Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 21 décembre 2017, n° 16-06962

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Royer Holding (SAS), Autocars et Transports Royer (Sasu), Staub Voyages (SARL), Mugler Finance (SAS), Autocars Mugler et Cie (SAS), Cars des Rohan (SARL)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique, Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Michel-Amsellem

Conseillers :

M. Douvreleur, Mme Faivre

Avocats :

Mes Baechlin, Neveu

CA Paris n° 16-06962

21 décembre 2017

Faits et Procédure

Les transports scolaires sont des services réguliers publics au sens de l'article L. 3111-7 du Code des transports. Hors Ile-de-France, le département est l'autorité organisatrice de droit commun. Les transports scolaires étant généralement gratuits ou presque pour leurs usagers, et donc financés principalement par les départements, leur conventionnement relève des marchés publics.

Dans le département du Bas-Rhin, le budget de fonctionnement annuel dédié au transport scolaire approche les 50 millions d'euros, dont plus de 14 millions sont affectés aux lignes scolaires exploitées par des transporteurs privés dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres.

Informée de possibles dysfonctionnements de concurrence sur le marché des offres publiques de transports scolaires dans le département du Bas-Rhin, la Brigade interrégionale d'enquête de concurrence (la BIEC) de Lorraine, Alsace et Champagne-Ardenne a mené une enquête et établi un rapport administratif d'enquête le 26 février 2013.

Ce rapport a abouti à la mise en cause de sept sociétés auxquelles il a été reproché de s'être concertées, dans le cadre d'un groupement dénommé Avenir Transport (le groupement Avenir Transport ou le groupement), à l'occasion des soumissions aux marchés publics de transports scolaires de la partie nord du département du Bas-Rhin pendant les années 2010, 2011 et 2012, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Trois de ces sociétés ont accepté la transaction proposée par le ministre chargé de l'Economie, en application des articles L. 464-9 et R. 464-9-3 du Code de commerce. Pour les quatre autres, les sociétés Autocars Mugler, Cars des Rohan, Autocars et Transport Royer et Staub Voyages, le Ministre a saisi l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), le 3 octobre 2014, des pratiques révélées par le rapport administratif d'enquête.

À la suite de l'instruction de l'affaire, le rapporteur général de l'Autorité a, en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce, décidé que l'affaire serait examinée par l'Autorité sans établissement préalable d'un rapport et a adressé aux quatre sociétés précitées une notification de griefs.

Il leur était reproché d'avoir, pour les lots des marchés publics de transport scolaire 2010, 2011 et 2012 de la partie nord du département du Bas-Rhin, fait des offres à travers un groupement momentané d'entreprises non justifié tant sur le plan technique qu'économique et d'une taille très supérieure à ce que la bonne exécution des marchés requérait. La notification de griefs précisait que cette pratique avait eu pour objet de répartir les lots entre ses membres, d'assécher la concurrence et de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence au détriment du Conseil général, acheteur public. Elle ajoutait que cette entente, qui s'était déroulée du 3 mars 2010 au 4 juin 2012, avait produit des effets et qu'elle était susceptible de continuer à en produire jusqu'au 2 juillet 2016, date d'échéance des derniers lots en cours d'exécution. Elle concluait que la pratique était prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Après la présentation de leurs observations écrites, les sociétés mises en cause ont été entendues lors de la séance de l'Autorité du 17 décembre 2015.

Par une décision n° 16-D-02 du 27 janvier 2016 (la décision attaquée), l'Autorité a considéré que les pratiques reprochées étaient constituées.

Elle a retenu à ce sujet, notamment, l'existence de déclarations précises et concordantes révélant que le groupement avait pour objectif la répartition entre ses membres d'un certain nombre de lignes et le maintien du niveau de prix et des parts de marché de chacun. Par ailleurs, elle a considéré qu'il n'était pas démontré par les parties qu'il était, ainsi qu'elles le prétendaient, économiquement nécessaire de candidater sous la forme d'un groupement pour répondre aux appels d'offre. Enfin, elle a estimé que l'objet anticoncurrentiel de la pratique était constitué et que celle-ci avait également produit des effets et était susceptible de continuer à en produire jusqu'au 2 juillet 2016, date d'échéance des derniers lots en cours d'exécution.

Sur les sanctions, l'Autorité a rappelé que les pratiques d'entente commises à l'occasion d'appels d'offre étaient considérées comme les plus graves, qu'en outre elles visaient un service public essentiel dont le coût était supporté par les finances publiques et qu'elles avaient duré trois ans. S'agissant de l'ampleur de l'infraction, l'Autorité a retenu que celle-ci produisait des effets jusqu'en 2016, qu'elle était intervenue dans un secteur présentant une faible élasticité prix. Enfin, elle a retenu que les pratiques avaient eu pour effet une stabilité du niveau de prix et des parts de marché et qu'il résultait de l'un des tests effectués qu'elles avaient causé un surprix.

Après prise en compte des difficultés financières propres à certaines des entreprises en cause, l'Autorité a prononcé les sanctions suivantes :

- Autocars Mugler : 40 000 euros ;

- Cars des Rohan : 20 000 euros ;

- Autocars et Transports Royer : 96 000 euros ;

- Staub Voyages : 37 000 euros.

Elle a aussi ordonné la publication de sa décision.

LA COUR,

Vu la déclaration commune de recours en annulation et, subsidiairement, en réformation de la décision n° 16-D-02 de l'Autorité du 26 janvier 2016, déposée au greffe de la cour par les sociétés Royer Holding, Autocars et Transports Royer, Staub Voyages, Mugler Finance, Autocars Mugler et Cie, Cars des Rohan le 23 mars 2016 ;

Vu la déclaration de recours incident déposée au greffe de la cour par le ministre chargé de l'Economie le 18 avril 2016 ;

Vu les conclusions communes déposées au greffe de la cour par les sociétés Royer Holding, Autocars et Transports Royer, Staub Voyages, Mugler Finance, Autocars Mugler et Cie, et Cars des Rohan le 21 avril 2016 ;

Vu les observations déposées au greffe de la cour par l'Autorité le 20 septembre 2016 ;

Vu les conclusions récapitulatives et responsives communes déposées au greffe de la cour par les sociétés Royer Holding, Autocars et Transports Royer, Staub Voyages, Mugler Finance, Autocars Mugler et Cie, Cars des Rohan le 6 décembre 2016 ;

Vu l'avis déposé au greffe de la cour par le Ministère public le 15 février 2016 et communiqué aux parties ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 16 février 2016 le conseil des sociétés Royer Holding, Autocars et Transports Royer, Staub Voyages, Mugler Finance, Autocars Mugler et Cie, et Cars des Rohan qui ont pu répliquer et eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du ministre de l'Economie et le Ministère public ;

SUR CE,

Afin de faciliter la lecture du présent arrêt, les sociétés Royer Holding, Autocars et Transports Royer, Staub Voyages, Mugler Finance, Autocars Mugler et Cie, et Cars des Rohan seront ensemble désignées sous l'appellation les sociétés requérantes.

Elles contestent la légalité externe (II) et interne (III) de la décision ainsi que les sanctions prononcées à leur encontre (IV). En outre, elles soutiennent, à titre liminaire, l'irrecevabilité du recours incident formé par le ministre chargé de l'Economie (I).

I. Sur la recevabilité du recours incident formé par le ministre chargé de l'Economie

Les sociétés requérantes soulèvent l'irrecevabilité du recours incident formé par le ministre chargé de l'Economie dans la mesure où ce recours a été signé par Mme Pendariès, sous-directrice au sein de la DGCCRF, alors que rien n'indique que cette dernière était habilitée à l'exercer.

En vertu, d'une part, du décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement et conférant aux directeurs d'administration centrale le pouvoir de signer l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité, et d'autre part, de l'article 5 de l'arrêté prisle 11 juillet 2011 par la Directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, Mme Pendariès, sous-directrice, a bénéficié d'une délégation de signature lui donnant pouvoir de " signer, au nom du ministre chargé de l'Economie (...) tous actes, arrêtés ou décisions ". Ce pouvoir de signer implique le pouvoir d'accomplir les actes désignés dans l'arrêté précédemment mentionné. En conséquence, la déclaration de recours, qui fait partie des " actes " pour lesquels cette sous-directrice a reçu pouvoir de signer a été régulièrement déposée par elle devant la cour d'appel de Paris.

Il s'ensuit que le recours incident formé par le ministre chargé de l'économie le 18 avril 2016 est recevable et que le moyen contestant cette recevabilité est rejeté.

II- Sur la légalité externe de la décision

À titre principal, les sociétés requérantes demandent l'annulation de la décision contestée pour violation du principe du contradictoire et défaut de motivation.

Elles contestent, en premier lieu, que le rapporteur n'ait pas procédé, durant son instruction, à l'audition des entreprises mises en cause ainsi que de l'ensemble des professionnels du transport public intervenant sur le territoire concerné par les pratiques. Cependant, il appartient aux rapporteurs de l'Autorité chargés d'instruire les dossiers qui leur sont confiés d'apprécier si, compte tenu des éléments dont ils disposent, il est nécessaire d'entendre les explications des représentants des entreprises. Celles-ci peuvent ensuite faire valoir tous éléments qui leur semblent utiles pour leur défense dans le cadre des observations qu'elles déposent à la suite de la notification de griefs, puis du rapport, lorsqu'un rapport est notifié, et, enfin par oral devant l'Autorité. En l'espèce, les sociétés requérantes ont fait valoir leurs moyens et arguments de défense à deux reprises, lors du dépôt de la notification de griefs puis par oral devant l'Autorité. Le principe du contradictoire a donc été pleinement respecté.

Le moyen est rejeté.

Les sociétés requérantes font valoir, en deuxième lieu, que l'instruction a été accomplie à charge en opérant une dénaturation des pièces soumises, ou en ayant recours à des paramètres erronés ou non pertinents.

Cependant, elles ne précisent aucune des dénaturations de pièces qu'elles invoquent, ni quels paramètres auraient été erronés et démontreraient que l'instruction n'aurait pas été impartiale.

La cour relève de surcroît que le défaut de pertinence des paramètres retenus ou les erreurs d'interprétation, ou de citation, qui pourraient être relevées, ou encore le défaut d'examen des éléments de défense invoqués relèvent de l'examen du fond de l'analyse de l'Autorité.

Ces moyens sont donc inopérants à fonder l'annulation demandée.

Les sociétés requérantes reprochent, en troisième lieu, à la rapporteure générale d'avoir décidé, en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce, que l'examen de l'affaire se ferait sans rapport, alors que les moyens portés à sa connaissance, leur pertinence, leur technicité auraient pleinement justifié la réorientation vers une instruction assortie d'un rapport.

Ce grief n'est pas fondé. En effet, l'article L. 463-3 du Code de commerce n'énonce aucune condition à laquelle serait soumise la décision du rapporteur général de ce qu'une affaire sera examinée par l'Autorité sans faire l'objet d'un rapport. Ce pouvoir d'administration des procédures relève donc de la seule appréciation du rapporteur général. La cour relève, en outre, qu'il était loisible aux requérantes de faire valoir devant l'Autorité tous moyens ou éléments qui leur semblaient utiles à leur défense et qui n'auraient pas été mentionnés dans la notification de griefs.

Enfin, les sociétés requérantes font valoir que l'Autorité n'a pas satisfait à l'exigence d'examen effectif des moyens et arguments, faits et éléments d'appréciation qui lui ont été soumis. Elles précisent que " le grief porte sur l'examen effectif et approfondi des éléments contenus au mémoire d'observation communiqué suite à la notification de griefs ".

Cependant, sous couvert d'une atteinte aux droits de la défense et au principe du contradictoire, les sociétés requérantes critiquent en réalité l'analyse au fond et le bien-fondé de celle-ci, de sorte que ce grief est inopérant.

Les sociétés requérantes demandent encore l'annulation de la décision faute d'être suffisamment motivée.

La cour rappelle, cependant, que la motivation d'une décision de sanction doit permettre à la partie sanctionnée de comprendre les raisons du prononcé de celle-ci et, le cas échéant, lui permettre de les contester. Dans ce cadre, l'Autorité n'est pas tenue de répondre de manière exhaustive à tous les arguments présentés par les parties mises en cause, dès lors que sa décision est suffisamment motivée en fait et en droit pour leur permettre de formuler leur recours devant les juridictions de contrôle.

En l'espèce, la cour relève que la décision attaquée a considéré que les déclarations concordantes qu'elle a citées dans la partie descriptive des faits, confirmaient l'objectif de répartition des lignes scolaires entre les membres du groupement (décision attaquée § 115 et suivants), elle a aussi relevé qu'il ressortait des mêmes déclarations, d'une part, que les parties à l'entente s'étaient imposées une discipline commune visant au respect par chacune des positions historiques acquises (décision attaquée § 118 et suivants), d'autre part, que le groupement visait à maintenir le niveau des prix et des parts de marchés (décision attaquée § 121 et suivants). Par ailleurs, dans sa partie relative au contexte juridique et économique (décision attaquée § 125 à 130), l'Autorité a exposé pourquoi elle considérait qu'il n'était pas établi que le recours à un groupement était économiquement nécessaire et répondu aux arguments des parties sur ce point. Il s'en déduit que la décision est motivée et que les parties disposent bien d'une base suffisante pour pouvoir exercer leur droit au recours devant l'autorité judiciaire.

S'agissant des éléments à décharge que l'Autorité n'aurait pas examinés, la cour relève que ce moyen porte en réalité sur le fond de l'analyse de l'Autorité et que la critique en ce qu'elle est prise d'un défaut de respect du contradictoire ou d'un défaut de motivation n'est, au regard de ce qui précède, pas fondée.

Il s'ensuit que les moyens relatifs à la légalité externe de la décision sont rejetés.

III. Sur les moyens de légalité interne

Les sociétés requérantes contestent que le groupement momentané d'entreprise n'ait pas été justifié sur le plan économique et technique et elles font valoir un certain nombre d'éléments du contexte économique dans lequel celui-ci s'est inscrit et que l'Autorité n'aurait pas pris en compte dans sa décision.

1. Sur les éléments de contexte invoqués par les sociétés requérantes

Les sociétés requérantes soutiennent que l'Autorité n'a pas pris en compte les particularités géographiques du secteur. Elles n'expliquent toutefois pas en quoi, et ne justifient pas davantage, ces spécificités territoriales de structuration et de maillage des établissements d'enseignements, ainsi que de structure des lots de marché, de leur potentiel économique et de leur attractivité, nécessitaient qu'elles présentent des offres en groupement ou que celui-ci leur aurait permis de présenter de meilleures offres.

Les sociétés requérantes reprochent, en outre, à la notification de griefs de ne pas avoir suffisamment pris en compte la concurrence potentielle d'opérateurs de grande envergure présents sur le secteur ou dans le département limitrophe de la Moselle. Cependant, le contrôle de légalité exercé par la cour porte sur la décision rendue par l'Autorité et non sur les appréciations de la notification de griefs qui est un document préalable à la décision permettant de fixer les griefs reprochés aux parties et à celles-ci de connaître quels sont les comportements considérés comme anticoncurrentiels et les éléments qui fondent ces reproches. Seuls importent, dans le cadre du contrôle de légalité interne de la cour, les éléments de l'analyse et les motifs de l'Autorité relatifs aux griefs notifiés, aux moyens de défense développés par les parties ainsi qu'aux pièces produites.

Au surplus la cour relève que l'Autorité a examiné l'intensité concurrentielle du marché et la menace que pouvaient constituer l'entreprise Carpostal, ainsi que les stratégies offensives des groupes de transports nationaux comme Kéolis (Décision attaquée § 135 et suivants). Les arguments à nouveau invoqués devant la cour sur la puissance de la société Carpostal, la menace qu'elle représente pour les transporteurs indépendant locaux, de même que les marchés emportés dans d'autres régions par le groupe Kéolis, ne sont assortis d'aucun élément qui permettrait de comprendre en quoi la constitution en groupement sur les marchés concernés en l'espèce aurait permis de mieux résister à la concurrence éventuelle de ces grands groupes et en quoi ce groupement aurait permis la présentation d'offres plus compétitives.

C'est, enfin, à juste titre que, pour rejeter l'argument pris de l'intensité de la concurrence sur le marché pour justifier la nécessité de la constitution du groupement Avenir Transport, l'Autorité a relevé qu'au surplus, les groupes dont la concurrence était invoquée n'avaient pas présenté d'offres sur les marchés en cause. S'il convient sur ce point d'admettre que les candidates potentielles à un appel d'offres ne peuvent connaître à l'avance qui seront les entreprises qui seront leurs concurrentes et quels seront les montants de leurs offres, l'abstention des grands groupes au cours des années précédant les appels d'offres lancés par le Conseil général du Bas-Rhin constituaient néanmoins un indice de leur désintérêt, d'autant qu'ainsi que l'expliquent les sociétés requérantes, ces marchés sont d'autant plus intéressants et favorables que les structures d'exploitation de l'entreprise se trouvent proches des lignes à exploiter, ce qui était le cas des sociétés requérantes.

2. Sur la démonstration de l'accord de volontés et de l'objet anticoncurrentiel

Les sociétés requérantes soutiennent que la décision attaquée n'aurait pas suffisamment fait la démonstration de l'accord de volontés entre les membres du groupement Avenir Transport qu'elle a seulement présumé. Elles reprochent à l'Autorité de ne pas avoir démontré qu'elles s'étaient réunies pour se répartir les lots préalablement à la constitution dudit groupement. Elles objectent que celui-ci a été constitué initialement à l'instigation des organisations professionnelles et à la demande du département. Elles rappellent que la constitution d'un groupement momentané d'entreprises n'est pas, en soi, anticoncurrentielle et soulignent que l'objectif n'était pas de restreindre la concurrence ou de se répartir les lots, de telle sorte que l'intention anticoncurrentielle ferait défaut. À cet égard, elles précisent ne pas s'estimer liées par les déclarations faites lors de certaines auditions durant l'enquête, comme celle de M. Striebig, retenues dans la décision et ajoutent que le dossier ne comporte pas d'éléments tangibles de nature à établir la participation volontaire et consciente des opérateurs finalement mis en cause.

La cour rappelle qu'en application de l'article L. 420-1 du Code de commerce, une entente est constituée lorsque les parties ont librement manifesté une volonté commune de se comporter d'une manière déterminée sur un marché. Cette volonté commune s'exprime, notamment, par la participation des parties à un accord de volontés, lequel n'a pas besoin d'être écrit ni de respecter un formalisme particulier. En l'espèce, les sociétés mises en cause, dont les sociétés requérantes, ont signé la convention de groupement. Elles ont, de ce fait, accepté qu'une offre unique sur les lots concernés soit déposée en leur nom et, de façon générale, d'être représentées auprès du Conseil général par le mandataire. Elles ont ainsi effectivement donné leur consentement à cet accord de volontés.

Par ailleurs, si, comme le soutiennent les parties, la constitution d'un groupement momentané d'entreprises en vue de répondre à un appel d'offres n'est pas en soi anticoncurrentielle, elle le devient si le groupement est formé dans le but de restreindre le jeu de la concurrence et qu'il est sans justification sur le plan économique ou technique.

La cour renvoie à ce sujet à la jurisprudence constante, rappelée par l'Autorité au paragraphe 97 de la décision attaquée. En l'espèce, l'objet anticoncurrentiel du groupement en cause est démontré par les déclarations recueillies au cours de l'enquête et reprises aux paragraphes 45 à 49 de la décision attaquée, dont il résulte que celui-ci avait pour objectif essentiel, d'une part, le maintien de la répartition historique des lignes entre autocaristes locaux, d'autre part, de ne pas se concurrencer entre eux ainsi que de maintenir les prix et les parts de marchés.

Ainsi, la cour relève, notamment, que le président de la société René Antoni a indiqué que " Depuis la création d'Avenir Transport, les associés maintiennent leur positions en gardant toujours les mêmes circuits. Ils ne cherchent pas à s'implanter sur un circuit exploité par un autre adhérent et s'emploient à maintenir cette discipline commune dans un souci d'équilibre et de bonne marche du groupement. Ce dernier est le garant d'un maintien du niveau des prix et des parts de marché détenues par les différents associés " (décision attaquée § 46 et Cote 344). Le sens de ces déclarations est confirmé par le président de la société des Autocars Mugler (décision attaquée §45 et cote 86), ainsi que par M. Striebig (décision attaquée § 47 et 48 et cotes 243 et 1428).

Il importe peu que ne soit pas rapportée la preuve de réunions préalables au cours desquelles les participantes auraient décidé de se répartir les lots, dès lors que cet objectif est démontré par les déclarations, citées ci-dessus.

Il est par ailleurs sans portée que les sociétés requérantes ne s'estiment pas liées par ces déclarations, dont elles ne rapportent pas la preuve contraire ni n'apportent de démenti.

La cour rappelle que l'objet anticoncurrentiel attaché à une pratique est distinct de l'intention et qu'il est sans portée que les parties au groupement n'aient pas eu l'intention ou même la conscience de fausser le jeu de la concurrence.

Il est aussi inopérant, quand bien même la preuve en serait rapportée, que les entreprises en cause se soient constituées en groupement sur l'instigation d'organisations professionnelles et il n'est en rien démontré qu'en l'espèce la demande leur en aurait été faite par les représentants du département, puisqu'il n'est pas contesté que si, ainsi que le relève la décision attaquée (§ 132 à 134), le Conseil général a, en 1999, " exprimé la volonté " de limiter le nombre des interlocuteurs en envisageant de grouper les lignes par secteurs, elle a finalement abandonné cette hypothèse et a maintenu une politique d'allotissement rendant les marchés accessibles à l'ensemble des transporteurs routiers de voyageurs quelle que soit leur taille.

3. Sur l'existence d'une pression concurrentielle en dehors du groupement

Les sociétés requérantes opposent que la décision a mésestimé la pression concurrentielle effective. Elles font valoir que dès lors qu'une offre du groupement Avenir Transport s'est trouvée confrontée à une offre concurrente, la concurrence a été effective sur le marché concerné.

Ce moyen n'est pas fondé. Ainsi que le rappelle à juste titre l'Autorité, la libre concurrence repose sur le principe selon lequel les entreprises doivent conserver leur autonomie dans la définition de leur politique économique et commerciale et qu'elles ne s'entendent pas ni pour définir une ligne de conduite sur les marchés, ni pour déterminer leurs prix. En conséquence, le fait pour des entreprises de se regrouper pour répondre à des appels d'offres, afin de maintenir la répartition historique des lignes entre autocaristes locaux et de ne pas se concurrencer entre elles, ainsi que de maintenir les prix et les parts de marchés, constitue une pratique à objet et à effet anticoncurrentiels, quand bien même le groupement en cause resterait-il lui-même confronté à des offres concurrentes. L'effet d'une telle pratique est encore accentué, lorsque le groupement se trouve confronté à peu ou pas d'offres concurrentes. Il était donc sans portée que dans les appels d'offres concernés, le groupement se soit trouvé, dans certains cas, confronté à d'autres offres et il est indifférent que l'Autorité n'ait pas examiné les structures de prix, comme le lui reprochent les sociétés requérantes.

Il est, par ailleurs, démontré que les pratiques ont eu pour objet de diminuer la concurrence dès lors qu'il est reconnu par les dirigeants de certaines sociétés membres du groupement Avenir Transport que, lorsque le Conseil général regroupait au sein d'un lot différentes lignes, exploitées jusqu'alors par plusieurs transporteurs, la candidature du groupement permettait, lorsqu'il était déclaré attributaire, de " redistribuer les lignes à chacun des exploitants historiques ". Le constat sur ce point que certaines offres concurrentes de celles du groupement aient été beaucoup plus élevées que les siennes est inopérant dès lors que certaines parties ont reconnu que ce groupement leur permettait de maintenir leurs prix, ce qui montre que ceux-ci n'étaient pas fixés de façon indépendante et optimale au regard du jeu de la concurrence. Il est, par ailleurs, sans effet de constater que le groupement aurait pu se trouver en concurrence sur les lots de l'appel d'offres avec un grand groupe qui aurait pu présenter des offres agressives, dès lors qu'en tout état de cause, tel n'a pas été le cas et que, de plus, les sociétés requérantes ne prétendent, ni ne démontrent, que le groupement leur a permis de présenter des offres plus efficientes ou en quoi il aurait été techniquement indispensable.

Par ailleurs, la cour relève que l'Autorité, dans la décision attaquée, n'a pas reproché aux sociétés requérantes de ne pas avoir présenté d'offres sur la partie sud du département du Bas-Rhin, mais seulement de s'être entendue pour se répartir les lots sur la partie nord et, de cette façon, y maintenir leurs parts de marché et leurs prix. En conséquence, les moyens développés par les parties comparant leurs candidatures avec la totalité de celles déposées pour l'ensemble des appels d'offres lancés par le Conseil général sur l'ensemble du département, ainsi que les pièces qu'elles invoquent à cet égard, sont inopérants.

En outre, le tableau, produit par les sociétés requérantes qu'elles ont elles-mêmes réalisé (pièce 16) démontrant, selon elles, que seuls 14 lots sur 113 auraient pu faire l'objet d'offres concurrentes entre les membres du groupement, n'en rapporte en réalité pas la preuve. En effet, ce tableau repose sur la seule comparaison des distances en kilomètres entre l'exploitant du groupement le plus proche et le deuxième exploitant le plus proche, alors que, si ce paramètre de distance est certes important dans l'intérêt que peuvent nourrir les autocaristes pour les lots offerts, d'autres critères entrent en ligne de compte, notamment les stratégies de développement qu'elles auraient pu développer si une réelle concurrence avait pu s'opérer entre elles. Il est ainsi exact de relever, comme le fait l'Autorité, que l'existence des marges " confortables " réalisées grâce à l'entente auraient permis aux membres du groupement d'envisager d'autres stratégies, en particulier d'investissements en termes de bases logistiques. Sur ce point, la cour relève que le fait que les coûts soient plus élevés au nord qu'au sud du département du Bas-Rhin n'est pas de nature à contredire la réalité de ces marges, reconnues par les autres parties à l'entente, lors de leurs auditions. Enfin, l'évaluation de 500 000 euros pour une " structure logistique sommaire ", invoquée par les sociétés requérantes, n'est étayée par aucun élément, et leur argumentation sur le caractère impraticable d'une telle solution dans le cadre de contrats à durée de quelques années seulement, n'est pas démontrée.

Les sociétés requérantes font encore valoir que le groupement était justifié par plusieurs motifs. Elles estiment, en premier lieu, que le découpage des lots, qui étaient de taille réduite à moyenne, rendait ceux-ci moins intéressants financièrement. C'est toutefois à juste titre que l'Autorité a considéré que cet argument n'était pas de nature à justifier le regroupement des entreprises, car le découpage avait été réalisé justement dans l'objectif de permettre aux autocaristes indépendants de pouvoir candidater de façon autonome. La cour observe que, de plus, ce découpage en petits lots était de nature à permettre aux indépendants de présenter des offres pour des lignes proches de leurs bases et de leurs structures, leur donnant ainsi la possibilité de présenter des offres plus intéressantes que celles des grands groupes dont les sociétés requérantes invoquent la pression concurrentielle.

En deuxième lieu, les sociétés requérantes invoquent diverses contraintes, sans qu'aucune ne permette de justifier leur décision de se regrouper entre concurrents. Il en est ainsi de la durée des marchés, insuffisante, selon elles, pour amortir une quelconque base logistique nouvelle qui leur aurait permis de présenter des offres " offensives ". Elles n'expliquent, ni ne démontrent, toutefois, que le groupement leur aurait permis de créer de telles bases logistiques et de présenter des offres plus intéressantes.

Il en est de même des contraintes d'âge limite des véhicules et des exigences qualitatives, pour lesquelles les sociétés requérantes n'expliquent pas en quoi le groupement leur aurait permis d'alléger ces obligations, ainsi que de la contrainte de respect des horaires prévus, qui obligerait les opérateurs à choisir des lignes proches de leurs bases, ce que le découpage en petit lots, qu'elles ont par ailleurs dénoncé, ne pouvait que favoriser. Enfin, le critère de choix de l'offre économiquement la plus avantageuse, qui est un critère très généralement retenu dans les marchés publics, ne saurait justifier, en l'absence de caractéristiques particulières qui ne sont pas invoquées, que les candidates se soient regroupées comme elles ont choisi de le faire.

En troisième lieu, les sociétés requérantes font valoir que, compte tenu du délai utile de 40 jours pour présenter leurs offres, elles ne pouvaient que se concentrer sur les lots qu'elles exploitaient déjà et ne pouvaient étudier les possibilités de présenter des offres sur d'autres lots à conquérir. Elles indiquent ainsi que la " mutualisation éventuelle des moyens d'analyse technique au sein du groupement a permis un positionnement concurrentiel plus large que celui susceptible d'être déployé en l'état d'opérateurs agissant isolément ".

Cependant, elles ne démontrent pas qu'il aurait été procédé, au sein du groupement, à une mutualisation des moyens d'analyse technique des offres. L'adjectif " éventuelle " qu'elles accolent au mot mutualisation tend d'ailleurs à montrer que cette façon de procéder serait restée au stade l'éventualité. À ce sujet, la cour relève qu'il a, au contraire, été indiqué que les offres du groupement Avenir Transport avaient été préparées par les entreprises qui exploitaient déjà les lots. Elle observe que, de plus, chaque appel d'offres, lancé à l'issue de la durée des contrats précédents, intervenait à un moment prévisible pour les entreprises, ce qui devait leur permettre d'anticiper leurs études de coûts.

La cour relève qu'ainsi que le relève l'Autorité, il résulte des déclarations des parties en cause que les membres du groupement se sont constitués dans une logique de " non-agression " (décision attaquée, § 142), ce qui implique un renoncement à se faire concurrence sans qu'aucun d'eux puisse tenter de conquérir d'autres lots que ceux dont il avait été attributaire par le passé. Un tel objectif, qui empêche, par une convention entre concurrents, la possibilité même de présenter des offres plus favorables pour l'adjudicateur, constitue une entrave pour le jeu de la concurrence. Dans ce cadre, les explications des sociétés requérantes sur l'historique du groupement et ses évolutions au fil des années n'apportent aucun élément qui permettrait de justifier du caractère nécessaire de celui-ci pour répondre de façon optimale aux appels d'offres. À ce sujet, la cour relève que, si les conditions dans lesquelles les marchés relatifs aux transports scolaires sont si difficiles à optimiser ou présentent si peu d'intérêt économique, comme l'indiquent les sociétés requérantes, il appartient à chacune d'elles de déterminer quel est son propre intérêt à présenter ou à ne pas présenter d'offres, sans qu'il soit nécessaire pour elles de se regrouper.

En quatrième lieu, les sociétés requérantes font valoir que le groupement a permis de mettre en place, à la fois, une harmonisation des parcs de véhicules pour la réduction des coûts, la définition d'un autocar type pour permettre l'interopérabilité au sein du groupement, la coordination entre elles des commandes de véhicules neufs, la mise en place d'un système d'information voyageurs commun, l'organisation de formations communes aux différentes entreprises et, enfin, des économies d'échelle grâce au recours à des fournisseurs communs. Elles n'apportent toutefois aucun élément qui permettrait de justifier ces affirmations. La pièce 20 qu'elles citent à ce sujet n'est constituée que d'une liste intitulée " Equipements obligatoires ", qui ne comporte aucun en-tête, ni aucune information qui permettrait d'en déduire que la nature des équipements en cause les auraient contraintes à recourir à des commandes particulières, qu'elles auraient passées en commun, ce dont la page suivante, toujours sans en-tête, intitulée " besoins du groupement ", ne rapporte pas la preuve. Enfin, la troisième page à l'en-tête du Conseil général et intitulée " Annexe 2 au CCTP - Exigences du département sur les plans de transport adaptés ", qui précise " 3 niveaux de service [...] définis en fonction de la disponibilité du personnel, notamment, en temps de grève (...) ", ne rapporte aucune preuve ni de commandes communes ou de coordination de celles-ci, ni d'interopérabilité, ni de formations communes, ni d'un système d'information voyageurs commun, ni de commandes communes à des fournisseurs, ni d'économies d'échelle ou de réduction de coûts qui leur auraient permis de présenter des offres plus favorables en termes de prix ou de services.

Il s'ensuit que les moyens sont rejetés.

4. Sur le fonctionnement du groupement

Les sociétés requérantes reprochent à l'Autorité de s'être méprise sur le fonctionnement du groupement en ce qu'elle a relevé une attribution systématique des lots au opérateurs historiques de ces mêmes lots. Elles soulignent à ce titre que l'exploitant de chaque lot était le mieux à même d'analyser et d'élaborer l'offre, ainsi que cela se faisait au sein du groupement, et que ce dernier est demeuré dans son rôle statutaire en désignant laquelle des entreprises du groupement devait réaliser les prestations attribuées à celui-ci.

Cependant, l'élaboration des offres par chaque membre du groupement, attributaire des lots remis en concurrence, si elle présente un intérêt pratique pour celui-ci et ses membres, ne peut corrélativement qu'avoir pour conséquence d'empêcher les offres d'évoluer tant dans leurs montants que dans leurs caractéristiques techniques, d'autant que l'assurance que chaque prestataire pouvait avoir qu'il exécuterait le marché si l'offre du groupement était retenue, était peu propice à le conduire à rechercher des performances particulières. Par ailleurs, s'il a pu être constaté que, dans quelques cas, certains lots ont été attribués à une autre entreprise du groupement que celle qui l'avait précédemment exécuté, ces cas, relevés par la décision attaquée (§ 119), demeurent ponctuels et rares, et sont insuffisants pour rapporter la preuve contraire de l'attribution systématique à l'exploitant historique des lots obtenus par le groupement. En outre, l'adhésion au groupement introduit entre les entreprises en cause une discipline forcée de ne pas chercher à obtenir des lots que, sans groupement, elles auraient pu convoiter et obtenir par une offre concurrentielle efficace.

Par ailleurs, les sociétés requérantes font valoir que le groupement leur a permis de mutualiser des moyens pour assurer l'exploitation des services, la gestion des situations dégradées, la disponibilité de véhicules conformes aux exigences du cahier des charges et une amélioration globale de la qualité des services. Cependant, comme il a été indiqué précédemment, cette allégation n'est pas démontrée. De plus, ainsi que l'a relevé l'Autorité, aux paragraphes 128 et suivants de la décision attaquée, l'affirmation de l'existence d'une gestion mutualisée des situations dites dégradées est contredite par le rapport administratif d'enquête, qui établit qu'il n'existaient pas de synergies ou de mutualisation entre les membres du groupement au-delà de la répartition initiale des lots, ce qui est confirmé par les déclarations du responsable de la société Mugler selon lesquelles, en cas de difficultés, telles les pannes au démarrage et l'absence des chauffeurs, des solutions étaient trouvées par chaque société en interne (décision attaquée, § 128) ainsi que par le responsable du groupe Striebig, selon lequel il n'y avait pas de synergies en matière d'exploitation des lignes (décision attaquée, § 129).

5. Sur l'influence du groupement sur le niveau des prix

Il a été relevé par l'Autorité, aux paragraphes 121 à 123 de la décision attaquée, que l'objet du groupement était de maintenir les prix des prestations de ramassage scolaire obtenus du Conseil général. Elle relève, à ce titre, que le dirigeant du groupe Striebig a indiqué, dans le cadre de l'enquête, que les tarifs journaliers rémunéraient " confortablement " les services rendus pour les lots sur lesquels il a été interrogé (décision attaquée, § 122). Elle a aussi repris les déclarations du gérant de la société Autotransport Wingert, non membre du groupement, qui opérait sur le secteur sud du département du Bas-Rhin et qui, à l'inverse, a précisé que la concurrence sur ce secteur était forte et qu'il se trouvait dans l'obligation d'optimiser l'organisation des circuits scolaires avec d'autres services, afin de pouvoir être compétitif (décision attaquée, §123).

L'Autorité a conclu que ces déclarations confirmaient l'objectif dévolu au groupement de maintenir des tarifs journaliers plus élevés dans le nord du département.

Les sociétés requérantes contestent cette appréciation et font valoir, d'une part, que le rapport administratif d'enquête a comparé de façon erronée les tarifs des parties nord et sud du département, sans prendre en compte les particularités propres de ces secteurs, lesquelles ont pour conséquence que des réemplois possibles au sud ne le sont pas au nord et que les charges sont, du fait des configurations géographiques différentes, moins importantes au sud qu'au nord. Elles estiment qu'elles rapportent la preuve qu'au regard des structures de coûts, les prix pratiqués ont été favorables à la collectivité publique et qu'aucune pièce du dossier ne permet d'établir des surcoûts.

Cependant, la preuve de l'effet des pratiques sur le jeu de la concurrence résulte des déclarations reprises par l'Autorité. Il est sans portée que le budget alloué dans d'autres départements français aux transports scolaires ait été plus élevé, dès lors que les sociétés requérantes n'apportent aucun élément qui permettrait de démontrer que les contraintes de ces départements seraient inférieures ou égales à celles du département du Bas-Rhin. Il est aussi sans effet que le Conseil général de ce département n'ait pas déclaré les offres du groupement infructueuses ou inacceptables.

Par ailleurs, la cour rappelle que l'Autorité n'a pas retenu le constat d'une infériorité du montant des offres entre le sud et le nord du département du Bas-Rhin comme preuve de l'effet des pratiques et pour l'appréciation du dommage à l'économie. L'Autorité a expliqué à ce sujet, dans le cadre de l'examen de ce dommage, qu'elle écartait les études comparant les prix des offres entre le nord et le sud parce qu'elle les estimait affectées de biais qui en faussaient leur fiabilité. En revanche, l'Autorité a étudié les écarts entre les offres et les estimations du Conseil général du Bas-Rhin (décision attaquée, § 208), pour le nord et pour le sud du département, et elle a constaté que ces écarts étaient plus importants au nord qu'au sud du département.

Il est donc indifférent, tant pour l'analyse des effets des pratiques que pour l'étude retenue pour l'examen du dommage à l'économie, qu'il existe des différences de configuration géographiques ou de potentiel des territoires entre le nord et le sud du département du Bas-Rhin, puisque les estimations de l'adjudicateur tiennent compte de ces différences.

L'argumentation développée par les sociétés requérantes visant à démontrer, que les niveaux de prix de leurs concurrentes étaient justifiés par les configurations géographiques ou des éléments qui leurs sont propres, comme l'ancienneté de leur parc de véhicules, leurs pertes, ou leurs situations dégradées, configurations et éléments qui, au demeurant, ne sont pas justifiés, est inopérante à démontrer que les pratiques en cause n'ont pas eu d'effet sur les prix des offres.

Enfin, au regard de ce qui précède l'Autorité n'avait pas à procéder à un examen de la cohérence des offres au regard de leurs structures de coût.

Il s'ensuit que les moyens sont rejetés.

IV. Sur les sanctions

En application de l'article L. 464-2 du Code de commerce, les sanctions prononcées par l'Autorité de la concurrence doivent être " proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".

A. Sur la gravité des faits et le dommage à l'économie

Les sociétés requérantes font valoir que l'Autorité a commis des erreurs d'appréciation sur la gravité des faits, d'une part, et sur le dommage réellement causé à l'économie, d'autre part.

1- Sur la gravité des faits

L'Autorité a justement rappelé que les pratiques en cause étaient d'une particulière gravité.

Comme elle le relève, au paragraphe 178 de la décision attaquée, l'objet même de l'appel d'offres sur un marché public est d'assurer une mise en concurrence pleine et entière des entreprises susceptibles d'y répondre au profit de la personne publique. Dès lors, la mise en échec du déroulement normal des procédures d'appel d'offres, en empêchant la fixation des prix par le libre jeu du marché et en trompant la personne publique sur la réalité et l'étendue de la concurrence qui s'exerce entre les entreprises soumissionnaires, perturbe le secteur où a lieu une telle pratique et porte une atteinte grave à l'ordre public économique. Par ailleurs, c'est à juste titre que l'Autorité a relevé, au paragraphe 179 de la décision attaquée, que la gravité de cette pratique est renforcée par le fait qu'elle a contribué à faire échec à un processus de mise en concurrence et qu'elle a concerné un service public essentiel.

Les sociétés requérantes reprochent à l'Autorité de ne pas avoir pris en compte le rôle joué par la doctrine du pouvoir adjudicateur lors des procédures de dévolution analysées.

Cependant, elles ne démontrent pas que les services départementaux auraient incité les entreprises à se constituer en groupement. La cour relève qu'au contraire, les lots étaient découpés de telle façon que les entreprises indépendantes puissent répondre de façon individuelle, ce que les sociétés requérantes ne contestent pas et qu'elles invoquent même à l'appui de leur argumentation afin de soutenir que les lots étaient trop restreints pour permettre d'envisager la réalisation d'investissements.

Par ailleurs, les pièces invoquées par les sociétés requérantes à l'appui de leur moyen, ne rapportent pas la preuve de leurs affirmations. En effet, la pièce n° 9, qui concerne une réunion organisée en 1999, donc plus de 10 ans avant les pratiques en cause, par la chambre professionnelle du transport routier pour étudier " (...) l'opportunité ou non de créer un groupement (...) ", n'apporte aucune démonstration de l'intervention du Conseil général. La pièce n° 10, qui est une attestation du président de la chambre professionnelle des transports, section voyageurs, de 1988 à 2008, indiquant que la territorialisation et la " création future de trois ou quatre DSP rendaient indispensables les groupements d'entreprises pour répondre à la taille croissante des lots ", alors qu'au contraire, les lots étaient découpés de manière à ce que les transporteurs indépendants locaux puissent concourir de manière efficace, n'est pas crédible et ne démontre en outre aucune incitation émanant du Conseil général. Enfin, les pièces n° 20 et 21, qui concernent la communication organisée en 2007 par le Conseil général autour du nouveau schéma directeur des transports et des déplacements, ne rapporte aucune preuve de l'intervention de cette institution pour inciter les entreprises à créer des groupements.

En outre, la gravité des pratiques s'apprécie de façon globale et non lot par lot, ou entreprise par entreprise. Il est en conséquence inopérant, concernant la gravité des faits, qu'aucune des sociétés membres du groupement ait joué un rôle plus impulsif ou déterminant que les autres ou que, comme le prétendent les sociétés Autocars Mugler et Cars des Rohan, elles n'aient pas été attributaires d'un nombre important de lots, ou encore qu'aucune d'entre elles n'ait tiré un profit important de l'entente.

2. Sur l'ampleur du dommage à l'économie

Pour apprécier le dommage à l'économie, l'Autorité a détaillé l'ampleur de l'infraction, qui a regroupé sept entreprises, dont la part de marché cumulée est de 89 % sur le secteur des transports scolaires publics dans la partie nord du département du Bas-Rhin, à l'exclusion de l'" Alsace bossue ", pendant trois ans, et même au-delà compte tenu de la durée de certains marchés, sur la quasi-totalité du marché affecté (décision attaquée, § 194 à 197). L'Autorité a aussi examiné les caractéristiques du secteur concerné, dont la demande présente une faible élasticité-prix et, en l'occurrence, peu de possibilité de s'adresser à la concurrence (décision attaquée, § 199 et 198). Elle a ensuite examiné quels étaient les effets conjoncturels des pratiques (décision attaquée, § 200 à 211) et, notamment si les pratiques avaient pu causer un surprix.

La cour adopte cette motivation.

Les parties contestent que l'Autorité ait pu se fonder sur les écarts observés entre le montant annuel retenu pour chaque lot et l'estimation préalable effectuée par l'administration (décision attaquée, § 208 à 211).

Sur ce point, elles font valoir que l'Autorité ne s'est pas documentée sur la méthode mise en œuvre par les services départementaux pour élaborer lesdites estimations. Elles affirment, sans apporter d'autre précision et encore moins d'éléments de preuve, qu'elles auraient démontré les imprécisions, lacunes et erreurs manifestes entachant ces estimations.

La cour relève que, l'Autorité a certes admis, au paragraphe 208 de la décision attaquée, que certaines estimations pouvaient être erronées, mais qu'elle n'en a pas moins constaté, sans être contestée, d'une part, que, si la marge d'erreur avec laquelle chaque estimation préalable est effectuée peut influer sur les résultats, il n'y a pas lieu de penser que cette marge d'erreur soit différente au nord et sud du département, ce d'autant plus que toutes les estimations sont réalisées par le même pouvoir adjudicateur, d'autre part, que la suppression des lots pour lesquels l'estimation préalable du pouvoir adjudicateur ne semble pas fiable au vu des écarts très élevés avec les montants retenus, ne modifie pas les conclusions qu'elle a tirées.

Il est, par ailleurs, inopérant que le rapport administratif d'enquête ait relevé que les offres concurrentes effectives étaient sensiblement supérieures aux offres du groupement Avenir Transport ou que le pouvoir adjudicateur n'ait pas rejeté les offres émanant de ce dernier comme étant inacceptables. En effet, le surprix peut exister même si d'autres offres sont encore supérieures aux offres examinées et si ces dernières sont inférieures à des prix qui apparaîtraient inacceptables.

Il est tout aussi inopérant que les prix présentés dans les offres des entreprises membres du groupement puissent s'expliquer par leurs structures de coûts.

Il se déduit de ce qui précède que l'Autorité n'a commis aucune erreur d'appréciation en appliquant un coefficient de 2 % à l'intégralité du chiffre d'affaires des sociétés mises en cause. Sur ce point, la cour relève que les pratiques mises en œuvre sur des appels d'offres en matière de transports scolaires concernent la totalité des activités de transport public des entreprises et que celles-ci ne précisent pas quelles recettes auraient dû être déduites de ce chiffre d'affaires.

3. Sur l'individualisation des sanctions

Les sociétés requérantes reprochent à l'Autorité de ne pas avoir pris en considération, au stade de l'individualisation du quantum de la sanction, l'ensemble des observations portées à sa connaissance et qui ont été développées par les mises en cause tout au long de la procédure.

Toutefois, l'absence de démarche volontaire invoquée à ce titre est démentie par les déclarations de plusieurs des parties reprises dans la décision attaquée et rappelées ci-dessus. Le fait que les entreprises en cause n'aient pas eu d'" intentions prédatrices " est à ce titre indifférent. Par ailleurs, le fait que l'institution départementale ait pu déceler qu'elle avait été trompée sur l'étendue de la concurrence, ce qui a d'ailleurs conduit au déclenchement de l'enquête, n'est pas une circonstance individuelle qui aurait dû conduire à modifier l'appréciation individuelle des sanctions. L'Autorité n'avait pas plus, à ce stade de l'analyse, à identifier les lots pour lesquels les membres du groupement auraient été placés en situation de se concurrencer ni à quantifier davantage le renchérissement des marchés en cause. Elle n'avait pas non plus à apprécier le montant des sanctions au regard de l'intégralité du montant infligé au groupe auquel appartenaient les sociétés, puisque, celles-ci étant constituées en sociétés autonomes, le montant de la sanction pèse individuellement sur chacune d'elles.

Enfin, les sociétés requérantes ne précisent pas en quoi leurs capacités contributives, qui n'ont pas été, selon elles, prises en compte, auraient justifié des sanctions inférieures à celles qui ont été prononcées.

Il s'ensuit que les moyens relatifs au montant des sanctions sont rejetés et qu'en conséquence, les recours des sociétés Royer Holding, Autocars et Transports Royer, Staub Voyages, Mugler Finance, Autocars Mugler et Cie, Cars des Rohan sont rejetés.

B. Sur le recours incident du ministre chargé de l'Economie

Le ministre chargé de l'Economie soutient que le taux de 2 % appliqué par l'Autorité au chiffre d'affaires réalisé par les entreprises en cause en 2011, pour déterminer les sanctions prononcées, n'est pas proportionné à la gravité des pratiques et à l'importance du dommage à l'économie. Il demande à la cour d'augmenter le montant des sanctions à un niveau suffisamment dissuasif, tout en restant dans la limite d'un seuil de 5 %, en raison du caractère local des pratiques.

Les sociétés requérantes opposent que les sanctions prononcées par l'Autorité à leur encontre sont déjà excessives au regard de l'atteinte réelle portée à l'économie par le groupement Avenir Transport. Elles font valoir que le recours incident du ministre ne comprend aucun élément susceptible de motiver une majoration de ces sanctions.

L'Autorité relève que le Ministre ne fournit aucun élément concret démontrant que les sanctions infligées seraient insuffisantes, compte tenu des caractéristiques de l'affaire en cause. Elle fait valoir que les sanctions infligées aux entreprises ayant accepté la procédure transactionnelle proposée par le ministre étaient significativement inférieures aux amendes qu'elle a prononcées contre celles qui avaient refusé cette transaction.

Il résulte de l'ensemble des éléments relevés précédemment dans le cadre de l'examen des moyens relatifs aux sanctions ainsi que des développements de la décision attaquée à ce sujet, que le taux de 2 % appliqué aux chiffres d'affaires des entreprises en cause est proportionné à la gravité des pratiques et à l'ampleur du dommage à l'économie. La cour relève, en particulier, que les pratiques sont demeurées restreintes à une situation locale et qu'elles ont été mises en œuvre par des entreprises indépendantes de petites ou moyennes tailles, dont certaines rencontraient des difficultés financières. Dans ces circonstances, les sanctions sont suffisamment élevées pour être dissuasives. Il s'en déduit que la demande du ministre chargé de l'Economie est rejetée.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare recevable le recours incident formé par le ministre chargé de l'Economie contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 16-D-02 du 27 janvier 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire par autocar dans le Bas-Rhin ; Rejette les moyens de légalité externe présentés contre la décision n° 16-D-02 ; Rejette les moyens de légalité interne présentés contre la décision n° 16-D-02 ; Rejette en conséquence, les recours formés par les sociétés Royer Holding, Autocars et Transports Royer, Staub Voyages, Mugler Finance, Autocars Mugler et Cie, Cars des Rohan contre la décision attaquée ; Rejette le recours incident du ministre chargé de l'Economie ; Dit que chaque partie conservera ses dépens à sa charge.