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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 décembre 2017, n° 15-07266

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SREP (SA), Valorplast (SA)

Défendeur :

Autorité de la concurrence , DKT International (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouthon Vidilles

Conseillers :

Mmes Comte, Woirhaye

Avocats :

Mes Teytaud, Théophile, Brochier, Chaigne, Marotte, Jalabert-Doury

CA Paris n° 15-07266

20 décembre 2017

FAITS ET PROCÉDURE

Depuis 1992, les collectivités locales ont l'obligation d'assurer l'élimination des déchets ménagers. Il leur incombe d'assurer ou de faire assurer, outre la collecte, leur tri puis leur compactage. Après ce compactage, elles demeurent propriétaires des déchets triés sous forme de balles qu'elles peuvent ensuite revendre en vue de leur recyclage.

Depuis cette même date, les producteurs, importateurs ou distributeurs de produits vendus dans des emballages " servant à commercialiser les produits consommés ou utilisés par les ménages " sont tenus, soit d'assurer individuellement la récupération des déchets de ces emballages, soit de faire prendre en charge l'élimination de ceux-ci par un organisme spécifique auquel ils versent une contribution financière dont une partie est reversée aux collectivités territoriales qui assurent la charge de la collecte sélective, du tri et du recyclage des emballages dans le cadre de la filière publique d'élimination des déchets.

La société Eco-Emballages est une société anonyme agréée par un arrêté interministériel du 12 novembre 1992, afin d'assurer la gestion du système collectif de tri, de collecte et de valorisation des déchets d'emballages ménagers pour cinq catégories de matériaux : l'acier, le verre, le papier, l'aluminium et les plastiques. Son agrément est renouvelé par périodes de six ans. Elle perçoit une contribution financière, dite " Point vert ", des producteurs de déchets qui satisfont ainsi à leurs obligations " pollueur-payeur ", qu'elle reverse, sous la forme de " soutiens à la tonne triée ", aux collectivités locales en contrepartie du recyclage effectif des déchets. Ce soutien s'ajoute au prix que les collectivités peuvent tirer de la vente des déchets aux repreneurs.

Pour chaque type d'emballages ménagers à valoriser, la société Eco-Emballages a conclu une convention avec une " filière " spécialisée dans la reprise et parfois dans le recyclage. La société Valorplast représente la filière plastique. Cette société, créée en 1993, émane principalement de fabricants de produits en plastique et exerce une activité d'intermédiaire entre les collectivités locales ayant trié les déchets d'emballages en plastique et les industriels recyclant et valorisant les déchets d'emballages en plastique triés. Il s'agit du repreneur historique des matériaux plastiques en France auprès des collectivités locales.

Le régime contractuel mis en place par la société Eco-Emballages repose sur un " contrat programme de durée " (CPD), dont elle propose la conclusion aux collectivités locales pour une durée de 6 ans en vue de leur permettre d'organiser la reprise de leurs déchets d'emballages ménagers par des repreneurs afin de les faire recycler et qui, organisé autour des différents matériaux, prévoit pour la collectivité la possibilité d'opter en faveur de trois modes de reprise de ces déchets distincts :

- la " garantie de reprise (GR) " faisant intervenir la société Valorplast, en tant que repreneur et garantissant un prix national unique de reprise à la tonne triée au moins égal à zéro, alors que dans certaines situations, il peut être négatif, ce qui à l'origine représentait une sécurité pour les collectivités locales qui n'avaient alors pas à payer le retraitement de plastique et étaient assurées de la reprise de l'ensemble des emballages en plastique triés,

- la " reprise garantie (RG) " qui garantit aux collectivités locales la reprise de tous les tonnages à un prix positif ou nul, selon un prix négocié entre la collectivité locale et le repreneur de son choix, membre de l'une des deux fédérations professionnelles Fnade (fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement) ou Federec (fédération nationale de la récupération, du recyclage et de la valorisation) ayant contracté avec la société Eco-Emballages,

- la " reprise collectivités locales (CL) ", par laquelle ces collectivités sont libres d'organiser la reprise des déchets d'emballages ménagers par le repreneur de leur choix, mais sans qu'elles puissent bénéficier d'une garantie automatique de reprise externe des tonnages triés de déchets, la reprise de l'intégralité des déchets devant faire l'objet d'une négociation avec le repreneur. En 1993, l'opération de recyclage n'était pas rentable et coûtait environ 15 euros la tonne à la société Valorplast. Ce déficit était compensé par la société Eco-Emballages. A partir de 2001, le prix de reprise est devenu positif mais le prix effectivement versé aux collectivités est resté nul jusqu'à ce que la société Valorplast ait remboursé la société Eco-Emballages, ce qui a été réalisé en 2004, et a permis au repreneur de proposer aux collectivités un prix de reprise positif. La société DKT International (ci-après DKT) a été créée en 2004 afin d'exercer une activité de récupération de déchets ménagers en plastique en vue de leur valorisation. Elle a souhaité intervenir au titre de la Reprise collectivités locales, soit comme un simple intermédiaire soit comme un recycleur dès lors qu'elle disposait d'une usine en Tunisie.

Le 13 mars 2006, s'estimant victime de pratiques anticoncurrentielles et notamment de mesures d'éviction de la part des sociétés Eco-Emballages et Valorplast sur le marché du négoce des déchets d'emballages plastiques, la société DKT International a saisi le Conseil de la concurrence, lui demandant l'ouverture d'une enquête afin de vérifier l'existence d'éventuelles ententes et/ou abus de position dominante.

L'Autorité de la concurrence, succédant au Conseil de la concurrence, a rendu une première décision n° 09-D-26 du 29 juillet 2009 estimant que les conditions prévues par l'article L. 464-1 du Code de commerce pour l'octroi des mesures conservatoires sollicitées par la société DKT International n'étaient pas réunies mais que les conditions d'une poursuite de l'instruction au fond étaient remplies.

Cette décision a été confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 septembre 2009.

L'Autorité de la concurrence a rendu une seconde décision n° 10-D-29 du 27 septembre 2010 acceptant et rendant obligatoires à compter de la notification de la décision les engagements pris par les sociétés Eco Emballages et Valorplast et déclarant sa saisine close. Cette décision n'a fait l'objet d'aucun recours.

Par exploit du 21 février 2011, la société DKT International a attrait les sociétés Valorplast et Eco-Emballages devant le Tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir leur condamnation à l'indemniser des préjudices subis du fait de pratiques anticoncurrentielles.

Dans le cadre de cette procédure, l'Autorité de la concurrence est intervenue volontairement à l'instance et la société DKT International a demandé qu'il lui soit enjoint de communiquer les versions non-confidentielles de divers documents de son dossier d'instruction.

Par jugement du 16 mars 2012, le Tribunal de commerce de Paris a enjoint à l'Autorité de la concurrence de lui communiquer les versions non-confidentielles de ces documents. L'Autorité de la concurrence a saisi le tribunal d'une demande de rétractation et les sociétés Valorplast et Eco-Emballages ont formé appel-nullité contre ce jugement.

Par jugement du 15 juin 2012, le Tribunal de commerce de Paris a sursis à statuer sur la demande de rétractation formulée le 15 mai 2012 par l'Autorité de la concurrence et dans l'attente de l'issue des procédures pendantes devant la cour d'appel, a retiré l'affaire du rôle.

Par arrêt du 24 septembre 2014 devenu définitif, la Cour d'appel de Paris a annulé le jugement du tribunal de commerce du 16 mars 2012 en considérant que la société DKT n'était pas fondée à solliciter une injonction de production dès lors qu'elle détenait déjà les pièces concernées dont elle entendait faire état au soutien de ses intérêts, de sorte que le tribunal ne pouvait statuer comme il l'a fait sans excéder ses pouvoirs, et évoquant, elle a débouté la société DKT de sa demande de communication de pièces du dossier de l'instruction par l'Autorité de la concurrence.

Le 18 novembre 2014, la société DKT a versé aux débats lesdites pièces.

Par jugement du 30 mars 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- condamné in solidum la société Valorplast et la société Eco-Emballages à payer à la société DKT International les sommes de :

* 50 000 euros en réparation des pertes subies,

* 200 000 euros en réparation de son préjudice financier et de la perte de chance,

* 100 000 euros en réparation de son préjudice moral,

* 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire nonobstant appel et sous réserve de la constitution d'une garantie par la société DKT International,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné in solidum la société Valorplast et la société Eco-Emballages aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 272,28 euros dont 44,72 euros de TVA.

LA COUR

Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions signifiées le 15 juin 2017 par lesquelles la société Eco-Emballages, appelante, demande à la cour, au visa des articles 447 et 458 du Code de procédure civile, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 du Code de procédure civile, 1382 du Code civil, devenu l'article 1240 du Code civil, L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 464-1, L. 464-2 et R. 464-2 du Code de commerce et du communiqué de procédure de l'Autorité de la concurrence du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence, de :

- juger que le tribunal a méconnu l'article 447 du Code de procédure civile, les juges ayant assisté aux débats à l'audience du 5 décembre 2014 étant différents de ceux ayant délibéré,

- juger que le tribunal a méconnu les droits de la défense dont le principe du contradictoire, en tranchant le litige sans avoir entendu la société Eco-Emballages sur le fond et sans lui avoir offert la possibilité de répondre aux dernières écritures adverses,

- en conséquence, annuler le jugement,

- juger sur le fond, en application du principe d'effet dévolutif de l'appel, que la société Eco-Emballages n'a commis aucune faute portant préjudice à la société DKT International, subsidiairement et à défaut d'annulation du jugement, sur le fond :

- juger que la société Eco-Emballages n'a commis aucune faute portant préjudice à la société DKT International,

- infirmer en conséquence le jugement dont appel dans toutes ses dispositions, en toute hypothèse,

- déclarer mal fondés les appels incidents de la société DKT International,

- rejeter toutes les demandes et prétentions principales et subsidiaires de la société DKT International,

- condamner la société DKT International à verser à la société Eco-Emballages la somme de 70 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître François Teytaud en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions signifiées le 30 août 2017 par lesquelles la société Valorplast, appelante, demande à la cour de :

Vu la jonction des instances d'appel de la société Valorplast (RG n° 15/07266) et de la société Eco-Emballages (RG n° 15/07583) conformément à l'article 367 du Code de procédure civile,

- annuler le jugement rendu le 30 mars 2015 par la 15e chambre du Tribunal de commerce de Paris par application des articles 447 et 458 du Code de procédure civile pour absence d'identité des juges devant lesquels l'affaire a été débattue et de ceux qui ont délibéré, ensemble des motifs précités, les articles 6, 7, 9, 12, 16, 442 et 444 du Code de procédure civile, l'article 463-6 du Code de commerce, l'article 226-13 du Code pénal et l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme,

- constater que la société DKT International produit les documents recueillis à l'occasion de l'enquête de l'Autorité de la concurrence, lesquels sont couverts par le secret de l'enquête, conformément aux dispositions de l'article L. 463-6 du Code de commerce et que, même s'ils sont sans portée ni intérêt, il y a lieu de les écarter des débats,

- rejeter des débat les pièces non probantes, non produites en original communiquées par la société DKT International et plus particulièrement d'une part les pièces n° 9 à 18, 20 à 37, 40, 41 et 43 en photocopies prélevées et produites irrégulièrement en contradiction avec les articles L. 463-6 du Code de commerce et l'article 226-13 du Code pénal et l'arrêt du 24 septembre 2014 de la Cour d'appel de Paris ayant annulé le jugement du 16 mars 2012, et d'autre part, écarter des débats les documents numérotés 56 et 57, intitulés "MAPP évaluation du dommage subi part DKT", pour n'être pas signé ou l'avoir été apocryphement sans préciser la date de signature, ne pas émaner d'un expert judiciaire, d'un expert-comptable ou d'un commissaire aux comptes habilité et n'avoir aucun caractère contradictoire ni probant, - en tout état de cause, dire irrecevables et mal fondées les demandes de la société DKT International,

- subsidiairement, par évocation et en tout état de cause, mettre à néant et réformer le jugement rendu le 30 mars 2015 par la 15e chambre du Tribunal de commerce de Paris et débouter la société DKT International de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions,

- faisant droit à l'appel incident de la société Valorplast, condamner la société DKT International à lui payer la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts en application des articles 1382 et suivants du Code civil, celle de 7 000 euros (HT) pour les frais irrépétibles de première instance et celle de 50 000 euros (HT) pour les frais irrépétibles de la procédure d'appel,

- condamner la société DKT International en tous les dépens dont distraction est requise au profit de Maître Pierre Chaigne, avocat à la cour, qui pourra les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de commerce ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 6 juin 2017 par lesquelles la société DKT International, intimée ayant formé appel incident, demande à la cour, au visa des articles 342, 447, 458, 459, 561, 562, 699 et 700 du Code de procédure civile, 1382 et 1383 (1240 et 1241 nouveaux) du Code civil, L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de :

in limine litis :

- débouter Valorplast de ses demandes de rejet de pièces,

- débouter Eco-Emballages et Valorplast de leur demande d'annulation du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 30 mars 2015,

à titre principal :

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 30 mars 2015 en ce qu'il a :

1) établi le droit à réparation de DKT International, en :

- constatant que les sociétés Eco-Emballages et Valorplast ont procédé à l'éviction de DKT International du marché de la reprise et de la valorisation des déchets d'emballages ménagers en plastique par la mise en œuvre d'une série de pratiques constitutives d'entente anticoncurrentielle et d'abus de position dominante,

- constatant que ces fautes ont causé un préjudice à DKT International,

- constatant que les sociétés Eco-Emballages et Valorplast ont, ce faisant, engagé leur responsabilité délictuelle à l'égard de la société DKT International sur le fondement des articles 1382 et 1383 (1240 et 1241 nouveaux) du Code civil,

2) débouté Valorplast de sa demande de dommages et intérêts formée au visa des articles 1382 et suivants du (1240 et suivants du nouveau) Code civil et, plus généralement de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

3) débouté Eco-Emballages et Valorplast de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions, notamment au titre de la communication des pièces,

4) condamné in solidum Eco Emballages et Valorplast à payer à la société DKT International la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit du conseil de DKT International, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,

- débouter Valorplast de son appel incident, de sa demande de dommages et intérêts formée au visa des articles 1382 et suivants du (1240 et suivants du nouveau) Code civil et plus généralement de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- déclarer DKT International recevable en son appel incident,

en conséquence,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 30 mars 2015 en ce qu'il a condamné in solidum Eco-Emballages et Valorplast à payer à la société DKT International les sommes de :

* 50 000 euros en réparation des pertes subies,

* 200 000 euros en réparation de son préjudice financier et de la perte de chance,

* 100 000 euros en réparation de son préjudice moral,

et statuant à nouveau,

- condamner solidairement les sociétés Eco-Emballages et Valorplast à indemniser la société DKT International de son préjudice à hauteur de 3 393 228 euros, sauf à parfaire,

- condamner solidairement les sociétés Eco-Emballages et Valorplast à payer à la société DKT International la somme de 50 000 euros additionnels en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel, à titre subsidiaire, si par exceptionnel la cour devait prononcer la nullité du jugement du 30 mars 2015 et statuait sur le fond en application du principe de l'effet dévolutif de l'appel, il lui est demandé de :

- débouter Valorplast de ses demandes tendant au rejet de certaines des pièces produites par DKT,

- débouter Valorplast de sa demande de dommages-intérêts,

- débouter Valorplast et Eco-Emballages de toutes leurs demandes, fins et prétentions,

- constater que les sociétés Eco-Emballages et Valorplast ont procédé à l'éviction de la société DKT International du marché de la reprise et de la valorisation des déchets d'emballages ménagers en plastique par la mise en œuvre d'une série de pratiques constitutives d'entente anticoncurrentielle et d'abus de position dominante,

- constater que ces fautes ont causé un préjudice à DKT International,

- dire que les société Eco-Emballages et Valorplast ont ce faisant engagé leur responsabilité délictuelle à l'égard de la société DKT International sur le fondement des articles 1382 et 1383 du (1240 et 1241 du nouveau) Code civil,

- condamner solidairement les sociétés Eco-Emballages et Valorplast à indemniser la société DKT International de son préjudice à hauteur de 3 393 228 euros, sauf à parfaire,

- condamner solidairement Eco-Emballages et Valorplast à payer à la société DKT International une somme d'un montant de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit du conseil de DKT International conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE

Sur les demandes d'annulation du jugement du 30 mars 2015

Les sociétés Eco-Emballages et Valorplast sollicitent l'annulation du jugement du 30 mars 2015 invoquant successivement :

- une irrégularité dans la composition du tribunal,

- un défaut d'impartialité de celui-ci qui résulterait du fait que Mme Charlier-Bonatti et Mme Dostert auraient déjà siégé dans cette affaire,

- la mention d'une date d'audience inexacte et une violation des droits de la défense en ce que la société DKT aurait conclu trop tardivement en produisant de nouvelles pièces quelques semaines avant l'audience.

Egalement, la société Eco-Emballages reproche au tribunal d'avoir tranché le fond du litige alors qu'elle-même n'aurait pas pu répondre aux dernières écritures de la société DKT tandis que la société Valorplast lui fait grief d'avoir statué au fond sans avoir invité les parties à formuler les explications nécessaires à la solution de l'affaire. La société Valorplast soutient enfin que le tribunal aurait manqué à son obligation de motivation en se limitant à indiquer que la société DKT était fondée à produire l'ensemble de ces pièces au soutien de ses prétentions sans en justifier, et aurait mentionné une date d'audience inexacte.

Concernant la mention d'une date d'audience erronée qui se serait tenue le 6 mars 2015, la société DKT réplique qu'il ne s'agit là que d'une erreur de plume, aucune audience n'ayant eu lieu à cette date, l'affaire ayant été débattue entre les parties et les débats clôturés le 5 décembre 2014, comme le jugement le mentionne. Elle considère que cette erreur est insusceptible d'entraîner l'annulation du jugement conformément à l'article 459 du Code de procédure civile. Concernant la prétendue irrégularité dans la composition du tribunal, elle estime que les sociétés Eco-Emballages et Valorplast ne parviennent pas à renverser la présomption selon laquelle les magistrats mentionnés dans le jugement comme ayant délibéré sont présumés être ceux-là mêmes qui ont assisté aux débats, considérant que la pièce n° 13 de la société Eco-Emballage n'est pas susceptible de constituer une telle preuve. Concernant le défaut d'impartialité du tribunal, elle fait observer que les appelantes n'ont formé aucune objection à la composition du tribunal quand elles ont reçu la convocation à l'audience du 5 décembre 2014 et n'ont pas plus formé de demande de récusation avant la clôture des débats. Elle soutient que le tribunal ne présente aucune partialité dès lors que Mme Charlier-Bonatti n'a pas statué à l'audience du 5 décembre 2014 et que Mme Dostert a simplement ordonné une mesure d'instruction dans la présente affaire et a prononcé un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de l'appel formé contre cette mesure d'instruction, ce qui ne remet pas en cause son impartialité objective. S'agissant de la prétendue violation des droits de la défense résultant d'une communication tardive de pièces, elle estime qu'elle les a communiquées en temps utile et qu'en tout état de cause, ces pièces étant issues du dossier d'instruction de l'Autorité de la concurrence, elles étaient parfaitement connues et en possession des sociétés Valorplast et Eco-Emballages depuis l'ouverture du contradictoire au cours de la procédure devant l'Autorité de la concurrence, soit plus de 5 mois auparavant. La société DKT ajoute que les sociétés Valorplast et Eco-Emballage ne sauraient se plaindre que le litige ait été tranché au fond sans qu'elles aient été en mesure de se défendre sur le fond dès lors que c'est la société Valorplast qui est à l'origine de l'accélération de la procédure en demandant à ce que l'audience soit immédiatement renvoyée à une audience collégiale pour être plaidée. Enfin, elle considère que le tribunal n'a pas manqué à son obligation de motivation puisqu'il indique expressément dans son jugement que par son arrêt du 25 septembre 2014, la cour d'appel a autorisé la société DKT à verser aux débats les pièces issues du dossier d'instruction de l'Autorité de la concurrence.

En application des dispositions combinées des 447 et 458 alinéa 1 du Code de procédure civile, à peine de nullité du jugement, il appartient aux juges devant lesquels l'affaire a été débattue, d'en délibérer. Les magistrats mentionnés dans le jugement comme ayant délibéré sont présumés être ceux-là mêmes qui ont assisté aux débats.

En l'espèce, il est mentionné en dernière page du jugement du 30 mars 2015 (page 16) que l'affaire a été débattue à l'audience du " 06-03-2015, en audience publique, devant Mme Nathalie Dostert, juge chargé d'instruire l'affaire " qui a rendu compte dans le délibéré du tribunal composé de Mme Nathalie Dostert, M. Gérard Teynere et M. Jérôme Perlemutier.

Pour autant, en contradiction avec les mentions relatives à la date (6 mars 2015) et la nature de l'audience de plaidoirie (en juge rapporteur), il est indiqué dans le rappel de la procédure, en page 12 du jugement, qu'après avoir entendu les parties en leurs explications et observations à l'audience collégiale du 5 décembre 2014, le tribunal a clos les débats et mis l'affaire en délibéré au 13 février 2015, date reportée au 30 mars 2015 à laquelle le jugement a été prononcé par mise à disposition au greffe, ce dont les parties ont été avisées lors des débats.

Les divergences conséquentes ainsi relevées ne peuvent s'expliquer par aucun élément du dossier de sorte qu'il ne peut s'agir d'une erreur matérielle.

Les parties s'accordent à reconnaître qu'elles n'ont pas été convoquées à une audience qui se serait tenue le 6 mars 2015 devant le juge chargé d'instruire l'affaire, que cette audience ne s'est pas tenue et qu'elles ont été entendues à la seule audience collégiale du 5 décembre 2014, date à laquelle elles ont été avisées que l'affaire était mise en délibéré. La composition du tribunal ayant siégé à cette audience collégiale ne ressort ni du jugement ni d'aucun autre élément. La société Eco-Emballages soutient qu'ont assisté aux débats Mme Dostert, M. Terneyre et Mme Bizot mais la pièce n° 13 qu'elle présente comme la côte de procédure du dossier, n'a aucune valeur probante dès lors qu'elle ne comporte aucune mention de nature à attester de son origine. Le bulletin du 12 novembre 2014 portant convocation à l'audience du 5 décembre 2014 invite les parties à se présenter à l'audience de plaidoiries de la 15e chambre devant Mme Béatrice Charlier-Bonatti, Mme Nathalie Dostert et M. Philippe Paris (pièce Valorplast n° 15). La société Valorplast affirme que l'affaire a été débattue devant cette composition " ou " devant Mme Dostert, M. Terneyre et Mme Bizot et la société DKT ne dément ni ne confirme.

Il ressort du rapprochement de l'ensemble de ces éléments que les mentions du jugement ne permettent pas de présumer que Mme Nathalie Dostert, M. Gérard Teynere et M. Jérôme Perlemutier, mentionnés comme ayant délibéré de l'affaire, aient connu de l'ensemble des débats et par suite, en aient valablement délibéré.

En conséquence, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens d'annulation, le jugement doit être annulé en toutes ses dispositions et par application des dispositions de l'article 562 du Code de procédure civile, il y a lieu de statuer à nouveau en fait et en droit sur l'entier litige, étant relevé que les parties ont conclu au fond.

Sur la demande de rejet des débats des pièces issues du dossier d'instruction de l'Autorité de la concurrence

La société Valorplast sollicite de la cour qu'elle écarte les pièces produites par la société DKT International prélevées en photocopies dans le dossier de l'Autorité de la concurrence et provenant de l'enquête initiale, leur usage étant prohibé par l'article L. 463-6 du Code de commerce. Il doit être relevé que le dispositif des dernières écritures de la société Eco-Emballages, qui seul lie la cour, ne comporte aucune demande en ce sens.

La société DKT fait valoir son droit de verser les pièces du dossier d'instruction de l'Autorité de la concurrence qu'elle estime nécessaires à l'exercice de son droit à réparation. Elle relève que l'Autorité de la concurrence a elle-même considéré qu'il lui était tout à fait loisible de produire les pièces dont elle était en possession sans enfreindre l'article L. 463-6 du Code de commerce dès lors qu'elle était en mesure de justifier de leur nécessité, tout comme la cour d'appel dans son arrêt du 24 septembre 2014 qui a énoncé qu'il lui incombait de verser aux débats les pièces qu'elle estimait nécessaires à l'établissement des faits qu'elle impute aux sociétés Valorplast et Eco-Emballages. En application de l'article 9 du Code de procédure civile, il appartient à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention par la production des pièces qu'elle estime nécessaires à l'établir. Si l'article L. 463-6 du Code de commerce incrimine la divulgation d'informations couvertes par le secret de l'instruction devant l'Autorité de la concurrence, le principe du respect des droits de la défense en justifie toutefois la divulgation, dans un procès civil, si elle est nécessaire à l'exercice de ces droits.

En l'espèce, la société DKT entend démontrer, par la production de pièces issues du dossier d'instruction de l'Autorité de la concurrence qu'elle détient de manière licite, les pratiques illicites qu'elle impute aux sociétés Eco-Emballages et Valorplast. Par suite, elle justifie qu'elles sont nécessaires au succès de sa prétention. La demande tendant à les voir écarter des débats sera donc rejetée.

Sur les pratiques reprochées aux sociétés Eco-Emballages et Valorplast

Les parties s'accordent à reconnaître que l'adoption d'une décision d'acceptation d'engagements ni ne certifie la conformité au droit de la concurrence des pratiques faisant l'objet de préoccupations, ni n'atteste de leur caractère infractionnel au dit droit, l'Autorité de la concurrence ne s'étant livrée qu'à une simple évaluation préliminaire de la situation concurrentielle qui n'a pas pour objet de prouver la réalité et l'imputabilité d'infractions au droit de la concurrence mais d'identifier des " préoccupations de concurrence " susceptibles de constituer une pratique prohibée.

Des préoccupations de concurrence n'établissant pas l'existence de pratiques anticoncurrentielles, il appartient à la société DKT, qui se prétend victime de telles pratiques et entend obtenir réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi, de démontrer que les trois conditions de la responsabilité civile de droit commun sont remplies, à savoir une faute qui serait constituée, selon elle, par une infraction aux règles du droit de la concurrence (entente prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce et/ou abus de position dominante visé à l'article L. 420-2 du Code de commerce) et un préjudice en lien direct de causalité.

La société DKT soutient, en substance, qu'elle a été victime de pratiques d'éviction de la part des sociétés Valorplast et Eco-Emballages, qui, en position dominante respectivement sur le marché de la reprise des déchets ménagers plastiques et sur les marchés de l'organisation collective et de la collecte des déchets ménagers en France, ont mis en œuvre un système particulièrement discriminatoire au détriment des repreneurs indépendants, tels qu'elle-même, et se sont entendues afin de permettre à la société Valorplast de l'évincer à son profit sur la base de mesures de forclusion et de boycott afin de s'assurer qu'aucune collectivité locale ne signe de contrat de reprise avec elle.

Plus précisément, elle fait valoir que :

- les agissements des sociétés Valorplast et Eco-Emballages ont un objet anticoncurrentiel, l'objectif étant précisément d'élever des barrières à la sortie du territoire et des barrières à l'entrée de nouveaux acteurs trop indépendants d'Eco-Emballages ainsi qu'un effet anticoncurrentiel avéré, dès lors que de nombreuses collectivités ont attesté du lien entre les contrats et les pratiques d'Eco-Emballages et qu'elles ont renoncé à explorer plus avant la voie de reprise indépendante,

- les différentes pratiques qu'elle vise relèvent toutes d'une collusion entre Eco-Emballages et Valorplast ainsi que d'un abus de position dominante,

- pour une entreprise comme Eco-Emballages qui détient un rôle d'organisation générale du secteur et s'est arrogée un pouvoir de certification des acteurs du marché aval, son manque de neutralité, ses actes de dénigrement et les discriminations ouvertes pratiquées au profit de Valorplast et des adhérents des fédérations constituent des abus graves compte tenu de la responsabilité accrue qu'elle assume,

- la société Valorplast a fait pression sur la société Eco-Emballages pour obtenir le maintien des déchets en France au bénéfice des industriels qu'elle représente et elle a tenté à de multiples reprises d'obtenir par son intermédiaire de faire obstacle à la concurrence et à l'entrée des repreneurs indépendants sur son marché.

La société Eco-Emballages fait valoir essentiellement qu'elle n'a commis aucune pratique anticoncurrentielle et que les préoccupations de concurrence relevées par l'Autorité sont en elles-mêmes insuffisantes pour établir l'existence d'infractions au droit de la concurrence. Elle ajoute que la caractérisation de la prétendue entente entre elle et la société Valorplast suppose de rapporter la preuve d'un concours de volonté entre ces deux sociétés en vue d'évincer la société DKT, preuve qui n'est pas rapportée par cette dernière.

La société Valorplast rappelle que l'Autorité de la concurrence a estimé qu'il n'y avait pas de faits contraires aux règles du Code de commerce. Elle considère que la société DKT International échoue à rapporter la preuve de la commission d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles en ne versant aux débats que les photocopies des pièces de l'instruction faite par l'Autorité, toutes anciennes et antérieures à 2009, souvent citées de manière tronquée ou partiale et en tout cas, non démonstratives de faits positifs. Elle ajoute qu'il peut être soutenu que la décision de l'Autorité de la concurrence, qui prend acte d'engagements destinés à améliorer les règles de la concurrence, peut établir qu'il n'y a pas eu de faute, non seulement parce qu'il n'est pas relevé d'infractions mais en outre, parce que les engagements, tels qu'ils ont été pris par la société Valorplast, établissent effectivement qu'il n'y avait pas d'infraction aux règles de la concurrence.

Sur la position dominante des sociétés Eco-Emballages et Valorplast lors des pratiques alléguées la société DKT fait valoir que, comme l'a relevé l'Autorité de la concurrence, au moment du début des pratiques dénoncées, en 2004, la société Eco-Emballages était, de même qu'aujourd'hui, en position monopolistique sur les marchés de l'organisation collective des obligations des producteurs et de la collecte sélective de déchets ménagers en France et que la société Valorplast était en position dominante sur le marché de la reprise des déchets ménagers plastiques.

Les sociétés intimées ne font valoir aucune observation particulière à cet égard.

La cour retient les définitions des marchés pertinents et la position des sociétés Eco-Emballages et Valorplast sur ces marchés concernés par les pratiques dénoncées qui ne font l'objet d'aucun débat. Il n'est pas discuté que lors des faits dénoncés, la société Eco-Emballages occupait une position dominante sur le marché de la collecte sélective et du tri des emballages et que la société Valorplast était en position dominante sur le marché dit de valorisation.

Comme le rappelle, à juste titre, la société DKT, la détention d'une position dominante qui n'est pas abusive en soi, fait peser sur les entreprises concernées une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par leur comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché européen. Pour déterminer l'existence d'un abus de position dominante, il y a lieu de rechercher d'abord les effets d'exclusion des pratiques en cause au moyen, notamment, de preuves directes de stratégie d'exclusion, et de vérifier, ensuite, si le comportement peut être justifié.

Sur les pratiques dénoncées

La société DKT reproche aux sociétés Eco-Emballages et Valorplast diverses pratiques qu'il convient d'examiner.

Sur la mise en place d'un régime contractuel restreignant l'accès au marché des repreneurs Indépendants

Les restrictions à la possibilité pour les collectivités de changer de voie de reprise et la discrimination au détriment du régime de la " reprise collectivités "

La société DKT soutient que les sociétés Eco-Emballages et Valorplast ont mis en place un régime contractuel restreignant l'accès au marché des repreneurs indépendants en limitant de manière injustifiée la possibilité pour les collectivités de changer de voie de reprise et discriminant le régime " reprise collectivités (CL) ", troisième régime contractuel proposé et permettant aux collectivités de choisir un repreneur indépendant. Elle rappelle que le contrat CPD contraignait la collectivité à désigner un seul repreneur pour toute la durée du contrat (6 ans) sans pouvoir changer de voie de reprise avant l'expiration de cette période sauf pour la collectivité à choisir le régime de la reprise garantie (RG) ce qui rendait alors particulièrement risqué le recours à la reprise collectivités locales (CL).

La société Eco-Emballages réplique que la durée de 6 ans des CPD n'a pas été imposée par elle et qu'elle est prévue dans le cahier des charges annexé à son agrément et établi et contrôlé par les pouvoirs publics. Elle affirme que, puisque l'article 13 du CPD permet aux collectivités locales de résilier à tout moment leur contrat quel que soit le mode de reprise choisi, le CPD ne contient aucune restriction injustifiée à la possibilité des collectivités locales de changer de voie de reprise et ne rend pas plus risqué le recours à la reprise collectivité locale.

La durée de 6 ans figure à l'article 3 du chapitre III du cahier des charges annexé à l'agrément de la société Eco-Emballages, lequel agrément est d'ailleurs octroyé pour 6 ans. Ce cahier des charges a été établi par les pouvoirs publics et est sous leur contrôle en ce qui concerne le maintien et le renouvellement de l'agrément. Par suite, la durée de 6 ans du contrat n'est que l'application du cahier des charges de l'agrément de sorte qu'il ne s'agit pas d'une pratique qui puisse être imputée à la société Eco-Emballages. Il sera ajouté que, comme le souligne à raison la société Eco-Emballages, tant la Commission européenne (décision du 15 juin 2001), que l'Autorité de la concurrence (décisions des 29 juillet 2009 et 27 septembre 2010) et la DGCCRF (rapport administratif d'enquête du 3 avril 2008 établi lors de l'instruction de la plainte et qui constitue un élément de preuve régulièrement communiqué aux débats et donc soumis à la libre discussion des parties) ont relevé que la durée de 6 ans avait été demandée par les collectivités locales elles-mêmes afin de s'assurer une visibilité à long terme.

Par ailleurs, si des dispositions du CPD encadrent strictement l'engagement de la collectivité pour la durée du contrat vis-à-vis d'un mode de reprise (article 4), il n'en demeure pas moins que l'article 13 donne, clairement, la possibilité à la collectivité, quel que soit le mode de reprise choisi, d'une résiliation anticipée de l'ensemble du contrat et partant, d'une remise en cause du mode de reprise choisi, et ce, sans indemnité. C'est d'ailleurs l'introduction de cette faculté de résiliation qui a conduit la Commission européenne à valider le mécanisme de reprise des déchets au regard du droit européen de la concurrence dans sa décision d'attestation négative du 15 juin 2001, estimant qu'en raison de cette faculté, la liberté de choix et d'action des collectivités locales n'était pas indûment restreinte et que, de plus, un système concurrent avait la possibilité de s'imposer sur le marché de la collecte sélective et qu'il n'y avait pas de forclusion. Dès lors que cette faculté de résiliation existe et que les collectivités locales peuvent l'exercer, il ne peut être déduit de son absence de mise en œuvre effective par les collectivités locales pour changer de voie de reprise (absence relevée par l'Autorité de la concurrence dans sa décision du 27 septembre 2010), ni du seul fait qu'aucun intermédiaire, à l'instar de la société DKT, n'ait " percé " sur le marché, comme également observé par l'Autorité, laquelle, au demeurant, a seulement fait part de sa préoccupation et de son absence de certitudes en indiquant à cet égard : " Il est loin d'être exclu que cet état de fait résulte pour une bonne part du dispositif contractuel lui-même et des rigidités qu'il engendre ", que le dispositif contractuel mis en place aurait été discriminatoire et aurait constitué une mesure de restriction à l'accès au marché.

Les restrictions imposées dans le cadre du régime de la " reprise collectivités " par rapport aux autres voies

La société DKT estime que les conditions de versement des soutiens à la tonne étaient très différentes d'un régime de reprise à un autre, avec des restrictions très prononcées à l'égard du régime " reprise collectivités ", dès lors que dans le cadre de cette voie, la société Eco-Emballages ne garantissait pas le versement des soutiens à la tonne aux collectivités alors que ce versement était garanti dans le cadre des autres voies (" reprise garantie " et " garantie de reprise "). Elle affirme qu'il n'y avait aucun risque pour les collectivités de recourir à ces deux dernières voies alors qu'au contraire, la collectivité supportait tous les risques dans le cadre de la troisième voie puisqu'il lui revenait de s'assurer que les repreneurs recyclent effectivement les tonnes collectées et de transmettre les certificats de recyclage correspondants à la société Eco-Emballages pour prétendre recevoir ses soutiens à la tonne. Elle en conclut que les collectivités locales étaient largement dissuadées d'avoir recours à un repreneur indépendant.

Mais en application du cahier des charges de l'agrément, quel que soit le mode de reprise choisi, le soutien à la tonne triée est versé par la société Eco-Emballages en contrepartie de la preuve de la traçabilité et du recyclage effectif des déchets, et ce, dans des conditions équivalentes à celles imposées par la législation européenne notamment en matière de protection de l'environnement et dans le domaine social, dans le cas d'exportation des déchets pour recyclage hors de l'Union européenne, comme prévu par la Directive 2004/12/CE. Si dans le cadre de la " garantie de reprise ", la preuve du recyclage est apportée par la société Valorplast, dans le cadre de la " reprise garantie ", elle l'est par les repreneurs, et dans le cadre " reprise collectivités locales ", par la collectivité qui doit obtenir un certificat de son recycleur, de sorte que si cette dernière voie, au libre choix de la collectivité, a pu paraître à celle-ci moins attractive comme étant plus contraignante, il n'en demeure pas moins que dans chacune des voies de reprise, il incombe à la société Eco-Emballages de s'assurer du recyclage effectif des matériaux dans des conditions conformes à la législation en menant des contrôles appropriés auprès des collectivités locales et des recycleurs. Par suite, aucune restriction de concurrence n'est caractérisée à ce titre.

Sur les pressions exercées sur les collectivités et le dénigrement de la " reprise collectivités " et des repreneurs indépendants

La société DKT estime qu'au-delà du contrat lui-même, les sociétés Eco-Emballages et Valorplast ont eu un discours particulièrement appuyé vis-à-vis des collectivités pour mettre en exergue les avantages de " la garantie de reprise " et de " la reprise garantie " et les très grands risques de la " reprise collectivités locales ", tel que cela ressort de plusieurs documents internes à la société Eco-Emballages ainsi que de plusieurs témoignages.

La société Eco-Emballages excipe, notamment, du rapport administratif d'enquête établi par la DGCCRF le 3 avril 2008 dans le cadre de la procédure devant l'Autorité de la concurrence pour affirmer qu'elle n'a jamais dénigré, ni même tenté de dénigrer la voie de " reprise collectivités locales " et la société DKT auprès des collectivités locales. Elle ajoute qu'elle n'a jamais manqué à ses obligations de neutralité et d'information lors de la présentation des trois voies de reprise. Elle affirme que les investigations de l'Autorité de la concurrence n'ont pas permis d'établir une quelconque volonté de sa part de dissuader les collectivités locales de recourir à la " reprise collectivité locale " et qu'au titre de son obligation d'information et de conseil, elle était dans l'obligation de prévenir les collectivités locales des risques encourus concernant la voie de reprise choisie et notamment de l'obligation pour les collectivités locales de rapporter la preuve d'un recyclage effectif en cas de choix d'un repreneur indépendant. Elle considère qu'en réalité, les reproches que lui adresse la société DKT concernent les exigences qui lui sont imposées par le cahier des charges, établi et contrôlé par les pouvoirs publics, exigences qui rendent la " reprise collectivités locales " très peu attractive aux yeux des collectivités, sauf éventuellement à considérer que le prix de reprise des matériaux serait un élément déterminant dans leur choix, ce qui n'a jamais été le cas.

La cour constate, à titre liminaire, que s'agissant des dénigrements allégués, comme le souligne à juste titre la société Eco-Emballages, aucune des pièces produites aux débats ne mentionne spécifiquement la société DKT. Le rapport administratif d'enquête du 3 avril 2008 indique d'ailleurs qu'aucun représentant des sociétés Eco-Emballages et Valorplast n'a nommément dénigré les propositions commerciales de la société DKT.

En outre, il ne ressort d'aucun élément communiqué aux débats que la société Eco-Emballages se soit livrée à des pressions sur les collectivités et/ou à un quelconque dénigrement de la troisième voie de reprise, dite " reprise collectivités ".

En effet, le document intitulé " Conditions de reprise des matériaux " (pièce intimée n° 19) édité par la société Eco-Emballages et qui constitue un bilan de son activité, fait une présentation strictement neutre des trois systèmes de reprise proposés aux collectivités en rappelant que quel que soit le mode de reprise choisi, les soutiens financiers seront versés, dès lors qu'il sera satisfait à cinq conditions. Les documents de travail internes à la société Eco-Emballages (étant rappelé à cet égard qu'une entreprise, même dominante, a le droit de définir la stratégie qu'elle estime appropriée à la défense de ses intérêts commerciaux et que seul un comportement visant à renforcer sa position dominante ou à en abuser est répréhensible), constitués d'un argumentaire (pièces n° 14 " Arguments reprise des matériaux " et n° 26), de la retranscription de certains propos tenus lors d'un Comité d'orientation plastique réunissant la société Eco-Emballages et ses actionnaires, sur les moyens d'assurer la traçabilité pour les tonnes exportées (pièce n° 15), d'un compte-rendu des chefs de secteur (pièce n° 16) et d'un comité stratégique (pièce n° 22), ainsi que d'un courrier à une collectivité visitée (pièce n° 25) et des éléments de langage (pièce n° 26), s'ils soulignent les avantages des deux premières voies de reprise, avérés comme il a été vu ci-dessus concernant les modalités de preuve de la traçabilité des tonnes et de leur recyclage effectif, n'établissent aucunement l'existence d'un dénigrement et/ou un traitement particulier d'exclusion concernant la troisième voie de reprise. Ceux-ci ne ressortent pas plus d'autres éléments communiqués aux débats, dont notamment des attestations et des auditions (pièces n° 21, 27, 28, 29, 30) qui ne sont pas suffisamment circonstanciées, en ce que, notamment, si Mme Sassolat fait état lors d'une réunion d'une présentation orale plus favorable du système de garantie de reprise, elle reconnaît que la plaquette officielle présente les trois régimes (n° 28), M. Chaumeton ne fait état que d'une allégation qui lui aurait été rapportée (n° 29), M. Lantreibecq (n° 30) et les représentants du Semardel font part de leurs impressions (n° 21), et de surcroît, ne sont étayées par la production d'aucun document. L'existence de pressions sur les collectivités pour qu'elles optent pour le système de la " reprise Collectivités " à défaut de quoi, elles ne percevraient pas les soutiens à la tonne triée n'est pas plus démontrée. Notamment, le témoignage concernant la présentation d'un ou des films et de documents sur les conditions de travail en Chine (pièce n° 18) n'est corroboré par la production d'aucun autre élément, et le courrier (pièce n° 33) qui démontrerait, selon la société DKT, " un cas manifeste d'un tel chantage ", est inopérant à cet égard, la société Eco-Emballages se contentant d'y confirmer que la reprise des tonnes pour recyclage doit être en conformité avec le contrat signé. Enfin, il sera relevé que si, au vu de l'ensemble de ces témoignages, l'Autorité de la concurrence a considéré que la société Eco-Emballages " a pu influencer le choix des collectivités locales quant aux voies de reprise des matériaux ", il apparaît qu'elle a seulement envisagé une situation de possible influence, et qu'il ne s'est agi que d'une hypothèse, insusceptible d'établir l'existence d'une faute caractérisée.

Par suite, aucune pratique anticoncurrentielle invoquée à ce titre n'est démontrée.

Sur la mise en place de la procédure de non-objection

Il n'est pas discuté que la société Eco-Emballages a mis en place une procédure de " validation " " ou de non-objection " à l'attention des filières ou des opérateurs intervenant dans le cadre de " la reprise collectivités ".

La société DKT soutient que la société Eco-Emballages a retardé la fourniture d'une " lettre de non-objection " pour l'exportation de tonnages triés hors Europe, à destination d'une usine de recyclage en Chine, qui devait lui permettre de garantir aux collectivités locales le versement du soutien à la tonne triée, et ce, dans le but de gagner du temps jusqu'à la reconduite de la plupart des contrats de reprise.

La société Eco-Emballages réplique que la délivrance des lettres de non-objection présentait toutes les garanties d'objectivité et ne constituait en rien une barrière à l'entrée du marché. La société Eco-Emballages précise que l'obtention d'une lettre de non-objection n'est aucunement un prérequis pour contracter avec les collectivités locales et que cette procédure était ouverte à tous les repreneurs, en ce compris la société DKT, et que l'enquête de la DGCCRF a permis d'établir que les éléments requis pour l'obtention de la lettre de non-objection étaient objectivement justifiés et proportionnés au regard des missions d'intérêt général confiées par les pouvoirs publics à Eco-Emballages.

Il n'est pas contesté que, comme elle l'a d'ailleurs reconnu au cours de l'enquête, la société DKT n'avait aucune obligation de fournir une lettre de non-objection pour pénétrer sur le marché, son gérant précisant à cet égard que la seule contrainte était de fournir un certificat de recyclage complet aux collectivités locales.

Il n'est pas plus discuté que la société Eco-Emballages n'a pas imposé à la société DKT de solliciter la délivrance d'une lettre de non-objection et que cette dernière a elle-même sollicité l'octroi de ce document. Il est établi par les échanges de courriers produits dont celui du 16 janvier 2006, qu'elle ne l'a pas obtenue de son propre fait en s'abstenant de produire un certain nombre de documents demandés, pourtant listés et nécessaires à l'examen de sa requête et en fournissant certaines pièces inexploitables, comme étant rédigées en chinois ou très peu lisibles. Dans son rapport d'enquête, la DGCCRF a relevé que les demandes formulées par la société Eco-Emballages étaient identiques à celles qu'elle formule auprès de toute autre entreprise dans la même situation, la raison en étant que ces demandes ne sont que les déclinaisons des contraintes auxquelles sont soumis les recycleurs depuis la Directive 2004/12/CE. Enfin, si l'Autorité de la concurrence a indiqué que ce processus empirique de non -objection a " probablement permis à Eco-Emballages de faire obstacle à l'entrée de DKT sur le marché ", elle n'a ainsi évoqué qu'une hypothèse, objet de " sa préoccupation de concurrence ", laquelle est insuffisante à caractériser une faute engageant la responsabilité la société Eco-Emballages.

Dans ces conditions, la société DKT ne justifie d'aucun comportement discriminatoire ayant entravé son accès au marché.

Sur la collusion entre la société Valorplast et Eco-Emballages afin de favoriser Valorplast au détriment des autres repreneurs

La société DKT affirme que les pièces du dossier de l'Autorité ont démontré que la société Eco-Emballages agissait régulièrement dans l'intérêt de la société Valorplast afin de la favoriser par rapport aux adhérents des fédérations et des repreneurs indépendants. Elle se prévaut du fait que dans sa décision, l'Autorité note que la société Valorplast a reçu de la part d'Eco-Emballages, une information constante sur l'évolution des renouvellements des contrats, ce qui lui a permis de consolider sa position vis à vis des collectivités entraînant ainsi une perturbation du marché, alors que les dates d'expiration du précédent contrat pour chaque collectivité n'ont été fournies ni aux repreneurs de la " reprise garantie " des fédérations, de manière actualisée, ni à la société DKT. Elle invoque également le fait que la société Eco-Emballages informait la société Valorplast du nom des collectivités susceptibles de recourir à la " reprise collectivités " afin que celle-ci puisse revenir " à la charge ".

La société Eco-Emballages réplique que la seule pièce sur laquelle est fondé ce grief est insuffisante pour établir qu'elle aurait informé de manière constante Valorplast des dates de renouvellement des contrats des collectivités locales. Elle ajoute que la société DKT avait également connaissance de la date de renouvellement des contrats de certaines collectivités locales et qu'il lui appartenait, en tout état de cause, de demander aux collectivités locales et/ou Eco-Emballages les dates d'échéance des contrats.

Si dans sa décision, l'Autorité a relevé la transmission d'informations par la société Eco-Emballages à la société Valorplast, les éléments du dossier, sur lesquels elle s'est appuyée, ne sont ni listés, ni détaillés, ni transmis aux débats de sorte que la cour n'est pas en mesure de les apprécier. Par ailleurs, la pièce n° 32 constituée du témoignage d'une représentante de la Communauté d'agglomération de Metz Métropole, qui relate seulement avoir été contactée par la société Valorplast peu de temps après qu'elle ait laissé entendre que la Communauté allait sortir de la garantie de reprise pour opter pour l'autre reprise, et la pièce n° 27, qui fait état de la préoccupation de la société Valorplast " pour inverser la tendance " en suite d'une information qu'elle a reçue (on ignore l'auteur de la transmission) selon laquelle une collectivité allait choisir un autre repreneur, sont insuffisantes à établir la transmission d'informations par la société Eco-Emballages en vue de favoriser la société Valorplast.

Par suite, ce grief n'est pas établi.

Sur les mesures d'évictions spécifiques à DKT

La société DKT soutient que l'Autorité " a jugé " qu'il est avéré qu'Eco-Emballages a transmis à Valorplast des propositions de prix de reprise faites par DKT et que les pièces de l'instruction démontrent que sa proposition commerciale a été obtenue par la société Eco-Emballages puis communiquée à la société Valorplast pour qu'elle puisse mieux se défendre et ajuster son offre commerciale proposée aux collectivités locales. Elle se prévaut de sa pièce n° 36. La société Eco-Emballages estime qu'aucun élément du dossier ne permet de démontrer que Valorplast aurait adapté son offre commerciale après avoir eu connaissance des prix proposés par DKT. La société Eco-Emballages ajoute en outre qu'elle n'a aucun intérêt à favoriser la société Valorplast mais qu'elle doit simplement s'assurer de la pérennité du système de recyclage français, qui conditionne le renouvellement de son agrément par les pouvoirs publics. La société Eco-Emballages estime avoir adopté une position neutre vis à vis de la société Valorplast.

Comme il a été rappelé ci-dessus, la cour ne peut examiner la pertinence de pièces qui ne sont pas produites aux débats. S'agissant de l'unique pièce n° 36 communiquée et qui concerne le Grand Lyon, elle est insuffisante, à elle seule, à caractériser une pratique de transmission d'informations par la société Eco-Emballages en vue de favoriser la société Valorplast.

En définitive, la société DKT échoue à rapporter la preuve de l'existence de pratiques anticoncurrentionnelles (entente et/ou abus de position dominante) ayant conduit à son éviction du marché. Par suite, elle sera déboutée de l'intégralité de ses demandes.

Sur la demande reconventionnelle de la société Valorplast

La société Valorplast sollicite la condamnation de la société DKT au versement d'une somme de 150 000 euros dès lors qu'en produisant illégalement les pièces du dossier de l'instruction de l'Autorité, en violation des articles 463-6 du Code de commerce et 226-3 du Code pénal, de surcroît tardivement à quelques jours de l'audience du 5 décembre 2014, la société DKT a, par sa volonté de nuire à l'encontre de la société Valorplast, commis une faute au sens de l'article 1382 du Code civil, portant préjudice à la réputation et à l'exercice normal de l'activité de la société Valorplast.

Mais il a été vu ci-dessus que la communication des pièces issues de l'instruction n'était pas illicite. En outre, la société Valorplast ne caractérise aucune volonté de nuire. Par suite, elle sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

La société DKT qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel et devra verser à chacune des sociétés Eco-Emballages et Valorplast la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Annule le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; statuant à nouveau, Déboute la société Valorplast de sa demande de rejet des débats des pièces issues du dossier d'instruction de l'Autorité de la concurrence Déboute la société DKT International de l'intégralité de ses demandes ; Déboute la société Valorplast de sa demande reconventionnelle ; Condamne la société DKT International aux dépens de première instance et d'appel ; Autorise Maître François Teytaud et Maître Pierre Chaigne à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne la société DKT International à verser à chacune des sociétés Eco-Emballages, nouvellement dénommée SA SREP, et Valorplast la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.