Cass. 1re civ., 20 décembre 2017, n° 16-11.267
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Bouvier Fondation , Casip Cojasor
Défendeur :
Laboratoire Glaxosmithkline (Sté) , Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Essonne , Bon
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
M. Truchot
Avocat général :
M. Sudre
Avocats :
SCP Delamarre, Jéhannin, SCP Hémery, Thomas-Raquin
LA COUR : - Sur les moyens uniques des pourvois principal et incident, rédigés en termes identiques, réunis : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 octobre 2014), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 16 octobre 2013, pourvoi n° 12-19.499), que Mme Bouvier, qui avait reçu, au cours de l'année 1994, plusieurs injections du vaccin contre l'hépatite B, fabriqué par la société Smithkline Beecham, devenue la société Glaxosmithkline, puis un rappel, le 7 février 1997, a présenté, au cours du même mois, des troubles conduisant au diagnostic de la sclérose en plaques ; qu'imputant cette pathologie au vaccin, Mme Bouvier, alors mineure, et Mme Bon, sa mère, ont assigné la société Glaxosmithkline en réparation du préjudice subi ; que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne (la CPAM) a été mise en cause ;
Attendu que Mme Bouvier et Mme Bon font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors, selon les moyens : 1°) que l'action en responsabilité du fait d'un produit défectueux exige la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage ; qu'en exigeant que Mmes Bouvier et Bon démontrent, outre ces conditions, " l'imputabilité " du dommage à la vaccination, avant de prouver le défaut du produit et le lien de causalité entre ce défaut et le dommage, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, en violation de l'article 1147 du Code civil, interprété à la lumière de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ; 2°) que l'exclusion d'autres causes possibles fait présumer la participation du produit défectueux à la survenance du dommage ; que la cour d'appel, après avoir relevé que la cause de la maladie restait inconnue, a noté qu'il n'était pas relevé de facteurs de risque particulier présentés par Mme Bouvier, ni facteur familial ni d'antécédents neurologiques connus ; qu'en retenant, cependant, que de tels éléments ne permettaient pas de caractériser l'imputabilité de la sclérose en plaques à la vaccination, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, violant ainsi l'article 1147 du Code civil, interprété à la lumière de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, ensemble l'article 1353 du même Code ; 3°) que, si la responsabilité du fait d'un produit défectueux suppose la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage subi par la victime, cette preuve peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes, lesquelles sont caractérisées par le bref délai ayant séparé l'injection du vaccin antihépatite B et l'apparition des premiers symptômes d'une sclérose en plaques combiné avec l'absence, chez la victime, de tout antécédent tant personnel que familial à cette pathologie ; qu'en jugeant, toutefois, que la proximité temporelle entre l'apparition des premiers symptômes, survenue une à deux semaines après le premier rappel du vaccin, ainsi que l'absence de tout facteur personnel ou familial chez la jeune victime, ne suffisaient pas à établir entre la maladie présentée par Mme Bouvier et sa vaccination, une présomption de lien de causalité que le fournisseur aurait la charge de renverser, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil, interprété à la lumière de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ; 4°) que, si la responsabilité du fait d'un produit défectueux suppose la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage subi par la victime, cette preuve peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes ; que le doute scientifique, qui ne prouve ni n'exclut l'existence d'un lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage, est un élément neutre que le juge ne peut retenir en faveur ou au détriment de l'une ou l'autre des parties ; qu'en déduisant l'absence de présomptions graves, précises et concordantes de la seule absence de consensus scientifique sur l'étiologie de la sclérose en plaques et en faveur d'un lien de causalité entre cette maladie et la vaccination contre l'hépatite B, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil, interprété à la lumière de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ; 5°) que, pour nier que la proximité temporelle entre les premiers symptômes décrits par Mme Bouvier et la vaccination puisse constituer une présomption, la cour d'appel s'est fondée sur une étude publiée en 2008 dont son auteur avait conclu que lors de l'apparition des premiers symptômes de la maladie, le processus physiopathologique avait " probablement " commencé plusieurs mois, voire plusieurs années auparavant ; qu'en se fondant ainsi, sur des motifs hypothétiques, la cour d'appel a méconnu l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, qu'aux termes de l'article 1386-9, devenu 1245-8 du Code civil, transposant l'article 4 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ; que, dès lors, il lui incombe d'établir, outre que le dommage est imputable au produit incriminé, que celui-ci est défectueux ; que cette preuve peut être rapportée par des présomptions pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes ;
Attendu, d'autre part, que, par arrêt du 21 juin 2017 (W e. a., C-621/15), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4 de la directive doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à un régime probatoire reposant sur des présomptions selon lequel, lorsque la recherche médicale n'établit ni n'infirme l'existence d'un lien entre l'administration du vaccin et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime, l'existence d'un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et le dommage subi par la victime serait toujours considérée comme établie lorsque certains indices factuels prédéterminés de causalité sont réunis ; que, même si elle présente un caractère réfragable, une présomption reposant sur de tels indices méconnaîtrait la charge de la preuve prévue par cette disposition, dès lors que le producteur pourrait alors se trouver, avant même que les juges du fond n'aient pris connaissance des éléments d'appréciation dont dispose celui-ci ainsi que des arguments qu'il a présentés, dans l'obligation de renverser la présomption afin de s'opposer avec succès à la demande ;
Et attendu qu'ayant apprécié la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, sans se déterminer par des motifs hypothétiques ni déduire l'absence de présomptions graves, précises et concordantes du seul défaut de consensus scientifique sur l'étiologie de la sclérose en plaques et en faveur de l'existence d'un lien de causalité entre cette maladie et la vaccination contre l'hépatite B, la cour d'appel a estimé souverainement que l'absence de facteur de risque personnel et familial et d'éventuelles autres causes de la maladie chez Mme Bouvier, la rareté de la survenance de la sclérose en plaques chez l'enfant et le critère de la proximité temporelle entre l'apparition des premiers symptômes et la vaccination de l'intéressée ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes, de sorte que l'imputabilité de la survenance de la sclérose en plaques dont celle-ci était atteinte à la vaccination n'était pas établie ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette les pourvois.