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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 janvier 2018, n° 15-17647

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Hervouet, Novel'R (SARL); Blanc (ès qual.)

Défendeur :

Saint Algue France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Teytaud, Perrier, Bellet, Flauraud, Mautret, Hermetet

T. com. Paris, du 5 mai 2015

5 mai 2015

FAITS ET PROCÉDURE

Souhaitant créer sa propre entreprise, Mme Maeva Hervouet, âgée de 23 ans et exerçant la profession de coiffeuse, s'est rapprochée de la société Saint-Algue qui, appartenant au groupe de coiffure Provalliance regroupant dix enseignes (Franck Provost, Jean Louis David, Saint Algue, Maniatis Paris, Fabio Salsa ...), exploite notamment un réseau de franchise de salons de coiffure sous la marque " Coiff & Co ". Le 28 octobre 2011, la société Saint-Algue a remis à Mme Hervouet un document d'information précontractuel ainsi qu'une étude d'implantation sur la ville de Poitiers et le 6 décembre 2011, les parties ont conclu un contrat de franchise pour un salon de marque " Coiff & Co " à exploiter dans un local neuf situé en zone commerciale, avenue du 8 mai 1945 à Poitiers.

La galerie commerciale ne souhaitant pas l'implantation d'une enseigne " Coiff & Co ", la société Saint-Algue a proposé à Mme Hervouet d'acquérir un fonds de commerce situé 11 rue Paul Guillon, en centre-ville de Poitiers, auprès d'un membre du réseau de franchise, la société Dyme 2, qui l'exploitait sous enseigne " Franck Provost ". En juin 2012, Mme Hervouet a créé la société Novel'R qui s'est substituée à elle dans ses engagements de franchise et a ouvert un salon sous l'enseigne " Coiff & Co ", en rachetant le fonds de commerce du salon à l'enseigne " Franck Provost ".

L'exploitation a rencontré des difficultés et 8 mois plus tard, le 19 février 2013, le Tribunal de commerce de Poitiers a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société Novel'R et nommé Maître Blanc en qualité de mandataire judiciaire. Un plan de continuation a été approuvé par jugement du 25 février 2014. Ce plan n'ayant pas été respecté, le Tribunal de commerce de Poitiers, par jugement du 8 juillet 2014, a prononcé la résolution du plan et la liquidation judiciaire de la société Novel'R.

Entre temps, la société Novel'R n'avait pas été en mesure de régler ses redevances de franchise pendant la période d'observation et, après mise en demeure et négociations infructueuses entre les parties, la société Saint-Algue a prononcé la résiliation du contrat de franchise, à effet immédiat, par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 novembre 2013, réitérée le 27 janvier 2014. Par exploit du 11 mars 2014, Maître Frédéric Blanc, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Novel'R et Mme Hervouet ont assigné la société Saint-Algue devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 5 mai 2015 le Tribunal de commerce de Paris a :

- constaté que le document d'information précontractuelle remis à Mme Hervouet le 28 octobre 2011 ne contient pas toutes les informations requises par le décret n° 91-337 du 4 avril 1991, concernant le marché local de la coiffure à Poitiers et les frais spécifiques à l'affiliation au réseau de franchisés " Coiff & Co ",

- dit que les erreurs alléguées du prévisionnel d'exploitation fourni à Mme Hervouet n'engagent pas la responsabilité de la société Saint-Algue,

- débouté Mme Hervouet et la société Frédéric Blanc représentée par Maître Frédéric Blanc pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Novel'R, de leur prétention à voir prononcer la nullité du contrat de franchise signé entre la société Novel'R et la société Saint-Algue le 6 décembre 2011,

- condamné la société Saint-Algue à verser à la société Frédéric Blanc représentée par Maître Frédéric Blanc pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Novel'R, la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts, déboutant pour le surplus de la demande,

- débouté Mme Hervouet de sa prétention à se voir verser par la société Saint-Algue la somme de 130 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- débouté la société Frédéric Blanc représentée par Maître Frédéric Blanc pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Novel'R et Mme Hervouet de leur prétention à se voir payer par la société Saint-Algue une indemnité de 10 000 euros à la première et 20 000 euros à la seconde à titre de dommages et intérêts pour la rupture anticipée du contrat brutale et abusive,

- débouté la société Saint-Algue de ses demandes plus amples ou contraires,

- débouté l'une et l'autre des parties de leurs demandes respectives fondées sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision à intervenir, sans constitution de garanties,

- condamné la société Saint-Algue aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 105,84 euros dont 17,42 euros de TVA.

LA COUR

Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions déposées et notifiées le 3 novembre 2017 par lesquelles la société Novel'R représentée par son liquidateur, Maître Frédéric Blanc, et Mme Hervouet demandent à la cour, au visa des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, 1108, 1109, 1110, 1116 et 1117, 1134, 1135, 1147, 1184 du Code civil (dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016) outre l'article 1240 (anc. art. 1382) du Code civil, de :

- dire les demandes de la société Novel'R représentée par Maître Frédéric Blanc recevables et bien fondées,

- dire les demandes de Mme Maeva Hervouet recevables et bien fondées,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a constaté que le document d'information précontractuelle remis à Mme Hervouet le 28 octobre 2011 ne contient pas toutes les informations légales requises concernant le marché local de la coiffure à Poitiers et les frais spécifiques à l'affiliation au réseau de franchisés " Coiff & Co ", et en ce qu'il a condamné la société Saint-Algue à verser des dommages-intérêts à ce titre à Maître Blanc, ès qualités,

statuant à nouveau,

à titre principal, sur la nullité du contrat de franchise et les conséquences des manquements précontractuels de la société Saint-Algue :

- dire que le consentement de Mme Maeva Hervouet a été vicié, pour dol, aux motifs que :

* la société Saint-Algue n'a pas fourni une présentation sincère et complète du réseau et de l'état local du marché du local situé en centre-ville,

* la société Saint-Algue ne s'est pas assurée de la faisabilité économique du projet,

* la société Saint-Algue n'a pas communiqué une information sincère sur la rentabilité de son concept,

subsidiairement,

- dire que Mme Maeva Hervouet a été victime d'une erreur sur la rentabilité de son entreprise,

- prononcer la nullité du contrat de franchise,

- dire que la société Saint-Algue a engagé sa responsabilité délictuelle,

- condamner la société Saint-Algue à payer à Maître Frédéric Blanc, ès qualités de liquidateur de la société Novel'R, la somme de 12 000 euros, correspondant au remboursement du droit d'entrée et des redevances de franchise versées,

- condamner la société Saint-Algue à payer à Maître Frédéric Blanc, ès qualités de liquidateur de la société Novel'R la somme de 113 042 euros correspondant au passif, à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société Saint-Algue à payer à Mme Maeva Hervouet la somme de 45 000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de chance de faire une meilleure utilisation de ses fonds,

- condamner la société Saint-Algue à payer à Mme Maeva Hervouet la somme complémentaire de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au manque à gagner en termes de rémunération sur la période contractuelle, évalués en termes de perte de chance,

- condamner la société Saint-Algue à payer à Mme Maeva Hervouet la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et des tracas subis à raison de la création d'un point de vente non rentable et de l'exploitation déficitaire consécutive,

à titre subsidiaire, sur la résiliation du contrat de franchise,

- dire que la société Saint-Algue a commis une grave erreur dans le choix de l'emplacement du salon qui relève de son savoir-faire,

- dire que la société Saint-Algue a manqué à son obligation de bonne foi et de loyauté contractuelle,

- dire que la société Saint-Algue a violé son obligation d'assistance,

- dire que la société Saint-Algue a violé les dispositions de l'article 5.1 du contrat de franchise,

- dire que Mme Maeva Hervouet et la société Novel'R n'ont commis aucun manquement à leur obligations contractuelles, en conséquence,

- prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts et griefs exclusifs de la société, Saint-Algue,

- condamner la société Saint-Algue à payer à Maître Frédéric Blanc, ès- qualités de liquidateur de la société Novel'R, la somme de 113 042 euros correspondant au passif, à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société Saint-Algue à payer à Mme Maeva Hervouet la somme de 45 000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de chance de faire une meilleure utilisation de ses fonds,

- condamner la société Saint-Algue à payer à Mme Maeva Hervouet la somme complémentaire de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au manque à gagner en termes de rémunération sur la période contractuelle, évalués en termes de perte de chance,

- condamner la société Saint-Algue à payer à Mme Maeva Hervouet la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et des tracas subis à raison de la création d'un point de vente non rentable et de l'exploitation déficitaire consécutive,

en tout état de cause :

- débouter la société Saint-Algue de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions,

- condamner la société Saint-Algue à payer à Maître Frédéric Blanc, ès- qualités, la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile correspondant à sa part contributive aux frais irrépétibles,

- condamner la société Saint-Algue à payer à Mme Maeva Hervouet la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile correspondant à sa part contributive aux frais irrépétibles,

- condamner la société Saint-Algue aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître Teytaud, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 20 janvier 2016 par lesquelles la société Saint-Algue demande à la cour, au visa des articles 1116, 1110 et 1147 du Code civil, 122 du Code de procédure civile et L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, de :

à titre principal :

- confirmer le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Paris le 5 mai 2015, sauf en qu'il :

* a constaté que l'étude d'implantation remise à Mme Hervouet, ne comporte aucun élément précis qui puisse caractériser le marché local étant entendu comme zone de chalandise du fonds de commerce acheté et exploité par la société Novel'R,

* jugé que le document d'information précontractuelle ne contient pas les éléments chiffrés concernant " la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l'enseigne ou à la marque " qui auraient permis à Mme Hervouet d'anticiper les dépenses certaines auxquelles elle s'engageait en signant le contrat de franchise,

* condamné la société Saint-Algue au versement de la somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à certains informations précontractuelles obligatoires en application de l'article L. 330 du Code de commerce,

* dire que la société Saint-Algue n'a commis aucune faute dolosive dans le cadre de la remise du document d'information précontractuel conformément à l'article L. 330 du Code de commerce ayant vicié le consentement de Mme Hervouet pour dol,

* dire que le prévisionnel fourni par la société Saint-Algue à la société Novel'R et Mme Hervouet a été construit en prenant en compte des facteurs de commercialité des locaux et les résultats des précédents exploitants,

* dire que Mme Hervouet et la société Novel'R ont manqué de diligence et fait preuve de légèreté blâmable tant dans la préparation de leur projet économique que dans l'exploitation effective du salon, ce qui a seul entraîné la rapide déconfiture de la société Novel'R,

* dire que Maître Frédéric Blanc ès qualités de liquidateur de la société Novel'R et Mme Hervouet n'apportent pas la preuve d'une erreur substantielle ayant vicié leur consentement au moment de la signature du contrat de franchise en date du 6 décembre 2011,

* dire que la société Saint-Algue n'a commis aucune faute dans l'exécution du contrat de franchise et notamment n'a pas violé son obligation d'assistance,

* dire que la société Saint-Algue n'a pas résilié le contrat de franchise de manière fautive,

* débouter Maître Frédéric Blanc ès qualités de liquidateur de la société Novel'R et Mme Hervouet de leur demande en annulation du contrat et de l'ensemble de leurs demandes indemnitaires à l'égard de la société Saint-Algue,

- déclarer Mme Hervouet irrecevable quant à ses demandes indemnitaires, Mme Hervouet n'ayant pas d'intérêt à agir distinct de la société Novel'R,

à titre subsidiaire,

- ajuster et réduire les demandes de dommages-intérêts de Maître Frédéric Blanc ès qualités de liquidateur de la société Novel'R, d'un montant de 12 000 euros au titre du droit d'entrée et des redevances mensuelles versées en tenant compte de l'avantage retiré par la société Novel'R des prestations rendues par la société Saint-Algue,

- débouter Maître Frédéric Blanc ès qualités de liquidateur de la société Novel'R de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 113 042 euros correspondant à l'entier passif de la société Novel'R, le préjudice subi n'étant pas certain,

- déclarer l'irrecevabilité des demandes formulées par Mme Hervouet en sa qualité d'associé et de caution de la société Novel'R,

- débouter Mme Hervouet en sa qualité d'associé et de caution de sa demande de dommages-intérêts pour défaut d'intérêt à agir et absence de preuve du préjudice personnel subi,

- déclarer l'irrecevabilité des demandes formulées par Mme Hervouet en sa qualité de gérante de la société Novel'R au titre de sa rémunération escomptée, Mme Hervouet n'apportant pas la preuve du préjudice distinct et personnel qu'elle aurait subi,

- débouter Mme Hervouet en sa qualité de gérante de la société Novel'R des demandes de dommages-intérêts au titre de sa rémunération escomptée, Mme Hervouet ne pouvant demander l'annulation du contrat qui anéantit rétroactivement ledit contrat et réclamer concomitamment le paiement des sommes escomptées au titre de l'exécution du même contrat,

- débouter Mme Hervouet de sa demande en dommages-intérêts au titre de son préjudice moral, Mme Hervouet n'apportant aucunement la preuve de la réalité de ce préjudice,

à titre encore plus subsidiaire,

- débouter Maître Frédéric Blanc ès qualités de liquidateur de la société Novel'R de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 113 042 euros correspondant à l'entier passif de la société Novel'R, le préjudice subi n'étant pas certain,

- déclarer l'irrecevabilité des demandes formulées par Mme Hervouet en sa qualité d'associé et de caution de la société Novel'R,

- débouter Mme Hervouet en sa qualité d'associé et de caution de sa demande de dommages-intérêts pour défaut d'intérêt à agir et absence de preuve du préjudice personnel subi,

- déclarer l'irrecevabilité des demandes formulées par Mme Hervouet en sa qualité de gérante de la société Novel'R au titre de sa rémunération escomptée, Mme Hervouet n'apportant pas la preuve du préjudice distinct et personnel qu'elle aurait subi,

- débouter Mme Hervouet en sa qualité de gérante de la société Novel'R des demandes de dommages-intérêts au titre de sa rémunération escomptée, Mme Hervouet ne pouvant demander l'annulation du contrat qui anéantit rétroactivement ledit contrat et réclamer concomitamment le paiement des sommes escomptées au titre de l'exécution du même contrat,

- débouter Mme Hervouet de sa demande en dommages-intérêts au titre de son préjudice moral, Mme Hervouet n'apportant aucunement la preuve de la réalité,

en tout état de cause,

- condamner solidairement la société Novel'R et Mme Hervouet à verser à la société Saint-Algue la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner solidairement la société Novel'R et Mme Hervouet solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Pascale Flauraud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE

Dans un souci d'une bonne administration de la justice, il y a lieu de joindre le dossier n° RG 15/18368 avec le dossier n° RG 15/17647.

Sur la nullité du contrat de franchise

Mme Hervouet soutient, en substance, que son consentement a été vicié à titre principal pour dol et subsidiairement pour erreur sur la rentabilité de l'activité, en ce que la société Saint-Algue n'aurait pas fourni, en violation flagrante des dispositions de l'article R. 330-1 al. 4 du Code de commerce, une présentation sincère et complète tant du réseau, en s'abstenant d'indiquer la liste des franchisés " Coiff & Co " qui ont quitté le réseau dans les 12 mois précédents la remise du document d'information précontractuelle (DIP), que de l'état du marché local situé en centre-ville, en ne procédant à aucun travail d'analyse qui soit de nature à conclure à la faisabilité du projet au 11 rue Guillon, petite rue du centre-ville, incomparable avec le premier emplacement souhaité et situé rue du 8 mai 1945 dans un local du centre commercial Leclerc. Elle ajoute que la société Saint-Algue ne lui a pas communiqué une information sincère sur la rentabilité de son concept, en fournissant un compte d'exploitation prévisionnel trop optimiste et, de surcroît, élaboré pour le premier local situé en zone commerciale. Elle considère que ces manquements précontractuels ne lui ont pas permis d'apprécier la pertinence économique de l'opération projetée et ont vicié son consentement. Enfin, elle relève que la société Saint-Algue a ré-ouvert, en 2015, un salon " Coiff & Co " avenue du 8 mai 1945 à Poitiers et non en centre-ville comme elle l'y avait invitée.

La société Saint-Algue réplique que l'enseigne " Coiff & Co " ne présente pas de " turn over anormal " et que l'absence de certains renseignements dans la description du réseau n'avait pas pour but de cacher des éléments essentiels sur la rentabilité du réseau afin de tromper Mme Hervouet et de l'induire en erreur. Concernant l'état du marché local, elle rappelle que le franchiseur n'est pas contraint de fournir une telle étude et qu'il appartient au candidat à l'adhésion à un réseau de procéder lui-même à une analyse d'implantation précise. Elle ajoute que l'obligation de donner une présentation sincère du marché local est une obligation de moyens puisque ce type de présentation comporte une part d'aléa. S'agissant du compte d'exploitation prévisionnel, elle soutient qu'elle n'avait aucune obligation d'établir un tel compte et que sa fourniture n'exonérait pas Mme Hervouet d'effectuer sa propre analyse préalable. Elle affirme que le prévisionnel a été fourni de bonne foi et qu'il a été construit en se basant sur des facteurs de commercialité locaux et en utilisant des méthodes comptables prudentes et raisonnables. Elle considère enfin que la gestion et le management peu rigoureux de Mme Hervouet sont à l'origine des déboires financiers de la société Novel'R.

En application des dispositions des articles 1108 et 1109 du Code civil dans leur rédaction applicable, le consentement de la partie qui s'oblige est une condition essentielle de la validité d'une convention et il n'y a point de consentement valable si ce consentement n'a été donné que par erreur ou surpris par dol. L'article 1110 ancien du même code dispose que l'erreur n'est une cause de nullité que si elle porte sur la substance même de la chose qui en est l'objet et l'article 1116 ancien précise que le dol est une cause de nullité lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté, qu'il ne se présume pas et qu'il doit être prouvé.

Par ailleurs, l'article L. 330-3 du Code commerce dispose que " toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ". Ce document d'information précontractuelle, " dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités ". Selon l'article R. 330-1 du Code commerce, le DIP doit contenir :

" (...) 4° La date de la création de l'entreprise avec un rappel des principales étapes de son évolution, y compris celle du réseau d'exploitants, s'il y a lieu, ainsi que toutes indications permettant d'apprécier l'expérience professionnelle acquise par l'exploitant ou par les dirigeants. Les informations mentionnées à l'alinéa précédent peuvent ne porter que sur les cinq dernières années qui précèdent celle de la remise du document. Elles doivent être complétées par une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché. Doivent être annexés à cette partie du document les comptes annuels des deux derniers exercices ou, pour les sociétés dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé, les rapports établis au titre des deux derniers exercices en application du III de l'article L. 451-1-2 du Code monétaire et financier ;

5° Une présentation du réseau d'exploitants qui comporte :

a) La liste des entreprises qui en font partie avec l'indication pour chacune d'elles du mode d'exploitation convenu ;

b) L'adresse des entreprises établies en France avec lesquelles la personne qui propose le contrat est liée par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée ; la date de conclusion ou de renouvellement de ces contrats est précisée ; Lorsque le réseau compte plus de cinquante exploitants, les informations mentionnées à l'alinéa précédent ne sont exigées que pour les cinquante entreprises les plus proches du lieu de l'exploitation envisagée ;

c) Le nombre d'entreprises qui, étant liées au réseau par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant celle de la délivrance du document. Le document précise si le contrat est venu à expiration ou s'il a été résilié ou annulé ;

d) S'il y a lieu, la présence, dans la zone d'activité de l'implantation prévue par le contrat proposé, de tout établissement dans lequel sont offerts, avec l'accord exprès de la personne qui propose le contrat, les produits ou services faisant l'objet de celui-ci ;

6° L'indication de la durée du contrat proposé, des conditions de renouvellement, de résiliation et de cession, ainsi que le champ des exclusivités. Le document précise, en outre, la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l'enseigne ou à la marque que la personne destinataire du projet de contrat engage avant de commencer l'exploitation. "

Il résulte de la combinaison des articles sus visés qu'un manquement à l'obligation d'information précontractuelle prévue à l'article L. 330-3 du Code de commerce n'entraîne la nullité du contrat de franchise que s'il a eu pour effet de vicier le consentement du franchisé.

Sur l'état du réseau

Le DIP fait état d'un réseau de franchise de 201 salons " Coiff & Co " et " Coiff & Co looks à la carte " et précise que les entreprises ayant quitté le réseau au cours de l'année 2010 sont listées en annexe 7. Comme le font observer à juste titre les appelants, les franchisés mentionnés sur la liste le sont sans distinction d'enseignes (Saint-Algue, Intermède, Coiff & Co) alors même que le franchiseur reconnaît que la clientèle des salons Saint-Algue n'est pas la même que celle des salons Coiff & Co, qualifiés de " low-cost ", de sorte qu'il est établi que Mme Hervouet n'a pas été informée du départ du réseau de 11 franchisés " Coiff & Co " dans les 12 mois précédant la signature du contrat. Le nombre ainsi que les motifs (non renouvellement, cessions...) de ces départs constituaient pourtant un élément d'information essentiel pour la candidate à la franchise qui n'a ainsi pas été en mesure d'appréhender avec exactitude la pérennité du réseau.

Sur l'état du marché local

L'article L. 330-3 du Code de commerce met à la charge du franchiseur l'obligation de présenter un " état et les perspectives de développement du marché concerné " et l'article R. 330-1 l'oblige notamment à " une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ". La présentation de l'état local du marché comporte, comme pour son état national, la définition du marché et la description de son état de manière à permettre au futur franchisé éventuel de s'engager en connaissance de cause. La présentation sincère du marché local constitue une obligation déterminante et essentielle du franchiseur.

S'il appartient au franchisé, sur la base des éléments communiqués par le franchiseur, de réaliser lui-même une analyse d'implantation précise, encore faut-il que les éléments essentiels fournis par celui-ci pour éclairer son cocontractant soient exacts et complets et lui permettent de se déterminer en toute connaissance de cause.

Or, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, le DIP contient un chapitre 3 intitulé " Informations relatives au marché " qui est une présentation générale du secteur économique de la coiffure au niveau national et renvoie à la lecture d'une étude d'implantation, établie par le franchiseur, et spécifique à l'ouverture du salon de la rue du 8 mai 1945, initialement choisi par Mme Hervouet, mais non à celui de son installation rue Paul Guillon situé en centre-ville. Cette étude ne fait état d'aucune information pertinente sur la situation économique des salons ou leur développement ou même leur simple localisation. Elle rassemble pour l'essentiel des statistiques anciennes datant de l'année 2008 et une analyse socio-démographique concernant la ville de Poitiers, et relève les atouts de l'implantation initialement envisagée comme étant située en zone commerciale entre Auchan et Intermarché. Aucun élément précis sur la zone de chalandise du centre-ville n'y figure. Surtout, elle ne fait pas état de la présence d'une enseigne " Tchip Coiffure " concurrente directe située dans la zone de proximité immédiate du salon repris par Mme Hervouet. Le document précontractuel ne renseigne donc pas sur la zone de chalandise alors qu'en l'espèce, ce renseignement était essentiel à la candidate franchisée pour appréhender la concurrence.

Sur les comptes prévisionnels

Les appelants font valoir que la société Saint-Algue a pris la responsabilité de remettre des données chiffrées précises, ce qu'elle ne conteste pas, et qui se sont avérées irréalistes au regard des résultats enregistrés malgré le professionnalisme et l'enthousiasme de Mme Hervouet. Ils affirment que le franchiseur a sciemment menti à Mme Hervouet sur la rentabilité du concept Coiff & Co.

La société Saint-Algue réplique que le prévisionnel fourni est régulier et loyal en ce qu'il a pris en compte l'ensemble des chiffres d'affaires réalisés sous ses différentes enseignes par le cessionnaire du fonds cédé à Mme Hervouet.

Si le franchiseur n'est pas tenu de remettre un compte d'exploitation prévisionnel au candidat à la franchise, aux termes du 6° de l'article R. 330-1 du Code de commerce, le document d'information précontractuelle doit contenir " la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l'enseigne ou à la marque que la personne destinataire du projet de contrat engage avant de commencer l'exploitation ". Il appartient ensuite à chaque franchisé d'établir son compte prévisionnel à partir de ces données. En revanche, si le franchiseur remet un compte d'exploitation, il doit donner des informations sincères et vérifiables.

En l'espèce, s'il n'est pas démontré que les chiffres retenus dans le compte d'exploitation prévisionnelle remis à Mme Hervouet prévoyant en hypothèse basse un chiffre d'affaires de 127 819 euros dès la première année, des charges à hauteur de 113 996 euros, un bénéfice de 13 823 euros et une rémunération de 18 000 euros pour la gérante dès la première année, soient grossièrement erronés, pour autant, ils ont été établis par le franchiseur à partir des chiffres d'affaires précédemment réalisés par le salon à l'enseigne Franck Provost qui n'était pas positionnée sur le même segment " low-cost " du marché et ne s'adressait donc pas à la même clientèle, de sorte le compte prévisionnel établi par le franchiseur était inadapté.

En l'absence d'information complète et sincère sur l'historique du réseau d'exploitants, l'état réel du marché local et les perspectives de développement et donc de rentabilité, Mme Hervouet, âgée de 23 ans lors de la conclusion du contrat et alors novice en affaires, n'a pas pu apprécier justement les perspectives de rentabilité, les dites données constituant la substance même du contrat de franchise pour lequel l'espérance de gains est déterminante. Ces omissions successives du franchiseur, en violation de ses obligations légales d'information précontractuelle, sont constitutives d'un dol ayant vicié le consentement de Mme Hervouet, qui dûment informée n'aurait pas contracté ou contracté à d'autres conditions et notamment, pour un autre emplacement.

Il y a donc lieu de prononcer l'annulation du contrat de franchise. Par suite, il n'y a pas lieu d'examiner la demande subsidiaire en résiliation du contrat.

Sur les restitutions consécutives à l'annulation

En suite de l'annulation du contrat de franchise, Maître Blanc, ès qualités, sollicite le remboursement du droit d'entrée à hauteur de 7 000 euros et de l'intégralité des redevances de franchise versées à hauteur de 5 000 euros.

La nullité d'un contrat emporte son effacement rétroactif. Il est donc censé n'avoir jamais existé et a pour effet de mettre les parties dans leur état initial même s'il est à exécution successive. Par suite, il y a lieu de restituer à Maître Blanc, ès qualités, les sommes versées au franchiseur dans le cadre du contrat annulé, dont la preuve est rapportée. Il y a lieu de lui allouer à ce titre les sommes non contestées de 7 000 euros versés au titre du droit d'entrée et de 5 000 euros au titre des redevances versées, soit la somme totale de 12 000 euros de laquelle il n'y a pas lieu de déduire comme le soutient vainement la société Saint-Algue l'avantage retiré par la société Novel'R des services fournis par le franchiseur en cours d'exécution du contrat dès lors que seule la partie de bonne foi au contrat annulé peut demander la condamnation de la partie fautive à réparer le préjudice qu'elle a subi en raison de la conclusion du contrat annulé.

Par ailleurs, en raison des différents manquements commis par le franchiseur à ses obligations précontractuelles, Maître Blanc, ès qualités, sollicite, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la prise en charge de l'entier passif de la société Novel'R à hauteur de 113 042 euros. Or, faute de justifier d'un lien de causalité entre les pertes d'exploitation et les manœuvres dolosives relevées ci-dessus, Maître Blanc, ès qualités, sera débouté de la demande d'indemnisation formée à ce titre.

Sur le préjudice de Mme Hervouet

En raison des différents manquements à ses obligations précontractuelles commis par le franchiseur envers la société Novel'R, Mme Hervouet sollicite à titre personnel l'indemnisation d'une part, de son manque à gagner en termes de rémunération sur la période contractuelle à hauteur de 15 000 euros, d'autre part, au titre de la perte de chance d'avoir pu faire une meilleure utilisation de ses fonds si elle n'était pas entrée dans la franchise qu'elle évalue à 10 000 euros et enfin, au titre du préjudice moral et des tracas qu'elle a subis en raison de la création d'un point de vente non rentable et de l'exploitation déficitaire consécutive.

La société Saint-Algue réplique que Mme Hervouet n'a pas d'intérêt à agir distinct de la société Novel'R et que les sommes qu'elle a investies sont précisément constitutives du risque d'entrepreneur qu'elle a accepté en s'installant à son compte.

Aux termes de l'article 31 du Code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt au succès ou au rejet d'une prétention. Il en ressort que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action lequel relève de l'examen de l'affaire au fond. Mme Hervouet, tiers au contrat de franchise, dispose d'un intérêt à agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle en indemnisation d'un préjudice qui lui aurait été causé du fait des manœuvres dolosives de la société Saint-Algue. Dès lors, l'exception d'irrecevabilité sera rejetée et les demandes formées par Mme Hervouet seront déclarées recevables.

Mais, le préjudice subi du fait du manquement de la société Saint-Algue à son obligation d'information est constitué pour Mme Hervouet par la seule perte d'une chance de ne pas investir ses fonds dans la franchise et non par les pertes subies en terme de rémunération. Au regard des éléments du dossier, il y a lieu d'évaluer cette perte de chance à la somme de 10 000 €.

Compte tenu des nombreux tracas occasionnés par cette première expérience malheureuse, Mme Hervouet a subi incontestablement un préjudice moral. Il lui sera alloué à ce titre la somme de 5 000 euros.

Sur les autres demandes

La société Saint-Algue, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel et devra verser à Maître Blanc ès qualités la somme de 4 000 euros et à Mme Hervouet celle de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Ordonne la jonction du dossier n° RG 15/18368 avec celui portant le N° RG 15/17647 ; Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Prononce l'annulation du contrat de franchise ; Condamne la société Saint-Algue à verser à Maître Blanc ès qualités la somme de 12 000 euros; Rejette l'exception d'irrecevabilité des demandes formées par Mme Hervouet ; Condamne la société Saint-Algue à verser à Mme Hervouet, la somme de 10 000 euros au titre de la perte de chance de mieux investir ses fonds et celle de 5 000 euros au titre du préjudice moral ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; Condamne la société Saint-Algue aux dépens de première instance et d'appel ; Autorise Maître Teytaud, avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne la société Saint-Algue à verser à Maître Blanc ès qualités la somme de 4 000 euros et à Mme Hervouet celle de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.