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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 21 décembre 2017, n° 16-15499

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

TDF (SAS), TDF Infrastructure Holding (SAS), TDF Infrastructure (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Michel-Amsellem

Conseillers :

MM. Douvreleur, Mollard

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Calvet

CA Paris n° 16-15499

21 décembre 2017

FAITS ET PROCÉDURE

La cour est saisie d'un recours contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 16-D-11 du 6 juin 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne terrestre.

Le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne terrestre

L'affaire intervient dans le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne terrestre, dans le contexte particulier du déploiement de la télévision numérique terrestre (TNT) entre 2005 et 2011, et de l'extinction concomitante de la télévision analogique terrestre.

L'ouverture progressive à la concurrence

La diffusion audiovisuelle par voie hertzienne a historiquement fait l'objet d'un monopole d'État confié à l'Office de radio et télévision française (ORTF) puis, à partir de 1975, à Télédiffusion de France.

En 1987, Télédiffusion de France a perdu son statut d'établissement public à caractère industriel et commercial et est devenue une société anonyme à capital majoritairement public, prenant le nom de TDF, laquelle a, dans un premier temps, conservé le monopole de la diffusion et de la transmission, en France et vers l'étranger, par tous procédés analogiques de télécommunication, des programmes de l'audiovisuel public. Parallèlement à l'exécution de ces missions de service public, la société TDF était en situation de concurrence avec d'autres opérateurs pour offrir aux chaînes privées de radio et de télévision des services de diffusion hertzienne terrestre en mode analogique.

La loi n° 2003-1365 du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom, a transposé la directive communautaire n° 2002/77/CE du 16 septembre 2002 relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques, ouvrant ainsi complètement le secteur de la diffusion hertzienne terrestre à la concurrence.

Cette même loi a fait perdre à la société TDF son monopole de diffusion en mode analogique des programmes des entreprises publiques du secteur audiovisuel. La société TDF a été privatisée en 2004. Elle a pour principale activité la diffusion de services audiovisuels (télévision et radio). Elle est, de loin, le plus puissant opérateur de diffusion, disposant d'environ 8 730 sites de diffusion en France, dont 3 600 exploités pour la diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels.

À l'époque de son statut public, la société TDF a bénéficié, pour certaines de ses infrastructures, de servitudes radioélectriques accordées par décret (2 390 décrets dits " de servitudes " recensés) sur le fondement des articles L. 54 (servitudes de type PT2) et L. 57 (servitudes de type PT1) du Code des postes et télécommunications, devenu le Code des postes et des communications électroniques. Un groupe de travail constitué en 2009 par la Commission consultative des sites et servitudes de l'Agence nationale des fréquences (ci-après la " COMSIS ") a conclu en juillet 2010 que " les infrastructures de communications électroniques exploitées par [...] TDF n'entrent plus, en raison de la modification du statut juridique de [cette société], dans le champ d'application des articles L. 54 et L. 57 [du Code des postes et des communications électroniques] " et proposé " l'abrogation de l'ensemble des décrets simples qui ont permis à [...] TDF de bénéficier de servitudes de protection " (Saisine 09/0109F, cotes 6943 et 6944). Toutefois, à l'époque des pratiques reprochées à la société TDF, les décrets de servitudes n'étaient pas abrogés.

Le déploiement de la télévision numérique terrestre

En charge de la planification du déploiement de la TNT sur le territoire national, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (ci-après le " CSA ") a défini 1 626 zones géographiques devant progressivement bénéficier de ce déploiement, selon un calendrier divisé en dix phases successives.

Les phases 1 à 6, mises en œuvre entre mars 2005 et décembre 2007, ont correspondu au déploiement du réseau " principal " ou " primaire " sur 112 zones, qui correspondent aux grandes agglomérations, permettant de couvrir 85 % de la population. Les phases 7 à 10, mises en œuvre à partir de mars 2008, ont correspondu au déploiement du réseau " complémentaire " ou " secondaire " sur les 1 514 autres zones, permettant d'étendre la couverture à 95 % de la population.

Pour chacune des 112 zones couvertes par le réseau principal numérique, la diffusion de la TNT est assurée à partir d'un unique site de diffusion. En revanche, pour les zones couvertes par le réseau complémentaire numérique, la diffusion de la TNT dans une zone donnée peut être assurée à partir de plusieurs sites de diffusion.

Est qualifié de " point de service " le site à partir duquel les programmes d'un opérateur de multiplex sont diffusés. Les programmes de plusieurs opérateurs de multiplex pouvant être diffusés à partir d'une même antenne, un site de diffusion peut correspondre à plusieurs points de service.

La définition des marchés

La pratique décisionnelle du Conseil puis de l'Autorité de la concurrence, comme celle de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci-après l'" ARCEP "), distinguent un marché de gros amont et un marché de gros aval des services de diffusion hertzienne terrestre :

- sur le marché amont, se rencontrent l'offre d'hébergement émanant d'opérateurs qui possèdent des infrastructures de diffusion (" tower company "), généralement des sites- pylônes, et la demande d'opérateurs de diffusion qui ne possèdent pas de telles infrastructures.

- sur le marché aval, l'ensemble des opérateurs de diffusion, qu'ils utilisent leurs propres sites ou qu'ils soient hébergés, offrent des services de diffusion aux éditeurs de programmes télévisuels (chaînes de télévision). Dans le cas de la TNT, ces services sont offerts aux opérateurs de multiplex (ou " MUX ") qui regroupent un certain nombre d'éditeurs de chaînes de télévision.

La régulation sectorielle

Depuis son ouverture progressive à la concurrence, le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne terrestre fait l'objet d'une régulation ex ante par l'ARCEP.

Cette régulation a résulté, entre 2006 et 2009, de la décision de l'ARCEP n° 2006-0161 du 6 avril 2006 portant sur les obligations imposées à TDF en tant qu'opérateur exerçant une influence significative sur le marché pertinent de gros des offres de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels, et, entre 2009 et 2012, de la décision de l'ARCEP n° 2009-0484 du 11 juin 2009 portant sur la définition du marché pertinent de gros des offres de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique, sur la désignation d'un opérateur exerçant une influence significative sur ce marché et sur les obligations imposées à cet opérateur sur ce marché. La décision de l'ARCEP n° 2012-1137 du 11 septembre 2012 a reconduit la régulation sectorielle pour la période 2012-2015.

Par ces décisions, l'ARCEP a imposé à la société TDF, opérateur historique, un certain nombre d'obligations réglementaires sur le marché de gros amont, destinées à favoriser la concurrence par les services sur le marché aval, notamment une obligation de faire droit à toute demande raisonnable d'accès, en particulier à ses bâtiments et pylônes, une obligation de non-discrimination quant à la fourniture des offres de gros de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique et une obligation de transparence, consistant notamment à publier une offre de référence technique et tarifaire des offres de gros de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique, ainsi que, à partir de 2009, une obligation d'orientation des tarifs vers les coûts pour les offres d'hébergement correspondant à un certain nombre de sites qu'elle a qualifiés de " non réplicables ".

La procédure devant l'Autorité de la concurrence

Par lettre du 22 septembre 2009, la société Itas Tim, opérateur de diffusion concurrent de la société TDF, a saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après l'" Autorité ") de pratiques mises en œuvre par cette dernière, les estimant contraires aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après le " TFUE ").

Par sa décision n° 10-D-09 du 9 mars 2010, l'Autorité a renvoyé l'affaire pour un examen au fond.

En application des dispositions de l'article R. 463-9 du Code de commerce, l'Autorité a, par courriers du 28 septembre 2011, communiqué pour observations la saisine d'Itas Tim à l'ARCEP ainsi qu'au CSA. L'ARCEP s'est prononcée sur cette saisine par un avis n° 2011-1334 du 29 novembre 2011 et le CSA par un avis n° 2011-18 du 13 décembre 2011.

Le 25 janvier 2013, trois griefs ont été notifiés à la société TDF, en tant qu'auteur des pratiques, ainsi qu'aux sociétés Tyrol Acquisition 2 SAS, Tyrol Acquisition 1 SAS, Tyrol Acquisition 1 & Cie SCA et Tyrol Acquisition 1 SARL, en tant que sociétés mères ayant exercé sur la société TDF, leur filiale, une influence déterminante.

Les griefs n° 1, deuxième et troisième volets, et n° 3 étaient ainsi formulés :

" Grief n° 1

Il est fait grief à la société TDF SAS d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché de gros amont des services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique au travers de sa politique de communication :

- [...]

- en instrumentalisant, à l'occasion des avis rendus aux collectivités locales sous couvert d'une consultation en tant que service de l'État, l'existence de servitudes radioélectriques pour s'opposer à l'implantation d'infrastructures concurrentes alors que ces servitudes sont dépourvues de base légale depuis son changement de statut, sur une période courant de mars 2009 à mars 2010 ;

- en dénigrant ses concurrents en infrastructures par l'envoi d'un courriel type sur la quasi-intégralité des communes concernées par le déploiement de la TNT sur " plaque Alsace " alertant celles-ci sur les risques qu'une telle concurrence pourrait générer et en demandant à être systématiquement consultée pour éviter toute perturbation, sur une période courant de janvier 2009 à août 2009 ;

Cette pratique a eu pour objet et pour effet de restreindre et de fausser au moins potentiellement le jeu de la concurrence sur le marché de gros amont des services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique. Cette pratique contrevient aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 102 du TFUE.

Grief n° 3

Il est fait grief à la société TDF SAS d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché de gros aval des services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique en pratiquant des remises fidélisantes dans ses propositions tarifaires en réponse aux appels d'offres des opérateurs de multiplex sur la période courant de mars 2005 à mars 2009.

Cette pratique a eu pour objet et pour effet de restreindre et de fausser au moins potentiellement le jeu de la concurrence sur le marché de gros aval des services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique. Elle contrevient aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 102 du TFUE. "

Les rapporteurs ont établi leur rapport le 8 juillet 2015.

L'Autorité a examiné l'affaire lors de la séance du 26 janvier 2016.

La décision attaquée

Par décision n° 16-D-11 du 6 juin 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne terrestre (ci-après la " décision attaquée "), l'Autorité a considéré comme établi que la société TDF avait abusé de la position dominante qu'elle détenait en tant qu'opérateur historique sur les marchés de gros amont et aval de la diffusion hertzienne terrestre en mode numérique, en mettant en œuvre trois pratiques distinctes :

- sur le marché de gros amont, entre janvier 2009 et mars 2010, l'invocation de servitudes radioélectriques sans objet ou inexistantes pour s'opposer, par des avis négatifs, aux projets d'infrastructures de diffusion des concurrents (deuxième volet du grief n° 1) ;

- sur le marché de gros amont, de janvier à août 2009, la mise en œuvre d'une communication trompeuse et de dénigrement auprès des collectivités locales, consistant à pointer le risque non avéré de perturbation technique et la nécessité de la consulter en tant que service de l'Etat (troisième volet du grief n° 1) ;

- sur le marché de gros aval, entre octobre 2005 et mars 2009, la mise en œuvre d'une remise dite " de plaque géographique " (ci-après la " remise de plaque "), liée au fait que les opérateurs de multiplex s'approvisionnent auprès de la société TDF pour une part importante, ou pour la totalité des sites de diffusion d'une zone géographique déterminée (grief n° 3).

L'Autorité a en revanche considéré que n'étaient pas établies les pratiques visées par le premier volet du grief n° 1 (décision attaquée, § 155 à 159) ni celles visées par le grief n° 2 (décision attaquée, § 233 à 235). Quant au grief n° 3, qui visait trois pratiques de rabais distinctes, il l'a jugé mal fondé en ce qui concerne la " remise au volume " et la " fourniture gratuite de l'adaptation SFN " (décision attaquée, § 240 à 251).

La décision attaquée a infligé solidairement aux sociétés TDF, Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure, la première en tant qu'auteur des pratiques, les secondes en leur qualité de sociétés mères de la société TDF, une sanction pécuniaire de 11, 6 millions d'euros, au titre du grief n° 1, et de 9 millions d'euros, au titre du grief n° 3.

Elle a en revanche mis hors de cause les sociétés Tyrol Acquisition 1 & Cie SCA et Tyrol Acquisition 1 SARL.

LA COUR

Vu la décision de l'Autorité de la concurrence n° 16-D-11 du 6 juin 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne terrestre ;

Vu la déclaration de recours déposée au greffe de la cour le 20 juillet 2016 par les sociétés TDF, TDF Infrastructure Holding, anciennement Tyrol Acquisition 1, et TDF Infrastructure, anciennement Tyrol Acquisition 2 ;

Vu le mémoire et le mémoire en réplique et récapitulatif déposés respectivement les 18 août 2016 et 8 mars 2017 par les sociétés TDF, TDF Infrastructure Holding et TDF Infrastructure ;

Vu la lettre du Ministre chargé de l'Économie en date du 12 janvier 2017, informant la cour qu'il n'entendait pas user de la faculté de présenter des observations écrites et orales ;

Vu les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence le 26 janvier 2017 ;

Vu l'avis du Ministère public en date du 25 avril 2017, communiqué aux parties le même jour ;

Après avoir entendu, à l'audience publique du 27 avril 2017, les conseils des requérantes, qui ont été mises en mesure de répliquer et ont eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence et le Ministère public ;

SUR CE,

I. SUR LES MOYENS DE LÉGALITÉ EXTERNE

1.Les sociétés TDF, TDF Infrastructure Holding et TDF Infrastructure soulèvent plusieurs moyens de légalité externe.

A. Sur le moyen tiré de l'extension du grief n° 1

2.Rappelant que le grief n° 1, tel que rédigé dans la notification des griefs, ne visait que le marché de gros amont des services de diffusion hertzienne terrestre, les requérantes sollicitent l'annulation de la décision attaquée en ce que celle-ci les a sanctionnées au titre de ce marché, mais aussi au titre du marché de gros aval.

3.Elles font valoir qu'elles n'ont jamais été informées, avant la notification de la décision attaquée, que le grief n° 1 visait également le marché de gros aval et qu'aucune notification de griefs complémentaire étendant le grief n° 1 n'est intervenue.

4.L'Autorité conteste que la décision attaquée ait procédé à une extension du grief n° 1 à des nouvelles pratiques.

5.Il résulte des paragraphes 153 à 232 de la décision attaquée, que l'Autorité a limité son analyse des pratiques visées par le grief n° 1, au seul marché de gros amont des services de diffusion hertzienne terrestre.

6.Partant, c'est à tort que les requérantes soutiennent que ce grief aurait été étendu au marché de gros aval des mêmes services.

7.La cour relève que les requérantes fondent exclusivement leur affirmation d'une extension du grief n° 1 sur les modalités de calcul de la sanction, l'Autorité ayant dit, au paragraphe 274 de la décision attaquée, que " [l]a pratique de communication dénigrante auprès des collectivités locales et d'instrumentalisation des servitudes radioélectriques, visée par le grief n° 1, a été de nature à affecter à la fois le marché de gros amont de la diffusion hertzienne terrestre en mode numérique et le marché de gros aval des services de diffusion " et en ayant déduit, au paragraphe 280 de la décision attaquée, qu' " il convient donc de retenir comme valeur des ventes l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé en France par la vente de services de diffusion de la TNT par TDF sur le marché de gros amont auprès des opérateurs tiers et sur le marché de gros aval auprès des clients MUX ".

8.Toutefois, le calcul de la sanction intervenant à un stade ultérieur à l'établissement des pratiques, il ne peut être déduit des modalités de calcul adoptées par l'Autorité qu'elle aurait reproché à la société TDF, dans le cadre du grief n° 1, des pratiques anticoncurrentielles sur le marché de gros aval des services de diffusion hertzienne terrestre.

9.À supposer erroné le choix de l'Autorité de prendre en compte, dans la valeur des ventes affectées par le grief n° 1, le chiffre d'affaires de la société TDF sur le marché de gros aval - ce que la cour vérifiera dans la partie consacrée à la sanction -, une telle erreur ne saurait entraîner l'annulation de la décision attaquée, en tant qu'elle a dit partiellement établi ce grief, et ne pourrait, le cas échéant, qu'entraîner son annulation ou sa réformation, en tant qu'elle a infligé, au titre dudit grief, une sanction de 11,6 millions d'euros.

B. Sur les moyens tirés de l'insuffisance de motivation quant au grief n° 3

10.Les requérantes soutiennent que la décision attaquée, en tant qu'elle a dit que la pratique de remise de plaque était constitutive d'un abus de position dominante, méconnaît l'obligation de motivation.

1. Sur la contradiction de motifs

11.Les requérantes font valoir que les développements consacrés à la remise de plaque sont entachés de contradiction quant à la qualification de cette remise, et ne permettent pas de savoir si l'Autorité a considéré qu'elle était constitutive d'un rabais d'exclusivité, frappé d'une présomption d'illicéité, ou procédait d'un mécanisme de fidélisation et appartient à la catégorie des rabais de la troisième catégorie, pour lesquels une telle présomption n'existe pas.

12.L'Autorité objecte que la contradiction de motifs constitue un moyen de légalité interne et non externe et se propose d'y répondre sur le fond.

13.La cour rappelle, à titre liminaire, que le moyen tiré de l'inintelligibilité de la motivation d'une décision administrative à raison d'une contradiction entre ses motifs, constitue un moyen de légalité externe.

14.Ainsi que le rappellent tant l'Autorité, au paragraphe 239 de la décision attaquée, que les requérantes aux points 187 à 195 de leur mémoire récapitulatif, il ressort de la jurisprudence des juridictions de l'Union qu'il convient de distinguer trois types de rabais pratiqués par les entreprises en position dominante :

- les rabais ou remises dits " de quantité ", liés exclusivement au volume des achats effectués auprès de l'entreprise en position dominante, qui sont réputés conformes au droit de la concurrence dans la mesure où ils reflètent les économies de coûts réalisées par l'entreprise ;

- les rabais ou remises dits " d'exclusivité " ou " de fidélité ", qui sont présumés illicites, parce qu'ils reposent sur une logique d'approvisionnement exclusif, en ce qu'ils tendent à empêcher, par la voie de l'octroi d'avantages financiers, l'approvisionnement des clients auprès de prestataires concurrents ;

- les autres rabais ou remises, qualifiées par le Tribunal de l'Union européenne (ci-après le " Tribunal " ou le " TUE ") de " rabais relevant de la troisième catégorie ", c'est-à-dire tous ceux qui ne sont ni des rabais de quantité ni des rabais d'exclusivité, dont la licéité s'apprécie au cas par cas, au vu des circonstances de l'espèce (TUE, arrêt du 12 juin 2014, Intel/Commission, T-286/09, points 74 à 78, et jurisprudence citée).

15.En l'espèce, à la lecture de la décision attaquée, il ne fait aucun doute que l'Autorité a considéré que la remise de plaque était constitutive d'une remise d'exclusivité. Au demeurant, c'est bien ainsi que les requérantes ont compris la décision attaquée, ainsi qu'il résulte de la formulation même de leur moyen, examiné ci-après, tiré de l'absence de réponse aux arguments visant à renverser la présomption d'illicéité de la remise de plaque.

16.Il n'existe aucune contradiction entre, d'une part, les paragraphes 109, 111, 113, 252 et 255 et, d'autre part, les paragraphes 110, 253 et 254 de la décision attaquée. Les modalités d'octroi de la remise de plaque, et notamment son caractère individualisé, décrites aux paragraphes 110, 253 et 254, ne sont en rien incompatibles avec la qualification de remise d'exclusivité retenue par l'Autorité dès lors que celle-ci constate que, " [q]uel que soit le taux retenu, la remise n'est accordée que si une part substantielle des sites, presque toujours supérieure à 70 %, est confiée à TDF " (décision attaquée, § 109) et que, " les seuils d'obtention des remises de plaque géographique représentaient, en moyenne, suivant les taux applicables, entre 76 % et 98 % des sites d'une plaque géographique "(décision attaquée, § 111).

17.Le moyen est rejeté.

2. Sur l'absence de réponse aux arguments visant à renverser la présomption d'illicéité de la remise de plaque géographique

18.Les requérantes font valoir qu'aux termes de la jurisprudence des juridictions de l'Union, une remise d'exclusivité n'est présumée avoir la capacité d'évincer les concurrents et, partant, être illicite, que si l'entreprise qui la met en œuvre jouit d'une position dominante forte.

19.Elles soutiennent que l'Autorité a omis de répondre à ses arguments selon lesquels les obligations contraignantes qui lui étaient imposées par la régulation sectorielle du marché de gros amont des services de diffusion hertzienne en mode numérique excluaient que sa position dominante soit qualifiée de " forte ".

20.Plus généralement, la justification de l'utilisation d'une présomption d'illicéité de la remise de plaque par l'Autorité ne consisterait qu'en une série d'affirmations non circonstanciées et de références succinctes et abstraites à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après la " Cour de justice " ou la " CJUE ") en matière de remises.

21.Ce faisant, l'Autorité aurait transformé une présomption réfragable en présomption irréfragable, en violation du principe du contradictoire et des droits de la défense.

22.L'Autorité répond, d'une part, qu'elle a motivé à suffisance de droit le constat d'une forte position dominante de TDF. Elle ajoute que, n'étant pas tenue de répondre à l'intégralité des arguments des requérantes, elle pouvait écarter par prétérition ceux tirés de l'existence d'une régulation sectorielle qui neutraliserait la position dominante de la société TDF. Elle fait néanmoins valoir que, sans y répondre expressément, elle n'a pas ignoré lesdits arguments puisque la décision décrit la régulation sectorielle de l'ARCEP et constate les " parts de marché très élevées " détenues par la société TDF, qui bénéficie, selon l'ARCEP, d'une " position incontournable ".

23.D'autre part, l'Autorité expose que le fait d'appliquer à tort une présomption irréfragable constitue un moyen de légalité interne tiré d'une erreur de droit, de sorte que cet argument est inopérant à l'appui d'un moyen tiré de l'insuffisance de motivation.

24.En premier lieu, ainsi que le rappelle l'Autorité, l'obligation de motivation à laquelle elle est soumise dans le prononcé de ses décisions impose un énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et permettent aux parties mises en cause de comprendre la nature de l'infraction retenue, et à la juridiction de recours d'en contrôler la légalité. Elle ne comporte pas, en revanche, l'obligation de répondre à l'intégralité des arguments invoqués, que les parties pourront soumettre à la cour au soutien de leur recours de pleine juridiction.

25.D'une part, l'Autorité a motivé à suffisance de droit son constat d'une position dominante forte de la société TDF sur le marché de gros aval des services de diffusion hertzienne terrestre à l'époque des faits.

26.Dans la décision l'Autorité a rappelé que la société TDF détenait une part de marché en volume avoisinant 85 % sur le marché de gros amont et supérieure à 70 % sur le marché de gros aval, disposait d'un réseau d'infrastructure de diffusion déployé sur la totalité du territoire national, faisant d'elle un opérateur verticalement intégré présent sur tout le territoire, et jouissait d'une forte notoriété découlant de sa situation particulière d'ancien monopole d'État, tandis que les opérateurs concurrents étaient significativement plus petits tant au regard de leurs parts de marché qu'au regard de leur taille ou de la taille de leur groupe (décision attaquée, § 141 à 143).

27.Il convient d'observer que ce niveau élevé de parts de marchés a été constaté alors que la société TDF est soumise depuis 2006 aux obligations que lui impose la régulation sectorielle mise en place par l'ARCEP.

28.L'Autorité a encore souligné l'importance des barrières à l'entrée sur le marché de gros amont des services de diffusion hertzienne terrestre (décision attaquée, § 145 à 147) et le contre-pouvoir limité des acheteurs sur le marché de gros aval (décision attaquée, § 148 et 149).

29.S'agissant plus spécifiquement de la régulation sectorielle, l'Autorité a souligné, d'une part, que le marché de gros aval n'était pas régulé, l'ARCEP ayant fait le choix de concentrer son intervention sur le marché de gros amont en considérant que les effets pro-concurrentiels de cette régulation devaient mécaniquement se reporter sur le marché de gros aval non régulé (décision attaquée, § 26).

30.Elle a rappelé, d'autre part, qu'à l'issue du premier cycle de régulation (2006-2009), assuré par sa décision n° 2006-0161, l'ARCEP a dressé le constat d'un degré de concurrence relativement faible et, par sa décision n° 2009-0484, a renforcé son dispositif de régulation dans le cadre d'un deuxième cycle de régulation (2009-2012), correspondant aux pratiques en cause dans la présente espèce, et qu'à l'issue de ce deuxième cycle, l'ARCEP a, par sa décision n° 2012-1137 reconduit la régulation sectorielle pour la période 2012-2015 (décision attaquée, § 29 à 33).

31.L'Autorité a souligné que, dans sa décision n° 2012-1137, intervenue alors que la société TDF était soumise depuis six ans aux obligations imposées par la régulation sectorielle, l'ARCEP a indiqué que " TDF dispose d'un capital unique d'informations, de relations et de notoriété auprès des acteurs directs et indirects de la diffusion hertzienne. Cette position incontournable dans le paysage [...] lui octroie une capacité particulière à influer sur le cours du marché, ce qui est une caractéristique des opérateurs puissants " (décision attaquée, § 144).

32.Enfin, l'Autorité a constaté que, lors du déploiement du réseau complémentaire numérique, à partir de l'année 2008, dans la mesure où les opérateurs de diffusion ont choisi la concurrence par les infrastructures, et non la solution de l'hébergement sur les pylônes de la société TDF, et compte tenu des importantes barrières à l'entrée, notamment les délais d'accès au foncier et de construction, la société TDF a été très peu concurrencée lors des appels d'offres concernant le déploiement du réseau complémentaire (décision attaquée, § 245 et 246).

33.Ces développements constituent une motivation suffisante permettant à la société TDF de comprendre les raisons pour lesquelles l'Autorité a considéré qu'elle conservait une position dominante forte sur les marchés de gros amont et aval, nonobstant la régulation sectorielle à laquelle elle était soumise par l'ARCEP sur le premier de ces marchés.

34.D'autre part, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'Autorité ne s'est pas contentée d'affirmations non circonstanciées pour conclure que la remise de plaque était présumée constituer un abus de position dominante, mais s'est fondée sur une analyse détaillée des modalités et des taux de cette remise. Quant aux références à la jurisprudence de la Cour de justice, elles sont suffisantes pour comprendre le raisonnement de l'Autorité.

35.En second lieu, l'allégation que l'Autorité se serait fondée à tort sur une présomption irréfragable d'illicéité d'une remise d'exclusivité telle que la remise de plaque, n'est pas un moyen de légalité externe, mais un moyen de légalité interne.

36.L'ensemble des moyens tirés d'une insuffisance de motivation de la décision attaquée sont donc rejetés.

II. SUR LES MOYENS DE LÉGALITÉ INTERNE

37.La cour rappelle, à titre liminaire, que le champ d'application de l'article 102 TFUE est de portée générale et ne saurait être limité, notamment, par l'existence d'un cadre réglementaire adopté par le législateur de l'Union en vue de réguler ex ante les marchés de télécommunication (CJUE, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C-295/12 P, point 128).

A. Sur les moyens relatifs au grief n° 1

38.Les requérantes soutiennent que la société TDF ne détient pas une position dominante sur le marché de gros amont (1.) Elles contestent que cette société ait mis en œuvre des pratiques d'instrumentalisation des servitudes, en se substituant à un service de l'Etat (2.), et de dénigrement de ses concurrents (3.).

1. Sur la position dominante de la société TDF sur le marché de gros amont

39.Les requérantes font valoir que la régulation du marché de gros amont de la diffusion hertzienne terrestre par l'ARCEP, et notamment les obligations qui sont imposées à la société TDF, a pour objet et pour effet de neutraliser la position dominante qu'elle détient sur ce marché.

40.Elles exposent en effet que cette régulation impose à la société TDF de donner accès à ses sites de diffusion aux opérateurs concurrents qui lui en feraient la demande et concerne également les tarifs de ses offres d'accès et d'hébergement, fixés de manière à respecter les impératifs de transparence et de non-discrimination, afin de garantir une concurrence loyale entre elle et ses concurrents. Il s'ensuit, selon elles, d'une part, que les opérateurs que la société TDF accueille sur ses sites disposent de conditions économiques équivalentes aux siennes et peuvent proposer leurs propres tarifs de diffusion aux opérateurs de multiplex, de sorte qu'ils peuvent lui livrer une concurrence efficace même s'ils ne disposent pas de leurs infrastructures propres. D'autre part, tout opérateur peut entrer facilement sur le marché de la diffusion de la TNT et répondre aux appels d'offres des opérateurs de multiplex sur l'ensemble du territoire national en utilisant ses offres d'accès, sans devoir immédiatement s'engager dans un projet de construction d'infrastructures.

41.Les requérantes font valoir, par ailleurs, qu'aucune barrière à l'entrée majeure n'est de nature à empêcher un opérateur concurrent de la concurrencer efficacement. D'une part, il n'existerait pas de barrières majeures à l'entrée sur le marché de gros amont ; d'autres part, de telles barrières existeraient-elles, qu'elles seraient neutralisées par la régulation sectorielle.

42.L'Autorité relève, en premier lieu, que la mise en place d'une régulation sectorielle par l'ARCEP sur le marché de gros amont conforte le constat d'une position dominante de la société TDF sur celui-ci, puisque c'est justement la domination du marché par un opérateur y exerçant une influence significative, notion définie de façon analogue à la position dominante, qui justifie que le régulateur lui impose des obligations ex ante. Elle ajoute qu'aux termes de la jurisprudence, la position dominante détenue par un opérateur historique sur le marché de gros n'est pas remise en cause du seul fait que celui-ci serait tenu de fournir aux opérateurs concurrents un accès à son réseau en raison de la régulation sectorielle et, d'autre part, que si la régulation sectorielle permet à des opérateurs alternatifs d'avoir recours aux offres de gros d'accès aux infrastructures de la société TDF pour répondre aux appels d'offres des opérateurs de multiplex sur le marché aval, elle ne rend possible qu'une concurrence par les services entre les diffuseurs sur le marché aval, à partir des infrastructures de la société TDF, sans permettre le développement d'une concurrence par les infrastructures, plus complète, sur l'ensemble de la chaîne de la diffusion hertzienne terrestre, en favorisant l'installation de sites-pylônes concurrents de la société TDF comme le préconise l'ARCEP.

43.En second lieu, l'Autorité fait valoir qu'il existe des barrières réelles à l'entrée et au développement sur le marché amont, barrières notamment liées aux contraintes foncières, administratives, techniques et réglementaires, qui freinent le développement des infrastructures alternatives. Elle ajoute que la régulation sectorielle de l'accès aux infrastructures de diffusion de la société TDF est sans incidence sur l'existence de barrières à l'entrée et au développement sur le marché amont.

44.Le marché de gros amont de diffusion par voie hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique confronte l'offre d'hébergement émanant d'opérateurs de diffusion qui possèdent des infrastructures de diffusion et la demande d'opérateurs de diffusion qui souhaitent bénéficier d'un hébergement de leurs équipements. Il s'agit d'un marché de dimension nationale.

45.Il résulte d'abord des éléments fournis par l'Autorité aux paragraphes 46, 51, 54 et 56 de la décision attaquée, non contestés par les requérantes, que, à la date de février 2012, le groupe TDF disposait d'environ 8 730 sites en France (Saisine 09/0109F, cote 5589), qui sont les supports de services de diffusion audiovisuelle ou de services de communications électroniques, dont environ 3 600 sont exploités pour la diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels. Par comparaison, les sociétés Itas Tim, towerCast et Onecast - seuls autres opérateurs détenant, à l'époque des faits, des infrastructures de diffusion - disposaient de, respectivement, 189 sites, 500 sites (dont 119 utilisés pour la diffusion TNT) et 2 sites.

46.Ainsi, à la date de février 2012, les sites propriété du groupe TDF représentaient environ 92 % du total des sites en France, et 92 % des sites exploités pour la diffusion TNT, étant souligné que ce pourcentage était nécessairement plus élevé encore entre mars 2009 et mars 2010, période couverte par les deuxième et troisième volets du grief n° 1, puisque, selon les requérantes (mémoire récapitulatif, point 87), au moins deux de ses concurrents, les société Itas Tim et towerCast, ont développé leurs infrastructures de diffusion tout au long de la période des pratiques.

47.Cela signifie que, à la période couverte par le grief n° 1, un opérateur de diffusion ne disposant pas de ses propres sites de diffusion, n'avait le plus souvent pas d'autre choix que de contracter avec la société TDF pour bénéficier d'un hébergement sur les installations de cette dernière.

48.Ensuite, toute concurrence sur le marché de gros amont présuppose la détention préalable d'infrastructures de diffusion, puisqu'un opérateur de diffusion qui ne dispose pas de telles infrastructures n'est pas en mesure de proposer une offre de gros d'hébergement.

49.Or, c'est à juste titre que, aux paragraphes 145 à 147 de la décision attaquée, l'Autorité a souligné l'existence de barrières à l'entrée sur le marché amont.

50.À cet égard, le fait, invoqué par les requérantes (mémoire récapitulatif, point 87) que, depuis le dépôt de sa plainte en septembre 2009, la société Itas Tim a implanté environ350 sites de diffusion de la TNT, notamment en répliquant onze sites considérés comme non réplicables par l'ARCEP, n'est pas de nature à infirmer le constat qui précède. En effet, ce nombre doit être rapporté aux milliers de sites de diffusion qui constituent les réseaux principal et complémentaire numériques.

51.De même, il importe peu que le coût de construction d'un site de diffusion soit relativement faible, ainsi que le soulignent les requérantes (mémoire récapitulatif, point 88), les barrières à l'entrée sur le marché de gros à l'entrée tenant, d'une part, au caractère très tendu du déploiement de la TNT (décision attaquée, § 145) et étant, d'autre part, de nature géographique, administrative, technique et réglementaire (décision attaquée, § 146 et 147).

52.L'Autorité a d'ailleurs constaté que les barrières à l'entrée ont fait preuve de leur efficacité lors du déploiement du réseau complémentaire numérique, pour lequel les opérateurs de diffusion concurrents avaient fait le choix de privilégier la concurrence par les infrastructures (décision attaquée, § 245).

53.Enfin, ces données objectives se traduisent dans les parts de marché détenues par la société TDF. Ainsi que le relève l'Autorité, au paragraphe 141 de la décision attaquée, à l'époque des faits, la société TDF détenait une part de marché en volume avoisinant 85 % sur le marché de gros amont. En valeur, elle détenait à la même époque, une part de marché supérieure à 80 % sur l'ensemble du marché (amont et aval) de la diffusion de la TNT.

54.À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante des juridictions de l'Union, si la signification des parts de marché peut différer d'un marché à l'autre, la possession, dans la durée, d'une part de marché extrêmement importante constitue, sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante, et des parts de marché de plus de 50 % constituent des parts de marché extrêmement élevées (CJUE, arrêts du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C-62/86, point 60, et du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission, C-457/10 P, point 176).

55.Au vu de ces éléments, c'est à juste titre que l'Autorité a retenu que la société TDF détenait une position dominante forte sur le marché amont.

56.Le fait que la société TDF était soumise à la régulation sectorielle imposée par l'ARCEP ne constitue pas une circonstance exceptionnelle, au sens de la jurisprudence précitée, de nature à remettre ce constat en cause.

57.Premièrement, il résulte de la pratique de la Commission de l'Union européenne (ci-après la " Commission ") [décision 2003/707/CE du 21 mai 2003, relative à une procédure d'application de l'article 82 CE (Affaires COMP/C-1/37.451, 37.578, 37.579 - Deutsche Telekom AG) (JOUE L 263, p. 9) ; décision du 4 juillet 2007 relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE (Affaire COMP/38.784 - Wanadoo España contre Telefónica) (JOUE 2008, C 83, p. 05)], validée par les juridictions de l'Union (TUE, arrêts du 10 avril 2008, Deutsche Telekom/Commission, T-271/03, et du 29 mars 2012, Telefónica et Telefónica de España/Commission, T-336/07 ; CJUE, arrêts du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C-280/08 P, et Telefónica et Telefónica de España/Commission, précité), que la régulation sectorielle d'un marché n'est pas exclusive de la détention d'une position dominante par une entreprise sur ce même marché.

58.Deuxièmement, les obligations imposées à la société TDF par l'ARCEP sur le marché de gros amont au titre de la régulation sectorielle, dans le but affirmé de substituer, sur le marché de gros aval, une concurrence par les services à la concurrence par les infrastructures, n'était pas de nature à priver cette société de son avance sur ses concurrents en matière d'infrastructures de diffusion, mais était au contraire susceptible de favoriser son maintien, en offrant à ses concurrents une alternative à l'implantation de leur propres infrastructures. Or, ainsi qu'il a déjà été souligné, s'il ne possède pas d'infrastructures de diffusion, un opérateur de diffusion ne peut pas entrer sur le marché de gros amont.

59.Troisièmement, la position dominante visée à l'article 102 CE concerne une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs. L'existence d'une position dominante résulte en général de la réunion de facteurs divers, qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants (CJUE, arrêt AstraZeneca/Commission, précité, point 175 ; TUE, arrêts du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission, T-128/98, point 147 ; du 17 décembre 2003, British Airways/Commission, T-219/99, point 189).

60.Or, aucune des obligations mises à sa charge par les décisions de l'ARCEP n° 2006-0161 et n° 2009-0484 n'était susceptible de priver la société TDF d'un tel pouvoir.

61.L'obligation imposée à la société TDF de faire droit à toute demande raisonnable d'accès à ses infrastructures de diffusion moyennant rémunération n'empêchait pas celle-ci d'adopter des comportements indépendants, notamment en matière de fixation des prix d'hébergement.

62.Quant aux obligations de non-discrimination et de transparence pour la fourniture des offres de gros de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique, et de publication d'une offre de référence technique et tarifaire des offres de gros de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique, elles avaient pour seul objet, et pour seul effet, de prévenir la mise en œuvre par la société TDF d'une pratique de ciseau tarifaire.

63.Sous cette seule limite, qui résulte, en dehors de toute régulation sectorielle, de l'interdiction des pratiques anticoncurrentielles, lesdites obligations ne privaient pas la société TDF de la possibilité d'adopter des comportements indépendants, notamment s'agissant de la fixation des prix d'hébergement sur ses infrastructures, vis-à-vis de ses concurrents, dont les propres infrastructures étaient insuffisamment développées.

64.La décision n° 2006-0161 ne fixait aucune autre limite à la fixation de ses prix par la société TDF, la seule véritable contrainte, au demeurant bien faible, résultant de l'obligation qui lui était faite de prévoir un délai de six mois entre l'annonce d'une modification de ses tarifs et sa mise en application.

65.Il est vrai que, par la décision n° 2009-0484 (article 7), l'ARCEP a imposé à la société TDF l'orientation de ses tarifs vers les coûts.

66.Il convient toutefois de relever, d'une part, que cette obligation nouvelle ne s'est appliquée qu'aux tarifs d'hébergement sur les sites déclarés non réplicables par l'ARCEP. Or ceux-ci ne sont qu'au nombre de 78 (dont 66 sites du réseau principal numérique et 12 sites du réseau complémentaire numérique), ce qui représente un pourcentage très faible des sites exploités pour la diffusion de la TNT. De surcroît, pour la période couverte par le grief n° 1, le déploiement du réseau principal numérique était déjà achevé, tandis que le réseau complémentaire numérique était, quant à lui, en plein développement. Or, rapporté au nombre total de sites de diffusion du réseau complémentaire, le nombre de 12 sites soumis à l'obligation d'orientation des tarifs vers les coûts est insignifiant.

67.D'autre part, ainsi que l'ont jugé les juridictions de l'Union, le fait qu'un opérateur ait été obligé d'ouvrir ses infrastructures à la concurrence à des prix orientés vers les coûts ne suffit pas à démontrer l'absence de position dominante de celui-ci. En effet, si la capacité d'imposer des augmentations de prix régulières constitue incontestablement un élément susceptible d'indiquer l'existence d'une position dominante, elle n'en constitue nullement un élément indispensable, l'indépendance dont jouit une entreprise dominante en matière de prix tenant davantage à la capacité de fixer ces derniers sans devoir tenir compte de la réaction des concurrents, clients et fournisseurs que dans la capacité de les augmenter (TUE, arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, précité, point 166).

68.Ainsi, nonobstant la régulation sectorielle, pour toute la période couverte par le grief n° 1, la société TDF a conservé la possibilité d'adopter des comportements indépendants de ses concurrents et de ses clients MUX sur le marché de gros amont.

69.L'ensemble des moyens contestant la position dominante forte de la société TDF sur le marché de gros amont pendant la période couverte par le grief n° 1 sont donc rejetés.

2. Sur les pratiques sur le marché de gros amont

a. Sur l'instrumentalisation des servitudes (deuxième volet du grief)

70.À titre liminaire, la cour rappelle que, ainsi que l'expose l'Autorité, au paragraphe 35 de la décision attaquée, le Code des postes et des communications électroniques prévoit deux types de servitudes radioélectriques. D'une part, les servitudes de protection des centres de réception radioélectriques contre les perturbations électromagnétiques (servitudes " brouillage/réception " ou PT1, prévues aux articles L. 57 à L. 62-1 du Code des postes et des communications électroniques), qui posent des conditions ou restrictions à l'implantation ou l'utilisation d'équipements potentiellement perturbateurs. D'autre part, les servitudes de protection des centres radioélectriques d'émission et de réception contre les obstacles (servitudes " obstacles " ou PT2, prévues aux articles L. 54 à L. 56-1 du Code des postes et des communications électroniques), qui posent des conditions ou des restrictions à l'implantation de bâtiments dans le périmètre qu'elles définissent.

71.Dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, le chapitre III " Droits de passage et servitudes " du titre II " Ressources et police " du livre II " Les communications électroniques " du Code des postes et des communications électroniques comporte notamment une section 2, intitulée " Servitudes de protection des centres radioélectriques d'émission et de réception contre les obstacles " et constituée des articles L. 54 à L. 56-1, et une section 3, intitulée " Servitudes de protection des centres de réception radioélectriques contre les perturbations électromagnétiques " et constituée des articles L. 57 à L. 62-1.

72.L'article L. 54 du Code des postes et des communications électroniques, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004, dispose : " Afin d'empêcher que des obstacles ne perturbent la propagation des ondes radioélectriques émises ou reçues par les centres de toute nature exploités ou contrôlés par les différents départements ministériels, il est institué certaines servitudes pour la protection des communications électroniques radioélectriques. "

73.Aux termes de l'article R. 24 alinéa 1er du Code des postes et des communications électroniques, dans toute zone de servitude instaurée en vertu à l'article L. 54 " il est interdit, sauf autorisation du ministre dont les services exploitent le centre ou exercent la tutelle sur lui, de créer des obstacles fixes ou mobiles dont la partie la plus haute excède une cote fixée par le décret prévu à l'article R. 25. "

74.L'article L. 57 du Code des postes et des communications électroniques, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004, dispose : " Afin d'assurer le fonctionnement des réceptions radioélectriques effectuées dans les centres de toute nature, exploités ou contrôlés par les différents départements ministériels, il est institué certaines servitudes et obligations pour la protection des réceptions radioélectriques. "

75.Il résulte de l'article R. 28 du Code des postes et des communications électroniques que les zones de servitude visées à l'article L. 57 sont qualifiées de " zone de protection radioélectrique " et que, pour les centres dits de première et de deuxième catégories, il est institué, à l'intérieur de la zone de protection, une " zone de garde radioélectrique ".

76.Aux termes de l'article R. 30 alinéa 2, " dans la zone de garde radioélectrique, il est interdit de mettre en service du matériel électrique susceptible de perturber les réceptions radioélectriques du centre ou d'apporter des modifications à ce matériel, sans l'autorisation du ministre dont les services exploitent le centre ou exercent la tutelle sur lui ".

77.De nombreux sites de diffusion exploités par Télédiffusion de France puis, avant sa privatisation, par la société TDF, ont bénéficié de servitudes instaurées par décret.

78.Considérant que, depuis sa privatisation, la société TDF ne remplissait plus les conditions pour continuer à se prévaloir desdites servitudes, l'Autorité, se fondant sur l'analyse des rapports de cette société avec cinq communes (Château-Gontier, Condé-sur-Noireau, Sisteron, Ruy-Montceau et Vendôme), lui reproche en substance d'avoir, lorsqu'elle était consultée par une collectivité territoriale sur un projet d'implantation d'un pylône concurrent dans une zone couverte par une servitude, acceptée de répondre comme si elle était encore un service de l'Etat, en s'opposant au projet.

79.Les requérantes reprochent à l'Autorité d'avoir eu recours à une théorie novatrice pour pallier l'absence de pratique de dénigrement, en méconnaissance des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 TFUE.

80.Elles font valoir que la validité des servitudes radioélectriques ne faisait pas de doute à l'époque des pratiques, dès lors que les décrets les instaurant étaient encore en vigueur. Elles soulignent que l'Agence nationale des fréquences (ci-après l'" ANFR ") n'a jamais dit, ni à la société TDF ni aux collectivités territoriales, au cours de la période visée par l'infraction, que ces servitudes étaient illégales, considérant à l'inverse à de nombreuses reprises qu'elles n'étaient pas abrogées et qu'il appartenait à la société TDF de se prononcer sur les projets pouvant les impacter, mentionnant expressément en mai 2012 que " les décrets sont pour le moment effectifs et opposables ".

81.Elles contestent que la société TDF se soit présentée aux collectivités territoriales comme une personne publique. Par ailleurs, elles démentent que cette société se soit prévalue d'un droit à être consultée sur un quelconque projet d'implantation et rappellent que le courriel type - dont le contenu est reproduit ci-après - que la société TDF a adressé en juillet 2009 à la quasi-totalité des communes de la plaque Alsace, leur demandant de la consulter préalablement à toute implantation d'un pylône concurrent, indiquait qu'il s'agissait d'une mesure de précaution.

82.Selon les requérantes, en tout état de cause, la décision attaquée ne rapporte pas la preuve que les servitudes ont constitué une barrière à l'entrée susceptible d'entraver le développement de la concurrence sur le marché de la diffusion, ni ne démontre que les avis de la société TDF ont causé un retard dans le développement des infrastructures concurrentes. Elles font notamment valoir que le retard d'installation des infrastructures d'Itas Tim a été causé par des éléments extérieurs auxdits avis.

83.En réponse, l'Autorité expose que la décision attaquée n'a pas qualifié le comportement consistant à invoquer des servitudes obsolètes ou inexistantes auprès des collectivités locales de dénigrement, mais lui reproche d'utiliser ces dernières pour justifier son propos dénigrant qui, lui, est visé par la troisième branche du grief.

84.Elle souligne que la société TDF ne répond plus aux critères définis par les dispositions des articles L. 54 et L. 57 du Code des postes et des communications électroniques pour bénéficier des servitudes radioélectriques, depuis qu'elle est devenue une personne morale de droit privé, de sorte que les décrets de servitudes étaient devenus sans objet. Il en résulterait qu'en répondant aux demandes d'avis des collectivités locales concernant les projets d'implantation de pylônes concurrents, TDF, en plus de s'ériger en un service de l'Etat en se prévalant d'un droit à être consultée, a utilisé un argumentaire fondé sur des servitudes dont elle ne pouvait se prévaloir à l'époque des faits.

85.Par l'intermédiaire du courriel type de juillet 2009, la société TDF se serait érigée en un service de l'Etat en se plaçant en interlocuteur exclusif des collectivités locales concernant les risques de perturbation et en s'octroyant, par là même, une compétence de vérification, voire d'opposition à des projets soumis par ses concurrentes, alors que le traitement des perturbations fait l'objet d'une procédure de droit commun relevant de la compétence de la COMSIS.

86.Au surplus, l'Autorité constate que les servitudes invoquées par TDF ne reposaient sur aucune justification technique ou juridique dès lors que le risque de brouillage est, dans les faits, inexistant.

87.La cour relève, à titre liminaire, que, ainsi que le souligne l'Autorité, le deuxième volet du grief n° 1 ne reproche pas à la société TDF un dénigrement.

88.En premier lieu, il est constant que, à la date à laquelle des servitudes ont été mises en place par décret en vertu des articles susmentionnés du Code des postes et télécommunications, devenu le Code des postes et des communications électroniques, les sites en bénéficiant étaient exploités par les services de l'État ou sous leur tutelle, mais que cette situation a définitivement pris fin avec l'entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 2003 et la privatisation de la société TDF en 2004.

89.L'Autorité en déduit que ces servitudes étaient caduques à la date des faits.

90.Mais, d'une part, force est de constater que les décrets de servitudes n'avaient pas disparu de l'ordre juridique en 2009 et 2010.

91.Or, si l'exploitation par les services de l'Etat des centres radioélectriques d'émission et de réception et des centres de réception radioélectrique était une condition sine qua non pour l'établissement de servitudes autour de ces centres en application des articles L. 54 et L. 57 du Code des postes et des communications électroniques, il ne résulte d'aucune disposition légale ou réglementaire que lesdites servitudes, une fois instituées, disparaîtraient du seul fait que les centres radioélectriques d'émission et de réception cesseraient d'être exploités par les services de l'Etat. La cour relève d'ailleurs que le législateur a également prévu, aux articles L. 56-1 et L. 62-1 du Code des postes et des communications électroniques, la possibilité, pour des opérateurs privés, de demander que des servitudes radioélectriques soient instituées au bénéfice des centres qu'ils gèrent, possibilité jamais mise en œuvre faute d'adoption des décrets d'application.

92.Dès lors, la réponse à la question du sort desdites servitudes, après la privatisation de la société TDF, n'allait pas de soi.

93.D'autre part, l'ANFR elle-même a considéré que la société TDF continuait de bénéficier des servitudes jusqu'à l'abrogation effective des décrets les ayant instaurées.

94.Le groupe de travail sur les servitudes radioélectriques, mis en place par la COMSIS, précisait, dans ses conclusions de juillet 2010, que, s'agissant de la validité des servitudes de France Télécom et TDF, " [l]'analyse juridique développée par l'ANFR figurant en pièce jointe a été validée par le groupe de travail (PJ n° 1) " (Saisine 09/0109F, cote 6942). Or, dans ladite pièce jointe n° 1, intitulée " Etude juridique relative à l'abrogation des servitudes dont bénéficient les opérateurs France Telecom (FT) et Telediffusion de France (TDF) ", l'ANFR écrivait que, " [s]ur la base [des] articles [L. 54 et L. 57 du Code des postes et communications électroniques], FT et TDF ont bénéficié et bénéficient toujours de décrets portant création de servitudes ", ajoutant que " [l]e fait que FT et TDF bénéficient de servitudes auxquelles ne peuvent prétendre leurs concurrents peut constituer pour elles un avantage " (Saisine 09/0109F, cote 6949). Ainsi, si l'ANFR soulignait également que les décrets de servitudes étaient " devenus illégaux du fait du changement de statut juridique respectif de ces désormais sociétés privées [TDF et France Télévisions] " (Saisine 09/0109F, cote 6950), elle n'en déduisait nullement la disparition des servitudes ni le fait que la société TDF n'en serait plus bénéficiaire, mais seulement la nécessité impérieuse d'abroger lesdits décrets.

95.Par ailleurs, projetant l'implantation d'un parc éolien dans une zone concernée par une servitude radioélectrique sur la commune d'Izé, une société Zelya avait posé à l'ANFR des questions ayant trait à cette servitude. Par deux courriels des 16 mai et 8 juin 2012, un représentant de l'ANFR a invité la société TDF à répondre elle-même auxdites questions. Le premier courriel était ainsi libellé : " L'ANRF a engagé une démarche visant à abroger l'ensemble des servitudes de TDF et de France Telecom. Si le processus devant mener à l'abrogation de ces décrets est engagé, les décrets sont pour le moment toujours effectifs et opposables. Il revient à TDF et France TDF (sic), en tant que bénéficiaires de ces servitudes, de se prononcer sur les projets pouvant les impacter. Ou s'il devait s'avérer que TDF considère que ces décrets n'ont dès à présent plus à être gérés (considérés comme inexistants) merci de nous l'indiquer. " (Saisine 09/0109F, cote 17914). Dans le second courriel, l'ANFR écrivait : " Les servitudes de TDF n'étant pas abrogées, il vous appartient de vous prononcer sur les sujets pouvant les impacter. " (Saisine 09/0109F, cote 17917).

96.Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin pour la cour de se prononcer sur le bien-fondé de l'analyse juridique de l'ANFR, il y a lieu de constater que la société TDF, qui connaissait cette analyse, était fondée à considérer que les centres qu'elle exploitait restaient protégés par les servitudes mises en place en application des articles L. 54 et L. 57 du Code des postes et des communications électroniques, nonobstant le fait qu'elle-même n'était plus un service de l'Etat depuis sa privatisation en 2004, et qu'elle pouvait donc se prononcer sur les projets d'implantation de pylônes radioélectriques dans les zones de servitude.

97.Mais, en second lieu, il résulte du libellé des articles R. 24 alinéa 1er et R. 30 alinéa 2 du Code des postes et des communications électroniques, que les servitudes établies en application des articles L. 54 et L. 57 du Code des postes et des communications électroniques n'emportent pas une impossibilité absolue d'implanter un pylône radioélectrique dans la zone couverte, puisqu'y est réservée la possibilité d'une autorisation d'implantation.

98.En effet, ces servitudes ont pour finalité de protéger les installations en bénéficiant contre les risques de perturbation des émissions et réceptions radioélectriques. À défaut d'un tel risque, rien ne justifie de refuser l'installation d'un bâtiment ou la mise en service de matériel électrique dans la zone de servitude.

99.La société TDF, personne morale de droit privée, dès lors qu'elle se reconnaissait elle-même comme le gestionnaire des servitudes, avait donc la possibilité d'émettre un avis favorable.

100.Or, en troisième lieu, la société TDF ne pouvait ignorer qu'une situation dans laquelle un opérateur économique jouit du droit discrétionnaire d'autoriser ou de refuser l'implantation d'infrastructures destinées à la concurrencer est incompatible avec une concurrence libre et non faussée.

101.Dans ces conditions, eu égard à la responsabilité particulière pesant sur elle en sa qualité d'entreprise en position dominante sur le marché de gros amont, il appartenait à la société TDF, lorsque son avis était sollicité par une collectivité territoriale, soit de refuser de se prononcer sur le projet d'une entreprise concurrente d'implantation d'un pylône dans une zone couverte par une servitude, son silence valant alors non-opposition au projet - position qu'elle a adoptée à compter de 2010 -, soit de n'émettre un avis négatif que dans les seuls cas où, à l'issue d'une analyse du projet concurrent, elle aboutissait au constat que celui-ci serait de nature à perturber le bon fonctionnement de ses propres infrastructures, et d'émettre un avis positif dans tous les autres cas.

102.Encore faut-il ajouter d'emblée que, eu égard à la mise en place de la COMSIS, laquelle garantit qu'il peut être remédié rapidement à d'éventuelles perturbations, un avis négatif ne pouvait être légitime qu'en cas de risque avéré de graves perturbations ne pouvant être réglées par les mesures que la COMSIS a le pouvoir de prendre. Or, c'est à juste titre que l'Autorité souligne qu'un tel risque est infinitésimal, voire inexistant, s'agissant de l'implantation d'un pylône radioélectrique, qui est une armature métallique très légère insusceptible de constituer un obstacle à la propagation des ondes radioélectriques (décision attaquée, § 127). Le seul exemple de perturbations consécutives à l'implantation d'un nouveau pylône qu'ont pu citer les requérantes - qui concernait la commune de Sisteron - (mémoire récapitulatif, points 121 et 128) le confirme, puisque, outre qu'il n'y avait pas de servitudes, les perturbations ont été réglées en une seule journée par une simple modification technique sur l'émetteur de la société TDF (décision attaquée, § 182).

103.Force est de constater que, dans tous les dossiers que l'enquête de ses services d'instruction a porté à la connaissance de l'Autorité, la société TDF a opposé un refus de principe aux projets d'implantation, sans aucune analyse au cas par cas. Il apparaît ainsi qu'elle s'est fondée sur la simple existence de servitudes, et non sur le constat d'un risque avéré de graves perturbations.

104.Il s'agissait d'une politique d'entreprise, ainsi que le démontre le fait que les cinq communes concernées (Château-Gontier, Condé-sur-Noireau, Sisteron, Ruy-Montceau et Vendôme) sont réparties sur l'ensemble du territoire national.

105.S'il en était besoin, un élément démontre que la société TDF était consciente du caractère abusif de cette politique : s'agissant d'un projet d'implantation d'un pylône par la société Itas Tim à proximité d'une de ses installations, la société TDF, sollicitée par la mairie de Vendôme, s'est, dans un courrier du 5 mai 2010, prévalue d'une servitude de type PT2 (Saisine 09/0109F, cote 6580), ce qui a conduit la mairie de Vendôme à s'opposer au projet (Saisine 09/0109F, cotes 6582 et 6583). La société Itas Tim lui en ayant fait le reproche, la société TDF a, dans son courrier en réponse du 18 mai 2010 (Saisine 09/0109F, cote 6585), nié avoir émis un avis négatif, alors que son courrier du 5 mai 2010 ne pouvait qu'être interprété comme une opposition à la réalisation du projet. Par ailleurs, dans le cadre de la procédure initiée par la société Itas Tim devant la COMSIS concernant ce même projet, la société TDF s'est gardée de se prévaloir de ladite servitude, et a uniquement invoqué des arguments techniques pour s'opposer à cette implantation, arguments d'ailleurs écartés par la COMSIS par décision du 21 mai 2010 (Saisine 09/0109F, cote 6586).

106.Un autre indice démontre encore que la société TDF, sous couvert de faire respecter les servitudes établies autour de certains de ses pylônes, poursuivait une politique anticoncurrentielle. Ainsi que l'a souligné l'Autorité aux paragraphes 95 à 97 de la décision attaquée, sollicitée le 26 octobre 2009 par le maire de Ruy-Montceau, la société TDF s'est opposée à un projet d'installation d'un pylône par la société Itas Tim en invoquant les servitudes PT1 et PT2 dont bénéficiaient prétendument ses propres installations (Saisine 09/0109F, cotes 6563 et 6564), alors que ces servitudes n'existaient pas. Mieux, comme l'a relevé l'Autorité aux paragraphes 92 à 94 de la décision attaquée, la société TDF a, par courrier du 2 mars 2009, reproché à la mairie de Sisteron de ne pas l'avoir consultée sur un autre projet d'Itas Tim se situant, selon elle, à l'intérieur du périmètre d'une servitude de protection radioélectrique, alors qu'une telle servitude n'avait jamais existé (Saisine 09/0109F, cotes 223 et 224). Dans l'un et l'autre cas, la société TDF ne saurait alléguer une erreur, alors que chaque servitude est établie par décret.

107.Enfin, va dans le même sens l'abandon de ladite politique à compter de 2010, sans qu'il soit justifié par une évolution du cadre réglementaire ou de l'analyse de l'ANFR. À cet égard, et contrairement à l'interprétation qui pourrait être faite des paragraphes 103 et 104 de la décision attaquée, la décision de la COMSIS du 21 mai 2010, relative à l'implantation d'un pylône par la société Itas Tim sur la commune de Vendôme, n'a pas pu, en tant que telle, persuader la société TDF de l'illicéité de sa pratique antérieure. En effet, ainsi qu'il a déjà été relevé, dans le cadre de ce litige, la servitude dont bénéficiait la société TDF n'a même pas été évoquée devant la COMSIS.

108.Le constat qu'une opposition de principe aux projets d'implantation concurrente était inacceptable au regard des règles de la concurrence aurait dû être fait par la société TDF dès sa privatisation, en 2004, et en tout cas dès le moment où la question du sort des servitudes est devenue cruciale avec le déploiement du réseau complémentaire numérique à partir de mars 2008.

109.Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité a reproché à la société TDF d'avoir, par une instrumentalisation des servitudes constitutive d'une politique de communication trompeuse auprès des collectivités locales, cherché à faire obstacle à l'implantation de pylônes par ses concurrents en vue d'empêcher, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale par les mérites, le développement d'une concurrence par les infrastructures, pratique constitutive d'un abus de position dominante.

110.C'est en vain que les requérantes font valoir qu'il n'est ni établi que les servitudes ont constitué une barrière à l'entrée susceptible d'entraver le développement de la concurrence sur le marché de la diffusion, ni démontré que les avis de la société TDF ont causé un retard dans le développement des infrastructures concurrentes.

111.Il résulte en effet de l'instruction (décision attaquée, § 87, 99, 102) que plusieurs refus de maires de voir la société Itas Tim implanter un pylône radioélectrique ont été provoqués par l'opposition de la société TDF au projet, ce qui suffit à conclure que les avis de la société TDF ont eu un effet sur le développement de la concurrence par les infrastructures.

Même si ces refus ont été finalement levés, après des démarches de la société Itas Tim, ils ont obligé cette société à mobiliser des ressources et du temps pour surmonter les oppositions initiales des maires, et ont retardé le développement de ses infrastructures.

112.Le deuxième volet du grief n° 1 est donc établi.

b. Sur le dénigrement des sociétés concurrentes auprès des communes de la plaque Alsace (troisième volet du grief)

113.La cour rappelle que l'Autorité a adressé, en juillet 2009, à la quasi-totalité des communes de la plaque Alsace (vingt-sept sur trente et une), un courriel type ainsi libellé :

" Monsieur le Maire,

Vous trouverez ci-dessous quelques points importants ainsi que mes coordonnées suite à notre conversation. Je vous confirme que TDF émettra les programmes de TNT à partir de son site si nous sommes retenus en tant que diffuseur (la mise en service est annoncée pour le 2 novembre 2009 par le CSA). Je vous rappelle par la même occasion que TDF est un mutualiseur de sites qui met ses infrastructures à disposition des opérateurs de diffusion quel que soit le service diffusé (TV, téléphonie mobile, etc.).

[...]

Dans certains cas, une Déclaration Préalable est déposée par une société concurrente afin de pouvoir ériger un nouveau pylône à proximité immédiate du site TDF existant. Les sites TDF diffusant généralement plusieurs services, sont parfois protégés par des servitudes radioélectriques et reliés par des faisceaux hertziens. Il est donc nécessaire de nous aviser de la chose afin d'anticiper toute perturbation.

[...] "

114.En substance, l'Autorité reproche à la société TDF d'avoir, en mentionnant, dans son courriel type, un risque spécifique de brouillage en cas d'implantation d'un pylône concurrent à proximité de ses installations, tenu un discours dénigrant de nature à induire en erreur les collectivités territoriales destinataires et à les inciter à refuser les projets d'infrastructures de diffusion de ses concurrents.

115.Les requérantes soutiennent que les messages prétendument dénigrants étaient parfaitement objectifs, faisaient état d'un risque avéré de perturbation des ondes radioélectriques et n'étaient pas suffisamment ciblés pour identifier un opérateur particulier, de sorte qu'ils ne contenaient aucun élément dépréciatif. Elles ajoutent que ces messages étaient le fruit d'une action locale et circonscrite à une zone, et ne caractérisaient donc pas une politique d'entreprise. De plus, le discours porté par lesdits messages aurait été dénué de tout effet auprès de ses partenaires commerciaux ou de la clientèle potentielle de ses concurrents, tandis que l'Autorité ne démontrerait pas l'existence d'un lien de causalité avec les décisions de maires de refuser l'implantation de l'infrastructure d'un concurrent.

116.Elles en concluent que, en application des standards de preuve en matière de dénigrement, il ne peut rien être reproché à ce titre à la société TDF.

117.L'Autorité réfute l'ensemble de cette argumentation. Elle affirme notamment que le risque de perturbation, avancé par la société TDF dans ses messages aux maires, n'était pas avéré et qu'en mentionnant un risque spécifique de brouillage en cas de localisation des émetteurs sur deux pylônes proches appartenant à deux opérateurs concurrents, la société TDF a tenu un discours dénigrant de nature à induire en erreur les collectivités locales et à les inciter à refuser l'implantation de ces infrastructures. Elle ajoute que le discours a eu un effet direct, d'abord, sur les clients MUX par le truchement des collectivités locales, ensuite, sur les collectivités locales en tant que clientes des opérateurs de diffusion lorsqu'elles se substituent à l'offre privée sur les zones blanches de la TNT, enfin, sur les autres opérateurs techniques qui auraient souhaité une offre d'hébergement sur pylône alternative à celle de la société TDF.

118.En premier lieu, quant à la portée du grief, la cour constate qu'il est reproché à la société TDF, d'une part, d'avoir dénigré " ses concurrents en infrastructures par l'envoi d'un courriel type sur la quasi-intégralité des communes concernées par le déploiement de la TNT sur " plaque Alsace " alertant celles-ci sur les risques qu'une telle concurrence pourrait générer ", d'autre part, d'avoir demandé " à être systématiquement consultée pour éviter toute perturbation ", ces faits s'étendant " sur une période courant de janvier 2009 à août 2009 ".

119.Or l'Autorité n'établit pas que la société TDF aurait demandé, par une autre voie que le courriel type de juillet 2009, à être systématiquement consultée sur tout projet d'implantation d'un pylône sur le territoire des communes de la plaque Alsace.

120.Certes, ce courriel type commence par la phrase suivante : " Vous trouverez ci-joint quelques points importants ainsi que mes coordonnées suite à notre conversation " ; il est toutefois impossible d'en déduire que la société TDF avait déjà, lors des conversations ayant précédé l'envoi du courriel type, demandée à être systématiquement consultée par les mairies sur les projets d'implantation, a fortiori qu'une telle demande aurait été motivée par la nécessité d'éviter toute perturbation.

121.Par ailleurs, s'agissant du seul exemple d'échanges avec une collectivité de la plaque Alsace antérieurs au 2 juillet 2009, à savoir ceux avec la commune de Thiéfosse (décision attaquée, § 67 et 71 à 73), si c'est le maire de Thiéfosse qui a pris attache avec la société TDF sur une possibilité d'hébergement à la suite d'une demande d'implantation d'un pylône par la société Itas Tim, il n'est pas établi, ni même allégué, que cette démarche faisait suite à une démarche préalable de la société TDF invitant le maire à la consulter.

122.Dès lors, la cour considère qu'il n'est pas démontré que la société TDF a demandé à être systématiquement consultée pour éviter toute perturbation par une autre voie que son courriel type de juillet 2009.

123.Elle limitera donc son analyse ci-après au contenu et aux conséquences de ce courriel type.

124.En second lieu, il résulte des constatations de l'Autorité, au paragraphe 69 de la décision attaquée, que, sur les vingt-sept communes destinataires dudit courriel type, treize étaient concernées par une servitude radioélectrique.

125.Ainsi qu'il a déjà été dit ci-dessus, à la date des faits, la société TDF était fondée à considérer que les sites qu'elle exploite restaient protégés par les servitudes mises en place en application des articles L. 54 et L. 57 du Code des postes et des communications électroniques et qu'elle pouvait se prononcer sur les projets d'implantation de pylônes radioélectriques dans les zones de servitude.

126.La démarche de la société TDF demandant aux maires de ces treize communes de l'aviser de tout projet d'implantation d'un pylône dans une zone de servitude n'était donc pas en soi répréhensible. Toutefois, la société TDF ne s'est pas contentée d'une telle demande, mais l'a motivée par la nécessité d'anticiper les risques de perturbation, de sorte que, même pour lesdites communes, il y a lieu de rechercher si le courriel type est dénigrant.

127.Quant aux quatorze autres communes de la plaque Alsace qui n'avaient aucune servitude sur leur territoire, soit environ la moitié des communes destinataires du courriel type, la demande de la société TDF d'être avisée de tout projet d'implantation d'un pylône sur le territoire communal ne peut être justifiée par l'existence de servitudes radioélectriques. Eu égard au nombre relativement faible de communes concernées, vingt-sept, la société TDF aurait pourtant pu sans difficulté n'adresser son courriel type qu'aux seules communes dont le territoire comportait des servitudes radioélectriques.

128.Il est vrai que, par ce courriel type, la société TDF n'a pas cherché à faire croire que tous les sites TDF de la plaque Alsace étaient protégés par des servitudes, l'adverbe " parfois " ne pouvant laisser aucun doute aux destinataires à cet égard. Mais, d'une part, le courriel type évoque, à égalité, deux situations où la société TDF devrait être avisée : l'existence d'éventuelles servitudes et l'existence de liaisons par faisceaux hertziens entre différents sites. D'autre part, la dernière phrase du paragraphe litigieux (" Il est donc nécessaire de nous aviser de la chose afin d'anticiper toute perturbation ") s'adresse sans équivoque à toutes les communes destinataires.

129.Pour les quatorze communes dépourvues de zones de servitude, la cour considère que le seul fait pour la société TDF de demander à être avisée de tout projet d'implantation d'un pylône est en soi un abus, cela revenant à exiger une information et un droit de regard sur les projets de ses concurrents. Il ne peut notamment être exclu qu'au cours des échanges qu'elle se ménageait ainsi avec les maires, la société TDF ait vanté la solution de l'hébergement au détriment de l'implantation de pylônes concurrents, la force d'un tel discours étant renforcée par l'image dont, en 2009, jouissait cette société, ancien monopole d'État et partenaire de longue date des collectivités locales. La cour constate toutefois, notamment au vu des paragraphes 160 à 195 de la décision attaquée, que l'Autorité n'a incriminé le courriel type qu'en tant qu'il serait dénigrant.

130.En troisième lieu, le dénigrement figure parmi les actes répréhensibles dès lors qu'il est en lien avec la position dominante de son auteur et qu'il consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié.

131.Il ne peut être nié que l'implantation d'un second pylône radioélectrique à côté d'un premier pylône augmente le risque de brouillage des ondes radioélectriques, ce que démontre l'existence d'une procédure COMSIS visant à traiter les risques de perturbation en amont, par une gestion préventive du spectre et des implantations, et en aval, par une gestion curative des brouillages (décision attaquée, § 172). L'Autorité a d'ailleurs admis que l'" examen préalable des implantations ne permet toutefois pas de garantir qu'aucune perturbation technique ne pourra apparaître au moment de la mise en service des émetteurs ou au cours de leur exploitation " (décision attaquée, § 174). La référence au risque de perturbation figurant dans le courriel type n'est donc pas mensongère.

132.Toutefois, ainsi que le reconnaissent les requérantes (mémoire récapitulatif, point 105), le dénigrement peut découler du caractère incomplet de l'information délivrée, en cas d'omission délibérée d'une information essentielle.

133.À cet égard, il a déjà été relevé qu'est inexistant, et en tout cas infinitésimal, le risque que l'implantation de pylônes radioélectriques à côté des installations de la société TDF entraîne des perturbations que la procédure COMSIS ne serait pas en mesure de régler à très bref délai - seule hypothèse où pourrait être allégué le bien-fondé d'une intervention préventive de la société TDF. Par ailleurs, le risque de perturbations n'est pas plus élevé dans l'hypothèse où la société TDF héberge sur l'un de ses pylônes les équipements de diffusion de sociétés concurrentes. En faisant valoir, dans son courriel type, le besoin d'" anticiper toute perturbation " pour demander aux maires de l'aviser systématiquement des projets des sociétés concurrentes, sans leur communiquer ces informations, pourtant essentielles pour éclairer leurs décisions sur les projets d'implantation, la société TDF a donc adopté une présentation trompeuse de la situation.

134.Pour autant, une information incomplète, voire trompeuse, n'est pas nécessairement constitutive du dénigrement d'un concurrent ou de ses produits.

135.Selon l'Autorité, " en mentionnant l'existence de servitudes et en demandant d'être consultée au stade de la demande préalable de travaux en cas de projet d'installation d'un pylône concurrent, TDF laisse croire que cette installation créerait un risque irréversible de perturbation que seule une intervention ex ante pourrait prévenir, le cas échéant sous la forme d'une interdiction d'implantation " (décision attaquée, § 169).

136.Mais l'Autorité surinterprète le courriel type.

137.D'abord, dès lors que le courriel type invitait les maires à consulter la société TDF sur tout projet d'implantation d'un pylône concurrent, ceux-ci n'étaient pas incités à s'opposer à un tel projet avant d'avoir été préalablement éclairés par la société TDF.

138.Ensuite, si la lecture du courriel type indiquait aux maires destinataires que l'implantation d'un pylône concurrent entraînerait vraisemblablement des perturbations, rien, dans ce message, ne pouvait les amener à penser que ces perturbations seraient irréversibles, ni même graves.

139.Enfin, en invitant les maires à aviser la société TDF " afin d'anticiper toute perturbation ", le courriel type laissait entendre que des remèdes pouvaient être mis en œuvre de sorte que, loin de laisser croire aux maires que la solution passait par une interdiction d'implantation d'un pylône concurrent, le courriel type suggérait qu'une intervention de la société TDF sur ses propres installations permettrait d'éviter les perturbations.

140.La cour constate d'ailleurs que, s'agissant des maires de Mitzach et de Plaine, qui ont, après réception du courriel type, opposé un refus aux projets d'implantation de la société Itas Tim, l'explication fournie tenait, non pas aux risques de perturbation de la réception de la TNT dans la commune, mais à des questions environnementales.

141.Plus fondamentalement, le courriel type se borne à une présentation des conséquences de la co-localisation de deux pylônes, certes incomplète, et à ce titre trompeuse, mais neutre en ce qu'elle n'est pas orientée contre les sociétés concurrentes de la société TDF. En effet, il s'en déduit que le risque de perturbation résulte de toute implantation d'un nouveau pylône à côté d'un premier pylône, quels que soient les exploitants respectifs de l'un et de l'autre. Ce n'est donc en rien une critique de l'entreprise poursuivant le projet d'implantation d'un nouveau pylône, ou de ses produits ou services.

142.Dans ces conditions, le caractère dénigrant du courriel type n'est pas démontré.

143.La cour ajoute que c'est davantage la possibilité que la société TDF s'est réservée, par le courriel type, de pouvoir influencer la décision des collectivités territoriales sur les projets d'implantation concurrentes à l'occasion de sa consultation par les maires, qui soulève des questions de compatibilité avec une concurrence loyale et non faussée. Mais, ainsi qu'il a déjà été constaté, l'Autorité n'a pas incriminé ce comportement en tant que tel, mais le seul caractère prétendument dénigrant du courriel type.

144.Dès lors, il y a lieu de constater que le troisième volet du grief n° 1, relatif à la mise en œuvre d'une politique de communication dénigrante auprès des collectivités locales, n'est pas établi.

B. Sur les moyens relatifs au grief n° 3

145.Les requérantes soutiennent que la société TDF ne détient pas une position dominante sur le marché de gros aval (1.) Elles font valoir en outre que la pratique de la remise de plaque n'était pas anticoncurrentielle et qu'en tout état de cause, elle était objectivement justifiée (2.).

1. Sur la position dominante de la société TDF sur le marché de gros aval

146.Les requérantes contestent que la société TDF détienne une position dominante sur le marché aval.

147.En premier lieu, elles expliquent d'abord que le pouvoir de marché des opérateurs de diffusion ne peut être exclusivement évalué par un critère de part de marché dans le cadre de marchés d'appel d'offres, car la mécanique même des appels d'offres l'empêche de fixer ex post ses prix indépendamment du comportement de ses clients et concurrents.

148.Elles ajoutent que la société TDF ne bénéficie d'aucune position préférentielle pour soumettre une offre sur l'intégralité des sites composant un appel d'offres en raison de l'obligation qui lui est faite par l'ARCEP de proposer à ses concurrents des offres d'accès sur l'ensemble de ses sites, ce qui permet à ces derniers de répondre dans les mêmes conditions qu'elle à l'ensemble des appels d'offres des opérateurs de multiplex.

149.En outre, les opérateurs alternatifs que sont les sociétés towerCast et Itas Tim auraient tous deux bénéficié de leur appartenance à deux groupes importants, ce qui est de nature à relativiser le pouvoir de marché éventuel dont jouirait la société TDF.

150.En second lieu, les requérantes affirment que les opérateurs de multiplex disposent d'un fort pouvoir de négociation, en raison de l'intégration verticale dont ils bénéficient ainsi que de la concentration élevée de la demande du marché aval de la diffusion de la TNT.

151.En réponse, l'Autorité soutient, en premier lieu, que le fonctionnement par appel d'offres du marché de gros aval n'exclut pas la position dominante de la société TDF résultant de la détention de part de marché très élevées.

152.Par ailleurs, l'Autorité observe que la part de marché et la taille des opérateurs concurrents sont bien plus faibles que celles de l'opérateur historique - les parts de marché cumulées des opérateurs alternatifs n'excédant pas en valeur 21 % du marché de gros aval en 2008 et 2009 -, et leurs moyens humains et matériels bien plus réduits.

153.En second lieu, l'Autorité affirme que la société TDF est un opérateur de diffusion hertzienne incontournable pour les clients MUX sur le marché de gros aval, nonobstant l'existence, sur le marché de gros amont, d'offres régulées d'accès à ses infrastructures destinées aux opérateurs alternatifs de diffusion. En effet, outre des parts de marchés très élevées, la situation particulière de la société TDF en tant qu'opérateur historique, disposant d'une forte notoriété, du seul réseau d'infrastructure déployé sur l'ensemble du territoire national, ainsi que la taille et les capacités limitées des opérateurs concurrents, en feraient une référence pour l'ensemble du secteur et un partenaire commercial incontournable pour les opérateurs de multiplex. En particulier, elle serait la seule à pouvoir répondre, sans délai et à partir de ses propres infrastructures, à l'intégralité des appels d'offres lancés par les opérateurs de multiplex, ce qui lui conférerait une capacité commerciale sans équivalent pour un grand nombre de sites.

154.Le marché de gros aval de diffusion par voie hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique est un marché sur lequel l'ensemble des opérateurs de diffusion offrent des services de diffusion aux éditeurs de programmes télévisuels, regroupés et représentés par les opérateurs de multiplex ; il s'agit d'un marché de dimension nationale.

155.C'est par une motivation suffisante, que la cour fait sienne, que l'Autorité a caractérisé la forte position dominante dont jouit la société TDF sur le marché de gros aval (décision attaquée, § 141 à 144 et 148 à 149).

156.En premier lieu, il est erroné de prétendre, comme le font les requérantes, que l'Autorité se serait exclusivement fondée sur le critère des parts de marchés qu'elle détient pour conclure qu'elle était en position dominante.

157.L'Autorité a également retenu, au nombre des éléments caractérisant la position dominante de la société TDF :

- le fait que les opérateurs concurrents sont significativement plus petits qu'elle, tant au regard de leurs parts de marchés sur le territoire national qu'au regard de leur taille ou de la taille de leur groupe (décision attaquée, § 142) ;

- la forte notoriété de la société TDF ainsi que le capital unique d'informations et de relations qu'elle détient, découlant de sa situation particulière d'ancien opérateur historique de la diffusion hertzienne bénéficiant d'un monopole d'État (décision attaquée, § 143 et 144) ;

- le fait que, la société TDF ayant hérité du réseau historique d'infrastructures déployé sur la totalité du territoire national du temps du monopole, elle est le seul opérateur verticalement intégré présent sur tout le territoire (décision attaquée, § 143) ;

- le contre-pouvoir limité de ses clients (les MUX) (décision attaquée, § 148 et 149).

158.S'agissant de l'indice tiré de la taille relative des opérateurs alternatifs, et des groupes dont ils dépendent, par rapport à celle de la société TDF, si les requérantes rappellent que les sociétés towerCast et Itas Tim appartiennent à des groupes importants - respectivement NRJ et Itas -, il n'en reste pas moins que, ainsi que l'a rappelé l'Autorité sans être démentie (observations, point 71), les groupes NRJ et Itas ont une taille inférieure à celle du groupe TDF.

159.De plus, les requérantes ne contestent pas que les sociétés Itas Tim, towerCast et Onecast, opérateurs concurrents sur le marché de gros aval, étaient significativement plus petites que la société TDF. Afin de mesurer l'importance de l'écart entre la société TDF et ses concurrents à la fin de la période couverte par le grief n° 3, il convient de rappeler l'analyse qu'a faite l'ARCEP dans son avis n° 09-A-09 du 17 avril 2009 : " en face de TDF, trois types de concurrents peuvent être distingués. Tout d'abord towerCast, seul véritable acteur disposant de quelques infrastructures alternatives à celles de TDF [...] Les parts de marché de towerCast semblent cependant stagner. De leur côté, TF1, qui a créé OneCast [...] et Canal Plus, qui s'auto-diffuse partiellement, n'ont pas la " masse critique " pour concurrencer efficacement TDF dans le domaine de la diffusion. Enfin, la société Itas Tim semblerait a priori disposer d'un modèle économique prometteur car elle est une filiale d'un groupe actif dans la vente d'infrastructures de diffusion. Cependant, cette entreprise de 25 salariés seulement, et à l'heure actuelle sans chiffre d'affaires, n'a commencé ses activités qu'en septembre 2008 et n'a répondu que très partiellement aux derniers appels d'offres, n'obtenant qu'une part minime des fréquences proposées. "

160.S'agissant de la forte notoriété de la société TDF, comme du fait qu'elle est le seul opérateur verticalement intégré présent sur tout le territoire, c'est en vain que les requérantes prétendent que ces avantages seraient annihilés par la régulation sectorielle mise en place par l'ARCEP sur le marché de gros amont.

161.En effet, si cette régulation sectorielle a effectivement permis une concurrence par les services sur le marché de gros aval, elle n'a eu aucune incidence sur la notoriété de la société TDF et le capital unique d'informations et de relations qui est le sien.

162.Par ailleurs, il ne saurait être sérieusement contesté que, nonobstant la régulation sectorielle sur le marché de gros amont, la détention par la société TDF d'un réseau historique d'infrastructures déployé sur la totalité du territoire national, tandis que ses concurrents doivent, le plus souvent, être hébergés sur les installations de la société TDF, donne à cette société un avantage considérable sur le marché de gros aval. C'est à juste titre que l'Autorité a souligné, au paragraphe 149 de la décision attaquée, que la société TDF " est le seul opérateur de diffusion en mesure de se positionner, sans délai et à partir de ses propres infrastructures, sur la totalité des points de services mis en concurrence dans le cadre du déploiement de la TNT, ce qui lui confère une capacité commerciale sans équivalent pour un grand nombre de sites ". De même, ainsi que l'indique l'Autorité (observations, point 83), l'examen des candidatures et du résultat des appels d'offres lancés pour le déploiement de la TNT confirme que la société TDF est un opérateur incontournable pour les opérateurs de multiplex : d'une part, elle a été la seule à répondre à une grande proportion des appels d'offres du réseau complémentaire de la TNT ; d'autre part, elle a remporté une grande majorité des appels d'offres du réseau principal numérique comme du réseau complémentaire, même lorsque des concurrents ont proposé des offres alternatives plus compétitives en prix.

163.Il peut d'ailleurs être noté que les opérateurs de diffusion concurrents ont privilégié la concurrence par les infrastructures sur le réseau complémentaire numérique (décision attaquée, § 245), ce qui démontre que la solution de l'hébergement sur les installations de la société TDF ne présente pas les mêmes avantages pour un opérateur que la construction et l'exploitation de ses propres installations.

164.Enfin, les requérantes contestent vainement l'affirmation de l'Autorité selon laquelle le pouvoir de négociation des opérateurs de multiplex serait limité.

165.Ce caractère limité découle d'abord du caractère de partenaire incontournable qu'a la société TDF, ainsi qu'il vient d'être exposé, et qui conduit les opérateurs de multiplex à contracter avec elle, nonobstant des prix plus élevés.

166.Comme le fait justement valoir l'Autorité (observations, points 89 à 91), l'intégration verticale n'était pas une alternative crédible aux services de l'opérateur historique de diffusion, ainsi que le démontre le fait que les MUX SMR6, qui compte TF1 parmi ses chaînes, et NRJ12, membre du groupe NRJ, ont néanmoins choisi la société TDF pour la majorité de leurs appels d'offres, et non, pour l'une, Onecast, membre du groupe TF1, et, pour l'autre, towerCast, membre du groupe NRJ, la disparition de la société Onecast en 2014 en étant une autre preuve.

167.Les limites au pouvoir de négociation des opérateurs de multiplex sont ensuite la conséquence, rappelée au paragraphe 149 de la décision attaquée, de l'obligation de couverture en numérique de 95 % de la population française, qui pèse sur eux, ce qui leur interdit de refuser de passer contrat avec un diffuseur pour la diffusion de leurs programmes à partir d'un site au motif, par exemple, que les prix pratiqués leur apparaîtraient trop élevés. Or, ainsi que le souligne justement l'Autorité (observations, point 88), dans les zones de déploiement où, hors TDF, aucun autre diffuseur n'avait répondu, les opérateurs de multiplex se trouvaient de facto captifs des offres de l'opérateur historique. C'est en vain que les requérantes soutiennent que l'Autorité aurait méconnu la possibilité des éditeurs de s'auto-diffuser, alors que, comme le rappelle cette dernière (observations, point 96), le choix de l'auto-diffusion ne concerne que Canal Plus, et pour une partie seulement de ses besoins de diffusion hertzienne.

168.Enfin, c'est à juste titre que l'Autorité a indiqué, au paragraphe 148 de la décision attaquée, que le nombre relativement réduit des acheteurs (huit opérateurs de multiplex entrés progressivement sur le marché de la TNT entre 2005 et 2012, et six seulement pendant la période couverte par le grief n° 3), qui pourrait leur procurer une puissance d'achat, doit être relativisé au regard du nombre encore plus réduit des offreurs, qui a oscillé, depuis 2005, entre trois et quatre.

169.Tous les éléments rappelés ci-dessus, et dont les requérantes contestent en vain l'exactitude, sont pertinents aux fins de conclure à l'existence d'une position dominante, y compris sur un marché fonctionnant par appels d'offres, tel le marché de gros aval.

170.À cet égard, il peut être relevé que, tandis que la société TDF répond à la totalité des appels d'offres des opérateurs de multiplex, la société Itas Tim n'a, aux dires même des requérantes (mémoire récapitulatif, point 257, note 232), répondu qu'à 300 à 400 appels d'offres sur un total de 1 518, soit un taux de participation de 20 à 26 %.

171.Ce constat suffit à démontrer que le fonctionnement d'un marché par appels d'offres n'est pas exclusif d'une situation de position dominante sur ce marché, et peut même exacerber les avantages dont jouit l'entreprise en position dominante par rapport à ses concurrents, notamment lorsque ces derniers, qui n'ont pas les mêmes moyens, n'ont pas la possibilité de la concurrencer sur chaque appel d'offres.

172.En second lieu, le critère des parts de marchés reste pertinent pour apprécier l'existence d'une position dominante sur un marché fonctionnant par appels d'offres.

173.En effet, même si chaque appel d'offres constitue un marché instantané résultant de la rencontre d'un appel d'offres et des soumissions déposées en réponse, l'aptitude d'un opérateur à remporter un nombre substantiel d'appels d'offres et, partant, à détenir, sur le marché global, des parts de marchés élevées, est un indice qu'il détient une position de puissance économique.

174.Les parts de marchés détenues par la société TDF sur le marché de gros aval sont très fortes : en volume, elles étaient de plus de 70 % au cours de la période couverte par le grief n° 3 (décision attaquée, § 141) ; en valeur, elles ont été respectivement de 84 % en 2005, 85 % en 2006, 83 % en 2007, 79 % en 2008 et 79 % en 2009 (décision attaquée, § 309).

175.En l'espèce, l'importance de ces parts de marché apparaît à la fois comme la conséquence des caractéristiques du marché de gros aval et des spécificités de la société TDF, rappelées ci-dessus, sur lesquelles l'Autorité s'est fondée pour conclure à l'existence d'une position dominante, et comme la preuve de cette position dominante.

176.Il peut être ajouté qu'aux dires mêmes des requérantes (mémoire récapitulatif, point 258), les prix pratiqués par les concurrents de la société TDF " sont significativement plus bas " que les siens. Dès lors que, malgré des prix " significativement " plus élevés, la société TDF a conservé des parts de marché très élevées, en volume comme en valeur, l'affirmation qui précède vaut reconnaissance de ce que la société TDF pouvait se permettre, sur le marché de gros aval, des comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients MUX et, finalement, des consommateurs.

177.Ladite position dominante peut être qualifiée de forte, étant rappelé qu'aux termes de la jurisprudence des juridictions de l'Union déjà citée, des parts de marché de plus de 50 % constituent des parts de marché extrêmement élevées (CJUE, arrêts précités AKZO/Commission, point 60, et AstraZeneca/Commission, point 176).

178.Il y a lieu de rejeter l'ensemble des moyens contestant la détention d'une forte position dominante par la société TDF à l'époque des pratiques.

2. Sur le système de remise de plaque géographique

179.À titre liminaire, la cour rappelle que, par le grief n° 3, l'Autorité reproche à la société TDF, en tant qu'auteur de la pratique, et aux sociétés TDF Infrastructure Holding et TDF Infrastructures, en tant que ses sociétés mères, une pratique de rabais d'exclusivité constitutive d'un abus de position dominante.

180.La remise de plaque, qui est la pratique de rabais incriminée, est, ainsi que l'a exposé l'Autorité aux paragraphes 107 et 108 de la décision attaquée, une remise liée au nombre de sites de diffusion de la société TDF que chaque opérateur de multiplex sélectionne à l'intérieur de zones géographiques délimitées par TDF pour chaque appel d'offres. Plus précisément, une remise sur la part " émission " du prix de la prestation de diffusion proposée par la société TDF, est accordée lorsqu'un opérateur de multiplex retient cette société pour un certain nombre de sites de l'appel d'offres sur un même sous-ensemble géographique appelé " plaque géographique ". La remise de plaque est le plus souvent proposée lors du second tour de l'appel d'offres. Ses taux et seuils de déclenchement sont détaillés aux paragraphes 109 et suivants de la décision attaquée.

a. Sur le caractère anticoncurrentiel de la pratique

181.Les requérantes soutiennent que la décision attaquée n'a pas démontré à suffisance de droit le caractère anticoncurrentiel de la remise de plaque.

182.En ce sens, elles exposent que la qualification de " rabais d'exclusivité " attribuée à la remise de plaque est juridiquement erronée dans la mesure où le bénéfice de cette remise s'appréciant séparément au niveau de chaque plaque, son octroi n'est pas lié à un approvisionnement des opérateurs de multiplex auprès de la société TDF pour une part importante de leurs besoins sur le marché pertinent, qui est le marché de gros aval national.

183.Selon les requérantes, la remise de plaque ne présente aucune caractéristique susceptible de la rendre fidélisante : elle fonctionne sur la base d'une grille de remises par paliers progressifs, n'a aucun caractère rétroactif, et le calcul du rabais auquel le client a droit n'est entouré d'aucune incertitude. Partant, elle serait dépourvue de tout effet d'éviction.

184.Elle constituerait un rabais quantitatif, ainsi que l'a qualifiée l'ARCEP dans son avis du 29 novembre 2011 rendu à la demande de l'Autorité dans le cadre de l'instruction au fond.

185.Subsidiairement, les requérantes font valoir que l'Autorité ne pouvait pas présumer le potentiel d'éviction de la remise de plaque dans la mesure où la régulation sectorielle de l'ARCEP neutralise le caractère " fort " de la position dominante de la société TDF et, par conséquent, son statut de partenaire incontournable pour ses clients MUX.

186.À titre encore plus subsidiaire, les requérantes font valoir que lorsque, comme en l'espèce, un système de rabais relève du passé, l'analyse de son potentiel d'éviction est nécessairement d'une autre nature que pour un système encore proposé, et ne saurait se limiter à une analyse prospective. La démonstration de l'absence d'effets concrets d'éviction d'un rabais relevant du passé démentirait par définition tout " potentiel " d'éviction.

187.Elles reprochent à l'Autorité de ne pas avoir pris en compte l'absence totale d'effet concret de la remise de plaque dans l'analyse de son potentiel d'éviction. Selon elle, en effet, le mécanisme n'a produit aucune éviction réelle, comme le démontre le fait que les concurrents de la société TDF se sont fortement développés à l'époque des pratiques et alors que les remises étaient pratiquées par l'ensemble des diffuseurs. Au surplus, elles soulignent que lesdits concurrents pratiquaient des tarifs inférieurs à ceux de la société TDF, ce qui démontrerait qu'ils pouvaient répliquer ses offres commerciales.

188.Sur ce point, les requérantes invitent la cour, dans l'hypothèse où elle viendrait à considérer que l'application de l'article 102 TFUE soulève une difficulté d'interprétation, à saisir la Cour de justice d'un recours préjudiciel afin de lui poser les questions suivantes, visant en substance à savoir dans quelle mesure l'absence de potentiel d'éviction réel d'une remise doit être pris en compte :

" - Compte tenu du caractère pénal des sanctions infligées pour les infractions aux règles de concurrence, l'absence d'effet d'éviction concret de pratiques relevant du passé mises en œuvre par une entreprise en position dominante, telles que celles en cause au principal, est-elle de nature à jeter un doute raisonnable sur l'effet d'éviction potentiel desdites pratiques et, partant, sur l'existence d'une infraction à l'article 102 du TFUE ?

- Le refus de prendre en considération l'absence d'effet d'éviction concret dans l'analyse du potentiel d'éviction d'un comportement relevant du passé, tel que celui en cause au principal, méconnaît-il les principes de la responsabilité personnelle, d'individualité des peines et in dubio pro reo ? "

189.L'Autorité soutient que la remise de plaque ne peut être considérée comme une remise quantitative, exclusivement liée à des volumes d'achats supplémentaires, mais repose bien sur une logique d'approvisionnement exclusif et, par conséquent, tend à freiner l'approvisionnement des opérateurs alternatifs, dès lors qu'elle n'est accordée que si le client MUX s'approvisionne auprès de TDF pour la totalité ou une part très importante de ses besoins.

190.Elle soutient que le fait de délimiter un marché pertinent au niveau national pour apprécier la position dominante n'interdit pas de qualifier des pratiques d'exclusivité au niveau local, sauf à démontrer que l'entreprise ne serait pas dominante dans la zone locale concernée.

191.L'Autorité fait valoir que, selon la jurisprudence, les remises d'exclusivité sont en principe incompatibles avec les règles de concurrence lorsqu'elles sont mises en œuvre par l'opérateur dominant, sans que cette qualification soit subordonnée à une condition supplémentaire liée à une position dominante aggravée ou particulièrement forte ou à la qualité d'opérateur incontournable pour les acheteurs. En outre, la régulation assurée par l'ARCEP ne remet pas, selon elle, en cause la forte position dominante de TDF, qui constitue un partenaire incontournable pour les opérateurs de multiplex nonobstant cette régulation.

192.Elle souligne qu'il suffit de démontrer, aux fins de l'établissement d'un abus de position dominante, que le comportement abusif de l'entreprise concernée est de nature à ou susceptible de restreindre la concurrence (décision n°12-D-24 du 13 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile, § 436). Par conséquent, la décision attaquée pouvait selon elle aussi bien retenir les effets réels que les effets potentiels des pratiques, qu'elles perdurent ou qu'elles aient cessé à la date à laquelle elle statue. Elle ajoute que l'absence de constatation d'effet concret sur le marché ne permet pas d'exclure tout effet potentiel de la pratique de remise de plaque, sauf à anéantir la distinction opérée par la jurisprudence entre effets réels et potentiels.

193.À titre liminaire, la cour relève que la description que fait l'Autorité du mécanisme de déclenchement de la remise de plaque et de ses taux, aux paragraphes 109 à 115 de la décision attaquée, n'est pas critiquée par les requérantes.

194.Elle rappelle également que, selon une jurisprudence constante des juridictions de l'Union, l'article 102 du TFUE n'a aucunement pour but d'empêcher une entreprise de conquérir, par ses propres mérites, la position dominante sur un marché. Cette disposition ne vise pas non plus à assurer que des concurrents moins efficaces que l'entreprise occupant une position dominante restent sur le marché (CJUE, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, point 133 et jurisprudence citée).

195.Ainsi, tout effet d'éviction ne porte pas nécessairement atteinte au jeu de la concurrence. Par définition, la concurrence par les mérites peut conduire à la disparition du marché ou à la marginalisation des concurrents moins efficaces et donc moins intéressants pour les consommateurs du point de vue notamment des prix, du choix, de la qualité ou de l'innovation (CJUE, arrêt Intel/Commission, précité, point 134 et jurisprudence citée).

196.Cependant, il incombe à l'entreprise qui détient une position dominante une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur (CJUE, arrêt Intel/Commission, précité, point 135 et jurisprudence citée).

197.C'est pourquoi l'article 102 TFUE interdit, notamment, à une entreprise occupant une position dominante de mettre en œuvre des pratiques produisant des effets d'éviction pour ses concurrents considérés comme étant aussi efficaces qu'elle-même, renforçant sa position dominante en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites. Dans cette perspective, toute concurrence par les prix ne peut donc être considérée comme légitime (CJUE, arrêt Intel/Commission, précité, point 136 et jurisprudence citée).

198.En premier lieu, il est constant que les rabais d'exclusivité, dont l'octroi est lié à la condition que le client - quel que soit par ailleurs le montant, considérable ou minime, de ses achats - s'approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l'entreprise en position dominante, sont présumés incompatibles avec l'objectif d'une concurrence non faussée dans le marché commun parce qu'ils ne reposent pas - sauf circonstances exceptionnelles - sur une prestation économique justifiant cet avantage financier, mais tendent à enlever à l'acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement et à barrer l'accès au marché aux autres producteurs. En effet, de tels rabais tendent à empêcher, par la voie de l'octroi d'un avantage financier, l'approvisionnement des clients auprès des producteurs concurrents (CJUE, arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, point 89 ; du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, point 71 ; du 19 avril 2012, Tomra e.a./Commission, C-549/10 P, point 70 ; du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, point 137).

199.Aux fins d'apprécier si un rabais peut être qualifié de rabais d'exclusivité, il convient de prendre en considération les besoins du client sur le marché sur lequel il a été constaté que le fournisseur détient une position dominante.

200.En effet, c'est parce que la position dominante d'une entreprise sur un marché lui assure un volume minimal des ventes qui y sont réalisées, qu'un système de rabais d'exclusivité fondé sur le volume total des achats sur ledit marché est efficace : le client, qui est de toutes façons tenu de s'adresser à cette entreprise pour un certain volume d'achats, est incité à augmenter ce volume, plutôt que de s'approvisionner pour le surplus de ses besoins auprès de la concurrence, afin d'atteindre le seuil fixé pour une remise qui s'appliquera à la totalité desdits achats ; et c'est parce que cet effet se produit au niveau du marché tout entier qu'il emporte un effet d'éviction a priori assez puissant pour pouvoir présumer l'abus de position dominante.

201.Ainsi que l'a indiqué la Commission dans l'affaire Intel/Commission, pour défendre la qualification de rabais d'exclusivité, " les rabais d'exclusivité présentent des caractéristiques anticoncurrentielles telles qu'il est généralement inutile de démontrer leur capacité de restreindre la concurrence. Ainsi, ces rabais [ont] un effet dissuasif engendré par la perspective pour l'entreprise cliente de perdre les rabais sur la part non disputable du marché. Il en [résulte] qu'ils restreignent généralement la liberté des clients de choisir leurs sources d'approvisionnement en fonction de l'offre la plus attrayante. " (CJUE, arrêt Intel/Commission, précité, point 122).

202.Force est de constater qu'une différence fondamentale distingue la remise de plaque en cause en l'espèce des rabais d'exclusivité objet des arrêts précités Hoffmann-La Roche/Commission et Intel/Commission.

203.Dans le premier de ces deux arrêts, un rabais de 1 % était accordé au client si, au niveau du marché commun, la totalité de ses achats à la société La Roche en vitamines A, B2, B6, C, E et H atteignait 60 % des besoins de ce client ; il était de 1,5 % si les achats atteignaient 70 %, et de 2 % s'ils atteignaient 80 % (CJUE, arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 97).

204.Dans l'arrêt Intel/Commission, un rabais était accordé au client si, au niveau mondial, la totalité de ses achats à la société Intel en CPU x86 - un type de processeur - destinés à ses ordinateurs portables atteignait au moins 80 % des besoins de ce client (TUE, arrêt Intel/Commission, précité, point 79).

205.Dans ces deux arrêts, les besoins du client et le volume de ses achats étaient appréciés sur le même marché : c'est le cumul des achats réalisés sur le marché pertinent qui, rapporté aux besoins du client sur ce même marché, conditionnait l'octroi du rabais pour la totalité desdits achats.

206.Certes, dans son arrêt Intel/Commission, précité, le Tribunal a limité à un segment (celui des CPU x86 destinés aux ordinateurs portables) du marché pertinent (le marché mondial des CPU x86) son analyse du caractère d'exclusivité du rabais.

207.Mais, d'une part, dans le cadre du pourvoi formé contre cet arrêt devant la Cour de justice, l'approche du Tribunal a été critiquée par l'avocat général Wahl (points 208 à 213 de ses conclusions), qui a notamment fait valoir que " [l]e constat d'un abus de sa position dominante par une entreprise tenant à l'éviction d'un concurrent ne saurait dépendre d'une segmentation apparemment arbitraire du marché ". Le fait que, par son arrêt Intel/Commission, précité, la Cour de justice ait cassé ledit arrêt sur le fondement d'un autre moyen de droit, ne saurait être interprété comme validant le choix du Tribunal d'analyser l'effet d'éviction du système de rabais en cause sur un segment du marché pertinent.

208.D'autre part, et en tout état de cause, la présente espèce se distingue de l'affaire Intel/Commission : même limité à un segment du marché pertinent, le bénéfice du rabais en cause dans l'affaire Intel/Commission reposait sur le cumul des achats effectués par un client sur l'ensemble du marché, tel que défini géographiquement, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ainsi qu'il va être dit ci-après.

209.Dans le système de rabais mis en place par la société TDF, le bénéfice ou non de la remise de plaque, pour une plaque géographique donnée, est indépendant du choix de ses prestataires sur les autres plaques effectué par l'opérateur de multiplex. Ainsi, le fait pour un opérateur de multiplex de confier à la société TDF la diffusion de ses chaînes à partir d'au moins 70 % des sites d'une plaque n'entraîne aucune baisse rétroactive des prix que lui a facturés la société TDF sur les plaques pour lesquelles les contrats de diffusion ont déjà été conclus. À l'inverse, le fait pour un opérateur de multiplex de ne pas confier la diffusion de ses chaînes à la société TDF sur une plaque donnée, ne lui fait perdre aucune des remises de plaques dont il pourrait déjà bénéficier sur d'autres plaques.

210.La raison en est que le bénéfice de la remise est appréciée au niveau de la plaque considérée, exclusivement en fonction des besoins de l'opérateur de multiplex sur cette plaque et de l'importance de la prestation confiée à la société TDF. C'est pourquoi le nombre total de sites qu'un opérateur de multiplex confie la société TDF au plan national pour diffuser ses chaînes est absolument indifférent, lorsqu'il s'agit d'apprécier s'il a droit ou non à une remise sur une plaque donnée.

211.Il s'ensuit qu'à chaque fois qu'un opérateur de multiplex lance un ensemble d'appels d'offres pour une plaque géographique donnée, son choix de contracter ou non avec la société TDF, s'il intègre la possibilité d'obtenir une remise sur cette plaque, ne dépend pas du volume global de contrats de diffusion passés avec cette société au niveau national.

212.Dès lors que le bénéfice de chaque remise de plaque n'était pas subordonné à la condition que l'opérateur de multiplex confie la totalité ou une partie importante de ses besoins de diffusion à la société TDF sur le marché de gros aval, qui est un marché national, le système de rabais mis en place par cette société ne pouvait être qualifié de rabais d'exclusivité.

213.Dans ces conditions, l'Autorité ne pouvait présumer, comme elle l'a fait, que les remises de plaque étaient constitutives d'un abus de position dominante.

214.En second lieu, il incombe à la cour de rechercher si, en instaurant le système de remise de plaque, la société TDF a abusé de sa position dominante.

215.À cet égard, il convient de rappeler que, afin de déterminer si une entreprise en position dominante a exploité de manière abusive cette position en appliquant un système de rabais qui n'est ni un rabais d'exclusivité - qui est présumé constituer un abus au sens de l'article 102 du TFUE - ni un rabais de quantité - qui n'est pas, en principe, de nature à enfreindre ce même article -, il faut apprécier l'ensemble des circonstances, notamment les critères et les modalités de l'octroi du rabais, et examiner si ce rabais tend, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l'acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix, en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement, à barrer l'accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée (CJUE, arrêts Michelin/Commission, précité, point 73 ; du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C-95/04 P, point 67 ; Tomra e.a./Commission, précité, point 71, et du 6 octobre 2015, Post Danmark, C-23/14, point 29).

216.Premièrement, les éléments de fait et de droit sur lesquels l'Autorité et, sur recours, la cour se sont fondés pour conclure à une position dominante forte de la société TDF sur le marché de gros aval sont les mêmes en tous points du territoire national.

217.De leur côté, si les requérantes produisent une analyse économique dans laquelle il est soutenu qu'il n'a, à aucun moment de l'instruction, été démontré que la société TDF est localement en position dominante, elles ne démontrent pas que la structure de marché et de la concurrence pourraient être significativement différente sur telle ou telle plaque géographique.

218.Il convient donc de considérer que la position dominante forte de la société TDF est établie sur l'ensemble des plaques géographiques concernées par le système de remise de plaque.

219.Or, pour les raisons déjà exposées lors de l'examen de l'existence d'une position dominante forte de la société TDF sur le marché de gros aval, la régulation sectorielle intervenue sur le marché de gros amont n'a pas été de nature à priver la société TDF de l'assurance qu'elle conserverait une part non contestable - ou non disputable - du marché de gros aval. En effet, d'une part, les concurrents de la société TDF n'étaient pas en mesure de répondre à tous les appels d'offres. D'autre part, le fait que la société TDF ait remporté des appels d'offres alors même qu'elle proposait les prix les plus élevé démontre que la part non disputable du marché de gros aval n'était pas cantonnée aux appels d'offres auxquels elle seule a répondu.

220.Deuxièmement, appréciée au niveau de chaque plaque géographique, la remise de plaque réunit toutes les caractéristiques d'un rabais d'exclusivité au sens de la jurisprudence des juridictions de l'Union.

221.Il est de jurisprudence constante des juridictions de l'Union que des rabais accordés pour des quantités individualisées correspondant à la totalité ou à la quasi-totalité de la demande ont le même effet que des clauses expresses d'exclusivité, en ce sens qu'ils amènent le client à s'approvisionner pour la totalité ou pour la quasi-totalité de ses besoins auprès de l'entreprise en position dominante.

222.Or, ainsi qu'il ressort du tableau figurant au paragraphe 111 de la décision attaquée, l'attribution à la société TDF, par un opérateur de multiplex, de la diffusion de ses programmes à partir d'au moins 70 % des sites de diffusion d'une plaque conditionne l'obtention du premier (et parfois unique) seuil de remise pour 59 % des plaques concernées par la pratique, et l'obtention du seuil intermédiaire de remise pour 95 % des plaques présentant deux seuils de remise ; de même, l'attribution à la société TDF, par un opérateur de multiplex, de la diffusion de ses programmes à partir d'au moins 80 % des sites de diffusion d'une plaque conditionne l'obtention du seuil supérieur de remise pour 100 % des plaques présentant trois seuils de remise.

223.C'est donc à juste titre que l'Autorité a constaté, au paragraphe 113 de la décision attaquée, que la part des sites qu'un opérateur de multiplex doit confier à la société TDF pour obtenir les remises correspond la plupart du temps à une fraction considérable des sites de la plaque géographique considérée.

224.Or, du fait des obligations de couverture qui leur incombent, la majorité des opérateurs de multiplex ont besoin de retenir un diffuseur pour chacun des sites composant les appels d'offres, dans la mesure où ceux-ci correspondent aux objectifs de déploiement fixés par le CSA.

225.Il s'ensuit qu'exiger que l'opérateur de multiplex retienne, pour la diffusion de ses programmes sur une plaque donnée, au moins 70 % des sites proposés par la société TDF dans son offre, équivaut à subordonner le bénéfice de la remise à la condition qu'il lui confie au moins 70 % de ses besoins de diffusion sur cette même plaque. Il en va de même pour chaque seuil de remise, lorsque la société TDF a proposé deux ou trois seuils de remise.

226.En d'autres termes, si la remise de plaque dépend formellement du nombre de sites de diffusion de la société TDF à partir desquels sont diffusés les programmes de l'opérateur de multiplex, elle dépend de facto de la part des besoins de diffusion de ce dernier satisfaits par la société TDF.

227.Ces seuils sont en moyenne les mêmes pour toutes les plaques, quel que soit le nombre de sites de diffusion par plaque - nombre allant de deux à trente-deux sites (décision attaquée, § 109) -, ce qui suffit à démontrer que ce n'est pas le volume confié à la société TDF qui est le critère d'attribution de la remise, et exclut donc la qualification de rabais quantitatif, laquelle suppose que le rabais est lié exclusivement au volume des achats effectués auprès du producteur concerné. À cet égard, il est indifférent que, dans son avis du 29 novembre 2011, l'ARCEP ait, au détour d'une phrase, qualifié la remise de plaque de " remises quantitatives " (Saisine 09/0109F, cote 2648). En effet, lorsqu'elle se prononce sur l'existence d'une position dominante, a fortiori sur l'existence d'un abus d'une telle position, l'Autorité, seule chargée de poursuivre et sanctionner les pratiques anticoncurrentielles, n'est pas tenue par les appréciations de l'ARCEP. Au demeurant, dans ce même avis, l'ARCEP indique n'être pas en mesure " d'exprimer un avis sur la matérialité de ces pratiques " qu'elle n'a, à l'évidence, pas analysé de façon approfondie.

228.Il est exact que le marché fonctionnant par appels d'offres, il n'y a pas d'effet rétroactif au sens strict du terme, en ce sens que la remise est acquise et son pourcentage arrêté en un trait de temps, dès la signature des contrats de diffusion entre l'opérateur de multiplex et la société TDF pour la plaque considérée. De même, le bénéfice de la remise s'appréciant au niveau de chaque plaque, il est aisé pour l'opérateur de multiplex de calculer la remise dont il bénéficiera en fonction de la part de ses besoins de diffusion confiés à la société TDF.

229.Pour autant, les remises de plaque ne sont pas des rabais progressifs - à savoir des rabais accordés uniquement sur les achats qui dépassent le volume requis pour atteindre le seuil fixé -, mais produisent un effet cumulatif, en ce sens que la décision d'un opérateur de multiplex de confier au moins 70 % des sites de diffusion d'une plaque à la société TDF emporte remise pour le volume d'affaires tout entier réalisé sur cette plaque.

230.Or, c'est davantage l'effet cumulatif d'un rabais qu'un éventuel effet rétroactif stricto sensu, qui est susceptible de fermer le marché à la concurrence. Ainsi que l'ont jugé les juridictions de l'Union, l'incitation à s'approvisionner exclusivement ou presque exclusivement auprès de l'entreprise en position dominante est particulièrement forte lorsque des seuils sont combinés à un système en vertu duquel le bénéfice lié au franchissement, selon le cas, du seuil de prime ou d'un seuil plus avantageux se répercute sur tous les achats effectués par le client pendant la période considérée et pas exclusivement sur le volume d'achats excédant le seuil en question (TUE, arrêt du 9 septembre 2010, Tomra Systems e.a./Commission, T-155/06, point 260). Tel est également le sens de la communication de la Commission 2009/C45/02 intitulée " Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes " (JOUE 2009, C47, p. 7, point 37).

231.C'est donc à juste titre que l'Autorité souligne que la remise de plaque repose sur une logique d'approvisionnement exclusif pour la totalité ou une grande partie des besoins du client MUX sur la plaque géographique considérée.

232.Par ailleurs, outre qu'ils s'appliquent sur la totalité de la prestation de diffusion sur une plaque donnée, les taux de remise sont loin d'être négligeables, variant entre 3 % et 23 % (décision attaquée, § 109).

233.Au surplus, les contrats de prestation de services de diffusion passés par les opérateurs de multiplex avec l'opérateur de diffusion, notamment la société TDF, sont de longue durée, en général cinq ans, de sorte que la remise de plaque, accordée pour cette même durée, représente, à l'issue du contrat, des économies importantes pour l'opérateur de multiplex.

234.Dans ces conditions, la remise de plaque proposée par la société TDF, en position dominante sur chaque plaque considérée, et dont le bénéfice suppose que l'opérateur de multiplex confie la diffusion de ses programmes à la société TDF à partir d'au moins 70 % des sites de diffusion de cette plaque - représentant en même temps 70 % des besoins de diffusion de l'opérateur de multiplex - est une puissante incitation faite aux opérateurs de multiplex, qui s'adressent de toutes façons à la société TDF pour une part significative de leurs besoins de diffusion, de lui en confier au moins 70 % sur la majorité des 43 plaques géographiques concernées par la pratique.

235.Partant, la remise de plaque a eu potentiellement un effet d'exclusion de la concurrence lors des appels d'offres pour la diffusion à partir des sites localisés sur ces plaques, puis pendant toute la durée des contrats de diffusion, généralement de cinq ans, conclus par la société TDF lorsqu'elle a remporté des appels d'offres.

236.Troisièmement, pendant la période visée, entre mars 2005 et mars 2009, correspondant aux phases 3 à 8a du déploiement de la TNT, la pratique incriminée a été d'une envergure certaine, quand bien même celle-ci a varié selon l'opérateur de multiplex considéré. Sur ce point, la cour renvoie au tableau figurant au paragraphe 119 de la décision attaquée, dont la société TDF n'a pas contesté l'exactitude des données qu'il contient, et dont il ressort notamment que, pour les MUX R2, R3, R4 et R6, environ la moitié du déploiement du réseau principal numérique au cours des phases 3 à 6 et la quasi-totalité du déploiement du réseau complémentaire numérique au cours des phases 7 et 8a, ont été touchées par le système de remise de plaque.

237.C'est à tort que, au point 250 de leur mémoire récapitulatif, pour déterminer la part du marché couverte par le système de remise de plaque, les requérantes comparent le nombre de 357 sites inclus dans les 43 plaques géographiques concernées par la pratique (décision attaquée, § 118) avec le nombre de 1626 zones de diffusion définies par le CSA.

238.En effet, outre que les zones de diffusion et les sites de diffusion ne coïncident pas exactement - le nombre de sites étant plus élevé -, ce nombre de 1 626 zones couvertes par la TNT n'a été atteint qu'à l'issue du déploiement de la TNT sur l'ensemble territoire métropolitain, fin 2011. Or, à l'époque de la pratique visée par le grief n° 3, entre mars 2005 et mars 2009, le marché de gros aval ne s'était, par hypothèse, pas encore étendu aux zones de diffusion où le déploiement de la TNT n'avait pas commencé ni, partant, aux sites s'y trouvant. Une juste appréciation de l'intensité de ladite pratique suppose donc de comparer le nombre de sites concernés par les offres de remise de plaque au nombre total de site de diffusion mis en service entre mars 2005 et mars 2009.

239.Pour la période couverte par le grief n° 3, en prenant pour exemple les offres adressées par la société TDF au MUX SMR6 (Saisine 09/0190F, cotes 14572 à 15016), le nombre total de sites mis en service pour la diffusion de la TNT s'est élevé à 459 (phase 4 : 24 sites ; phase 5a : 10 sites ; phase 5b : 9 sites ; phase 6a : 7 sites; phase 6b : 12 sites ; phase 7a1 : 70 sites ; phase 7b1 : 53 sites ; phase 7b2 : 44 ; phase 7c1 : 49 sites ; phase 7c/7d : 91 sites ; phase 8a : 71 sites, outre 19 sites pour la phase 3), de sorte que le nombre non contesté de 357 sites concernés par les remises de plaque représente 77 %.

240.À retenir, comme l'a fait l'Autorité, non pas le nombre de sites de diffusion, mais le nombre de points de diffusion - critère d'ailleurs plus pertinent, dès lors que la remise de plaque a été proposée avec une intensité variable selon les opérateurs de multiplex -, on aboutit à 1 022 points de services concernées par les remises de plaque (décision attaquée, § 256), sur 2 445 points de service mis en service au cours des phases 3 à 8a (observations de l'Autorité, point 163), chiffres non contestés par les requérantes, soit environ 40 % du total. L'importance de la pratique est plus forte encore si on limite l'analyse à la concurrence pour conquérir la clientèle des MUX R2, R3, R4 et R6, pour lesquels la quasi-totalité du déploiement du réseau complémentaire numérique (phases 7 et 8) a été touchée par les remises de plaque (décision attaquée, §120).

241.Au demeurant, dès l'instant où les concurrents de la société TDF (towerCast, Onecast et Itas Tim) sont tous des opérateurs d'envergure nationale, le constat que la remise de plaque a produit un effet d'éviction, fût-il limité à une seule plaque, suffit à conclure au bien-fondé du grief n° 3. En effet, en ne permettant pas à ses concurrents de pouvoir la concurrencer, ne serait-ce que sur une partie seulement du marché de gros aval, la société TDF a abusé de sa position dominante.

242.Ainsi, eu égard à ses caractéristiques, à ses taux, à ses seuils de déclenchement, à sa durée et à son étendue, le système de remise de plaque a été de nature à limiter l'intensité de la concurrence sur le marché de gros aval.

243.Quatrièmement, la circonstance que, à la date à laquelle la pratique visée au grief n° 3 a été sanctionnée - le 6 juin 2016 -, ladite pratique avait cessé depuis de nombreuses années, n'emporte pas les conséquences que lui prête la société TDF. En particulier, il ne saurait conduire à ne fonder l'application des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE que sur des effets avérés et à écarter toute prise en compte d'effets potentiels.

244.Il est de jurisprudence constante des juridictions de l'Union, laquelle n'opère aucune distinction selon que la pratique examinée a cessé ou est toujours en cours, que, afin d'établir le caractère abusif d'un système de rabais mis en place par une entreprise en position dominante, l'effet anticoncurrentiel de celui-ci sur le marché doit exister, mais ne doit pas être nécessairement concret, étant suffisante la démonstration d'un effet anticoncurrentiel potentiel (CJUE, arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C-52/09, point 64, et Post Danmark, précité, point 66).

245.L'interprétation soutenue par les requérantes, qui réduirait la portée de la jurisprudence précitée, a été explicitement condamnée par le Tribunal de l'Union dans son arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, précité (point 272). Dans cette affaire, les parties soulignaient le laps de temps qui s'était écoulé entre le commencement du comportement incriminé et l'adoption de la décision, et en concluaient qu'il n'était " pas approprié de faire un test d'effets probables, la Commission disposant du temps nécessaire pour démontrer la matérialité des prétendus effets anticoncurrentiels ". Le Tribunal a rejeté cet argument en relevant qu'il " ne trouve [...] aucun fondement dans la jurisprudence ". Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté, la Cour de justice réaffirmant qu'afin d'établir le caractère abusif d'une pratique, l'effet anticoncurrentiel de celle-ci sur le marché doit exister, sans être nécessairement concret, la démonstration d'un effet anticoncurrentiel potentiel étant suffisante (CJUE, arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, précité, point 124).

246.Au demeurant, si les requérantes prétendent démontrer positivement l'absence d'effet concret de la pratique sur le marché, il n'en est rien, ainsi que le souligne justement l'Autorité, aux points 195 à 200 de ses observations.

247.En effet, les succès de la société Itas Tim ne sont pas de nature à exclure tout effet d'éviction de la concurrence, alors que, ainsi que l'a jugé la Cour de justice, un système de rabais mis en place par une entreprise en position dominante produit un effet d'éviction non seulement lorsqu'il rend impossibles l'accès des concurrents au marché ainsi que le choix par les clients entre plusieurs sources d'approvisionnement, mais également lorsqu'il les rend plus difficiles (CJUE, arrêt British Airways/Commission, précité, point 68)

248.Ainsi, le constat que la concurrence s'est développée pendant la période couverte par la pratique n'est pas exclusif d'un effet d'éviction, lorsqu'à défaut de cette pratique, le développement de la concurrence aurait pu être plus important.

249.Or, ainsi que l'a notamment constaté l'ARCEP dans ses analyses, nonobstant la régulation sectorielle sur le marché de gros amont, le développement de la concurrence sur le marché de gros aval est resté très limité.

b. Sur la justification de la pratique

250.Les requérantes affirment qu'en tout état de cause, la remise de plaque se justifiait par des gains d'efficience significatifs, en ce que le rapprochement géographique des sites permet à la société TDF de mutualiser ses ressources humaines et techniques au niveau local. Elles ajoutent que la société TDF répondait également à une demande précise des clients MUX pour que les synergies réalisées dans le cadre du traitement de plusieurs sites sur une même plaque soient reflétées dans le prix et que nombre de diffuseurs présents sur le marché ont défini des plaques géographiques analogues à la sienne.

251.L'Autorité considère que les requérantes ne démontrent pas les gains d'efficacité économique allégués.

252.Par ailleurs, l'Autorité constate qu'il n'est apporté aucun élément permettant d'expliquer le montant des rabais pratiqués au vu des gains d'efficacité, puisque le fait que les modalités de calcul de la remise de plaque soient fortement individualisées et que le nombre absolu de sites par plaque ne soit pas le critère pertinent pour fixer le taux de remise tendent à exclure que son montant puisse refléter de manière objective les économies de coûts éventuellement obtenues par la société TDF par une gestion mutualisée. Similairement, elle souligne qu'il n'est pas établi que la mise en œuvre de la pratique de remise de plaque était indispensable à la réalisation des gains d'efficacité allégués, ni que ces gains auraient pu neutraliser voire surpasser les effets préjudiciables de la remise pour le jeu de la concurrence et pour les acheteurs.

253.Aux termes de l'article L. 420-4 I 2° du Code de commerce, dans sa rédaction en vigueur à la date des pratiques, " [n]e sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques [... d]ont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d'emplois, et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ".

254.Quatre conditions doivent être cumulativement satisfaites pour octroyer, sur le fondement de cette disposition, une exemption à une pratique jugée anticoncurrentielle : la réalité du progrès économique, le caractère indispensable et adapté des pratiques en cause pour l'obtenir, l'existence d'un bénéfice pour les consommateurs et l'absence d'élimination de toute concurrence.

255.Par ailleurs, il est de jurisprudence constante des juridictions de l'Union (CJUE, arrêt Post Danmark, précité, points 47 à 49, et jurisprudence citée) qu'une entreprise en position dominante peut néanmoins justifier des agissements susceptibles de relever de l'interdiction énoncée à l'article 102 du TFUE.

256.En particulier, une telle entreprise peut démontrer que l'effet d'éviction qui résulte de son comportement peut être contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d'efficacité qui profitent également aux consommateurs.

257.Il appartient à l'entreprise en position dominante de démontrer que les gains d'efficacité susceptibles de résulter du comportement considéré neutralisent les effets préjudiciables probables sur le jeu de la concurrence et les intérêts des consommateurs sur les marchés affectés, que ces gains d'efficacité ont été ou sont susceptibles d'être réalisés grâce audit comportement, que ce dernier est indispensable à la réalisation de ceux-ci et qu'il n'élimine pas une concurrence effective en supprimant la totalité ou la plupart des sources existantes de concurrence actuelle ou potentielle.

258.En l'espèce, il ne saurait être sérieusement contesté que l'augmentation du nombre de sites d'une même zone géographique à partir desquels sont diffusés les programmes d'un opérateur de multiplex entraîne pour le diffuseur des économies d'échelle, au travers de la mutualisation de coûts fixes. Il paraît non moins évident que, s'agissant, non pas de ventes, mais de prestations de service, de telles économies d'échelles sont réalisées par paliers successifs, au fur et à mesure de l'augmentation du nombre de sites d'un opérateur de diffusion retenus par un opérateur de multiplex.

259.Pour autant, les requérantes échouent à justifier objectivement le système de remise de plaque mis en place par la société TDF.

260.D'abord, l'effet d'exclusion de la remise de plaque est d'autant plus important que le pourcentage de remise accordé aux opérateurs de multiplex est élevé.

261.Or, la société TDF n'a pas démontré - ni même entrepris de le faire - que, sur chacune des 43 plaques géographiques concernées par une remise de plaque, les pourcentages de remises ne dépassaient pas les économies d'échelle qu'elle réalisait en cas d'atteinte du ou des seuils(s) de remise.

262.Ensuite, il était loisible à la société TDF de faire porter le bénéfice de la remise sur les seuls sites de diffusion de la plaque concernée qui permettent d'atteindre le seuil garantissant une économie d'échelle, en supprimant ainsi l'effet " rétroactif " (c'est-à-dire cumulatif) qui est la caractéristique essentielle des rabais d'exclusivité.

263.À la lumière des deux constatations qui précèdent, la cour constate que les requérantes échouent à démontrer que le système de remise de plaque, tel qu'il a été organisé, était indispensable à la réalisation de gains d'efficacité, alors que des modalités moins attentatoires au maintien d'une concurrence effective étaient envisageables.

264.Enfin, et surtout, les requérantes n'allèguent pas, et a fortiori ne démontrent pas, que les gains d'efficacité susceptibles de résulter du système de remise de plaque neutralisent les effets préjudiciables probables sur le jeu de la concurrence et les intérêts des consommateurs sur les marchés affectés et que ce système n'élimine pas une concurrence effective en supprimant la totalité ou la plupart des sources existantes de concurrence actuelle ou potentielle.

265.À cet égard, la cour relève que l'évolution du secteur a été marquée par la disparition de la société Onecast, rachetée par la société Itas Tim en 2014, puis celle de la société Itas Tim elle-même, rachetée par la société TDF en 2016 (décision attaquée, § 91), et ce alors même que s'ouvrait à ces sociétés, avec le déploiement de la TNT entre 2005 et 2011, un marché en principe prometteur. Même si aucune relation de cause à effet ne peut être démontrée entre les pratiques et ces disparitions, ces dernières démontrent le caractère fragile de la concurrence sur les marchés de la diffusion de la TNT.

266.Dès lors, il y a lieu de constater que les requérantes n'établissent pas que le système de remise de plaque serait objectivement justifié.

III. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES

267.Les requérantes contestent l'imputation aux sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, désormais TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2, à présent TDF Infrastructure SAS, des pratiques qui sont reprochées à la société TDF. Elles soutiennent en effet que ces deux sociétés ne sont que des holdings financières qui ne font que détenir, directement ou indirectement, la participation de plusieurs actionnaires dans la société TDF SAS, de sorte qu'elles n'ont aucune implication dans sa gestion opérationnelle.

268.L'Autorité fait valoir que, selon la jurisprudence, la circonstance qu'une société mère se comporte uniquement comme une société holding de participation ne suffit pas à renverser la présomption d'imputabilité.

269.Il est constant que, dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, il existe une présomption réfragable que cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale.

270.Il ressort du paragraphe 269 de la décision attaquée que la société Tyrol Acquisition 1, devenue TDF Infrastructure Holding, détenait 98 % de la société Tyrol Acquisition 2, devenue TDF Infrastructure, qui elle-même détenait 100 % de la société TDF.

271.Il s'ensuit que la société Tyrol Acquisition 2 détenait directement la totalité du capital de la société TDF, et que la société Tyrol Acquisition 1 détenait indirectement, par le biais de la société Tyrol Acquisition 2, la quasi-totalité du capital de la société TDF.

272.Dans ces conditions, c'est à juste titre que l'Autorité a présumé que ces deux sociétés mères exerçaient, à l'époque des faits, une influence déterminante sur le comportement de la société TDF et, partant, leur a imputé le comportement de cette dernière.

273.C'est en vain que les sociétés TDF Infrastructure Holding et TDF Infrastructure font valoir qu'étant des holdings financières, elles n'ont aucune implication quelconque dans la gestion opérationnelle de la société TDF, cette circonstance n'étant pas de nature à renverser la présomption d'influence déterminante.

IV. SUR LES SANCTIONS

A. Sur la détermination du montant de base des sanctions

1. Sur la valeur des ventes retenue dans le calcul de la sanction au titre du grief n° 1

274.D'une part, les requérantes font valoir que la décision de l'Autorité d'intégrer, dans la valeur des ventes retenue pour le calcul de la sanction, les ventes réalisées par la société TDF sur le marché de gros aval, alors que ce grief était cantonné au seul marché de gros amont, est injustifiée.

275.Dès lors, selon elle, la valeur des ventes ne saurait être supérieure à 14 505 299 euros, correspondant au chiffre d'affaires hors taxes de la société TDF sur le marché de gros amont en France, déduction faite de l'autoconsommation et du chiffre d'affaires sans affectation géographique, pour l'exercice de référence 2009-2010.

276.D'autre part, elles soutiennent que c'est à tort que l'Autorité a retenu la valeur des ventes réalisées sur l'ensemble du territoire métropolitain, alors que les pratiques visées au grief n° 1 n'ont porté que sur des fractions extrêmement limitées dudit territoire.

277.Elles invitent donc la cour, à titre principal, à réduire la valeur des ventes à prendre en compte à la somme de 896 473 euros, correspondant au seul chiffre d'affaires hors taxes de la société TDF sur le marché de gros amont sur l'ensemble des sites composant la plaque Alsace, au cours de la période de référence, ajoutant que, sur les cinq communes concernées par la pratique d'instrumentalisation des servitudes, la société TDF n'a réalisé aucun chiffre d'affaires d'hébergement.

278.Subsidiairement, rappelant que l'Autorité a déjà accepté, dans sa décision n° 12-D-24 du 13 décembre 2012, d'appliquer un abattement forfaitaire sur la valeur des ventes afin de tenir compte du caractère extrêmement limité du périmètre du chiffre d'affaires concerné par la pratique en cause, les requérantes demandent à la cour d'appliquer de même, sur le chiffre de 14 505 299 euros, un abattement forfaitaire de 50 % afin de tirer les conséquences de la part très limitée des ventes affectées par le grief n° 1.

279.L'Autorité répond, d'une part, que la notion de valeur des ventes se rapporte aux catégories de produits ou services " en relation avec l'infraction ", sans qu'il soit besoin de prouver un lien direct entre chaque vente et l'infraction. En outre, la valeur des ventes retenue pour le calcul de la sanction doit refléter l'ampleur économique de l'infraction, ce qui peut justifier de prendre en compte un périmètre des ventes plus larges (Cass. com., 8 novembre 2016, pourvoi n° 14-28.234).

280.Elle soutient qu'en l'espèce, dès lors que la pratique objet du grief n° 1 sur le marché de gros amont, a eu des répercussions sur le marché de gros aval en permettant à la société TDF d'y protéger ses parts de marché et ses revenus (décision attaquée, § 275 et 276), il était conforme à la réalité économique du secteur de prendre également en compte les ventes sur le marché aval.

281.D'autre part, l'Autorité fait valoir qu'il est indifférent que l'infraction retenue au titre du grief n° 1 se fonde sur des faits relatifs à certaines communes seulement, son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après le " communiqué sanctions ") précisant, aux points 33 et 34, que les ventes à prendre en compte sont " toutes celles réalisées en France " dans les " catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction ", et non les seules ventes directement affectées par l'infraction.

282.En premier lieu, s'agissant de la prise en compte de la valeur des ventes réalisées sur le marché de gros aval, la cour relève, premièrement, qu'aux paragraphes 890 à 893 du rapport, les rapporteurs ont proposé, au titre du grief n° 1, " de retenir comme valeur des ventes l'ensemble des chiffres d'affaires réalisés par la vente de services de diffusion de la TNT par TDF sur le marché de gros amont auprès des opérateurs tiers et sur le marché de gros aval auprès des clients MUX ".

283.Les requérantes, auxquelles le rapport a été notifié, étaient donc en mesure de présenter, si elles le souhaitaient, toutes observations écrites en réponse au rapport, ainsi que toutes observations orales, lors de la séance du 26 janvier 2016.

284.Dès lors, elles sont mal fondées à arguer d'une violation des droits de la défense.

285.Deuxièmement, aux termes du point 23 du communiqué sanctions, pour donner une traduction chiffrée à l'appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage à l'économie, il y a lieu de retenir, comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l'infraction ou, s'il y a lieu, les infractions en cause. Le point 33 du communiqué sanctions ajoute que la référence prise pour donner une traduction chiffrée à l'appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie est la valeur de l'ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction, ou s'il y a lieu avec les infractions, vendues par l'entreprise ou l'organisme durant son dernier exercice comptable complet de participation à celle(s)-ci.

286.Toutefois, le point 39 du communiqué sanctions précise que la méthode décrite ci-dessus peut être adaptée dans les cas particuliers où la référence à la valeur des ventes ou ses modalités de prise en compte aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y a pris part.

287.Il résulte des paragraphes 273 et 276 de la décision attaquée que c'est en application dudit point 39 que l'Autorité a retenu comme valeur des ventes non seulement l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé en France par la vente de services de diffusion de la TNT sur le marché de gros amont auprès des opérateurs tiers, mais également l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé en France par la vente de services de diffusion de la TNT sur le marché de gros aval auprès des clients MUX.

288.Dans ces conditions, est sans pertinence le rappel, effectué par les requérantes, que les pratiques qualifiées d'abus de position dominante au titre du grief n° 1 ne se sont déployées que sur le seul marché de gros amont.

289.Le choix de l'Autorité apparaît légitime dans le contexte de l'affaire.

290.En effet, les barrières artificielles instaurées par la société TDF pour s'opposer à l'implantation de pylônes concurrents avaient pour finalité principale d'empêcher, à tout le moins de limiter, la concurrence par les infrastructures sur le marché de gros aval, constat qui suffit à écarter l'allégation des requérantes que le marché de gros aval pour la diffusion de la TNT ne présenterait aucun lien avec le marché de gros amont. Ne retenir, pour le calcul de la sanction, que la seule valeur des ventes affectées sur le marché de gros amont n'aurait pas permis de prendre la mesure de l'infraction.

291.L'Autorité n'a donc pas méconnu le communiqué sanctions.

292.Enfin, troisièmement, et pour les mêmes raisons, le choix de l'Autorité ne viole pas l'article L. 464-2 I alinéa 3 du Code de commerce, dans la mesure où il garantit précisément que la sanction est proportionnée à la gravité des faits reprochés et à l'importance du dommage causé à l'économie.

293.En second lieu, s'agissant de la prise en compte de la valeur des ventes réalisées sur l'ensemble du territoire métropolitain, il résulte des points 33 et 34 du communiqué sanctions que les ventes à prendre en compte sont " toutes celles réalisées en France " pour " l'ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction ", sans qu'il soit besoin d'établir que chaque vente prise en compte est directement affectée par l'infraction.

294.Les requérantes ne contestant pas que les services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique constituent les services en relation avec le grief n° 1, c'est donc bien l'ensemble de ces services commercialisés sur le territoire métropolitain qui doit être pris en considération, ainsi que l'a fait l'Autorité.

295.L'interprétation contraire signifierait que, pour déterminer le montant de base des sanctions à infliger, l'Autorité serait obligée, dans chaque cas, d'établir quelles sont les ventes individuelles qui ont été affectées par la pratique. Une telle exigence serait le plus souvent irréaliste et priverait l'Autorité d'efficacité dans la poursuite et la sanction des infractions au droit de la concurrence.

296.C'est en vain qu'à titre subsidiaire, les requérantes invoquent la pratique de l'Autorité pour demander un abattement forfaitaire en vue de tenir compte de ce que la pratique visée par le grief n° 1 n'a porté que sur des fractions limitées du territoire français. En effet, dans sa décision n° 12-D-24, l'abattement pratiqué par l'Autorité n'était pas justifié par le fait que la pratique en cause n'aurait porté que sur une fraction du territoire national.

297.Il convient d'ajouter que la circonstance qu'une pratique n'a pas été géographiquement étendue est prise en compte, le cas échéant, au stade de l'appréciation de la gravité de la pratique ou de l'importance du dommage causé à l'économie.

298.Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité a retenu que le montant de la valeur des ventes à prendre en compte est de 99 998 429 euros (décision attaquée, § 281).

2. Sur la gravité des faits

299.Les requérantes contestent l'appréciation par l'Autorité de la gravité des pratiques, soutenant que l'Autorité n'a pas respecté le communiqué sanctions et que les pratiques sont dépourvues de gravité.

300.En premier lieu, et de manière générale, elles considèrent que l'Autorité n'a pas analysé l'ensemble des éléments d'appréciation de la gravité, omettant deux des quatre critères listés au point 26 du communiqué sanctions, d'une part, la nature des personne susceptibles d'être affectées, d'autre part, les caractéristiques objectives de l'infraction.

301.Selon elles, la décision attaquée ne fait état d'aucun élément du dossier permettant d'attribuer une quelconque gravité aux pratiques incriminées, celle-ci ne pouvant être déduite ni des caractéristiques objectives desdites pratiques, lesquelles ne sont pas expressément visées par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE, ni de la jurisprudence, qui ne leur reconnaît aucun caractère de gravité particulier, ni des caractéristiques des personnes éventuellement susceptibles d'être affectées, qui ne sont pas vulnérables.

302.En second lieu, et plus précisément, les requérantes reprochent d'abord à l'Autorité de ne pas avoir pris en compte la nature des infractions, ainsi que le prévoit le point 26 du communiqué sanctions, mais les effets des pratiques. De plus, toutes les pratiques qualifiée d'abus d'éviction, en ce qu'elles tendent à élever artificiellement des barrières à l'entrée sur le marché, n'ont pas le même degré de gravité, de sorte qu'il serait insuffisant de se contenter de souligner l'existence d'un effet d'exclusion pour conclure que des pratiques sont d'une " particulière gravité ", comme l'a fait l'Autorité. Selon les requérantes, l'Autorité a omis de démontrer en quoi l'élévation artificielle des barrières à l'entrée aurait pu empêcher les concurrents de se développer sur le marché malgré leurs mérites propres. En tout état de cause, rien ne justifierait de s'éloigner de la pratique décisionnelle de l'Autorité, qui qualifie généralement les pratiques élevant des barrières à l'entrée de pratiques d'une " gravité certaine ", et non d'une " particulière gravité ".

303.Ensuite, les requérantes soutiennent que c'est à tort que, dans son appréciation de la gravité des faits, l'Autorité a opposé à la société TDF sa responsabilité particulière d'entreprise bénéficiant d'une position dominante héritée d'un ancien monopole légal. D'une part, la prise en compte, au stade de la sanction, de la responsabilité particulière de l'entreprise en position dominante aboutirait à ce que tout abus de position dominante soit automatiquement jugé d'une particulière gravité. D'autre part, la société TDF n'a jamais joui d'un monopole légal sur la diffusion de la TNT.

304.Enfin, les requérantes font grief à l'Autorité d'avoir refusé de tenir compte du fait que ses concurrents ont connu une progression considérable de leurs parts de marché sur le marché de la diffusion de la TNT, alors qu'aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation, cela constitue une atténuation de la gravité des pratiques (Cass. Com., 16 avril 2013, pourvoi n° 10-14.881).

305.L'Autorité répond que l'analyse de la gravité d'un abus de position dominante implique nécessairement de prendre en compte ses effets anticoncurrentiels réels ou potentiels. Elle conteste avoir opéré une confusion entre la qualification juridique des pratiques et la détermination de la sanction, considère avoir pris en compte les caractéristiques objectives des infractions et soutient qu'elle a suffisamment caractérisé la gravité particulière des pratiques objets du grief n° 1 au regard à la fois de leur effet d'éviction de la concurrence et de leur lien avec l'ancien statut de monopole public qui aggrave la responsabilité particulière qui pèse sur la société TDF en tant qu'opérateur dominant.

306.Selon l'Autorité, l'ensemble des éléments d'appréciation de la gravité des faits énumérés au point 26 du communiqué sanctions ne constituant pas des conditions cumulatives, il est indifférent qu'elle n'ait pas retenu d'éléments relatifs à la nature des personnes susceptibles d'être affectées par les pratiques.

307.Elle objecte que la concurrence a connu une croissance, non pas soutenue, mais limitée surle marché des services de diffusion de la TNT, ce qui n'est pas de nature à remettre en cause le degré de gravité de chacune des pratiques.

308.Les points 25 et 26 du communiqué sanctions sont ainsi libellés :

" 25. L'Autorité apprécie la gravité des faits de façon objective et concrète, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce. [...]

26. Pour apprécier la gravité des faits, l'Autorité tient notamment compte des éléments suivants, en fonction de leur pertinence :

- la nature de l'infraction ou des infractions en cause et des faits retenus pour la ou les caractériser (entente entre concurrents, qui peut elle-même revêtir un degré de gravité différent selon qu'il s'agit, par exemple, d'un cartel de prix ou d'un simple échange d'informations ; entente entre deux acteurs d'une même chaîne verticale, comme une pratique de prix de revente imposés par un fournisseur à des distributeurs ; abus de position dominante, qu'il s'agisse d'abus d'éviction ou d'exploitation), ainsi que la nature du ou des paramètres de la concurrence concernés (prix, clientèle, production, etc.) et, le cas échéant, leur combinaison ; ces éléments revêtent une importance centrale dans le cas des pratiques anticoncurrentielles expressément visées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 TFUE, en considération de leur gravité intrinsèque ;

- la nature des activités, des secteurs ou des marchés en cause (activité de service public, marché public, secteur ouvert depuis peu à la concurrence, etc.) et, le cas échéant, leur combinaison ;

- la nature des personnes susceptibles d'être affectées (petites et moyennes entreprises [PME], consommateurs vulnérables, etc.), et

- les caractéristiques objectives de l'infraction ou des infractions (caractère secret ou non, degré de sophistication, existence de mécanismes de police ou de mesures de représailles, détournement d'une législation, etc.). "

309.Il n'est pas nécessaire que l'ensemble des critères visés soient réunis pour conclure à la gravité d'une pratique. Partant, la circonstance qu'en l'espèce, les personnes susceptibles d'être affectées par les pratiques n'étaient pas des PME ou des consommateurs vulnérables ne suffit pas à infirmer l'analyse de l'Autorité quant à la gravité des pratiques en cause.

310.De même, le fait que la pratique examinée n'est pas, comme en l'espèce, expressément visée par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 TFUE, ne suffit pas à exclure qu'elle soit d'une particulière gravité.

311.S'agissant du deuxième volet du grief n° 1, la pratique incriminée a consisté à empêcher, et à tout le moins retarder, le développement par les opérateurs concurrents de leurs propres infrastructures, au moyen desquelles ils auraient pu concurrencer activement la société TDF. Il n'est pas acceptable qu'un opérateur économique agisse pour priver ses concurrents des moyens matériels qui leur permettraient de le concurrencer. Il s'agit là d'une situation rare.

312.C'est donc à juste titre que l'Autorité a estimé qu'il s'agissait d'une pratique considérée comme grave " dans la mesure où [elle a] pour effet d'empêcher l'accès et le développement des concurrents sur le marché par des moyens ne reposant pas sur une compétition par les mérites " (décision attaquée, § 286). Ce faisant, elle a exactement pris en compte la nature des infractions en cause.

313.De même, s'il est exact que le marché de la TNT étant un marché nouveau, n'a jamais fait l'objet d'un monopole légal, son ouverture a coïncidé avec la fin récente du monopole de la société TDF en matière de diffusion, monopole dont elle a hérité d'un ensemble de sites de diffusion sur la totalité du territoire national. Aussi la situation de l'espèce apparaît-elle très proche de celle dans laquelle le marché concerné vient de s'ouvrir à la concurrence, circonstance visée au point 26 du communiqué sanctions comme contribuant à la gravité des faits. De même, l'instrumentalisation des servitudes doit être considérée comme relevant du détournement d'une législation, au sens du même point.

314.Quant à l'argument des requérantes selon lequel prendre en compte à ce stade la responsabilité particulière pesant sur la société TDF aboutirait à ce que tout abus de position dominante soit automatiquement jugé d'une particulière gravité, il repose sur une dénaturation des paragraphes 287 à 290 de la décision attaquée, l'Autorité ayant retenu que pesait une responsabilité particulière sur la société TDF, non pas en sa qualité d'entreprise en position dominante, mais en sa qualité d'ancien monopole d'État, étant rappelé que toute entreprise en position dominante n'est pas nécessairement un ancien monopole d'État.

315.C'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré que la qualité d'ancien monopole d'État de la société TDF lui donnait une responsabilité particulière de ne pas abuser de sa position dominante au moment du déploiement de la TNT dont le service de diffusion était un marché ouvert à la concurrence (décision attaquée, § 287, 288 et 290).

316.Néanmoins, la cour ayant écarté l'accusation selon laquelle la société TDF se serait présentée comme un service de l'Etat et jugé non établie la pratique objet du troisième volet du grief n° 1, le degré de gravité qu'elle retiendra est nécessairement moindre que celui apprécié par l'Autorité dans la décision attaquée.

317.Il y a donc lieu de retenir que le deuxième volet du grief n° 1 est d'une gravité certaine.

318.S'agissant du grief n° 3, sa gravité se déduit notamment du moment où la pratique en cause a été développée, au moment du déploiement du réseau complémentaire numérique, ainsi que de son étendue pendant la période concernée.

319.En limitant très sensiblement la possibilité des opérateurs de concurrencer la société TDF sur la part disputable du marché, le système de remise de plaque a permis à cette société d'en conserver une partie très substantielle, et ce pour une période très longue, jusqu'à cinq ans, qui était en général la durée des contrats passés avec les opérateurs de multiplex.

320.Par ailleurs, la responsabilité particulière de la société TDF, soulignée ci-dessus, contribue également à la gravité des pratiques.

321.Enfin, le développement qu'ont pu connaître les opérateurs concurrents de la société TDF sur le marché de gros aval n'est pas susceptible de remettre en cause les appréciations qui précèdent. En effet, la naissance d'un tout nouveau marché assure à l'ensemble des opérateurs qui y sont actifs une croissance quasi-mécanique. Partant, la croissance des concurrents de la société TDF ne constitue nullement un élément d'atténuation de la gravité des pratiques.

322.Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité a dit que la pratique objet du grief n° 3 est grave.

3. Sur l'importance du dommage causé à l'économie

323.Les requérantes contestent l'appréciation par l'Autorité de l'importance du dommage causé à l'économie, reprochant à cette dernière d'avoir procédé à une analyse erronée de l'ampleur des pratiques, des caractéristiques économiques du secteur ainsi que des conséquences conjoncturelles et structurelles des infractions reprochées, et soutenant que la preuve de l'existence d'un dommage à l'économie n'est pas rapportée.

324.En premier lieu, s'agissant de l'ampleur des pratiques, les requérantes reprochent à l'Autorité d'avoir considéré que les pratiques en cause concerneraient l'ensemble du territoire national : quant au grief n° 1, les pratiques relatives aux servitudes radioélectriques n'ont concerné concrètement qu'une seule commune ; quant au grief n° 3, les remises de plaque n'ont pas été proposées sur l'ensemble du territoire métropolitain ni à l'ensemble des opérateurs de multiplex.

325.En second lieu, s'agissant des caractéristiques économiques, les requérantes arguent de ce que, pendant la période couverte par les pratiques, la concurrence s'est développée de manière continue. C'est ainsi qu'en à peine plus d'un an, entre 2010 et 2011, la part de marché des concurrents de la société TDF a cru de cinq points, selon les estimations de l'ARCEP ; en outre, en cinq ans, le nombre de points de diffusion de la TNT des concurrents de TDF serait passé de 45 à 2 232.

326.S'agissant des barrières à l'entrée, les requérantes font valoir que le montant modéré des investissements nécessaires pour la construction d'un site de diffusion de la TNT ne peut constituer une barrière à l'entrée sur le marché amont.

327.Quant au marché aval, l'existence d'offre régulées permettrait d'entrer sur ce marché moyennant un investissement particulièrement limité. Par ailleurs, la demande sur ce marché serait parfaitement élastique, car les opérateurs de multiplex sont toujours libres de choisir les moyens pour parvenir à l'obligation de couverture de la population qui pèse sur eux, y compris l'auto-diffusion.

328.Les requérantes ajoutent que l'argument invoqué par l'Autorité, pour conclure à l'inélasticité de la demande sur le marché de gros aval, tiré de ce que les clients MUX n'auraient pas la possibilité de renoncer au service en présence de prix trop élevés, est contredit par la qualification juridique de la remise de plaque, mécanisme reposant sur une diminution du prix consenti au client.

329.Enfin, l'Autorité aurait méconnu le fait que le marché de gros aval fonctionne par appel d'offres, de sorte qu'il existe à chaque fois une mise en concurrence réelle entre la société TDF et ses concurrents ayant permis des baisses significatives des prix sur la période en cause, lesquelles sont le meilleur indicateur de l'existence d'un pouvoir de marché des opérateurs de multiplex.

330.En dernier lieu, s'agissant des conséquences conjoncturelles ou structurelles des pratiques, les requérantes soulignent que l'Autorité n'a défini aucun scénario contrefactuel, qui seul aurait permis de déterminer et mesurer les conséquences structurelles et conjoncturelles des pratiques en cause. Il s'ensuit que l'Autorité ne démontre ni que les concurrents présents sur le marché auraient été empêchés de répondre à certains appels d'offres, voire d'en remporter, et ainsi renforcer la concurrence livrée à la société TDF, ni qu'un concurrent potentiel aurait pu entrer sur le marché en l'absence desdites pratiques. De même l'Autorité n'aurait pas établi que les pratiques ont eu des conséquences sur le consommateur final.

331.Les requérantes font valoir qu'à l'inverse, la société TDF a démontré que les parts de marché de ses concurrents ont augmenté et que les prix sur le marché de gros aval ont diminué, preuve que les pratiques n'ont pas empêché l'intensification de la concurrence au cours de la période incriminée.

332.Elles considèrent donc que l'Autorité aurait dû constater l'absence d'incidence sur les opérateurs économiques en amont, les consommateurs en aval, et l'économie en général.

333.S'agissant plus spécifiquement du grief n° 1, les requérantes font valoir que, du fait de la régulation sectorielle mise en place par l'ARCEP, le marché de la diffusion de la TNT ne repose plus sur un modèle de concurrence par les infrastructures, mais par les services. En tout état de cause, la pratique objet du deuxième volet de ce grief, n'aurait pu avoir que des conséquences extrêmement limitées, ne visant que cinq communes.

334.Quant au grief n° 3, les taux de succès des réponses des concurrents de la société TDF aux appels d'offres des opérateurs de multiplex dès leur entrée sur le marché - taux de succès de 32 % pour la société Onecast en 2006 ; part de marché de 20 % pour la société Itas Tim dès 2008 - démontrerait l'absence de tout effet concret d'éviction.

335.L'Autorité répond, en premier lieu, s'agissant de l'ampleur des pratiques, que les communes pour lesquelles une instrumentalisation des servitudes a été constatée, sont réparties sur tout le territoire national, preuve que la pratique objet du deuxième volet du grief n° 1 constituait une politique de communication mise en œuvre à l'échelle nationale.

336.Quant à la pratique visée par le grief n° 3, l'Autorité fait valoir qu'elle a été mise en œuvre lors des phases de déploiement de la TNT 3 à 8a et a représenté 41 % des points de service mis en service par les opérateurs de multiplex à cette période, ce qui démontre son ampleur nationale. Elle ajoute que les six opérateurs de multiplex existant à l'époque ont été concernés.

337.En second lieu, s'agissant des caractéristiques économiques objectives du secteur, l'Autorité rappelle que les barrières à l'entrée sur le marché de gros amont sont de multiples sortes : barrières économiques et naturelles, barrières d'ordre administratif et réglementaire, contraintes de calendrier, exigence de colocation des nouveaux sites à implanter avec les sites existants en grande partie détenus par la société TDF.

338.En outre, à la date des pratiques, les maires n'étaient pas au fait des aspects technologiques et, eu égard à l'enjeu électoral majeur que représentaient le passage à la TNT et l'extinction de la télévision analogique, étaient particulièrement vulnérables à la politique de communication biaisée de la société TDF les incitant à s'opposer à l'implantation d'infrastructures concurrentes.

339.Quant au marché de gros aval, l'Autorité soutient que la demande des opérateurs de multiplex est inélastique dans la mesure où ils n'ont pas la possibilité de renoncer au service en présence de prix trop élevés. Par ailleurs, nonobstant le fonctionnement du marché par appel d'offres, le pouvoir de marché était détenu par la société TDF, opérateur historique, et non par les opérateurs de multiplex.

340.L'Autorité réfute l'argument tiré de la baisse des prix, cette baisse étant intervenue à l'occasion du renouvellement des contrats de diffusion après la fin des pratiques sanctionnées, ce qui tendrait au contraire à démontrer que les pratiques ont pu élever les prix au-dessus du niveau concurrentiel. En outre, la baisse des prix constatée entre 2005 et 2009 résulterait essentiellement de la taille des sites entre le réseau principal et le réseau complémentaire numériques.

341.En dernier lieu, quant aux conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques, l'Autorité fait valoir, premièrement, que ni sa pratique décisionnelle ni la jurisprudence n'imposent la définition systématique d'un scénario contrefactuel.

342.Deuxièmement, elle soutient qu'elle a suffisamment caractérisé les conséquences conjoncturelles ou structurelles des pratiques sur la base d'éléments pertinents de nature à la fois quantitative et qualitative.

343.Si l'Autorité reconnaît qu'elle n'a pas retenu d'éléments relatifs aux conséquences des pratiques sur le consommateur final ou à leur incidence plus générale sur l'économie, elle objecte que cela est indifférent dès lors qu'elle a suffisamment caractérisé le dommage au regard d'autres paramètres tenant à l'ampleur des pratiques, aux caractéristiques du secteur et aux conséquences à l'égard des diffuseurs concurrents et des opérateurs de multiplex.

344.Troisièmement, s'agissant spécifiquement du grief n° 1, l'Autorité fait valoir que l'argument des requérantes selon lequel le marché de la diffusion de la TNT ne repose plus sur un modèle de concurrence par les infrastructures, pointe précisément ce qui lui est reproché : avoir voulu empêcher une concurrence par les infrastructures. La pratique objet du deuxième volet de ce grief a donc ralenti la diversification des formes de concurrence sur le marché de gros aval. Elle ajoute qu'en tenant compte du fait que ladite pratique ne s'est pas toujours concrétisée par un refus définitif des collectivités, elle a bien pris en compte sur ce point un dommage certain mais limité.

345.Quatrièmement, s'agissant spécifiquement du grief n° 3, l'Autorité considère que la progression des concurrents sur le marché de gros aval n'a pas été exponentielle, comme affirmé par les requérantes, mais a au contraire été limitée, la part de marché conservée par la société TDF étant toujours restée supérieure à 75 %. Elle souligne notamment que si la part de marché de la société Itas Tim a augmenté entre 2008 et 2010, le taux de succès de cette société aux appels d'offres est resté inférieur à celui de la société TDF, malgré des prix souvent plus compétitifs. Elle ajoute que les taux de succès des concurrents ont connu une hausse sensible à compter de 2009, année de fin du système de remise de plaque. Partant, la progression des concurrents ne serait pas de nature à exclure les conséquences conjoncturelles ou structurelles des pratiques.

346.La cour rappelle que l'importance du dommage causé à l'économie ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale qu'elles sont de nature à engendrer pour l'économie.

347.Ni l'Autorité ni la cour, statuant sur un recours contre une décision de l'Autorité, ne sont tenues de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie. Elles doivent en revanche procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause.

348.Il y a lieu de tenir compte, pour apprécier l'incidence économique de la pratique en cause, notamment, de l'ampleur de l'infraction, telle que caractérisée, entre autres, par sa couverture géographique ou par la part de marché cumulée des participants sur le secteur ou le marché concerné, des caractéristiques économiques pertinentes du secteur ou du marché concerné, ainsi que de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles. Les effets, tant avérés que potentiels, de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre.

349.En premier lieu, concernant l'ampleur des pratiques, si la pratique objet du deuxième volet du grief n° 1 est la traduction d'une politique décidée au plan national, ainsi que le démontre la dissémination sur tout le territoire métropolitain des communes où elle a pu être caractérisée, la cour constate qu'elle est restée de faible ampleur.

350.Même s'il ne peut être exclu que d'autres exemples aient échappé aux enquêteurs, force est en effet de rappeler que l'instrumentalisation des servitudes n'a été prouvée que dans les rapports de la société TDF avec cinq communes.

351.S'agissant de la pratique visée au grief n° 3, celle-ci a concerné une part importante des sites ouverts à la diffusion de la TNT à l'époque de la pratique, sites répartis sur tout le territoire national, et, quoiqu'avec une intensité différente, l'ensemble des six opérateurs de multiplex alors actifs.

352.Ainsi qu'il a déjà été relevé ci-dessus, ont été affectés environ 40 % des points de service mis en jeu par les opérateurs de multiplex entre 2005 et 2009.

353.Dès lors, l'ampleur de la pratique doit être qualifié de certaine.

354.En second lieu, afin d'apprécier l'importance du dommage causé à l'économie, il y a lieu de prendre en compte les caractéristiques économiques objectives du secteur en cause, dans la mesure où ces dernières sont de nature à avoir une influence sur les conséquences conjoncturelles ou structurelles des pratiques. En l'espèce, il convient d'apprécier successivement l'existence de barrières à l'entrée, l'élasticité-prix de la demande et le contre-pouvoir des distributeurs.

355.D'abord, la réalité et l'importance des barrières à l'entrée sur le marché amont a déjà été soulignée, lors de l'examen de la position dominante forte de la société TDF sur ce marché.

356.Le coût modéré de l'implantation d'un site de diffusion, s'agissant du moins des sites du réseau complémentaire numérique, n'est pas de nature à infirmer ce constat alors que, ainsi que la cour l'a indiqué, les barrières à l'entrée sur le marché de gros, d'une part, tenaient au caractère très tendu du déploiement de la TNT et étaient, d'autre part, de nature géographique, administrative, technique et réglementaire. Sans l'existence de telles barrières à l'entrée, le constat que les opérateurs concurrents, qui avaient fait le choix de privilégier la concurrence par les infrastructures lors du déploiement du réseau complémentaire numérique, ont très peu concurrencé la société TDF lors des appels d'offres concernant ce réseau (décision attaquée, § 245) ne s'expliquerait pas.

357.Ensuite, ainsi que la cour l'a déjà constaté, c'est à juste titre que l'Autorité a constaté que l'obligation de couverture pesant sur les opérateurs de multiplex, qui ne leur permet pas de renoncer au service malgré un prix élevé, rend leur demande inélastique, tandis que l'auto-diffusion n'est susceptible de jouer qu'un rôle très marginal.

358.D'ailleurs, si la demande des opérateurs de multiplex était élastique, on ne s'expliquerait pas que la société TDF ait pu conserver des parts de marché si importantes alors que, selon ses propres dires, ses concurrents, à tout le moins la société Itas Tim, proposaient des prix plus compétitifs.

359.Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il n'y a aucune contradiction à constater que les opérateurs de multiplex sont tenus d'accepter des prix élevés tout en qualifiant d'abus de position dominante le système de remise de plaque qui repose, par hypothèse, sur des baisses de prix. En effet, l'appréciation de l'élasticité-prix de la demande s'effectue au niveau des caractéristiques économiques objectives du secteur, tandis que la remise de plaque relève du comportement individuel de la société TDF.

360.C'est en vain que les requérantes prétendent tirer de la baisse des prix la preuve d'un fort pouvoir de marché des opérateurs de multiplex.

361.Cette baisse a certes été significative entre 2005 et 2009, ainsi qu'il résulte du tableau communiqué par les requérantes et non contesté par l'Autorité (Saisine 09/0109F, cote 23868). Mais plusieurs explications étrangères au pouvoir de marché des opérateurs de multiplex permettent de l'expliquer en grande partie. D'abord, il est constant que le prix des émetteurs, qui entrent dans le prix facturé aux opérateurs de multiplex, a connu une baisse très importante au cours de la même période. Ensuite, le réseau complémentaire numérique, dont le déploiement a commencé en 2008, est constitué de sites de diffusion de moindre taille et couvrant des bassins de populations beaucoup plus faibles que les sites relevant du réseau principal numérique, différence objective justifiant une différence de prix à la baisse, et ce, dès l'année 2007, les appels d'offres anticipant de plusieurs mois l'entrée en service de la TNT à partir des sites concernés. Enfin, la pratique de la remise de plaque n'a pu manquer de jouer elle-même un rôle à la baisse, eu égard à son ampleur pendant la période considérée.

362.En dernier lieu, concernant les conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques, c'est à juste titre que l'Autorité rappelle qu'il est possible de démontrer l'existence de telles conséquences sans en passer par un contrefactuel.

363.S'agissant du grief n° 1, compte tenu de sa faible ampleur, et dans la mesure où il ne semble pas qu'un projet d'implantation ait été définitivement abandonné par un concurrent à raison de cette pratique, mais seulement retardé, ses conséquences doivent elles-mêmes être qualifiées de limitées.

364.Il ne saurait être en revanche soutenu qu'elle a été sans aucunes conséquences, alors, d'une part, que cette pratique est survenue dans un contexte marqué par d'importantes barrières à l'entrée sur le marché de gros amont, qu'elle a contribué à aggraver, d'autre part, parce qu'un retard dans l'implantation d'un pylône de diffusion pouvait suffire, au regard du calendrier très serré du déploiement de la TNT, à priver l'entreprise concurrente de la possibilité de concurrencer la société TDF par les infrastructures sur le marché de gros aval, voire même à persuader cette entreprise de renoncer à concurrencer la société TDF, étant donné que les diffuseurs alternatifs avaient fait le choix d'une concurrence par les infrastructures sur le réseau complémentaire numérique.

365.Quant à la pratique objet du grief n° 3 la cour rappelle qu'elle a été d'une ampleur certaine, a été mise en œuvre par une entreprise, ancien monopole d'État, en forte position dominante tant sur le marché amont que sur le marché aval, est intervenue dans un secteur marqué par d'importantes barrières à l'entrée sur le marché amont, et par l'absence d'élasticité-prix de la demande sur le marché aval, enfin qu'elle a eu lieu à un moment critique de l'apparition d'un nouveau marché, tenant au progrès technologique, et dans le cadre de contraintes temporelles fortes liée au calendrier fixé par le CSA.

366.Dans ces conditions, et même si, là où la pratique a été mise en œuvre elle s'est traduite par des baisses des prix au profit des opérateurs de multiplex, elle n'a pu que limiter le développement de la concurrence, eu égard aux efforts que des diffuseurs alternatifs ont dû faire pour remporter des appels d'offres malgré la remise de plaque proposée par la société TDF, permettant ainsi à la société TDF de conserver ailleurs une situation quasi-monopolistique, ce que démontre le fait que, lors du déploiement du réseau complémentaire numérique, elle a été souvent la seule à répondre aux appels d'offres.

367.Ainsi que le souligne l'Autorité (décision attaquée, § 311), la baisse des prix à l'occasion du renouvellement des contrats suggère que les pratiques ont pu élever les prix au-dessus du niveau de la concurrence.

368.Les contrats de diffusion conclus avec les opérateurs de multiplex l'étant en général pour une durée de cinq ans, les effets de la pratique ont perduré dans le temps.

369.À l'issue des considérations qui précèdent, pour déterminer le montant de base de la sanction en ce qui concerne la pratique objet du deuxième volet du grief n° 1, la cour retiendra, une proportion de 7 % de la somme 99 998 429 euros.

370.Par ailleurs, elle fait sien le calcul du montant de base de la sanction retenu par l'Autorité en ce qui concerne la pratique objet du grief n° 3 (décision attaquée, § 315).

4. Sur la durée de l'infraction

371.La pratique visée par le deuxième volet du grief n° 1 s'est étendue de mars 2009 à mars 2010. Elle a donc été mise en œuvre sur une durée totale d'un an correspondant à un coefficient de 1.

372.Quant à la pratique visée par le grief n° 3, la cour fait sienne l'analyse de l'Autorité, qui a retenu qu'elle s'était étendue d'octobre 2005 à mars 2009 (décision attaquée, § 319).

373.Dès lors, le montant de base de la sanction s'établit à 6,9 millions d'euros (99 998 429 euros x 7 % x 1) pour la pratique objet du deuxième volet du grief n° 1. Quant à la pratique objet du grief n° 3, c'est à juste titre que l'Autorité a retenu un montant de base de 7,5 millions d'euros (66 856 638 euros x 5 % x 2,25).

B. Sur l'individualisation des sanctions

374.S'agissant des éléments d'individualisation de la sanction, les requérantes reprochent à l'Autorité, d'une part, d'avoir retenu à l'encontre de la société TDF la circonstance aggravante de réitération (1.), d'autre part, refusé de la faire bénéficier des circonstances atténuantes tenant au rôle des pouvoirs publics (position insuffisamment lisible et constante de l'ANFR) (2.) et à la qualité d'entreprise mono-produit de la société TDF (3.).

1. Sur la réitération

375.À titre principal, les requérantes reprochent à l'Autorité d'avoir retenu à l'encontre de la société TDF la circonstance aggravante de réitération.

376.Selon elles, en effet, la motivation figurant au paragraphe 325 de la décision attaquée, selon laquelle les pratiques sanctionnées par la décision du Conseil de la concurrence n° 99-D-14 du 23 février 1999 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Télédiffusion de France (TDF) " sont similaires à celles sanctionnées au cas présent puisqu'elles consistent en des comportements d'éviction mis en œuvre par l'opérateur dominant et ayant pour objet ou pour effet d'élever des barrières à l'entrée sur les marchés dominés et d'y empêcher le développement d'une concurrence par les mérites " ne suffit pas à justifier que l'identité ou la similarité des pratiques, par leur objet ou leurs effets, est acquise.

377.D'une part, toute pratique d'éviction commise en abusant d'une position dominante ayant pour objet et/ou pour effet d'empêcher ou d'entraver l'accès au marché des concurrents de l'entreprise en position dominante, se contenter d'un tel objectif pour retenir la réitération viderait de tout sens le critère de l'identité ou de la similarité de la pratique.

378.D'autre part, alors que les pratiques sanctionnées par la décision n° 99-D-14 consistaient à refuser l'accès à une infrastructure essentielle aux concurrents pour les empêcher d'entrer sur le marché, les pratiques en cause en l'espèce n'ont pas pour objet ou pour effet d'empêcher les concurrents d'entrer sur le marché puisqu'ils y sont déjà. Les unes et les autres auraient donc un objet et un effet radicalement différents.

379.À titre subsidiaire, les requérantes contestent le pourcentage d'aggravation des sanctions de 20 % au titre de la réitération.

380.Elles font valoir qu'il résulte tant de la pratique de la Commission et de l'Autorité que de la jurisprudence des juridictions de l'Union que le principe de proportionnalité exige que le temps écoulé entre l'infraction en cause et un précédent manquement aux règles de concurrence soit pris en compte pour apprécier la propension de l'entreprise à s'affranchir de ces règles.

381.Selon les requérantes, il ne suffirait pas de tenir compte, comme le fait le droit interne, de la période de temps entre le constat de l'infraction primitive et le début des pratiques réitérées.

382.En l'espèce, il se serait écoulé respectivement dix-huit ans entre le début des pratiques sanctionnées par la décision n° 99-D-14 et le début des pratiques objet de la présente espèce, et onze ans entre la fin des pratiques primitives et le début des pratiques réitérées.

383.Par ailleurs, l'Autorité devait également tenir compte des évolutions significatives ayant affecté la situation factuelle et juridique de la société TDF entre l'adoption de la décision n° 99-D-14 et le début des pratiques ici sanctionnées.

384.À la lumière de ces éléments, une majoration de 20 % des sanctions au titre de la réitération serait disproportionnée.

385.L'Autorité conclut à la confirmation de la décision attaquée en tant qu'elle a retenu une majoration de 20 % au titre de la réitération.

386.D'une part, rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Com., arrêts du 6 janvier 2015, pourvoi n° 13-21.305, et du 22 novembre 2016, pourvoi n° 14-28.224), elle fait valoir que la réitération n'exige pas que les infractions commises soient identiques quant à la pratique mise en œuvre ou quant au marché concerné, et qu'elle peut être retenue pour de nouvelles pratiques identiques ou similaires, par leur objet et leurs effets, à celles ayant donné lieu au précédent constat d'infraction.

387.Elle soutient que les pratiques objet de la décision attaquée ont le même objet et le même effet que les pratiques sanctionnées par la décision n° 99-D-14, les unes et les autres consistent en des pratiques d'éviction mises en œuvre par l'opérateur en position dominante dans le secteur de la diffusion audiovisuelle hertzienne et ayant pour objet ou pour effet d'élever des barrières à l'entrée sur les marchés et d'empêcher le développement de la concurrence par des moyens ne reposant pas sur une concurrence par les mérites.

388.D'autre part, l'Autorité fait valoir qu'une majoration de 20 % n'est pas disproportionnée, notamment au regard du délai de six ans séparant la décision n° 99-D-14 du début des pratiques poursuivies, alors que le communiqué sanctions prévoit que la majoration pour réitération peut être comprise entre 15 % et 50 %.

389.Aux termes du point 50 du communiqué sanctions, " [l]a réitération est une circonstance aggravante dont la loi prévoit, compte tenu de son importance particulière, qu'elle doit faire l'objet d'une prise en compte autonome, de manière à permettre à l'Autorité d'apporter une réponse proportionnée, en termes de répression et de dissuasion, à la propension de l'entreprise ou de l'organisme concerné à s'affranchir des règles de concurrence ".

390.Le point 51 du communiqué sanctions est ainsi formulé :

" Pour apprécier l'existence d'une réitération, l'Autorité tient compte de quatre éléments cumulatifs :

- une précédente infraction au droit de la concurrence doit avoir été constatée avant la fin de la nouvelle pratique ; ce précédent constat d'infraction, qui ne doit pas nécessairement avoir été assorti d'une sanction pécuniaire, ne peut résulter ni d'une décision prononçant une mesure conservatoire en vertu de l'article L. 464-1 du Code de commerce, ni d'une décision rendant obligatoires des engagements au titre du I de l'article L. 464-2 du même code ;

- la nouvelle pratique doit être identique ou similaire, par son objet ou ses effets, à celle ayant donné lieu au précédent constat d'infraction ;

- ce dernier doit avoir acquis un caractère définitif à la date à laquelle l'Autorité statue sur la nouvelle pratique, et

- le délai écoulé entre le précédent constat d'infraction et le début de la nouvelle pratique est pris en compte pour apporter une réponse proportionnée à la propension de l'entreprise ou de l'organisme concerné à s'affranchir des règles de concurrence ; l'Autorité n'entend pas opposer la réitération à une entreprise ou à un organisme lorsque le délai en question est supérieur à 15 ans. "

391.La circonstance aggravante fondée sur la réitération de pratiques anticoncurrentielles peut être retenue pour de nouvelles pratiques identiques ou similaires, par leur objet ou leurs effets, à celles ayant donné lieu au précédent constat d'infraction, sans que cette qualification exige une identité quant à la pratique mise en œuvre ou quant au marché concerné, qu'il s'agisse du marché de produits ou services ou du marché géographique.

392.En premier lieu, l'Autorité a considéré, aux paragraphes 324 à 326 de la décision attaquée, que sa décision n° 99-D-14, antérieure de moins de quinze ans au commencement des pratiques sanctionnées dans la présente affaire et devenue définitive à la date de la décision attaquée, constituait la première condamnation permettant de caractériser la réitération.

393.La décision n° 99-D-14 a sanctionné la société TDF pour avoir abusé de sa position dominante sur les marchés de la diffusion hertzienne des chaînes nationales publiques généralistes, de la diffusion hertzienne des chaînes nationales privées généralistes et de la maîtrise d'œuvre à la demande de collectivités locales pour la diffusion hertzienne des chaînes nationales, en mettant en œuvre des pratiques d'éviction sur le marché des prestations d'installation et de maintenance des matériels de diffusion télévisuelle par voie hertzienne.

394.D'une part, il s'agissait, à l'époque, de la diffusion de la télévision analogique terrestre, de sorte que les marchés concernés ne sont pas les mêmes que ceux sur lesquels les pratiques objet de la présente espèce se sont déployées. Force est toutefois de constater qu'il s'agit de domaines d'activité très proches, pour lesquels la position dominante de la société TDF a la même origine, à savoir son passé de monopole d'État pour la diffusion radiophonique et télévisuelle.

395.D'autre part, et surtout, les pratiques sanctionnées par la décision n° 99-D-14 comme celles objet de la présente procédure, avaient pour objet et pour effet de permettre à l'opérateur dominant d'évincer des concurrents d'un marché.

396.Ces constatations suffisent pour juger bien fondée la décision attaquée, en tant qu'elle a retenu la circonstance aggravante de réitération.

397.La cour ajoutera, à titre surabondant, d'une part, que toute pratique anticoncurrentielle n'a pas pour objet ou pour effet d'évincer les concurrents d'un marché, de sorte que l'analyse qui précède ne vide pas de son sens le critère de l'identité ou de la similarité des pratiques ; d'autre part, que la pratique objet du deuxième volet du grief n° 1, consistant à empêcher l'implantation d'infrastructures nouvelles par les concurrents, apparaît similaire, dans son objet comme dans ses effets, à la pratique, sanctionnée par la décision n° 99-D-14, consistant à refuser aux concurrents l'accès à une infrastructure existante.

398.En second lieu, la cour rappelle que, par son communiqué sanctions (point 51), l'Autorité s'oblige à prendre en compte le délai écoulé entre le précédent constat d'infraction et le début de la nouvelle pratique " pour apporter une réponse proportionnée à la propension de l'entreprise ou de l'organisme concerné à s'affranchir des règles de concurrence ", s'interdisant de retenir la circonstance aggravante de réitération lorsque ce délai est supérieur à quinze ans.

399.Rien ne justifie en revanche de prendre en compte le délai qui s'est écoulé entre le début des pratiques primitives et le début des pratiques réitérées. Dès lors que l'entreprise a été rendue pleinement conscience par la décision la sanctionnant de l'importance de respecter les règles garantissant une concurrence non faussée, c'est bien la durée du délai s'étant écoulé depuis cette décision qui permet de vérifier sa propension à s'affranchir desdites règles, et non la durée du délai s'étant écoulé depuis le début de la pratique sanctionnée, laquelle dépendant de circonstances étrangères à l'entreprise.

400.De même, les évolutions factuelles et juridiques dans la situation de la société TDF depuis 1999 ne sont pas de nature à conduire à une application moins sévère de la circonstance aggravante de réitération. D'une part, survenant quatre ans après la décision n° 99-D-14, la fin totale du monopole de la société TDF résultant de la loi du 31 décembre 2003 n'a pu que la persuader davantage encore de la nécessité de respecter scrupuleusement le droit de la concurrence. D'autre part, les modifications dans l'organisation de la société TDF sont sans incidence, dès lors que la réitération vise le renouvellement des pratiques, indépendamment de toute référence au contexte interne, nécessairement évolutif, de l'entreprise. C'est la personne morale qui assume la continuité juridique ou économique de l'entreprise auteur de la première infraction qui, en renouvelant les pratiques, commet une réitération.

401.La cour considère que la majoration de 20 % décidée par l'Autorité ne méconnaît pas le principe de proportionnalité et est appropriée aux circonstances de l'espèce.

2. Sur le rôle des pouvoirs publics

402.Les requérantes font valoir que c'est à tort que l'Autorité a refusé de retenir à titre de circonstance atténuante, la position insuffisamment lisible et constante de l'ANFR sur la période considérée.

403.Selon elles, l'inscription à l'ordre du jour de la COMSIS plénière d'avril 2008, d'une réflexion sur l'avenir des servitudes radioélectriques dont bénéficiait la société TDF, ne rendait pas ces servitudes caduques. De même, la démarche de la COMSIS mandatant un groupe de travail pour examiner la question de leur devenir n'apportait aucune modification aux décrets de servitude. Enfin, l'appréciation portée par l'ANFR dans son rapport final est postérieure à la cessation des pratiques, tandis que, pendant toute la durée des pratiques, l'ANFR renvoyait vers la société TDF les questions qui lui étaient posées sur au sujet des servitudes.

404.Elles ajoutent que les décrets de servitude obligeaient la société TDF à la gestion et à la surveillance du respect des servitudes dont elle bénéficiait, de sorte qu'indépendamment même de la position de l'ANFR, seule l'abrogation des décrets de servitude pouvait avoir pour effet de remettre en cause de manière irrémédiable les obligations pesant sur la société TDF en matière de gestion des servitudes.

405.L'Autorité répond que la question de la légalité des servitudes dont bénéficiaient les anciens monopoles publics TDF et France Télécom a été portée à l'ordre du jour de la COMSIS plénière, d'avril 2008, à laquelle la société TDF a participé, et que, dès cette date, l'ANFR a clairement relevé que la société TDF, du fait de sa transformation en société privée en 2004, ne pouvait plus revendiquer lesdites servitudes.

406.L'Autorité considère donc qu'il relevait de la responsabilité de la société TDF, qui était à même d'apprécier les conséquences légales de son changement de statut, de ne pas instrumentaliser les servitudes radioélectriques pour s'opposer aux projets d'infrastructures de diffusion de ses concurrents, de sorte qu'il n'y a pas lieu de retenir une circonstance atténuante.

407.Aux termes du point 45 du communiqué sanctions, les circonstances atténuantes en considération desquelles l'Autorité peut réduire le montant de base de la sanction pécuniaire, pour une entreprise ou un organisme, peuvent notamment tenir au fait que " l'infraction a été autorisée ou encouragée par les autorités publiques ".

408.Mais, d'une part, ni l'ANFR ni aucune autorité publique n'a encouragé les pratiques objet du deuxième volet du grief n° 1.

409.D'autre part et surtout, la cour a tenu compte tant du rôle qu'a joué l'ANFR que du maintien dans l'ordre juridique des décrets de servitude pendant la durée des pratiques, en écartant certain des aspects du deuxième volet du grief n° 1, ce qui l'a, entre autres, conduite à retenir un moindre degré de gravité, se traduisant par un pourcentage de la valeur des ventes de 7 % au lieu de 9 %.

410.Rien ne justifie d'en tenir compte une seconde fois à titre de circonstance atténuante.

411.Le moyen est en conséquence rejeté.

3. Sur le caractère d'entreprise mono-produit

412.Les requérantes font valoir qu'en application du point 48 du communiqué sanctions, l'Autorité doit prendre en considération, aux fins de l'appréciation du caractère d' " entreprise mono-produit ", non seulement le " marché ", mais également le " secteur " en relation avec l'infraction.

413.Soulignant que la société TDF réalise plus de 91 % de son chiffre d'affaires dans le secteur de l'exploitation d'infrastructures pour la diffusion de signaux radioélectriques, elles soutiennent que cette société a bien la qualité d'entreprise mono-produit et que c'est à tort que l'Autorité leur a refusé de tenir compte de cette circonstance atténuante.

414.L'Autorité répond qu'il ressort des points 23, 24 et 48 du communiqué sanctions que la notion d' " entreprise mono-produit ", qui a pour but de lui permettre de traiter de manière individualisée les cas où l'application de la méthode normale de détermination des sanctions aboutirait à une sanction disproportionnée, ne s'applique que lorsque l'assiette de la sanction, c'est-à-dire la valeur des ventes en lien avec l'infraction, est proche du chiffre d'affaires de l'entreprise sanctionnée.

415.Tel ne serait pas le cas de la société TDF, pour laquelle la valeur des ventes en relation avec l'infraction - d'environ 100 millions d'euros, ne représente qu'une faible part de son chiffre d'affaires ou du chiffre d'affaires consolidé du groupe TDF.

416.Au titre des " autres éléments d'individualisation ", le point 48 du communiqué sanctions précise que le montant de base peut être adapté à la baisse pour tenir compte du fait que " l'entreprise mène l'essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l'infraction (entreprise " mono-produit ") ".

417.La prise en compte du caractère d'entreprise mono-produit a pour finalité d'éviter que l'application de la méthode normale de détermination des sanctions aboutisse à des montants disproportionnés. Conformément au communiqué sanctions (point 23), le montant de base de la sanction pécuniaire représente une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise concernée, de produits ou de services en relation avec l'infraction. Pour une entreprise dont la valeur de ces ventes est proche de son chiffre d'affaires, parce que ce dernier est réalisé pour l'essentiel dans le cadre des ventes affectées par l'entente (entreprise mono-produit), la méthode normale de détermination de la sanction peut conduire à lui infliger une sanction représentant un pourcentage très élevé de son chiffre d'affaires. Or le caractère dissuasif d'une sanction s'apprécie davantage au regard du pourcentage du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée que cette sanction représente qu'au regard de son montant. Ainsi, la prise en compte du caractère d'entreprise mono-produit, prévue au point 48 du communiqué sanctions, s'analyse comme un exemple de mise en œuvre de la volonté, exprimée par l'Autorité au point 24 du même communiqué, de ne pas accorder une importance disproportionnée à la valeur des ventes par rapport à d'autres éléments à prendre en considération, tel le chiffre d'affaires.

418.À la lumière de ces considérations, la prétention de la société TDF de se voir reconnaître la qualité d'entreprise mono-produit apparaît mal fondée.

419.En l'espèce, le secteur en relation avec l'infraction est celui de la diffusion de la TNT. La valeur des ventes prise en compte pour le calcul du montant de base de la sanction correspond d'ailleurs aux seules ventes réalisées par la société TDF, soit à la fois sur le marché de gros amont de la diffusion de la TNT et sur le marché de gros aval des services de diffusion de la TNT (grief n° 1), soit sur le seul marché de gros aval des services de diffusion de la TNT (grief n° 3), à l'exclusion de toute autre activité.

420.C'est donc à tort que la société TDF prétend voir prendre en compte la totalité de ses activités de diffusion, y compris celles étrangères à la TNT, pour apprécier sa qualité d'entreprise mono-produit.

421.L'Autorité a relevé que la valeur des ventes de la société TDF dans le secteur de la diffusion de la TNT est d'environ 100 millions d'euros et ne représente qu'une faible part tant du chiffre d'affaires de la société TDF que du chiffre d'affaires consolidé du groupe TDF (décision attaquée, § 353).

422.L'exactitude de cette analyse n'étant pas contestée par les requérantes, la société TDF n'est pas une entreprise mono-produit, au sens du point 48 du communiqué sanctions.

C. Conclusion sur le calcul de la sanction

423.A la lumière de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d'infliger aux requérantes une sanction de 8,2 millions d'euros (6,9 euros x 120 %) pour la pratique objet du deuxième volet du grief n° 1. Quant à la pratique objet du grief n° 3, c'est à juste titre que l'Autorité a infligé aux requérantes une sanction de 9 millions d'euros (7,5 millions d'euros x 120 %).

424.Il y a lieu de rappeler que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées en surplus au titre de l'exécution de la décision attaquée, partiellement annulée et réformée, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de cet arrêt avec, s'il y a lieu, capitalisation dans les termes de l'article 1154 du Code civil.

425.En application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, le présent arrêt sera transmis à la Commission de l'Union européenne.

V. SUR LA DEMANDE AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET LES DÉPENS

426.Les requérantes succombant pour l'essentiel de leur recours, leur demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile est rejetée et elles sont condamnées aux entiers dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Rejette les moyens d'annulation de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 16-D-11 du 6 juin 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne terrestre, pris de l'extension du grief n° 1 et de l'insuffisance de motivation quant au grief n° 3 ; Annule l'article 1er de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 16-D-11, mais seulement en tant qu'il a dit établi que la société TDF SAS, en tant qu'auteur des pratiques, et les sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, en leur qualité de sociétés mères, ont enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en mettant en œuvre une communication dénigrante auprès des collectivités locales ; Réforme l'article 5 de la décision n° 16-D-11 en tant qu'il a infligé au titre des pratiques visées à l'article 1er une sanction pécuniaire d'un montant de 11,6 millions ; Statuant de nouveau, Dit que la pratique visée par le troisième volet du grief n° 1 n'est pas établie ; Inflige, au titre de la pratique de communication trompeuse visée à l'article 1er de la décision n° 16-D-11, solidairement aux sociétés TDF SAS, Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, une sanction pécuniaire d'un montant de 8,2 millions d'euros ; Rappelle que les sommes payées excédant le montant ci-dessus fixé devront être remboursées aux sociétés concernées, outre les intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt et, s'il y a lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du Code civil ; Rejette tous autres moyens d'annulation ou de réformation de la décision n° 16-D-11 ; Dit qu'en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, le présent arrêt sera transmis par la cour à la Commission de l'Union européenne ; Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne solidairement les sociétés TDF SAS, TDF Infrastructure Holding SAS, et TDF Infrastructure SAS, aux entiers dépens.