agro-écologie.
Une agriculture plus respectueuse. Premier employeur français des Antilles françaises, avec 10 000 emplois directs et indirects, la filière banane emploie 9 salariés sur 10 en CDI. Grâce aux meilleures pratiques, on trouve aujourd'hui dans les bananeraies plus de 200 espèces d'insectes, jusqu'à 780 grenouilles par hectare et des espèces rares comme la grive à pied jaune. Une biodiversité en plantation qu'on ne retrouve nulle part ailleurs dans les Caraïbes.
Tout cela est bien la preuve que la banane française est mieux que bio ! "
A l'exception de la dernière phrase, dont l'interdiction de la diffusion a déjà été étudiée, aucune des mentions figurant dans ce paragraphe ne peut d'une quelconque manière léser les producteurs et distributeurs de bananes bio représentés par le Synabio. Il est en effet loisible à l'Ugpban de mettre en avant les qualités et les mérites des producteurs qu'elle fédère, aucun de ces développements n'établissant une quelconque comparaison avec les producteurs de bananes bio établis en-dehors des frontières de l'Union européenne. Le fait même d'indiquer que la filière française serait 'plus transparente' et son agriculture " plus respectueuse " ne saurait constituer un quelconque trouble manifestement illicite dès lors que l'emploi de l'adverbe " plus " ne suit pas la mention, interdite ainsi qu'il a été indiqué plus haut, du slogan comparatif avec la banane bio.
Aussi convient-il de rejeter la demande que le Synabio formule à ce titre.
Il en va de même s'agissant des vidéos faisant apparaître les messages suivants :
- " Transparente / Produite et contrôlée en France par des organismes indépendants " ; - " Respectueuse / de l'environnement : cultivée selon des normes européennes " ; - " Respectueuse / de l'environnement : cultivée selon des normes européennes / des Hommes : produites selon les normes sociales françaises " ;
En effet, à l'instar du message qui vient d'être cité, aucune de ces mentions ne comporte de référence à l'agriculture biologique ni ne tend à dévaloriser les produits qui en sont issus. Elles ne sont constitutives à cet égard d'aucun trouble manifestement illicite dont le Synabio soit fondé à se plaindre, de sorte qu'il convient de le débouter également de la demande qu'il formule de ce chef.
Sur les mesures accessoires :
Compte-tenu de ce que la décision de première instance est pour partie infirmée et que le Synabio est débouté des demandes qu'il formule dans son appel incident, il convient de rejeter les demandes formulées par chacune des parties au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de dire que chacune d'elles conservera la charge des dépens qu'elle a exposés à hauteur d'appel.
Par ces motifs, Confirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a prohibé le paragraphe commençant par les termes : " En France comme en Europe. " pour s'achever par les termes : " aux normes européennes, bien plus rigoureuses " ; Statuant de nouveau de ce chef, Ordonne la cessation de l'utilisation de la phrase suivante dans la campagne de presse de l'Ugpban : " Ainsi, les bananes dites " Bio " importées de certaines régions du monde ne sont pas conformes aux normes européennes, bien plus rigoureuses. " ; Dit que cette obligation est assortie de la même astreinte que celle prévue pour les autres mentions interdites par l'ordonnance entreprise, l'astreinte courant à compter du lendemain de la signification du présent arrêt et pendant une durée de deux mois ; Rejette les autres demandes d'interdiction formulées par le Synabio ; Rejette les demandes de chacune des parties formulées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que les parties conserveront chacune la charge des dépens d'appel qu'elles ont respectivement exposés.