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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 10 janvier 2018, n° 17-03288

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Deboffe (SAS)

Défendeur :

CNH Industrial France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lottin

Conseillers :

M. Samuel, Mme Feydeau Thieffry

Avocats :

Mes Vallois, Haigard, Mosquet, Rozier

TGI Evreux, du 14 juin 2017

14 juin 2017

Exposé du litige

Par ordonnance du 8 juin 2016, le juge des référés du Tribunal de grande instance d'Evreux a ordonné une expertise confiée à M. X afin de rechercher et décrire les désordres affectant un tracteur de marque New Holland acquis par l'EARL les Poudrières, le 4 février 2014, auprès de la société Deboffe et d'en déterminer l'origine. l'EARL les Poudrières s'était plainte de difficultés de démarrage, de ratés de moteur et d'un excès de fumée.

La société Deboffe a, par actes des 4 et 14 avril 2017, fait assigner la société Godefroy Equipement, intervenue sur le moteur du véhicule avant la vente, et la société CNH Industrial France, assignée en tant que fabricant du véhicule mais qui s'en déclare simple importateur, afin que leur soient déclarées communes les opérations d'expertise.

Par ordonnance du 14 juin 2017, le juge des référés du Tribunal de grande instance d'Evreux a :

- mis hors de cause la société CNH Industrial France,

- déclaré communes à la société Godefroy Equipement les opérations d'expertise confiées à M. X par l'ordonnance prise le 8 juin 2016 par le juge des référés du Tribunal de grande instance d'Evreux,

- dit que la société Deboffe devra transmettre à M. X une copie de la présente décision,

- dit que la société Deboffe devra consigner une provision complémentaire de 800 € à valoir sur la rémunération de l'expert au service de la régie du tribunal avant le 31 août 2017,

- dit que, faute de consignation dans ce délai impératif, l'extension de la mission de l'expert sera caduque et privée de tout effet,

- prolongé de quatre mois le délai accordé à l'expert pour le dépôt de son rapport,

- débouté la société CNH Industrial France de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile,

- laissé les dépens à la charge de la société Deboffe.

La société Deboffe a interjeté appel général par acte du 27 juin 2017 et, dans ses dernières conclusions du 10 novembre 2017 auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet des moyens, demande à la cour, sans aucune reconnaissance de responsabilité, ni acquiescement aux demandes principales, de :

- dire recevable et bien fondée la société Deboffe en sa demande d'extension des opérations d'expertise judiciaire à l'égard de la société CNH Industrial France,

- rejeter la demande de mise hors de cause formée par la société CNH Industrial France au prétendu motif de l'acquisition de la prescription,

- infirmer l'ordonnance du 14 juin 2017 en ce qu'elle a mis hors de cause la société CNH Industrial France,

Statuant à nouveau,

- rendre l'ordonnance du 8 juin 2016, désignant Monsieur Jacques M., commune et opposable aux sociétés CNH Industrial France et Godefroy Equipement,

- dire que les opérations d'expertise leur seront communes et opposables,

Sur le complément d'expertise que pourrait subsidiairement demander la société CNH Industrial France,

- donner acte à la société Deboffe de ce qu'elle ne s'y oppose pas mais formule les plus expresses protestations et réserves d'usage,

- dire que la société CNH Industrial France devra informer l'EARL les Poudrières, demanderesse principale à la mesure d'expertise judiciaire, de cette demande de complément de mission,

En toute hypothèse,

- condamner la société CNH Industrial France à verser une indemnité de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Arnaud Vallois, avocat sur son affirmation de droit.

La société CNH Industrial France, dans ses dernières conclusions du 13 novembre 2017 auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet des moyens, demande à la cour de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle l'a mise hors de cause et, y ajoutant, de :

- condamner la société Deboffe à payer à la société CNH Industrial France une indemnité de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens,

A titre subsidiaire,

- donner acte à la société CNH Industrial France de ses protestations et réserves relatives à la demande d'expertise judiciaire,

- compléter la mission de l'expert désigné, afin que celui-ci reçoive également pour mission de :

- faire l'historique des ventes successives du véhicule,

- se faire communiquer tout document utile, entendre tout sachant, afin de reconstituer l'historique complet du tracteur en cause depuis sa vente par la société CNH Industrial France,

- réserver les dépens.

SUR CE

Le juge des référés a rappelé que le I de l'article L. 110-4 du Code de commerce fixe à cinq ans le délai de prescription et que le délai de prescription de deux ans de l'action en garantie des vices cachés ne peut être invoqué qu'à l'intérieur de ce délai de 5 ans. Faisant application de ces règles aux circonstances de l'espèce, il a mis hors de cause la société CNH Industrial France en constatant que cette société n'avait été assignée que le 14 avril 2017, alors que le tracteur avait été mis en circulation le 17 juillet 2009 et que la prescription était par conséquent acquise depuis le 17 juillet 2014.

Pour contester l'ordonnance, la société Deboffe soutient :

- que l'article L. 110-4 du Code de commerce ne prévoit pas expressément que le point de départ du délai de prescription est la vente et qu'il pourrait être fixé au jour de la connaissance du fait dommageable, à l'instar des prévisions de l'article 2224 du Code civil auquel l'article L. 110-4 ne déroge pas ;

- que le point de départ d'une action en responsabilité délictuelle ou contractuelle, qui pourrait être ouverte en fonction du résultat des opérations d'expertise, court à compter de la survenance ou de la révélation du dommage ;

- que le créancier d'une obligation de garantie ne peut agir tant que le fait, auquel son droit et son action sont subordonnés, ne s'est pas réalisé ; qu'en l'absence de survenance de l'avarie affectant le tracteur, ni l'EARL les Poudrières ni la société Deboffe qui jouit d'une action personnelle et d'une action récursoire contre le constructeur, ne pouvaient connaître l'existence d'un désordre pouvant révéler le vice caché et la possibilité d'assigner le constructeur en garantie ; que le point de départ de l'action récursoire part nécessairement du jour de l'assignation du vendeur par l'acquéreur ;

- qu'il n'est pas exclu que le délai de prescription ait été interrompu, dès lors qu'il est possible que des interventions sous la garantie de la société CNH Industrial France ou auxquelles celle-ci aurait donné son accord aient eu lieu avant l'acquisition du véhicule par la société Deboffe.

La cour rappelle que l'article 2223 du Code civil dispose : " Les dispositions du présent titre [relatif à la prescription extinctive] ne font pas obstacle à l'application des règles spéciales prévues par d'autres lois ". Les dispositions du I de l'article L. 110-4 du Code de commerce applicables, comme en l'espèce, " aux obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants " constituent de telles dispositions spéciales, même si elles fixent désormais à cinq ans le délai de prescription.

Il n'est pas contesté que la première mise en circulation du tracteur a eu lieu le 17 juillet 2009.

Faute de plus de précision sur une date de vente ou de livraison par la société CNH Industrial France, c'est à cette date que doit être fixé le point de départ du délai de prescription de cinq ans prévu par le I de l'article L. 110-4 du Code de commerce.

Il n'est pas davantage contesté que l'assignation en référé pour rendre communes les opérations d'expertise, qui date du 14 avril 2017 et qui fait suite à la note de l'expert du 1er décembre 2016 faisant état de dysfonctionnements apparus dès les premières utilisations du tracteur, a été délivrée dans le délai de deux ans prévu par l'article 1648 du Code civil et était de nature à avoir un effet interruptif de prescription.

Il n'en demeure pas moins que cette assignation a été délivrée postérieurement à l'expiration du délai prévu par l'article le I de l'article L. 110-4 du Code de commerce, alors que le délai de l'action en garantie des vices cachés, fut ce dans le cadre d'une action récursoire, ne peut être utilement invoqué qu'à l'intérieur de cette prescription extinctive.

Dans ces conditions, c'est à juste titre que le juge des référés a constaté que la prescription était acquise pour cette action.

Par ailleurs, la seule invocation d'actions qui lui permettraient d'engager la responsabilité de la société CNH Industrial France, sans plus de précision, n'est pas de nature à caractériser le motif légitime qu'il incombe à la société Deboffe d'établir pour le succès de l'instance en référé qu'elle a entamée. La société CNH Industrial France fait à juste titre observer qu'il n'est pas allégué que l'éventuel défaut du tracteur aurait porté la moindre atteinte à la sécurité des personnes de nature à entraîner une action pour produit défectueux et que les obligations contractuelles comme l'obligation de délivrance conformes sont prescrites par application du I de l'article L. 110-4 précité.

Enfin, la société Deboffe ne saurait davantage se prévaloir de faits hypothétiques, à savoir de possibles interventions, dans le cadre de la garantie de la société CNH Industrial France, sur l'existence desquelles elle n'apporte aucun élément, étant précisé qu'il n'est pas contesté que la garantie contractuelle était expirée depuis le 17 juillet 2010.

Dans ces conditions, l'ordonnance doit être intégralement confirmée.

L'appelante sera déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et sera condamnée à payer à ce titre à la société CNH Industrial France la somme mentionnée au dispositif.

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme l'ordonnance entreprise, Y ajoutant, Déboute la société Deboffe de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Deboffe à payer à la société CNH Industrial France la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Deboffe aux dépens d'appel.