CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 janvier 2018, n° 15-02432
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Avedison (SARL)
Défendeur :
Absolute Lemon SL (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Regnier, Quievy, Brunet
Faits et procédure
Le 10 août 2007, la société de droit espagnol Absolute Lemon SL créatrice de la marque de prêt à porter " Amarillolimon ", a confié à la société Avedison spécialisée dans le commerce de gros d'habillement et de chaussures, la distribution exclusive en France de ses produits, pour une période de 3 ans, correspondant à 6 saisons, soit jusqu'au 10 août 2010. Ce contrat était renouvelable par périodes successives de 3 ans avec l'accord exprès et écrit des deux parties, établi avant la finalisation de la période initiale et ainsi successivement pendant les périodes futures (article 10).
Le contrat est arrivé à son terme le 10 août 2010 mais les relations commerciales entre les parties se sont poursuivies.
En 2011, la distribution des produits de la marque Amarillolimon a rencontré des difficultés auprès des clients du distributeur français. Les relations commerciales entre les parties se sont alors altérées, les parties ne s'étant pas entendues sur les conditions de vente des produits et la société Avedison ayant annulé certaines commandes les 13 février et 5 avril 2011. Par courrier du 11 janvier 2012, la société Absolute Lemon aurait rompu les relations commerciales, ce dont a pris acte la société Avedison par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 février 2012.
Par exploit du 24 octobre 2012, la société Avedison a assigné la société Absolute Lemon en indemnisation pour rupture abusive et brutale devant le Tribunal de commerce de Lyon lequel a, par jugement du 15 septembre 2014 :
- constaté que le contrat signé le 10 août 2007 entre les sociétés Avedison et Absolute est un contrat à durée déterminée non reconductible tacitement,
- constaté que le contrat a pris fin le 10 août 2007,
- constaté que les relations commerciales se sont poursuivies en l'absence de reconduction expresse du contrat,
- constaté que la société Avedison a cessé de passer des commandes auprès de la société Absolute Lemon suite à l'annulation de ses commandes le 13 févier 2012,
- constaté l'absence de brutalité de la rupture des relations commerciales,
- débouté la société Avedison de l'intégralité de ses demandes et prétentions,
- dit qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rejeté l'exécution provisoire de ce jugement,
- condamné la société Avedison aux dépens,
- rejeté tous moyens, fins et conclusions contraires.
Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions déposées et notifiées le 30 octobre 2017 par lesquelles la société Avedison appelante, demande à la cour, au visa des articles 954 et 961 du Code de procédure civile, 1134, 1147 et 1184 anciens du Code civil, ensemble l'article L. 442-6, I, 5° du Code commerce de :
- déclarer irrecevables les conclusions notifiées le 12 octobre 2017 par la société Absolute Lemon
- déclarer la société Avedison recevable et bien fondée en son appel du jugement rendu le 15 septembre 2014 par le Tribunal de commerce de Lyon et y faisant droit,
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 15 septembre 2014 sauf en ce qu'il a retenu l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties,
et statuant à nouveau,
- condamner la société Absolute Lemon au paiement de la somme de 419 735 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales,
- condamner la société Absolute Lemon au paiement des sommes de 175 970 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice économique et financier et de 150 000 euros en réparation du préjudice d'image,
- condamner la société Absolute Lemon en outre au paiement d'une indemnité de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en admettant pour ces derniers la SCP Regnier Bequet, Moisan, avocats, au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile ;
La société Avedison expose en substance que :
- le rapport de distribution s'est poursuivi au-delà du terme initial jusqu'au 11 janvier 2012,
- par différents courriels, la société Absolute Lemon a exprimé sa volonté claire et non équivoque de poursuivre les relations commerciales au-delà du terme du contrat,
- la notion de " relation commerciale établie " s'entend de tout type de relation contractuelle, formalisée par un écrit ou non, à durée déterminée ou indéterminée, continue ou discontinue,
- les difficultés rencontrées au cours d'une relation commerciale ne peuvent s'analyser en un préavis de fait, le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne privant pas celle-ci de son caractère brutal en l'absence de préavis raisonnable écrit,
- la rupture des relations commerciales était d'autant plus brutale qu'elle est intervenue en janvier 2012, alors que les commandes de l'été 2012 étaient déjà en cours et qu'elle-même s'était déjà engagée auprès de ses clients et agents,
- compte-tenu de la durée de la relation et de sa dépendance économique envers son fournisseur, elle aurait dû bénéficier d'un préavis d'au moins un an,
- l'intimée a multiplié les difficultés d'exécution dans le but de rompre le contrat, une fois les conditions réunies, pour récupérer la clientèle française en direct, après avoir ruiné la réputation de son distributeur,
- la rupture des relations contractuelles effectuée par la société Absolute Lemon est donc motivée par de faux prétextes,
- de plus, les produits fournis n'étant pas conformes, elle a dû faire face à des retards de livraison ainsi qu'à des annulations de la part de ses clients,
- l'intimée a, de surcroît, violé son obligation d'exclusivité,
- elle a subi un préjudice du fait de la brutalité de la rupture constitué par la perte de la marge brute ainsi qu'une pénalisation financière et un préjudice d'image.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 12 octobre 2017 par lesquelles la société Absolute Lemon intimée, demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil, 9 et 16 du Code de procédure civile et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :
à titre principal :
- constater que la société Avedison a cessé de passer des commandes auprès de la société Absolute Lemon à la suite de l'annulation de ses commandes du 13 février 2012,
- dire que les manquements invoqués par la société Avedison ne sont pas établis, en conséquence,
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lyon et débouter la société Avedison de l'intégralité de ses demandes et prétentions,
à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait considérer que la société Absolute Lemon avait commis une faute :
- constater que la société Avedison ne justifie pas de l'existence ni du quantum du préjudice qu'elle prétend avoir subi,
en tout état de cause,
- condamner la société Avedison à verser à la société Absolute Lemon la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Avedison aux entiers dépens, en admettant Me Jean-François ... au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile ;
La société Absolute Lemon fait valoir essentiellement que :
- le contrat conclu avec la société Avedison était un contrat à durée déterminée d'une durée de trois ans, ne pouvant être renouvelé qu'avec l'accord exprès des deux parties,
- le contrat ayant pris fin le 10 août 2010, les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce sont inapplicables,
- les relations se sont poursuivies à la suite de nombreuses renégociations de leur partenariat,
- elle-même n'a jamais souhaité mettre un terme à la relation commerciale puisqu'elle n'a jamais refusé de lui fournir les produits commandés, à l'inverse de l'appelante qui n'a pas répondu aux propositions qu'elle lui a faites, et a même annulé ses commandes à plusieurs reprises de sorte qu'elle est à l'origine de la rupture,
- elle a toujours accepté la reprise et le remboursement des marchandises défectueuses,
- elle a respecté ses obligations contractuelles, et le calendrier de livraison convenu,
- le contrat ayant pris fin, elle ne pouvait pas violer une prétendue obligation d'exclusivité,
- les préjudices allégués ne sont pas démontrés.
SUR CE
L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement une relation commerciale établie, sans préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale.
Il n'est pas discuté que le contrat de distribution du 10 août 2007 a été conclu pour une période déterminée de 3 ans, que son renouvellement était conditionné à un accord exprès et écrit des parties avant son échéance (article 10), qu'il est arrivé à son terme le 10 août 2010 sans qu'aucun accord pour son renouvellement ne soit formalisé et que les relations commerciales entre les parties se sont poursuivies de manière informelle jusqu'au 11 janvier 2012.
Il en résulte que les parties ont choisi d'inscrire leur relation commerciale dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, sans possibilité de tacite reconduction et que faute d'accord écrit sur les conditions de sa poursuite, préalablement à son terme, le contrat du 10 août 2007 est venu à expiration le 10 août 2010, ce terme étant connu depuis l'origine par la société Avedison. A compter du 11 août 2010, il s'en est donc suivi une période de relations nécessairement précaires, résiliables à tout moment, au cours de laquelle les parties étaient libres de convenir d'un nouveau contrat de distribution ou de nouer des relations avec d'autre partenaires. L'envoi de propositions de nouvelles conditions générales de distribution par la société Avedison par courriel du 25 mai, retournées avec des propositions de modifications par la société Absolute Lemon par courriel du 23 juin 2011 précisant " nous en reparlerons de manière à trouver le meilleur accord possible pour les deux parties ", s'inscrit dans le cadre de négociations en vue de la signature d'un nouvel accord et ne démontrent aucunement ni que la société Absolute Lemon ait accepté les propositions de la société Avedison et ni qu'elle se soit engagée à poursuivre des relations contractuelles pérennes. Il ne ressort d'aucun élément que cette dernière ait pu raisonnablement croire à leur nécessaire poursuite et ce, d'autant que le 28 décembre 2011, la société Absolute Lemon lui a rappelé la nécessité de rediscuter des conditions de vente pour l'avenir.
Le caractère provisoire des relations commerciales à l'issue du terme du contrat à durée déterminée sans possibilité de tacite reconduction, les fait nécessairement échapper à l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Par suite, la société Avedison est mal fondée en toutes ses demandes de dommages-intérêts pour rupture brutale et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.
La société Avedison qui succombe également en appel, en supportera les dépens et devra verser à la société Absolute Lemon la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; et y ajoutant, Condamne la société Avedison aux dépens de l'appel ; Autorise Maître Jean-François Quievy, avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne la société Avedison à verser à la société Absolute Lemon SL la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.