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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 25 janvier 2018, n° 15-16368

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Passeneau Gomis Perrin Services (SARL) ; SCP Christophe Ancel (ès qual.)

Défendeur :

Provalliance (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Tonoukouin, Boccon-Gibod, Bouchez-El Ghozi

T. com. Paris, du 6 juill. 2015

6 juillet 2015

FAITS ET PROCÉDURE

La société Provalliance a pour objet social la prise de participations et la gestion de salons de coiffure, notamment sous l'enseigne " Franck Provost ", qu'elle détient à travers des filiales et un réseau de franchisés.

La société Passeneau Gomis Perrin Services PGP Services (ci-après PGP), dont le gérant est M. Eric Passeneau, réalise des prestations de nettoyage industriel, par mise à disposition de matériel de nettoyage et de personnel.

A compter d'août 2009, la société Provalliance a confié à la société PGP l'entretien d'un certain nombre de salons de coiffure de son réseau.

Selon courrier recommandé AR du 17 octobre 2013, la société Provalliance agissant pour son compte et celui de ses filiales, a notifié à la société PGP la résiliation de leurs relations commerciales avec application d'un délai de préavis d'un mois se terminant le 17 novembre 2013.

S'estimant victime d'une rupture brutale de relation commerciale établie, le 18 mars 2014, la société PGP a assigné la société Provalliance en indemnisation.

Par jugement du 12 mai 2014, le Tribunal de commerce de Melun a placé la société PGP en liquidation judiciaire et désigné comme mandataire liquidateur " Yves Coudray Christophe Ancel société civile professionnelle de mandataires judiciaires ", nouvellement dénommée depuis " Christophe Ancel société civile professionnelle de mandataire judiciaire ".

Par jugement du 6 juillet 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la SCP Christophe Ancel mandataires judiciaires prise en la personne de Maître Coudray mandataire liquidateur de la société PGP de l'intégralité de la ses demandes, fins et conclusions ;

- condamné la SCP Christophe Ancel mandataires judicaires prise en la personne de Maître Coudray mandataire liquidateur de la société PGP à payer à la société Provalliance la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;

- condamné la SCP Christophe Ancel mandataires judiciaires prise en la personne de Maître Coudray mandataire liquidateur de la société PGP aux dépens ;

Vu la déclaration d'appel du 27 juillet de la SCP Christophe Ancel mandataires judiciaires ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 21 octobre 2015 par la SCP Christophe Ancel ès qualités de mandataire liquidateur de la société PGP par lesquelles il est demandé à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

- condamner la société Provalliance à payer à Maître Ancel, ès qualités de mandataire liquidateur de la société PGP :

- 109 250 euros au titre de la perte de marge brute,

- 19 592 euros au titre de la perte afférente aux investissements sur le matériel professionnel,

- 39 682 euros au titre du préjudice social,

- 17 000 euros au titre du préjudice professionnel,

- 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Provalliance aux entiers dépens dont distraction au profit de la société Causidicor en application des articles 699 et suivants du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions signifiées le 14 décembre 2015 par la société Provalliance par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article 1382 du Code civil,

Vu l'article L. 442-6, 5°, du Code de commerce,

A titre principal,

- confirmer le jugement et, en conséquence :

- constater les graves manquements commis par la société PGP dans le cadre de sa relation commerciale avec la société Provalliance ;

- juger que les graves manquements commis par la société PGP justifient la rupture sans préavis de ses relations commerciales avec la société Provalliance ;

- juger en conséquence que la rupture des relations commerciales par la société Provalliance n'est pas brutale au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce et que la société PGP n'est pas fondée à obtenir réparation de cette rupture ;

- débouter la SCP Christophe Ancel mandataires judiciaires, prise en la personne de Maître Ancel, mandataire liquidateur de la société PGP de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

- débouter la SCP Christophe Ancel mandataires judiciaires, prise en la personne de Maître Ancel, mandataire liquidateur de la société PGP de ses demandes de dommages et intérêts en ce qu'elles ne sont pas justifiées ;

En tout état de cause,

condamner la SCP Chistophe Ancel mandataires judiciaires, prise en la personne de Maître Ancel, mandataire liquidateur de la société PGP à payer à la société Provalliance la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 novembre 2017.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS :

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En l'espèce, l'existence entre les parties d'une relation commerciale établie au sens de ce texte n'est pas contestée.

Par ailleurs, Provalliance soutenant que les graves manquements de PGP à ses obligations contractuelles auraient pu justifier une rupture sans préavis, de sorte que le préavis d'un mois accordé était raisonnable et suffisant, il lui appartient de rapporter la preuve des dits manquements.

Or, une telle preuve n'est pas rapportée, en ce que :

- lors de la notification de la rupture le 17 octobre 2013, l'absence de motifs allégués et l'octroi d'un préavis d'un mois font présumer que Provalliance n'estimait pas alors PGP coupable d'une faute grave privative du droit à préavis et il n'est pas justifié de la découverte d'une telle faute postérieurement à ladite notification, ce, après le départ allégué en octobre 2013 de son ancien directeur administratif et financier (DAF), M. Daniel Gagnor,

- au vu des pièces versées, les manquement allégués, certes établis, ne revêtent nullement un caractère de gravité suffisant pour justifier une absence de préavis, étant soit très peu nombreux (médiocrité de la prestation de ménage) au regard de la durée de la relation commerciale (plus de 4 ans), soit anciens, connus et réputés tacitement acceptés par Provalliance (anomalies dans la facturation de PGP), Provalliance indiquant en particulier dans ses conclusions (en page 6) que M. Grégory Diaz, salarié de Provalliance depuis juin 2009 ayant ensuite succédé à M. Daniel Gagnor au poste de DAF, " avait découvert de longue date les pratiques inhabituelles de facturation de PGP ", la propre attestation de l'intéressé ainsi que des courriels confirmant cette connaissance au moins depuis 2009.

En outre, si les pièces versées aux débats établissent les liens d'amitié et financiers (directs ou indirects) existant ou ayant existé entre M. Daniel Gagnor et M. Eric Passeneau, gérant de PGP, ainsi que le fait qu'en octobre 2012, le premier a conseillé le second sur la façon d'éconduire le comptable de PGP (en lui rédigeant la lettre idoine) et que le 18 juin 2013 (et uniquement à cette date), le premier a adressé au second l'arrêté global des comptes de PGP effectué par ses propres soins, il n'est pas établi que ces liens et ces pratiques, certes à tout le moins curieuses, auraient véritablement préjudicié aux intérêts de Provalliance, au regard de l'absence de griefs graves réels sur la qualité de la réalisation du marché de nettoyage des salons et sur son coût final pour Provalliance.

S'agissant de la dépendance économique alléguée de PGP vis-à-vis de Provalliance, qui a réalisé en moyenne plus de la moitié de son chiffre d'affaires avec elle, Provalliance soutient à bon droit que PGP n'est pas fondée à s'en prévaloir dès lors qu'en l'absence d'exclusivité contractuelle ou de fait, il apparaît que PGP s'y est soumise volontairement en ne prenant pas garde à diversifier suffisamment sa clientèle, de sorte que la dite dépendance ne saurait être un critère d'allongement de la durée du préavis.

Par suite, compte tenu de l'ancienneté de la relation et des éléments de la cause, qui implique effectivement de tenir compte de la fluidité de ce type de marché, nonobstant les démarches nécessaires de reprise de personnel par le nouveau prestataire en application de la convention collective, il apparaît que PGP aurait dû bénéficier d'un préavis non pas seulement d'un mois, mais de trois mois, de sorte qu'elle a été indûment privée de deux mois nécessaires à sa réorganisation.

S'agissant du préjudice consécutif à la brutalité de la rupture, il est admis que celui-ci peut être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance du préavis.

Or, au vu des pièces produites, non utilement critiquées (en particulier s'agissant du détail du calcul dûment fourni en page 14 des conclusions de PGP), qui font ressortir une marge brute moyenne de 109 250 euros HT par an sur les deux dernières années (2012 et 2013), une indemnité de (109 250 : 12 mois) x 2 mois = 18 208,33 euros sera accordée, le jugement étant infirmé sur ce point.

En revanche, PGP a été à bon droit déboutée de ses autres demandes indemnitaires, à savoir :

- au titre des investissements spécifiques, faute de démontrer leur caractère dédié à Provalliance et non réutilisable au profit d'autres clients,

- au titre dit des " conséquences sociales " (frais d'avocat pour gérer les difficultés rencontrées avec le repreneur, frais de licenciement de Mme Axelle Passeneau et coût du maintien pendant trois mois d'un salarié, M. Gomis), faute d'établir que ces postes sont la conséquence de la brutalité de la rupture, et non de la seule rupture,

- au titre du préjudice dit " professionnel ", qui s'analyse en réalité en un préjudice d'image, celui-ci n'étant justifié et étayé par aucune pièce.

Provalliance supportera les dépens de première instance et d'appel et, par équité, devra s'acquitter entre les mains de la partie adverse de la somme globale de 8 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SCP Christophe Ancel mandataires judiciaires, ès-qualités de mandataire liquidateur de la société PGP de l'intégralité de ses demandes indemnitaires et l'a condamnée aux dépens et à payer à la société Provalliance la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Statuant de nouveau sur les points réformés, Condamne la société Provalliance à payer à la société Christophe Ancel société civile professionnelle de mandataire judiciaire, ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Passeneau Gomis Perrin Services PGP Services les sommes de - 18 208,33 euros, à titre de dommages intérêts, - 8 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Provalliance aux dépens, dont distraction au profit de la Selarl Causidicor en application de l'article 699 du Code de procédure civile.