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Décisions

Cass. com., 10 janvier 2018, n° 16-10.824

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Sanders Nord Est (SAS)

Défendeur :

Dumas, SCP Leblanc-Lehericy (ès qual.), Procureur général près la Cour d'appel d'Amiens

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Schmidt

Avocat général :

Mme Guinamant

Avocats :

SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret

Amiens, ch. éco., du 26 nov. 2015

26 novembre 2015

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Dumas, éleveur, a été mis en redressement judiciaire le 5 juin 2012 ; qu'il a, avec son mandataire judiciaire, recherché la responsabilité de la société Sanders Nord, aux droits de laquelle vient la société Sanders Nord Est (la société Sanders), son fournisseur d'aliments de bétail, pour s'être immiscée de manière fautive dans la gestion de l'entreprise et l'avoir soutenue de manière abusive ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Sanders fait grief à l'arrêt de retenir sa responsabilité alors, selon le moyen : 1°) que la responsabilité d'un fournisseur ne peut être engagée pour l'octroi d'un crédit ruineux que s'il est établi que ce créancier a soumis son partenaire commercial à des conditions de nature à compromettre irrémédiablement sa situation en le privant de toute chance de redressement ; qu'étant reproché à la société Sanders Nord de s'être accordée avec son partenaire commercial sur le remboursement échelonné de dettes échues, moyennant le versement de taux d'intérêts annuels de 5 à 7 % à valoir sur les sommes pour le remboursement desquelles un moratoire était accordé, le caractère ruineux du concours ainsi consenti ne pouvait résulter que de la stipulation d'une charge d'intérêts ruineuse ; que ni le montant des sommes devant être remboursées, ni l'importance des mensualités, ni la fréquence des remboursements ne pouvaient caractériser d'abus, le fournisseur ayant tout au contraire accordé une faveur à son débiteur en lui octroyant des facilités de paiement alors qu'il était en droit d'exiger le remboursement intégral et immédiat des dettes contractées par son partenaire ; qu'en se fondant, pour juger que la société Sanders Nord avait accordé à M. Dumas des concours ruineux et disproportionnés au regard de ses facultés, sur la mise en place d' " échéances courtes " sur trois ans, sur la charge excessive que le remboursement des mensualités représentait pour M. Dumas au regard de l'excédent brut d'exploitation dégagé par son exploitation ou encore sur le fait que l'endettement global de l'exploitant était passé de 140 000 euros en 2008 à 316 786,18 euros en 2011, cependant que pour apprécier le caractère éventuellement abusif, par son montant, des facilités de paiement ainsi consenties, elle ne pouvait tenir compte que de la seule charge d'intérêts supportée par M. Dumas, la cour d'appel a violé l'article L. 650-1 du Code de commerce ; 2°) qu'il n'y a soutien abusif que lorsqu'un créancier accorde un concours ruineux à son débiteur ou alimente l'activité de celui-ci alors qu'il savait ou qu'il devait savoir que sa situation était déjà irrémédiablement compromise ; que pour apprécier le caractère fautif et abusif du concours consenti, le juge doit se placer au moment où celui-ci a été consenti ; que pour estimer que la société Sanders Nord avait artificiellement soutenu l'activité de M. Dumas, la cour d'appel s'est contentée de relever que l'excédent brut d'exploitation de M. Dumas était insuffisant pour couvrir les mensualités mises à sa charge, que les charges d'exploitation de M. Dumas avaient augmenté, que l'endettement de M. Dumas était passé de 140 000 euros à 319 786,18 euros en 2011, et que les concours consentis par la société Sanders Nord avaient permis à M. Dumas d'échapper à la constatation de sa cessation des paiements ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions aux termes desquelles la société Sanders Nord rappelait que pour l'exercice clos en 2008, M. Dumas réalisait un résultat de 9 367 euros, ce qui, au moment où le concours avait été consenti, ne rendait pas impossible le remboursement d'une somme de 140 000 euros sur trois ans, que la charge de remboursement représentait en moyenne à peine 10 % du chiffre d'affaire réalisé par M. Dumas, que les importants chiffres d'affaires dégagés par M. Dumas (de l'ordre de 500 000 euros) laissaient ouverte la possibilité d'un redressement, que M. Dumas avait régulièrement réglé ses échéances, que pour l'exercice clos en 2010 M. Dumas avait diminué sa charge d'achat pour augmenter sa marge (et donc son excédent brut d'exploitation), que l'activité avait été maintenue pendant 4 ans, et qu'entre 2009 et 2011 l'endettement global de M. Dumas était resté pratiquement identique pour un chiffre d'affaire restant lui-même relativement stable, ce qui démontrait qu'au moment où les concours avaient été consentis, la situation de M. Dumas n'apparaissait pas irrémédiablement compromise et qu'à ces mêmes moments, il existait de nombreux indicateurs laissant augurer un redressement de l'exploitation de M. Dumas, la cour d'appel, qui constate en outre que l'excédent brut d'exploitation dégagé par M. Dumas était en augmentation depuis 2010, a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt constate que la société Sanders ne s'est pas contentée d'accorder des délais de paiement à son débiteur mais a transformé des encours en quatre prêts à intérêts consentis successivement le 4 mars 2008 pour la somme de 140 000 euros remboursable sur trois ans moyennant un intérêt de 6 %, le 27 février 2009 pour la somme de 156 419,31 euros au taux de 7 %, le 4 mars 2010 pour la somme de 279 336,21 euros au taux annuel de 5 % garanti par une hypothèque de premier rang sur des terrains et bâtiments d'élevage ainsi que par un warrant agricole sur le cheptel, et le 30 novembre 2011 pour 319 786,18 euros au taux de 5 % ; qu'ayant relevé que, pour chacun des crédits, la charge de remboursement annuel, en capital et intérêts, excédait les facultés de paiement du débiteur au regard de ses résultats d'exploitation, que le fournisseur connaissait pour avoir disposé des résultats comptables de l'entreprise, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre aux conclusions inopérantes invoquées par la seconde branche, en a exactement déduit que ces concours, ruineux, étaient fautifs ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article L. 650-1 du Code de commerce ; - Attendu que pour condamner la société Sanders au paiement de la somme de 350 296,35 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt, après avoir énoncé que la société Sanders est tenue de réparer l'intégralité de l'aggravation de l'insuffisance d'actif, retient que le préjudice subi par M. Dumas et ses créanciers s'élève au montant de la créance déclarée par la société Sanders au passif de la procédure collective ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le fournisseur qui a engagé sa responsabilité à l'égard de son client à raison des concours fautifs qu'il lui a accordés n'est tenu que de réparer l'aggravation de l'insuffisance d'actif qu'il a contribué à créer, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Sanders Nord Est à payer la somme de 350 296,35 euros à M. Lehericy, en qualité de mandataire judiciaire de M. Dumas, l'arrêt rendu le 26 novembre 2015, entre les parties, par la Cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Douai.