CA Limoges, ch. civ., 11 janvier 2018, n° 17-00708
LIMOGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
TÜV Rheinland LGA Products GmbH (Sté), HDI Global SE (Sté)
Défendeur :
Prosolair (SARL), Soleil et Habitat (SASU), Becen (SARL), MAAF Assurances (SA), AIG Europe Limited France AIG Europe Limited (Sté), AIG Europe Limited France, Compagnie AIG Europe Limited , Alrack B.V., (Sté), Allianz Benelux N.V. (Sté), Kostal Industrie Elektrik GmbH, (Sté), HDI Globalse (ès-qual.), Espace Confort Maison (SARL), ACS Energie Solaire (SARL), Actevert (SARL), AMG (SARL), Arkensol (SARL), Elec'solair (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrier
Exposé :
Douze entreprises assurées auprès de la société anonyme MAAF Assurances (la MAAF) ont installé chez divers clients, dont un certain nombre domiciliés dans le ressort du Tribunal de grande instance de Limoges, des panneaux photovoltaïques " Multisol Solaré produits et commercialisés par la société néerlandaise Scheuten Solar Holding BV (Scheuten Solar), actuellement en faillite et ayant pour liquidateur judiciaire Me Wim E., assurée auprès de la société néerlandaise AIG Europe Limited venant aux droits de la société néerlandaise AIG Europe NV (AIG), qui comportaient, sous chaque module, des boîtiers de jonction présentant une dangerosité potentielle en raison de risques de départ de feu.
Ces boîtiers de connexion ont été fabriqués, pour ceux de marque " Kostal " par la société allemande Kostal Industrie Elektrik GmbH (Kostal), assurée auprès de la société allemande HDI Gerling Versicherung AG, et pour ceux de marque " Solexus " par la société néerlandaise Alrack BV (Alrack), actuellement en faillite et ayant pour liquidateur Me R. VAN O., assurée auprès de la société belge Allianz Benelux NV venant aux droits de la société néerlandaise Allianz Nederland Corporate NV (ALLIANZ). Ces boîtiers ont bénéficié de certificats de conformité délivrés, après essais sur des échantillons, par la société TÜV Rheinland LGA Products GmbH anciennement dénommée TÜV Rheinland Safety GmbH (TÜV), assurée auprès de la société allemande HDI Global SE venant aux droits de la société allemande HDI Global SE (HDI).
Les 12 entreprises installatrices, ainsi que la MAAF subrogée dans leurs droits pour avoir assuré la prise en charge du coût du changement de 2387 panneaux photovoltaïques et de 54 cartes de boîtiers défectueux sur 192 chantiers, dont 26 situés en Haute-Vienne, ont, les 3, 4 juin, 6 novembre 2015 et 13 octobre 2016, assigné devant le Tribunal de grande instance de Limoges, sur le fondement des articles 1641, 1382, 1383 et 1386-1 (anciens) du Code civil, les diverses parties concernées par ce litige, et notamment la société certificatrice TÜV et son assureur HGI, en responsabilité des dommages matériels et immatériels et indemnisation des préjudices subis.
Ces sociétés, dont le siège social se situe en Allemagne, ont, aux termes de conclusions d'incident déposées le 18 février 2016, soulevé l'incompétence internationale et territoriale de la juridiction saisie.
Par une ordonnance du 2 mai 2017, le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Limoges a rejeté l'exception d'incompétence des juridictions françaises au profit des juridictions allemandes et du Tribunal de grande instance de Limoges au profit de 36 autres tribunaux de grande instance, et, sur le fond, a ordonné un sursis à statuer dans l'attente du dépôt du rapport définitif de l'expert judiciaire MAZABRAUD désigné par le Tribunal de grande instance de Périgueux après réalisation des essais relatifs aux boîtiers de marque " Kostal ".
Vu l'appel interjeté le 7 juin 2017, contre cette décision, par les sociétés TÜV et HDI ;
Vu les dernières conclusions d'appel (n° 2) de la société TÜV, reçues au greffe le 6 novembre 2017, tendant, par la réformation de l'ordonnance attaquée, à voir déclarer le Tribunal de grande instance de Limoges internationalement incompétent sur l'action dirigée à leur encontre, et à titre subsidiaire, territorialement incompétent au profit de 36 autres tribunaux de grande instance en ce qui concerne les 167 installations réalisées hors de son ressort ;
Vu les dernières conclusions d'appel (n° 3) des 12 entreprises installatrices et de la MAAF, reçues au greffe le 10 novembre 2017, tendant à la confirmation en toutes ses dispositions de l'ordonnance entreprise ;
Vu les conclusions d'appel de Kostal et d'HDI ès qualités d'assureur de Kostal, reçues au greffe le 1er septembre 2017, déclarant s'en rapporter sur l'incompétence soulevée par TÜV et HDI ; et tendant, à titre subsidiaire, à l'incompétence du Tribunal de grande instance de Limoges pour examiner les demandes formées à leur encontre ;
Vu les conclusions d'appel d'AIG, reçues au greffe le 7 novembre 2017, tendant, pour une bonne administration de la justice, à la confirmation de l'ordonnance déférée ;
Vu l'absence de constitution d'avocat des autres intimés, régulièrement assignés en cause d'appel ;
Motifs :
Attendu que, s'agissant d'une action qu'ils entendent exercer sur le fondement de l'article 1386-1, devenu 1245 du Code civil (responsabilité du producteur), ainsi que des articles 1641 (garantie des vices cachés) et 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241 du Code civil (responsabilité extracontractuelle), les 12 entreprises qui ont dû préventivement changer les panneaux photovoltaïques et des cartes de boîtiers défectueux, ainsi que la MAAF qui est subrogée dans leurs droits après avoir assuré la prise en charge financière de ces opérations, sont, en leur qualité de victimes directes des défectuosités alléguées, en droit de choisir l'option de compétence spéciale internationale permise par l'article 7.2 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit Règlement Bruxelles Ibis (le Règlement), dérogatoire à celle du for du domicile du défendeur prévue par l'article 4, alinéa 1er, du Règlement, en attrayant l'ensemble des parties défenderesses devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ;
Qu'en effet, dès lors qu'au sens de cette disposition, telle qu'interprétée par la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE), " le lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire " s'entend à la fois de celui où le dommage est survenu et de celui de l'événement causal, et qu'en outre, en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, la CJUE a dit pour droit (arrêt du 16 juillet 2009, Zuid-Chemie BV, C-189-08) que ces termes désignent le lieu où le dommage initial est survenu du fait de l'utilisation normale du produit aux fins auxquelles il est destiné, et qu'enfin, l'article 12 du Règlement permet également d'attraire l'assureur de responsabilité devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit, il y a lieu, en l'espèce, ainsi que l'a exactement décidé le premier juge, de considérer comme fait dommageable pertinent, à la fois initial, direct et immédiat, le risque d'échauffement et de départ de feu sur l'installation, supposée normale, sur le territoire français, de chacun des panneaux produits et commercialisés par Scheuten Solar, par suite des défectuosités alléguées sur les boîtiers de jonction de marque " Kostal " et " Solexus " fabriqués par Kostal ou Alrack et certifiés par TÜV ;
Que, dès lors, ce lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation, caractérisée par les données factuelles du litige et les prétentions et moyens des demandeurs à l'action, et la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit, justifie l'attribution de la compétence internationale spéciale énoncée à l'article 7.2 du Règlement à une juridiction française pour des raisons de bonne administration de la justice et d'organisation utile du procès, en évitant la multiplication des fors compétents ; qu'en outre, le juge du lieu où le fait dommageable s'est produit est normalement le plus apte à statuer, notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d'administration des preuves, et se trouve ainsi objectivement le mieux placé pour apprécier, au vu de celles-ci, si sont réunis les éléments constitutifs des responsabilités recherchées in solidum contre l'ensemble des parties défenderesses, parmi lesquelles la société TÜV en raison du lien de causalité susceptible d'être retenu entre son omission - par une prétendue négligence ou imprudence - de déceler le vice des boîtiers dont elle avait certifié la conformité, et le fait dommageable sus-identifié qui en est résulté ;
Attendu que c'est donc à juste titre que le premier juge a rejeté l'exception d'incompétence internationale soulevée par les sociétés TÜV et HDI ;
Attendu, par ailleurs, que dès lors que, dans l'ordre interne, l'article 46 du Code de procédure civile attribue la compétence territoriale, en matière délictuelle, à la juridiction du lieu du fait dommageable ou à celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi, et qu'en l'espèce, le fait dommageable sus-identifié, de même qu'un nombre conséquent de dommages ont, sur 26 des 193 chantiers d'installation de panneaux photovoltaïques réalisés, été révélés de manière identique en plusieurs lieux situés dans le ressort du Tribunal de grande instance de Limoges (cf. pièces de la MAAF et autres demandeurs n° 7 à 16 ; pièces de TÜV et HDI n° 4 et 5), cette juridiction, qui se trouve donc territorialement compétente, a pu, en conformité avec une bonne administration de la justice, être valablement saisie, notamment par l'assureur commun à toutes les entreprises installatrices, de l'ensemble de ces litiges sériels caractérisés par une unicité de la configuration procédurale et des moyens de preuve et de fond ;
Attendu que c'est donc à bon escient que le premier juge a rejeté l'exception d'incompétence territoriale interne soulevée par les sociétés TÜV et HDI ;
Attendu que le sursis à statuer prononcé dans l'attente du dépôt du rapport définitif de l'expert judiciaire Mazabraud, qui a été convenablement motivé par le premier juge et ne fait pas l'objet de contestations particulières, mérite enfin, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'être approuvé ;
Attendu que l'ordonnance déférée sera, en conséquence, confirmée en toutes ses dispositions ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant par décision rendue par défaut, par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ; confirme l'ordonnance du 2 mai 2017 du juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Limoges ; condamne les sociétés TÜV Rheinland LGA Products GmbH et HDI Global SE aux dépens d'appel, et accorde à Mes Philippe C. et Mathieu P., avocats, le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette la demande de ce chef des sociétés TÜV rheinland LGA Products GmbH et HDI Global SE, et les condamne à verser la somme globale de 1 000 euros aux sociétés Kostal Industrie Elektrik GmbH et HDI Gerling Versicherung AG ès qualités d'assureur de Kostal, la somme de 1 000 euros à la société AIG Europe Limited, ainsi que la somme globale de 1 500 euros à la société anonyme MAAF Assurances et aux autres demandeurs en sus de celle de 1 500 euros déjà allouée en première instance.