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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 19 décembre 2017, n° 17-17797

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hair Clinic Treatment Ltd (Sté)

Défendeur :

Laboratoires B. Prince (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guihal

Conseillers :

Mme Salvary, M. Lecaroz

Avocats :

Mes Hardouin, Terel, Mignon

T. com. Paris, du 26 juin 2017

26 juin 2017

Les Laboratoires B. Prince (ci-après " la société Prince "), dirigée par M. Bernard Prince, développe et distribue des produits de soins capillaires.

Par un contrat du 20 décembre 1995, la société Prince a consenti la distribution exclusive de ses produits sur le territoire israélien à la société Hair Clinic Treatment Ltd, (ci-après " la société Hair Clinic "), de droit israélien.

Ce contrat d'une durée initiale de 4 ans a été reconduit tacitement pendant 18 ans. Il contient une clause attributive de juridiction au profit du Tribunal de commerce de Paris.

Par courriel du 28 janvier 2014, la société Hair Clinic a fait part à la société Prince de son intention de produire sous sa marque des produits capillaires.

Par courrier recommandé du 13 février 2014, la société Prince a accusé réception de ce qu'elle a considéré être une résiliation du contrat de distribution et mis en demeure la société Hair Clinic de lui faire une proposition pour l'indemniser de son préjudice.

Se disant créancière de la société Hair Clinic, la société Prince a initié une procédure devant le Tribunal de Tel Aviv Jaffa le 26 juin 2014 dans le cadre de laquelle une médiation est intervenue, suivie d'un jugement en date du 18 août 2015.

Par acte du 15 février 2016, la société Prince a assigné la société Hair Clinic devant le Tribunal de commerce de Paris en invoquant la rupture brutale, par cette dernière, de leurs relations commerciales établies.

La société Hair Clinic a soulevé in limine litis une exception de litispendance internationale au motif qu'une affaire était toujours pendante devant le Tribunal de Tel Aviv Jaffa, l'affaire enregistrée à sa demande le 31 octobre 2016 sous le n° 42168-10-16 devant cette juridiction n'étant que la poursuite de l'instance engagée le 26 juin 2014 ;

Par jugement du 26 juin 2017, le Tribunal de commerce de Paris a rejeté cette exception et fait injonction à la société Hair Clinic de conclure au fond.

Cette dernière a formé un contredit à l'encontre de ce jugement par acte du 11 septembre 2017.

En ses dernières écritures déposées et soutenues à l'audience, la société Hair Clinic demande à la cour de dire recevable et bien fondé le contredit formé par ses soins, de dire que les conditions de la litispendance internationale sont réunies, en conséquence, d'infirmer le jugement entrepris et de dire que le Tribunal de Tel Aviv est compétent, en tout état de cause, de dire que le Tribunal de commerce de Paris n'est pas compétent, les parties ayant renoncé à la clause attributive de compétence, de débouter la société Prince de l'ensemble de ses demandes, de condamner celle-ci à lui verser la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

A l'appui de ses demandes, la société Hair Clinic fait valoir que l'instance introduite en Israël a donné lieu au prononcé d'une décision le 23 mai 2017 qui a condamné la société Prince à payer à la société Hair Clinic, non comparante, la somme de 222 914 shekels outre les frais de justice et d'avocat, décision qui remplit tous les critères d'une décision passée en force de chose jugée. Elle soutient que la saisine du Tribunal de commerce de Paris par la société Prince relève d'un forum shopping frauduleux qui se heurte au principe de l'estoppel dès lors que c'est elle qui a initialement, le 26 juin 2014, saisi la juridiction israélienne dont elle n'a jamais contesté la compétence, acceptant la médiation proposée par ce tribunal suite aux demandes reconventionnelles de la société Hair Clinic. Elle demande en conséquence que soit constatée l'existence d'une instance israélienne introduite antérieurement à la procédure française dans une affaire caractérisée par une identité de parties, de litige et d'objet et la renonciation par la société Prince à la clause attributive de compétence stipulée au contrat de distribution, clause qui en tout état de cause ne s'applique pas au présent litige relatif à la rupture brutale des relations commerciales établies qui relève de la responsabilité délictuelle et, à ce titre, du Tribunal de Tel Aviv, juridiction du domicile du défendeur mais aussi celle du lieu du fait dommageable ou du lieu du dommage subi.

En ses dernières écritures déposées et soutenues à l'audience, la société Prince demande à la cour de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a rejeté l'exception de litispendance et fait injonction de conclure, de condamner la société Hair Clinic à payer à la société Prince la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour recours dilatoire et abusif sur la compétence et celle de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens.

La société Prince oppose que le jugement rendu par le Tribunal de Tel Aviv en date du 18 août 2015 ne fait pas obstacle à la saisine postérieure du Tribunal de commerce de Paris en l'absence de renonciation par les parties à leurs griefs au fond, seul un désistement d'instance ayant été alors convenu, que l'instance introduite le 26 juin 2014 par la société Prince en Israël était éteinte lorsque, sans se contredire, elle a assigné la société Hair Clinic devant le Tribunal de commerce de Paris, que la procédure engagée par la société Hair Clinic le 31 octobre 2016 devant la juridiction israélienne est indépendante de la première et l'a été postérieurement à l'introduction de l'instance en France. La société Prince fait par ailleurs valoir que les deux instances ne sont pas identiques et que les tribunaux israéliens ne sont pas compétents pour statuer sur le présent litige au regard tant de l'existence d'une clause d'élection de for au profit du Tribunal de commerce de Paris, à laquelle les parties n'ont pas renoncé et qui est applicable à un action en rupture brutale des relations commerciales, que des principes généraux du droit international privé régissant la responsabilité délictuelle ou encore de la compétence exclusive du Tribunal de commerce de Paris résultant de l'article L 442-6 du Code de commerce.

SUR CE

Sur la litispendance

Considérant qu'il est constant que la société Prince a saisi le Tribunal de la paix de Tel-Aviv- Jaffa le 26 juin 2014 en paiement d'une créance prétendument due par la société Hair Clinic, et que la procédure ouverte sous le numéro 52935-06-14 a donné lieu, après médiation acceptée par les parties, à un jugement rendu dans les termes suivants :

" Je félicite les parties pour avoir eu la sagesse de mettre un terme à leur différend par la voie amiable.

J'ai validé l'accord entre les parties comme un verdict.

Les droits de timbre relatifs à la réclamation et à la demande reconventionnelle seront remboursés aux parties concernées par l'intermédiaire de leurs représentants légaux conformément aux règles de procédure civile " ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments que la procédure a pris fin avec ce jugement dont l'avocat israélien, Me Roberto Chait, sollicité par la société Prince, confirme qu'il est devenu définitif et irrévocable en l'absence d'appel interjeté dans les 45 jours ; que l'attestation d'ouverture du dossier, le 31 octobre 2016, sur l'initiative de la société Hair Clinic, émanant du tribunal saisi, ne fait d'ailleurs aucune référence à une précédente procédure ;

Considérant par ailleurs que la procédure initiée en juin 2014 par la société Prince devant le Tribunal de Tel Aviv tendait au paiement d'une créance impayée dans le cadre d'une " procédure accélérée " alors que celle engagée devant le Tribunal de commerce de Paris en février 2016 est relative aux conséquences de la rupture brutale des relations commerciales établies prétendument subie du fait de la société Hair Clinic ; que les instances n'ont donc pas le même objet ;

Considérant que dans ces conditions, c'est à juste titre que le Tribunal de commerce de Paris a considéré que la saisine par la société Hair Clinic le 31 octobre 2016 du Tribunal de Tel Aviv- Jaffa, suivie de l'ouverture d'une procédure enregistrée sous le numéro 42168-10-16 ne constituait pas la poursuite de la procédure introduite le 26 juin 2014 sous le numéro 52935-06-14 et qu'il en a conclu qu'au jour de la saisine du Tribunal de commerce de Paris, le 15 février 2016, aucune autre juridiction n'était saisie ;

Considérant au surplus qu'aux dires de la société Hair Clinic concernant l'instance introduite le 31 octobre 2016, la juridiction israélienne a rendu un jugement sur le fond le 23 mai 2017, devenu définitif et pour lequel elle entend solliciter l'exequatur en France ; qu'il s'en suit que le Tribunal israélien est dessaisi ;

Qu'il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception de litispendance ;

Sur la compétence du Tribunal de commerce de Paris

Considérant qu'aux termes de l'article 25 du règlement BI Bis, applicable en l'espèce dès lors que l'instance a été introduite après le 10 janvier 2015 et que la société Hair Clinic est domiciliée en Israël, Etat non signataire de la convention de la Haye du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for, " si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un Etat membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond sur le droit de cet Etat membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties " ;

Considérant que les parties ont signé le 20 décembre 1995 un contrat de distribution contenant une clause attributive de juridiction ainsi libellée :

" Rupture par le non-respect de l'une des clauses du présent contrat. L'accord de juridiction est faite sur le Tribunal de commerce de Paris ".

Considérant qu'une telle clause, rédigée dans des termes généraux et insérée dans un paragraphe relatif à " la rupture ", expressément acceptée par les parties, s'applique nécessairement à l'action en responsabilité à raison de la rupture brutale des relations commerciales établies, peu important que dans l'ordre interne une telle action revête un caractère délictuel ;

Considérant que la société Hair Clinic prétend qu'en saisissant le juge israélien et en ne contestant pas sa compétence par la suite, la société Prince aurait renoncé définitivement à se prévaloir de la clause ;

Mais considérant qu'un telle renonciation ne peut résulter du seul fait que la société Prince a saisi le Tribunal de district Tel-Aviv-Jaffa dans le cadre d'une " action judiciaire accélérée " visant exclusivement à voir condamner la société Hair Clinic, selon les termes de l'acte de saisine, à payer la somme de 113 634 euros correspondant à la valeur du stock de commandes déjà fabriqué par la société Prince à la date à laquelle la rupture des relations commerciales est intervenue ; que s'agissant d'une procédure d'urgence, motivée par le fait que le contrat interdirait à la société Prince toute cession des produits concernés à une tierce partie, il ne peut en effet s'en déduire la volonté non équivoque de la société Prince de renoncer à se prévaloir de la clause attributive de compétence au profit du Tribunal de commerce de Paris dans le cadre d'une instance au fond dont l'objet, au surplus, est différent, sans que l'on puisse reprocher à la société Prince un quelconque manquement à l'obligation de loyauté processuelle ;

Qu'il convient donc de dire que c'est à bon droit que le Tribunal de commerce de Paris, retenant sa compétence, a fait injonction à la société Hair Clinic de conclure au fond ; que le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions ;

Sur les autres demandes

Considérant qu'il n'est pas établi que le contredit formé par la société Hair Clinic ait dégénéré en abus de droit ; qu'il y a lieu de débouter la société Prince de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Considérant en revanche que la société Hair Clinic, qui succombe, supportera la charge des dépens et sera condamnée à payer à la société Prince la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, sa propre demande à ce titre étant rejetée ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement ; Y ajoutant ; Déboute les Laboratoires B. Prince de leur demande de dommages et intérêts ; Déboute la société Hair Clinic Treatment Ltd de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Hair Clinic Treatment Ltd à payer à ce titre aux Laboratoires B. Prince la somme de 5 000 euros ; Condamne la société Hair Clinic Treatment Ltd aux dépens.