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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 janvier 2018, n° 15-17379

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Kaïl

Défendeur :

Vinci Energies Vinci (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Hardouin, Denoit Benteux, Heleno, Duvernoy, Dhuin

T. com. Paris, du 10 juin 2015

10 juin 2015

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur Daniel Kaïl est inscrit au répertoire Sirene en tant que " conseil pour les affaires et autres conseils de gestion ".

Monsieur Kaïl a été en relation avec la société Vinci Energies à l'occasion du litige de cette dernière avec la société Elution, avec laquelle Vinci Energies avait conclu un contrat de coopération, sous la marque Opteor (marque représentée par Monsieur Hautot, directeur chez Vinci Energies auquel a succédé Monsieur Renaud en 2010).

Le 29 juin 2009, M. Kaïl a adressé à Monsieur Boissonn+et, de la société Opteor, une analyse du litige opposant les sociétés Opteor et Elutions, en mettant M. Hautot et Maître Véret en copie.

Par mail du 20 janvier 2010, Maître Véret a envoyé à Monsieur Kaïl des éléments du dossier Opteor/Elutions, à la suite d'un message qui lui avait été adressé par Monsieur Hautot et contenant les mentions suivantes : " Bonjour Madame, je vous remercie de faire le nécessaire pour recouvrer par tous moyens à votre disposition et sans aucun délai les créances en retard (voir mail 10/12/09 de F. Boissonnet) avec la société Elutions et conformément à l'accord (voir pièce jointe) signé le 2 juillet 2009 entre nos deux sociétés. Ce sujet a déjà été évoqué entre F. Boissonnet et D. Kaïl à cette époque ".

Par mail du 4 février 2010, M. Kaïl a adressé à M. Boissonnet, de la socité Opteor, une note sur la situation du litige Opteor/Elutions. L'objet des messages électroniques adressés par M. Kaïl les 17 janvier 2011 (pièce 31), 8 mars 2011 (pièce 13) et 1er décembre 2011 (pièce 32) à M. Renaud, était identique, Monsieur Boissonnet étant en copie et deux messages étant assortis d'une note jointe. Par message électronique du 3 janvier 2012, M. Kaïl a adressé à Monsieur Boissonnet une autre note en pièce jointe, sur le même sujet.

Le 19 septembre 2011, M. Kaïl a clarifié, à l'attention de M. Renaud, de Vinci Energies, la répartition des tâches entre lui-même, en sa qualité de " conseil technico-juridique assistant maîtrise d'ouvrage " et Maître Véret, avocat : " la stratégie du dossier et ses développements techniques et juridiques relèvent de Monsieur Daniel Kaïl ; Maître Véret pourra venir en appui sur des questions juridiques particulières ; Maître Véret est responsable de la procédure devant les juridictions judiciaires ; Monsieur Kaïl vient alors en appui et notamment en l'assistant dans les audiences de fond au titre d'assistant maîtrise d'ouvrage (connaissance stratégique et détaillée du dossier) ". Monsieur Kaïl facturait alors ses honoraires à Maître Véret, qui les ajoutait aux siens dans une facturation finale à la société Vinci Energies.

Le 21 octobre 2011, Monsieur Kaïl a proposé une modification de la convention d'intervention et d'accompagnement de projets, dans laquelle, en particulier, M. Kaïl facturerait directement ses prestations à la société Vinci Energie, avec de nouveaux taux horaires. La société Vinci Energies n'a pas répondu à cette proposition.

En janvier 2012, la société Vinci Energies a mis fin à sa relation avec Maître Veret puis a confié la suite de la gestion du litige Opteor/Elutions à Maître Dhuin et n'a plus répondu aux sollicitations de Monsieur Kaïl.

Par lettre du 27 juin 2012, Monsieur Kaïl a signalé à la société Vinci Energies qu'elle restait lui devoir, au titre de ses prestations, la somme de 95 926 € hors taxes.

Par courrier du 6 juillet 2012, la société Vinci Energie déniait l'existence de tout devis signé par elle, s'interrogeait sur la pertinence des dépenses engagées en pure perte dans le cadre de la procédure de référé, et indiquait envisager de ne pas donner suite à la lettre de Monsieur Kaïl.

Par lettre du 3 août 2012, M. Kaïl récapitulait l'historique de ses relations avec la société Vinci Energies, rappelait l'existence d'un devis accepté par Vinci le 19 juillet 2010 et réclamait à ce titre le paiement du montant total de sa créance de 95 926 €. La société Vinci a répondu le 31 août qu'elle ne modifiait pas sa position et que Monsieur Kaïl avait exercé des tâches relevant de l'exercice usuel de la profession d'avocat. Le 20 décembre 2012, l'avocat de Monsieur Kaïl a adressé à la société Vinci Energie une mise en demeure de payer sous 15 jours la somme de 114 727,85 euros TTC. Par acte du 13 juin 2013, Monsieur Kaïl a fait assigner la société Vinci Energies en vue d'obtenir sa condamnation au paiement d'une somme de 114 727,85 euros TTC, majorée des intérêts au taux légal à compter du 7 août 2012, au titre de la facture n° 12/08/119 du 1er août 2012 et d'une somme de 25 000 euros au titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales.

Par jugement du 10 juin 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté M. Kaïl de sa demande en paiement de la facture n° 12/08/119 de 114 727,85 euros TTC,

- débouté la société Energies de toutes ses demandes,

- condamné la société Vinci Energies à payer à M. Kaïl la somme de 25 000 euros au titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales, avec intérêts au taux légal à compter de la date de signification du jugement,

- condamné la société Vinci Energies à payer la somme de 3 000 euros à M. Kaïl au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant du surplus,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné la société Vinci Energies aux entiers dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

LA COUR

Vu l'appel interjeté par Monsieur Kaïl et ses dernières conclusions signifiées le 6 avril 2016, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu les articles 1134 et 1147 du Code civil,

vu l'article 442-6, I, 5° du Code de commerce,

vu le jugement rendu le 10 juin 2015 par le Tribunal de commerce de Paris,

vu l'ensemble des pièces versées au débat,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* débouté la société Vinci Energies de toutes ses demandes,

* condamné la société Vinci Energies à payer à M. Kaïl la somme de 25 000 € au titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales, avec intérêts au taux légal à compter de la date de signification du jugement rendu le 10 juin 2015,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. Kaïl de sa demande en paiement de la facture n° 12/08/119 d'un montant de 114 727,85 € TTC,

en conséquence,

- débouter la société Vinci Energies de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Vinci Energies à payer à Monsieur Kaïl la somme de 25 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales, avec intérêts au taux légal à compter de la date de signification du jugement rendu le 10 juin 2015,

- condamner la société Vinci Energies à payer à Monsieur Kaïl la somme de 95 926,30 € HT, soit 114 727, 85 € TTC correspondant à la facture n° 12/08/119 du 1er août 2012, somme majorée des intérêts au taux légal à compter du 7 août 2012,

- condamner la société Vinci Energies à payer à Monsieur Daniel Kaïl la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Véronique Hardouin, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 4 janvier 2016 par la société Vinci Energies, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

à titre principal,

vu l'article 6 du Code civil et les articles 4, 54, 66-2 et 72 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971,

- constater que les prestations, que M. Daniel Kaïl indique avoir accomplies, relèvent de l'exercice illégal de la profession d'avocat,

- dire que ces prestations ne pouvaient, ni ne peuvent donner lieu à une quelconque rémunération, pas plus qu'à une quelconque indemnisation en cas de cessation de ces dernières,

- constater l'absence de toute relation commerciale entre les parties, M. Daniel Kaïl étant intervenu en qualité de sous-traitant de Me Danièle Véret,

- constater que M. Daniel Kaïl ne démontre pas la matérialité des prestations qu'il prétend avoir accomplies,

- dire et juger que M. Daniel Kaïl ne peut en aucune circonstance prétendre au bénéfice des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, dès lors qu'il est intervenu en qualité de sous-traitant d'un avocat, et que la relation qui unit un client à son avocat ne présente pas la nature d'une relation commerciale,

en conséquence,

- confirmer le jugement entrepris, mais uniquement en ce qu'il a débouté M. Kaïl de sa demande en paiement de la somme de 114 727,85 € TTC,

- l'infirmer pour le surplus,

statuant à nouveau,

- condamner M. Daniel Kaïl à verser à Vinci Energies la somme de 207 155,25 € avec intérêts au taux légal à compter du 13 février 2014, date à laquelle la demande a été formée devant le Tribunal de commerce de Paris en première instance,

- condamner M. Daniel Kaïl à verser à Vinci Energies la somme de 10 000 € avec intérêts au taux légal, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner M. Daniel Kaïl aux dépens, dont distraction au bénéfice de Me Nicolas Dhuin, avocat, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE

Sur le devis signé le 19 juillet 2010 et la créance de M. Kaïl

Monsieur Kaïl soutient que dans le cadre de l'affaire Elutions, Monsieur Hautot lui a demandé d'établir un devis prévisionnel, sur la base d'une facturation en régie plafonnée, en lien avec un objectif de résultat. Il expose que ce devis a été accepté et signé le 19 juillet 2010 par Monsieur Hautot et qu'il a été transmis à Monsieur Renaud, à la demande de Monsieur Hautot, le 28 septembre 2010. Par ailleurs, il souligne que le devis signé le 19 juillet 2010 mentionne l'existence d'un objectif de résultat et indique une facturation partielle au 15 mai et au 16 juillet 2010. L'appelant rappelle qu'à l'été 2011, il a demandé à la société Vinci Energies de facturer ses prestations séparément.

Ainsi, l'appelant estime-t-il que lui-même et Maître Veret ont précisé par écrit à Vinci Energies leurs responsabilités respectives dans le dossier Elutions. De plus, M. Kaïl rappelle avoir proposé à la société Vinci Energies une " convention d'intervention et d'accompagnement de projets " dont le régime proposé a été appliqué à partir de la facture n° 11/10/115, éditée par Monsieur Kaïl le 6 octobre 2011, dans le cadre de son devis accepté le 19 juillet 2010 et annexé à la convention. M. Kaïl soutient alors qu'à compter de cette date, la facturation de ses prestations s'est établie directement auprès de la société Vinci Energies. Par conséquent, il estime être bien fondé à solliciter le règlement de sa facture d'un montant de 114 727,85 euros TTC auprès de la société Vinci Energies.

Monsieur Kaïl soutient par ailleurs être titulaire d'une créance certaine, liquide et exigible puisque le devis initial, signé par Monsieur Hautot, indique un budget total prévisionnel pour la procédure de première instance d'un montant de 206 120 euros. L'appelant soulève que :

- au 15 mai 2010, le total des prestations s'élevait à la somme de 60 140 euros HT, la somme de 24 000 euros HT ayant été facturée par l'intermédiaire de Maître Veret et réglée le 26 juin 2010, ses prestations restant à facturer au 15 mai 2010, s'élevant donc à la somme de 36 140 euros HT,

- au 16 juillet 2010, le total des prestations s'élevait à 80 180 euros, la somme de 46 000 euros HT ayant été facturée par l'intermédiaire de Maître Veret et réglée le 16 juillet 2010, ses prestations restant à facturer au 16 juillet 2010, s'élèvent en conséquence à la somme de 34 180 euros HT,

- la prévision des sommes restant à facturer à la date d'émission du devis s'élevait à la somme de 65 800 euros HT ; il rappelle à cet égard qu'à la suite de désaccords, Maître Veret a été remplacée par Maître Dhuin et que Monsieur Renaud lui avait assuré que ce changement n'entraînerait aucune modification dans l'organisation de son travail, ni dans son périmètre d'intervention tel que défini dans la lettre du 19 septembre 2011 ; la société Vinci Energies l'a écarté de cette affaire, dont la stratégie a été confiée à Maître Dhuin, sans que cette décision ne soit à aucun moment débattue.

En conséquence, M. Kaïl a émis sa facture n° 12/08/119 le 1er août 2012, à la suite de son éviction du dossier Opteor/Elutions par la société Vinci Energies, pour solder ses prestations réalisées mais non encore payées. Au 11 février 2011, la somme de 37 750 euros HT a été facturée par l'intermédiaire de Maître Veret et restaient à facturer les sommes de 22 729,30 euros HT et 2 857 euros HT. Dès lors, il soutient que les postes de ladite facture peuvent être rapprochés du devis signé le 19 juillet 2010. Enfin, il estime que c'est la rupture de l'accord qui a rendu la créance certaine, liquide et exigible, payable dans les 30 jours après réception de la facture, soit au plus tard le 7 septembre 2012, son montant étant ensuite majoré des intérêts de retard. Ainsi, M. Kaïl sollicite-t-il la condamnation de la société Vinci Energies à lui payer la somme de 114 727,85 euros TTC en règlement de la facture n° 12/08/119 du 1er août 2012.

La société Vinci Energies estime d'une part que la demande de Monsieur Kaïl se heurte à des dispositions d'ordre public, ce dernier s'étant livré à l'exercice illégal de la profession d'avocat et qu'il ne saurait alors prétendre à une rémunération des prestations réalisées à ce titre. D'autre part, la société Vinci Energies soutient que Monsieur Kaïl n'était pas contractuellement lié à elle, puisque le devis dont il prétend qu'il aurait été accepté et signé le 19 juillet 2010 ne présente en rien la nature d'un devis susceptible d'être opposé à la société intimée, le terme " devis " n'y figurant pas. La société intimée soutient de surcroît qu'il est impossible de savoir par qui et à l'attention de qui ce document aurait été établi. L'intimée estime également qu'il est opérationnellement et juridiquement impossible que la société Vinci Energies puisse avoir accepté un quelconque devis de Monsieur Kaïl le 19 juillet 2010. En effet, elle soutient que les factures versées aux débats, émises par Monsieur Kaïl, entre le 22 février 2008 et le 25 janvier 2011, ont toutes été adressées par Monsieur Kaïl au cabinet Granrut ou à Maître Veret. Ainsi, l'intimée soutient-elle que Monsieur Kaïl ne peut prétendre à l'existence d'un devis, alors même qu'il est intervenu en sous-traitance de Maître Veret jusqu'en septembre 2011, et qu'après l'émission du devis, il a continué à facturer ses prestations à Maître Veret. Enfin, la société intimée estime que la facture, d'un montant de 114 727,85 euros TTC, est en réalité constituée par l'agrégation de divers soldes n'ayant pas été facturés en temps voulu à Maître Veret, et qu'aux dates indiquées du 15 mai 2010, 16 juillet 2010 et 5 février 2011, Monsieur Kaïl intervenait en sous-traitance de Maître Veret.

Il résulte des pièces versées aux débats que, par mail du 6 juillet 2010, Monsieur Hautot, de la société Opteor, a directement demandé à Monsieur Kaïl de confirmer le montant de ses honoraires à venir pour l'année 2010 ainsi que l'estimation de ses honoraires pour l'année 2011, au titre de la marque Opteor (pièce 9 de M. Kaïl). M. Kaïl verse aux débats un devis intitulé " Affaire Opteor/Elutions ; Charges/Déroulement procédure ", comportant une mention manuscrite : " OK M. Hautot le 19/07/10" et une signature à la suite de cette mention (pièce 10 de M. Kaïl). Ce devis a été transmis à Monsieur Renaud, de la société Vinci Energie, le 28 septembre 2010 (pièce 11 de M. Kaïl).

Le tableau de suivi des prestations a été adressé le 25 octobre 2011 à Monsieur Renaud par M. Kaïl, ce tableau renvoyant au devis du 19 juillet 2010.

La société Vinci Energie ne conteste pas utilement la signature du devis du 19 juillet 2010, prétextant seulement que ce devis n'avait pas de sens, compte tenu du règlement des factures de M. Kaïl à Maître Véret, argument qui n'a aucune portée. Elle ne démontre pas davantage que le tableau de suivi qui a été adressé à Monsieur Renaud par M. Kaïl, le 25 octobre 2011, ne refléterait pas les prestations effectuées par celui-ci selon ce devis ou aurait été contesté. L'effectivité des prestations est d'ailleurs démontrée par M. Kaïl et les différentes pièces jointes par lui aux messages électroniques versés aux débats. La société intimée ne tente pas davantage de démontrer que les factures auraient déjà été réglées.

La société Vinci Energies ne peut exciper d'un prétendu exercice illégal de la profession d'avocat de M. Kaïl pour refuser de s'acquitter de ses dettes à son égard, ayant toujours travaillé en direct avec lui et connaissant parfaitement sa situation au regard de Maître Véret, d'ailleurs clarifiée par le courrier du 19 septembre 2011, aux termes duquel il rappelait qu'il était chargé de la communication et du déroulement de la procédure, de la stratégie du dossier et des questions techniques, Maître Veret intervenant pour la validation des projets d'écritures et les plaidoiries. Il n'est pas démontré que le rôle de Me Veret ait été circonscrit à celui d'une " boîte aux lettres ", cet avocat assumant la responsabilité des écritures et assurant la représentation à l'audience de la société Vinci Energies. La société intimée, qui ne démontre pas l'exercice illégal de la profession d'avocat par M. Kaïl, ne saurait se retrancher derrière ce moyen pour exciper d'une nullité absolue des prestations, en application de l'adage fraus omnia corrumpit.

Compte tenu du paiement partiel de la facture du 15 mai 2010 sur laquelle reste dûe la somme de 36 140 €, du solde non payé de la facture du 16 juillet 2010 à hauteur de 34 180 € hors taxes et enfin de celui du 5 février 2011 de 22 729,30 euros hors taxes, la société Vinci Energies sera donc condamnée à payer à M. Kaïl la somme totale de 95 926,30 euros HT, soit 114 727,85 euros TTC, en règlement de la facture n° 12/08/119 du 1er aout 2012, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 20 décembre 2012.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Monsieur Kaïl souligne que Vinci Energies a développé des relations commerciales régulières avec lui depuis le début de l'année 2008, et, ce, jusqu'en février 2012. Il estime qu'au regard de l'historique de ses relations commerciales, de la qualité et du volume du travail déjà effectué, de l'existence du devis accepté, et de l'attitude constructive de Monsieur Renaud à son égard, il était légitime à croire en la pérennité de sa relation commerciale avec Vinci Energies. Or, il soutient avoir été en réalité écarté de ce dossier, sans aucune explication ni préavis. L'appelant estime avoir subi un important préjudice financier, consécutif à cette rupture brutale, se traduisant par une diminution de son chiffre d'affaires pour 2012 et sollicite ainsi la confirmation du jugement entrepris en ce point.

La société Vinci Energies estime que dès lors que Monsieur Kaïl intervenait comme sous-traitant de Me Veret et que le remplacement de cette dernière par un nouvel avocat entraînait l'extinction de cette relation de sous-traitance, aucune relation contractuelle n'existait entre Monsieur Kaïl et elle.

De plus, comme développé supra, la société intimée rappelle que Monsieur Kaïl s'est livré à l'exercice illégal de la profession d'avocat et qu'il ne peut donc prétendre à une indemnisation liée à la rupture d'une relation, au demeurant non établie, et qui par essence, ne pouvait pas exister. Par ailleurs, elle estime que Monsieur Kaïl ne justifie nullement de l'existence d'une telle relation. En toute hypothèse, elle expose que Monsieur Kaïl ne saurait se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, dès lors qu'il est intervenu en qualité de sous-traitant d'un avocat et que la relation qui unit un client et son avocat ne présente pas la nature d'une relation commerciale.

Par conséquent, l'intimée sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Vinci Energies au paiement de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Selon l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel, ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

Les premiers juges ont à raison considéré que Monsieur Hautot a de nombreuses fois donné directement des instructions à Monsieur Kaïl, lui indiquant les souhaits de la société Vinci Energies lors de la préparation des dossiers juridiques sur le litige concernant la société Opteor. Les échanges de Monsieur Kaïl sur ce dossier ont eu lieu également avec Monsieur Renaud et Monsieur Lebrun, directeur central de Vinci Energies, et Monsieur Kaïl a fait régulièrement rapport de son travail à Vinci Energies. En conséquence, il en ressort que cette relation a été effective entre les parties et n'a pas caractérisé une relation de sous-traitance des prestations d'avocat, de sorte que la " commercialité " de cette relation ne peut être mise en doute. De plus, la circonstance que la facturation ait été émise par Maître Véret, dont le rôle se limitait à un cadrage juridique des travaux et à la représentation devant les juridictions, ne change rien au fait que la relation commerciale s'est nouée entre la société Vinci Energies et M. Kaïl.

Par ailleurs, il résulte des pièces 41 à 43 que ces relations remontent au moins à février 2008, M. Kaïl s'étant chargé d'autres projets de la société Vinci Energies, concernant, notamment, les sociétés Orange, TDF, Carrefour et Buffalo Grill. Lorsque les relations se sont interrompues du fait de Vinci, en mars 2012, M. Kaïl pouvait raisonnablement augurer de la poursuite de ces relations, la circonstance que Maître Véret ait été remplacée par un autre avocat n'ayant rien changé à ses relations avec Vinci Energies, ainsi qu'il lui avait été expressément assuré. La rupture sans préavis des relations commerciales établies a donc été brutale.

Il y a donc lieu d'approuver les premiers juges d'avoir, au regard de la durée des relations et de leur nature, fixé à 25 000 euros la somme à lui allouer en dédommagement.

Sur la demande reconventionnelle de la société Vinci Energies

Monsieur Kaïl relève que le Tribunal de commerce de Paris a précisé que ni le fonctionnement de cette organisation ni cette répartition des tâches, ni les compétences requises pour les mener à bien n'ont été contestés ou remis en cause par la société Vinci Energies, sauf au cours de la présente instance, à savoir plus de quatre ans après les faits. Monsieur Kaïl sollicite dès lors la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société intimée de sa demande reconventionnelle.

La société Vinci Energies estime s'être acquittée de la somme totale de 207 155,25 euros. Or, elle soutient que ces sommes n'auraient jamais dû être acquittées puisqu'elles ont rémunéré une prestation relevant de l'exercice illégal de la profession d'avocat. En conséquence, elle sollicite la condamnation de Monsieur Kaïl à lui rembourser la somme de 207 155,25 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 février 2014, date à laquelle la demande a été formée devant le Tribunal de commerce de Paris.

Mais comme il a été vu plus haut, la société Vinci Energies connaissait parfaitement le partage des tâches entre Maître Véret et M. Kaïl. Elle ne démontre pas l'exercice illégal de la profession d'avocat par M. Kaïl et sera donc déboutée de sa demande reconventionnelle. Le jugement sera également confirmé sur ce point.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Succombant au principal, la société Vinci Energies sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à M. Kaïl la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté M. Kaïl de sa demande en paiement de facture n° 12/08/119 de 114 727,85 euros TTC, L'infirme sur ce point, et, statuant à nouveau, Condamne la société Vinci Energies à payer à M. Kaïl la somme de 114 727,85 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2012, La condamne aux dépens d'appel, La condamne à payer à M. Kaïl la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.