CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 janvier 2018, n° 16-03045
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
TFT (SARL), Transports Frigorifiques du Roannais (SARL)
Défendeur :
Romans Viande (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Schaller, du Besset
Avocats :
Mes Bernabe, Raynaud, Rousseau, Berger
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Romans Viandes effectue du commerce de gros de viandes à destination des boucheries.
Les sociétés TFT et Transports Frigorifiques du Roannais (ci-après TFR) exercent une activité de transporteur routier de proximité.
Afin d'acheminer sa marchandise vers ses clients, la société Romans Viandes a fait appel à la société TFT à compter du 1er mars 2012 et à la société TFR à compter du 31 octobre 2012.
Selon courrier du 22 juin 2012, la société Romans Viandes a indiqué à la société TFT que sa livraison au Super U de Taninges n'était pas conforme, les cartons étant " écrasés ", et l'a invitée à prendre toutes mesures utiles pour que cela ne se reproduise plus.
Puis, la société Romans Viandes a cessé d'avoir recours aux sociétés TFR et TFT à partir respectivement du 31 décembre 2013 et du 23 janvier 2014.
Leurs mises en demeure des 7 et 8 août 2014 étant demeurées infructueuses, par acte du 25 novembre 2014, les sociétés TFT et TFR ont fait assigner la société Romans Viandes aux fins de se voir indemniser de la rupture de leur relation qu'elles estimaient brutale, faute de préavis.
Par jugement du 20 janvier 2016, le Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a :
Vu le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003,
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- dit que le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 était inapplicable au cas d'espèce et donc inopposable à la société Romans Viande;
- dit qu'il y avait lieu de se référer aux dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
- dit que la rupture des relations commerciales, fût-elle brutale, n'avait causé aucun préjudice aux sociétés TFT et TFR ;
- débouté les société TFT et TFR de l'intégralité de leurs demandes ;
- dit qu'il n'y avait pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- liquidé les dépens pour être mis solidairement à la charge des sociétés TFT et TFR.
Vu l'appel interjeté le 29 janvier 2016 par les sociétés TFT et TFR ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 17 octobre 2017 par les sociétés TFT et TFR, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Romans-Sur-Isère, le 20 janvier 2016,
Vu l'article 12 du décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003,
Vu l'article L. 432-4 du Code des transports,
Vu l'article 1134 et 1147 du Code civil,
Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,
Vu les pièces,
A titre principal,
- réformer en tous ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Romans-Sur-Isère, le 20 janvier 2016 ;
Y ajoutant,
- dire et juger que le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 est pleinement applicable en l'espèce et que les demandes de la société TFT ainsi que de la société TFR à l'encontre de la société Romans
Viandes sont fondées en droit ;
- dire et juger que la société Romans Viandes n'a pas respecté les dispositions de l'article 12 du décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 ;
- dire et juger que la société Romans Viandes aurait dû respecter un délai de préavis de rupture de ses relations commerciales avec la société TFT et la société TFR de trois mois ;
A titre subsidiaire,
- réformer en tous ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Romans-Sur-Isère, le 20 janvier 2016 ;
Y ajoutant,
- dire et juger que la société Romans Viandes a rompu brutalement ses relations commerciales établies avec la société TFT et la société TFR ;
- dire et juger que la société Romans Viandes aurait dû respecter un délai de préavis de rupture de ses relations commerciales avec la société TFT et la société TFR de trois mois ;
En tout état de cause,
- débouter la société Romans Viandes de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société TFT et de la société TFR ;
- condamner la société Romans Viandes au paiement à la société TFT de la somme de 13 500 euros HT du fait du non-respect du délai de préavis de rupture du contrat de sous-traitance de transport de marchandises de trois mois ;
- condamner la société Romans Viandes au paiement à la société TFR de la somme de 3 783,25 euros HT du fait du non-respect du délai de préavis de rupture du contrat de sous-traitance de transport de marchandises de trois mois ;
- condamner la société Romans Viandes au paiement à la société TFR de la somme de 13 881,80 euros au titre du remboursement du crédit-bail du camion frigorifique de la marque Iveco, immatriculé CZ-683-RM, entre les mois de janvier 2014 à fin octobre 2014 ;
- condamner la société Romans Viandes au paiement à la société TFT de la somme de 16 496,80 euros HT, soit 19 730,13 euros TTC au titre du remboursement du crédit-bail du camion frigorifique de la marque Volvo, immatriculé CN-670-JY entre les mois de février 2014 et d'août 2014 ;
- condamner la société Romans Viandes à payer à la société TFT et à la société TFR la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la même aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Bernabe, avocat au barreau de Paris et aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
- dire et juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées et qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 10 décembre 1996, seront supportées par la société Romans Viandes.
Vu les dernières conclusions signifiées le 9 juin 2016 par la société Romans Viandes, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu les termes du décret n° 2003-1295 du 23 décembre 2003,
Vu les termes de l'article 9 du Code de procédure civile,
- confirmer purement et simplement en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 Janvier 2016 par le Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère ;
En conséquence,
- dire et juger que le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 est inapplicable en l'espèce ;
- dire et juger que les demandes de la société TFT et TFR sont infondées en droit,
- dire et juger que la cessation des relations commerciales entre les sociétés Romans Viandes et TFT et TFR est fondée et non abusive ;
- débouter les Sociétés TFT et TFR de l'intégralité de leurs demandes ;
- condamner solidairement les sociétés TFT et TFR à verser à la société Romans Viandes la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner les mêmes et de la même manière aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de Maître Montacie, avocat constitué sur son affirmation de droit ;
L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 octobre 2017.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Motifs :
Le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a estimé que le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 portant approbation du contrat-type en matière de transports routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, était inapplicable au litige qui, en effet, ne concerne pas un acte de sous-traitance de transport (qui met en présence par définition trois parties, un client, un transporteur ou un commissionnaire de transport, donneur d'ordre, et un transporteur, sous-traitant), mais oppose pour chaque relation deux parties, un grossiste en viandes et un transporteur routier, le premier chargeant de façon directe le second d'acheminer ses marchandises auprès de ses clients.
L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu' "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas".
La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
En l'espèce, il est soutenu à bon droit par TFT et TFR que la relation commerciale de chacune d'elles avec Romans Viandes était établie au sens des dispositions précitées, du fait du caractère régulier du courant d'affaires fournies pendant sa durée, peu important à cet égard que celle-ci fût relativement courte (1 an et 11 mois pour TFT, 14 mois pour TFR) et qu'il se soit agi d'une suite de commandes ponctuelles, sans contrat cadre et sans exclusivité, chaque partie ayant d'autres partenaires.
Par ailleurs, l'absence de préavis écrit pour notifier la fin des relations n'est pas contestée par Romans Viandes.
Or, cette dernière ne démontre pas que cette absence de préavis était justifiée par les manquements contractuels de TFT et TFR, ce dont il aurait fallu d'ailleurs à tout le moins qu'elle informe ces dernières, ou par un cas de force majeure (ce dernier n'étant pas même allégué). En effet, le courrier de reproches de Romans Viandes du 22 juin 2012 pour une livraison qui ne concerne d'ailleurs que TFT, ainsi que l'unique attestation de client (M. Forlani) qu'elle produit, au demeurant très peu détaillée et circonstanciée, sont insuffisants pour établir les fautes alléguées.
Par suite, faute de préavis, la rupture des deux relations par Romans Viandes s'avère avoir été brutale.
S'agissant du préjudice consécutif à cette brutalité, il est admis que celui-ci est évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance du préavis, comme le soutiennent avec raison les appelantes.
En l'espèce, compte tenu de la relativement courte durée des deux relations (14 mois pour TFR, 1 an et à peine 11 mois pour TFT), du caractère fluide et concurrentiel du secteur en cause, ainsi que de la faible proportion qu'occupait Romans Viandes dans le chiffre d'affaires global de TFT et TFR, il apparaît que le préavis dont celles-ci ont été indûment privées aurait dû être d'un mois pour chacune d'elles.
Dès lors, au vu des attestations des experts comptables et des pièces comptables produites, qui ne sont pas utilement critiquées, l'indemnité compensatrice du préavis manqué (dont la base de calcul est nécessairement le chiffre d'affaires hors taxes, auquel on multiplie le taux de marge brute, ici de 49%, qui n'est pas utilement critiqué) sera justement fixée aux sommes de :
- pour TFR, 23 162,72 euros TTC, soit 19 366,82 HT (du 1er avril au 31 décembre 2013) : 9 mois = 2 151,86 euros x 49 % = 1 054,41 euros,
- pour TFT, de 13 500 euros (pour trois mois) : 3 = 4 500 euros.
Enfin, les sociétés TFT et TDR ont été à bon droit déboutées de leurs demandes d'indemnisation au titre des crédits-bail souscrits pour acheter chacune un camion frigorifique, faute de démontrer le caractère non réutilisable de ces investissements qui, seul, permettrait d'imputer ne serait-ce que pour partie ceux-ci à Romans Viandes.
Romans Viandes qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel et sera tenue, par équité, de payer la somme de 1 500 euros à chacune des appelantes, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement entrepris, seulement en ce qu'il a dit que le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 était inapplicable et que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce était applicable, et débouté les sociétés TFT et TFR de leurs demandes de remboursement des crédits-bail ; l'infirmant pour le surplus, Statuant de nouveau, condamne la société Romans Viandes à payer : - à la société TFR la somme de 1 054,41 euros, à titre d'indemnité compensatrice de préavis, - à la société TFT la somme de 4 500 euros, à titre d'indemnité compensatrice de préavis, condamne la société Romans Viandes à payer, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme 1 500 euros à chacune des appelantes ; rejette toutes autres demandes ; condamne la société Romans Viandes aux dépens, dont distraction au profit de Me Bernabe, avocat, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.