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Décisions

ADLC, 18 décembre 2017, n° 17-D-24

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des moteurs de recherche en ligne et de l'intermédiation publicitaire en ligne

ADLC n° 17-D-24

18 décembre 2017

L'Autorité de la concurrence (vice-président statuant seul),

Vu la lettre enregistrée le 19 décembre 2013 sous le numéro 13/0097 F par laquelle la société 1PlusV a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Google ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les décisions de secret des affaires n° 16-DSA-57 du 25 février 2016, n° 16-DSADEC-02 du 25 février 2016, n° 16-DSA-221 du 18 août 2016, n° 16-DSA-224 du 18 août 2016, n° 16-DSA-241 du 18 août 2016 et n° 16-DSA-242 du 23 août 2016 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la décision n° 17-JU-06 du 28 septembre 2017, par laquelle la présidente de l'Autorité de la concurrence a désigné, M. Thierry Dahan, vice-président, pour adopter seul la décision qui résulte de l'examen de la saisine enregistrée sous le numéro 13/0097F ; Le rapporteur général adjoint, les représentants de la société 1PlusV entendus lors de la séance du 15 novembre 2017, le commissaire du Gouvernement régulièrement convoqué ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Par lettre, enregistrée le 19 décembre 2013, la société 1PlusV a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le groupe Google dans le secteur des moteurs de recherche en ligne et de l'intermédiation publicitaire en ligne.

A. LES ENTREPRISES ET LEURS SECTEURS D'ACTIVITÉ

1. LA SOCIÉTÉ GOOGLE

2. Google est une société américaine fondée en 1998 dont les activités sont réparties entre des services offerts gratuitement aux consommateurs, en premier lieu la recherche sur Internet, et des activités rémunérées sur des marchés entre entreprises, en particulier la publicité en ligne. Dès 2001, selon des statistiques XiTi, Google représentait 30% des connexions des moteurs de recherche contre 23% pour Yahoo et 18% pour Voilà. En 2002, cette part dépassait les 50% et atteignait 90% début 2007, position qui s'est maintenue depuis en France. Le chiffre d'affaires de Google dépassait 80milliards de dollars en 2016.

3. Google s'est en outre engagé dans la diversification de ses activités, notamment par le biais de nouveaux services tels que la recherche spécialisée (" recherche verticale "), la cartographie, les vidéos, les systèmes d'exploitation pour mobiles, les services mail, le stockage de données, ou encore les navigateurs internet. Depuis 2015, Google est devenu une filiale à 100% de la société Alphabet, Google rassemblant l'ensemble des activités " Internet " du groupe.

4. S'agissant de la publicité en ligne, Google propose plusieurs types de services. Le service visé par la saisine est AdSense for Search.

5. Google offre un service d'intermédiation de publicité en ligne, appelé AdSense for Search (ci-après " AFS ") qui permet d'afficher des publicités sur les sites internet d'éditeurs quand les utilisateurs effectuent une requête dans la barre de recherche du site concerné. Bien que la technologie de recherche utilisée soit généralement celle de Google, notamment à partir du produit Custom Search Engine (CSE), les éditeurs peuvent également, dans certains cas, avoir accès à AFS avec leur propre technologie de recherche (formule dite " Ads-Only ").

2. LA SOCIÉTÉ 1PLUSV

6. La société 1PlusV a été créée en mars 2004 avec notamment pour objet " l'étude et la recherche de solutions innovantes dans le domaine des technologies de l'information et de la communication et notamment la conception, le développement, l'édition et la commercialisation de logiciels et de produits informatiques ".

7. 1PlusV indique en particulier avoir développé une technologie propre, associant recherche sur des sites internet référents dans un domaine et l'expertise d'un spécialiste. Cette solution algorithmique, nommée Vsearch, combine l'algorithme PHPDIG (c'est-à-dire un moteur de recherche dit "open-source ", téléchargeable librement sur internet) et les règles de recherche " intelligentes " définies par un expert de la matière concernée. 1PlusV a ainsi édité plusieurs moteurs de recherche spécialisée, aussi désignés par l'expression " moteurs de recherche verticale ", en utilisant cette technologie.

8. En novembre 2006, 1PlusV a lancé le site internetEjustice.fr, qui se présente comme un moteur de recherche spécialisé dans le domaine du droit et entend offrir " la possibilité à l'internaute d'effectuer des recherches dans une base de sites internet sélectionnés pour leur pertinence du point de vue juridique, et classés par des juristes " (cote 6).

B. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

9. Dans sa saisine du 18 décembre 2013, 1PlusV reproche à Google de refuser la commercialisation du service AdSense for Search de manière autonome et de lier la vente de ce service à l'utilisation conjointe d'un outil de recherche de Google, tel que CSE. La société saisissante se plaint de n'avoir pu obtenir l'accès au seul service d'affichage de publicités " AFS " (ou " Ads-Only ") pour l'utiliser avec son propre outil de recherche Vsearch, ou à défaut avec CSBE, un autre outil offert par Google.

10. Selon 1PlusV, ces pratiques de couplage s'apparenteraient à une forme de vente liée et seraient, de surcroît, mises en œuvre par Google de façon discriminatoire.

II. Discussion

11. L'article L. 462-8 du Code de commerce prévoit que l'Autorité peut " rejeter la saisine par décision motivée lorsque les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants. ".

A. SUR LES MARCHÉS CONCERNÉS

12. La pratique décisionnelle, tant européenne que nationale, reconnaît l'existence d'un marché de la publicité en ligne, distinct des autres modes de publicité (cf. décision de la Commission européenne n° COMP/M.4731 - Google / Double Click du 11 mars 2008). Au sein de la publicité en ligne, les autorités de concurrence considèrent également que les publicités liées aux recherches et non liées aux recherches constituent deux marchés distincts.

13. Les autorités de concurrence considèrent traditionnellement que les marchés de la publicité en ligne sont de dimension nationale, pour des raisons principalement liées aux barrières culturelles et linguistiques.

14. En outre, la pratique décisionnelle a défini un marché spécifique de l'intermédiation en matière de publicité en ligne. L'existence d'un marché de l'intermédiation de la publicité en ligne liée aux recherches, distinct du marché de l'intermédiation de la publicité en ligne non liée aux recherches, a également été envisagée (cf. décision de la Commission européenne n°COMP/M.4731 précitée).

B. EN CE QUI CONCERNE LA VENTE LIÉE

1) Sur les principes applicables

15. La jurisprudence européenne considère qu'une vente liée peut constituer un abus de position dominante sous quatre conditions cumulatives : "premièrement, le produit liant et le produit lié sont deux produits distincts ; deuxièmement, l'entreprise concernée détient une position dominante sur le marché du produit liant ; troisièmement, ladite entreprise ne donne pas aux consommateurs le choix d'obtenir le produit liant sans le produit lié ; quatrièmement, la pratique en cause restreint la concurrence ". (TUE, 17 septembre 2007, Microsoft Corp. c/ Commission, affaireT-201/04, § 842, 843 et 859).

16. La Commission européenne, dans ses orientations sur les priorités retenues pour l'application de l'article 82 du traité CE [article 102 du TFUE] aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes (2009/C 45/02), a précisé que : " Il y a vente liée lorsque la vente d'un produit donné (le produit liant) est subordonnée à l'achat d'un autre produit (le produit lié) à l'entreprise dominante. Cette pratique peut avoir des raisons techniques ou résulter de dispositions contractuelles ".

2) L'application au cas d'espèce

17. En l'espèce, la possibilité d'obtenir le produit lié (CSE) sans le produit liant (AFS) est établie à partir du 19 mai 2010 date à laquelle Google a offert son produit " Ads-Only " à tout partenaire sans en conditionner la vente à l'utilisation conjointe de son outil de recherche CSE ainsi qu'en atteste une annonce officielle effectuée par Google.

18. La pratique dénoncée par la saisissante ne peut donc concerner que la période antérieure à mai 2010 et plus précisément la période 2006-2010 puisque la commercialisation de CSE date de 2006.

19. Mais sur cette période, il est établi et non contesté que Google a choisi de ne proposer son produit " Ads-Only " qu'à certaines entreprises offrant des garanties suffisantes sur la sécurité d'utilisation du produit. Ainsi, il était possible, sous réserve que les clients remplissent certaines conditions, d'associer le service d'annonces publicitaires de Google à un outil de recherche propriétaire, ce qui empêche toute qualification de vente liée.

20. La saisissante dénonce en réalité le fait que cette possibilité, qui ne faisait pas l'objet d'une offre commerciale publique, ne pouvait profiter qu'à certaines entreprises entrées en négociation avec Google, procédure dont elle-même aurait été exclue. La pratique alléguée est ainsi dénoncée par la saisissante comme constituant une discrimination, sans pour autant apporter d'éléments probants de nature à démontrer qu'elle aurait sollicité auprès de Google un accès au produit " Ads-Only " avant 2011.

21. Il résulte de ce qui précède que les éléments fournis par la société 1PlusV ne sont pas suffisamment probants pour qualifier les pratiques dénoncées de vente liée.

C. EN CE QUI CONCERNE LA DISCRIMINATION

22. Les pratiques de discrimination sont expressément prohibées par l'article L. 420-2 du code de commerce et le c) de l'article 102 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui vise notamment les pratiques consistant à " appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ".

1) Sur la discrimination subie sur l'accès au service AFS " Ads-Only "

23. La société 1PlusV soutient que serait discriminatoire la pratique consistant à refuser à certains acteurs l'accès au service AFS " Ads-Only " tout en l'accordant à des partenaires apportant des garanties suffisantes.

a) L'absence de demande de partenariat avec Google

24. Pour qu'un refus d'accès discriminatoire puisse être établi, il faut à tout le moins qu'une demande d'accès ait préalablement été formulée. Or, la saisissante n'apporte aucun élément permettant d'établir à quelle date elle serait entrée en discussion avec Google en vue de devenir un partenaire susceptible de bénéficier du service " Ads-Only". Elle n'apporte même aucun élément permettant seulement d'établir qu'elle aurait eu, à un quelconque moment, l'intention d'engager une telle démarche.

25. La seule pièce établissant un contact en vue d'une collaboration d'entreprise à entreprise est un courriel du 27 octobre 2007, adressé par M. X..., directeur général de 1PlusV, à un responsable commercial de Google ainsi rédigé : " Comme suite à notre entretien téléphonique, vous trouverez ci-dessous la présentation des deux sociétés que j'anime ainsi que la description des principaux projets que nous menons autour de Google CSE.../...merci encore pour le temps que vous m'avez consacré. Je suis à votre disposition pour aller plus loin dans nos échanges." (Cote 461, soulignement ajouté).

26. S'agissant, en premier lieu, de l'activité initiale de Voltimum dans la filière électrique qui avait permis le développement du moteur Vsearch propriété du plaignant, le même courriel indique : "Après avoir testé pendant un an sur la France l'intérêt d'un moteur de recherche vertical (Volti.fr, basé sur une technologie propriétaire) ..../....il a été décidé de déployer cette application au niveau mondial en utilisant l'application Google CSE gratuite associée à l'application Business Edition de Google " (cote 461, soulignements ajoutés). Cette déclaration ne peut pas être interprétée comme une demande de partenariat avec Google pour obtenir l'accès au service AFS " Ads-Only ".

27. S'agissant, en second lieu, des moteurs de recherche thématiques et plus particulièrement du projet Ejustice.fr, le même courriel pose plusieurs questions, dont la première est assez significative : " Nous aimerions savoir (1) si Google CSE est un produit pérenne sur lequel il était sans risque de construire une stratégie à trois ans "(cote 462).Le responsable commercial de Google a renvoyé une réponse positive le 12 novembre 2007.

28. On ne peut pas considérer que ce courriel, notamment la question posée sur la pérennité du produit CSE, puisse démontrer l'intention de 1PlusV de renoncer à utiliser le moteur de recherche CSE pour son site Ejustice.fr. Il ne peut pas non plus être lu comme une demande de négociation d'un partenariat qui lui permettrait d'utiliser son propre moteur Vsearch en association avec le service publicitaire AFS " Ads-Only ", en se passant de CSE.

29. Pour la période postérieure à ce courriel, la plaignante n'a fourni aucun document établissant qu'elle aurait adressé à Google une demande d'utilisation du service AFS " Ads-Only ", avant 2010, lorsque cette option était réservée à certains partenaires apportant des garanties suffisantes.

30. Dès lors que la plaignante n'apporte aucun élément probant d'une demande de partenariat sur le service AFS " Ads-Only ", elle n'apporte pas non plus d'élément probant d'une discrimination résultant du refus non motivé d'un tel partenariat par Google.

b) Lenon-respect des conditions d'accès aux services de Google par la saisissante

31. La saisissante fait également valoir que témoignerait d'une volonté d'éviction à son égard la désindexation de certaines pages par Google en décembre 2007 dont aurait été victime le site Ejustice.fr. Elle conteste en effet que cette mesure soit une réponse proportionnée de Google à son propre comportement.

32. Google soumet l'accès à son service AFS au respect des conditions générales d'utilisation qui exigent de ne pas recourir à la pratique de pré-popularisation " ou à celle de " bourrage de mot-clé " qui consiste "à inonder une page Web de mots clés ou de nombres dans le but de manipuler le classement d'un site dans les résultats de recherche Google " alors que de telles pages n'ont pas beaucoup de valeur pour les internautes ayant entré une requête sur un moteur de recherche.

33. La société 1PlusV a reconnu, dans sa plainte et dans ses déclarations lors de la séance, avoir délibérément recouru à la technique de " pré-popularisation " à seule fin d'assurer un volume de trafic suffisant sur son site de recherche verticale et améliorer ainsi la rémunération de la publicité en ligne qu'il affichait. Elle soutient que son comportement était légitime dès lors que le financement du site Ejustice.fr et son maintien sur le marché en dépendaient.

34. De même, les éléments du dossier font apparaître des pratiques de bourrage de mot-clé et d'inclusion de pages de recherche au sein des pages de recherche par la société 1PlusV. Le site Ejustice.fr comportait ainsi de très nombreux mots-clés tels que " hifi ", " alimentation ", " maison " ou " auto ", sans rapport avec son activité de recherche juridique.

35. Il apparaît également que la saisissante connaissait les risques encourus comme l'atteste le courriel, adressé le 30 novembre 2007 par M. X...à Google, qui indique "Nous sommes très inquiets sur l'interprétation à donner au conseil technique dans les conseils aux webmasters à savoir : utilisez le fichier robot.txt pour éviter l'exploration des pages de résultats de recherche ou d'autres pages générées automatiquement par le moteur de recherche et qui n'offrent pas d'intérêt particulier pour les internautes et sur les messages envoyés par Google sur les déréférencements massifs de site et en particulier ceux intégrant des annuaires ou des moteurs de recherche " (cote 458).

36. Sans contester ces faits, la société 1PlusV se prétend victime de discrimination de la part de Google au motif qu'elle a été sanctionnée pour avoir violé les conditions d'utilisation du service de recherche en ligne alors que d'autres éditeurs enfreignant de la même façon les conditions contractuelles de Google ne l'auraient pas été.

37. Elle s'est cependant limitée à verser au dossier des captures d'écran visant à montrer que deux acteurs utilisant les services de Google auraient eu recours à la " pré-popularisation ". On ne peut toutefois pas démontrer, à partir d'éléments aussi succincts, que ces éventuelles violations des conditions d'utilisation de Google auraient été commises préalablement à une demande d'accès à un service qui leur aurait été malgré tout accordé alors qu'il aurait été refusé de manière discriminatoire à la société 1PlusV, dont les pratiques fautives ont eu lieu dès 2007.

Aucun élément probant d'une discrimination n'est donc apporté.

III. Conclusion

38. Eu égard à l'ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de constater que la saisine n'est pas appuyée d'éléments suffisamment probants. Il convient donc de la rejeter en application du deuxième alinéa de l'article L. 462-8 du Code de commerce.

DÉCISION

Article unique : La saisine enregistrée sous le numéro 13/0097 Fest rejetée.

Délibéré à la suite de l'instruction deMme Carole Armoët, rapporteure et l'intervention orale de M. Nicolas Deffieux, rapporteur général adjoint, par M. Thierry Dahan, vice-président, président de séance.