Cass. com., 10 janvier 2018, n° 16-20.615
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Uber France (SAS) , Uber BV (Sté)
Défendeur :
Voxtur (Lecab) (SAS) , Greentomatocars (SAS) , Transdev Shuttle France (Sasu) , Chambre syndicale des artisans du taxi , Syndicat pour l'amélioration des conditions de travail du taxi et des services rendus aux usagers , Procureur général près la Cour d'appel de Paris , Association Française des Taxis , Association Union Nationale des Taxis
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Fontaine
Avocat général :
Mme Guinamant
Avocats :
SCP Delvolvé, Trichet, SCP Thouin-Palat, Boucard
LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième et septième branches : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 juillet 2016), rendu en matière de référé, et les productions, que les sociétés Uber France et Uber BV (les sociétés Uber) ont mis en œuvre une plate-forme logicielle permettant la mise en relation, par une application mobile, de conducteurs de véhicules avec des personnes désireuses d'être transportées ; que se plaignant d'une méconnaissance par ces sociétés des dispositions de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 applicable au transport de personnes à titre onéreux, et ainsi d'un trouble manifestement illicite générant des actes de concurrence déloyale, les sociétés Voxtur, Greentomatocars et Transdev Shuttle France, sociétés exerçant une activité de voitures de transport avec chauffeur (VTC), les ont assignées en référé aux fins notamment de voir prononcer diverses injonctions et interdictions destinées à faire cesser les pratiques prétendument illégales ; que la Chambre syndicale des artisans du taxi, l'association française des taxis, la société Chabé limousines et le syndicat pour l'amélioration des conditions de travail du taxi et des services rendus aux usagers sont intervenus volontairement à l'instance aux côtés des demanderesses ; que l'Union nationale des taxis est aussi intervenue volontairement, en faisant grief aux sociétés Uber d'utiliser un dispositif de géo-localisation leur permettant de circuler, stationner et s'arrêter sur la voie publique en quête de clients, en méconnaissance des dispositions du Code des transports les obligeant à " retourner à la base " une fois leur mission achevée, en l'absence de réservation préalable ;
Attendu que les sociétés Uber font grief à l'arrêt de leur enjoindre, sous astreinte, de retirer de leur support de communication toute mention qui présenterait comme licite le fait de s'arrêter, stationner ou circuler sur la voie ouverte à la circulation publique en attente de client sans être titulaire d'une autorisation réservée aux taxis, en contravention avec l'article L. 3120-2 II du Code des transports, ainsi que le fait, la course terminée, et sauf réservation préalable, de ne pas retourner au lieu d'établissement ou dans un lieu, hors la chaussée, où le stationnement est autorisé, en contravention avec les dispositions de l'article L. 3122-9 du Code des transports alors, selon le moyen : 1°) que doit être précisément et concrètement identifié, dans le dispositif de la décision, le fait constitutif d'un trouble manifestement illicite dont le juge des référés ordonne la cessation sous astreinte ; qu'en ordonnant sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard le retrait du support de communication des sociétés Uber de " toute mention qui présenterait comme licite le fait de s'arrêter, stationner ou circuler sur la voie ouverte à la circulation publique en attente de client sans être titulaire d'une autorisation réservée aux taxis, en contravention avec l'article L. 3120-2, II du Code des transports, ainsi que le fait, la course terminée, et sauf réservation préalable, de ne pas retourner au lieu d'établissement ou dans un lieu, hors la chaussée, où le stationnement est autorisé, en contravention avec les dispositions de l'article L. 3122-9 du Code des transports ", sans identifier précisément les mentions qui, constitutives d'un trouble manifestement illicite, devaient être retirées, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs en violation de l'article 873, alinéa 1er du Code de procédure civile ; 2°) que le principe de sécurité juridique impose que le débiteur ait une connaissance précise de la teneur de l'injonction sous astreinte qui lui est faite ; qu'en ordonnant sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard le retrait du support de communication des sociétés Uber de " toute mention qui présenterait comme licite le fait de s'arrêter, stationner ou circuler sur la voie ouverte à la circulation publique en attente de client sans être titulaire d'une autorisation réservée aux taxis, en contravention avec l'article L. 3120-2, II du Code des transports, ainsi que le fait, la course terminée, et sauf réservation préalable, de ne pas retourner au lieu d'établissement ou dans un lieu, hors la chaussée, où le stationnement est autorisé, en contravention avec les dispositions de l'article L. 3122-9 du Code des transports ", la cour d'appel qui, en se bornant à reproduire les textes qu'elle visait sans autrement identifier le trouble qui devait cesser, n'a ainsi prononcé, à l'adresse des sociétés Uber, qu'une injonction générale de faire respecter de la loi, a méconnu l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile, ensemble le principe de sécurité juridique ; 3°) que le juge des référés ne peut faire cesser que le trouble manifestement illicite qu'il identifie ; qu'après avoir reproduit des transcriptions précises, effectuées un huissier, de vidéos de présentation destinées aux chauffeurs utilisant les applications Uber et avoir considéré que ces recommandations présentaient un caractère manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser, la cour d'appel, qui a néanmoins étendu la cessation du trouble à " toute mention qui présenterait comme licite le fait de s'arrêter, stationner ou circuler sur la voie ouverte à la circulation publique en attente de client sans être titulaire d'une autorisation réservée aux taxis, ainsi que le fait, la course terminée, et sauf réservation préalable, de ne pas retourner au lieu d'établissement ou dans un lieu, hors la chaussée, où le stationnement est autorisé ", n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile ; 4°) que l'illicéité du trouble doit être manifeste pour que le juge des référés ordonne sa cessation ; que l'article L. 3122-9 du Code des transports fait obligation au conducteur d'une voiture de transport avec chauffeur de retourner au lieu d'établissement de l'exploitant de cette voiture ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé dès l'achèvement de la prestation commandée au moyen d'une réservation préalable, sauf s'il justifie d'une réservation préalable ou d'un contrat avec le client final ; qu'en retenant que les recommandations préconisées par les sociétés Uber " n'invitaient pas " les chauffeurs utilisateurs de leurs applications à retourner au lieu d'établissement ou dans un lieu, hors la chaussée, où le stationnement est autorisé, quand la disposition susvisée ne fait aucunement obligation à des exploitants d'applications permettant la mise en relation des clients et des conducteurs d'attirer l'attention de ces derniers sur les obligations légales qui leur incombent, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile ; 5°) que l'article L. 3122-9 du Code des transports fait seulement obligation au conducteur d'une voiture de transport avec chauffeur de retourner au lieu d'établissement de l'exploitant de la voiture ou de stationner hors la chaussée en un lieu où le stationnement est autorisé, sans lui imposer son domicile comme lieu de connexion à la plate-forme de mise en relation ; qu'en jugeant que constituait un trouble manifestement illicite la recommandation faite aux conducteurs de ne pas se connecter chez eux, lorsque les sociétés Uber faisaient précisément valoir à cet égard que la préconisation répondait à une préoccupation de célérité dans la réponse apportée à la demande de réservation et d'efficacité du fonctionnement de la plate-forme, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du texte susvisé, ensemble, l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile ; 6°) que l'article L. 3120-2, II, 1o et 2o du Code des transports fait interdiction aux conducteurs de prendre en charge un client sur la voie ouverte à la circulation publique, sauf réservation préalable, et de s'arrêter, stationner ou circuler sur cette même voie en quête de client ; que l'article L. 3122-9 du même Code lui fait obligation de retourner au lieu d'établissement de l'exploitant de la voiture ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, sauf s'il justifie d'une réservation préalable ; qu'aucune de ces dispositions ne fait interdiction au conducteur d'une voiture de transport avec chauffeur de stationner en un lieu autorisé hors de la chaussée situé dans une zone où la demande est la plus forte afin de pouvoir satisfaire dans les meilleurs délais à la demande de réservation ou en fonction du lieu de situation d'autres conducteurs ; qu'en jugeant néanmoins que constituait un trouble manifestement illicite le simple fait de " repérer la zone où la demande est la plus forte pour se rendre rapidement sur le lieu de prise en charge du client ", la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble, l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt énonce que le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou non, constitue une violation évidente de la règle de droit et que les dispositions des articles L. 3120-2, II, et L. 3122-9 du Code des transports ont pour finalité d'interdire à tous transporteurs autres que les taxis, la maraude sur la voie publique et le démarchage de clients sans réservation préalable ; qu'il constate que les préconisations faites par les sociétés Uber aux chauffeurs utilisateurs de leurs applications ne les invitent pas à retourner au lieu d'établissement de l'exploitant ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, mais leur recommande au contraire de ne pas se connecter chez eux, ce qui leur permet, avec l'application " client ", de repérer la zone où la demande est la plus forte pour se rendre rapidement sur le lieu de prise en charge du client ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, dont elle a déduit que les sociétés Uber, par les informations qu'elle délivrait à destination des chauffeurs de VTC, favorisaient le non-respect des dispositions des articles L. 3120-2, II, et L. 3122-9 du Code des transports, la cour d'appel a pu retenir que leur communication était constitutive d'un trouble manifestement illicite, auquel il convenait de mettre fin, par des mesures qu'elle a souverainement appréciées et précisément déterminées, sans méconnaître le principe de sécurité juridique ni excéder ses pouvoirs ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en sa sixième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.