CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 25 janvier 2018, n° 17-20673
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
BC Alimentation Vival (SARL)
Défendeur :
Distribution Casino France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chevalier
Conseillers :
Mmes Bodard-Hermant, Dellelis
Avocats :
Mes Guerre, Charlet, Fromantin, Semoun
Exposé du litige
La SARL BC Alimentation, suivant contrat conclu le 30 juillet 2015 avec la SAS Distribution Casino France a pris en location-gérance un fonds de commerce de type superette sous enseigne " Vival " situé à Toulouse.
Elle a conclu le même jour un contrat d'approvisionnement " Vival " avec la SAS Distribution Casino France pour une durée de deux ans.
Par acte du 3 mai 2016, la société Distribution Casino France a vendu à la SARL BC Alimentation le fonds de commerce pris en location-gérance.
Suivant acte du même jour, les deux parties ont conclu un nouveau contrat d'approvisionnement Vival d'une durée de cinq ans devant expirer le 2 mai 2021 inclus.
L'article 2 de ce contrat, intitulé " Durée ", stipule que, au minimum six mois avant l'expiration du contrat, les parties s'engagent à manifester leur intention de poursuivre ou non leurs relations contractuelles après la fin du contrat par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et que, en cas d'accord des parties, un nouveau contrat d'approvisionnement Vival sera signé aux conditions contractuelles en vigueur à cette date.
L'article 3 du contrat d'approvisionnement Vival énonce que le fournisseur se réserve la possibilité de définir des prix de vente conseillés afin de permettre au détaillant de bénéficier d'un effet de réseau et de ne pas porter atteinte à l'image de la marque.
A l'article 4, il prévoit que le fournisseur communiquera au détaillant les caractéristiques techniques du système de caisse informatique qu'il a retenu, que la mise en place de ce système permettra au détaillant d'améliorer la productivité de son point de vente et qu'une annexe sera établie et signée par les parties relativement à ce système de caisse informatique.
A l'annexe 7 du contrat figure une convention intitulée " Outils informatiques et maintenance informatique, configuration Gold/caisse internet ".
Le contrat d'approvisionnement Vival comporte aussi à l'article 13 intitulé " Conditions de résiliation ", les mentions suivantes :
" Résiliation après mise en demeure : En cas d'inexécution totale ou partielle de ses obligations par l'une des parties, l'autre partie pourra résilier de plein droit le contrat, sans indemnité ni préavis, après une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception restée infructueuse pendant 8 (huit) jours.
[...]
La résiliation prendra effet par l'envoi d'une nouvelle lettre recommandée avec accusé de réception, la date d'envoi faisant foi. "
Il contient enfin, à l'article 17, une clause attributive de compétence rédigée ainsi :
" Les parties donnent compétence au juge des référés du lieu du tribunal du défendeur pour régler les litiges relatifs au paiement des redevances et des produits, à la protection de l'image de marque du fournisseur, avant comme après la rupture du présent contrat.
En cas de difficultés survenant pour l'interprétation et l'exécution du présent contrat ou par suite de sa résiliation pour quelque cause que ce soit, même en cas de demande incidente ou en garantie, ou de pluralité de défendeurs, le tribunal de commerce du lieu du défendeur sera seul compétent. "
Au mois de février 2017, la SARL BC Alimentation a rencontré des difficultés financières.
La SAS Distribution Casino France a remis en main propre à sa gérante le 12 juin 2017 une lettre en date du 9 juin 2017 selon laquelle elle accepte de lui accorder un échelonnement de sa dette de 12 525,63 euros sous les conditions suivantes :
- versement en une fois de 2 500 euros,
- respect des implantations et étiquetages positionnés,
- un approvisionnement maximal chez Distribution Casino France
- le règlement sans défaut des futures échéances.
La SARL BC Alimentation a adressé à la SAS Distribution Casino France une lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 28 août 2017 rédigée comme suit :
" Objet : Mise en demeure conformément à l'article 13 du contrat Vival (8 jours) Madame, Monsieur,
Par contrat d'approvisionnement Vival en date du 3 mai 2016, j'ai rejoint votre réseau Vival notamment pour l'approvisionnement de mon magasin.
Depuis cette date, je commande mes marchandises, conformément à mon contrat, auprès de votre centrale via le logiciel Gold. Je constate des dysfonctionnements récurrents et importants notamment au regard des prix de revente aux consommateurs que vous me conseillez d'appliquer moins élevés que les prix de cession. Cela revient à revendre mes marchandises en dessous du seuil de revente à perte. Je vous rappelle qu'il s'agit là d'un délit puni d'une amende de 375 000 eurosuros, ce que ma société ne peut supporter. En plus de ce risque colossal, ce dysfonctionnement a déjà généré une perte importante de chiffre d'affaires et de marge pour ma société.
Depuis que j'ai constaté cette défaillance majeure qui vous incombe exclusivement, je suis contrainte de reprendre l'ensemble de mes factures et de modifier manuellement les prix des produits ce qui est très fastidieux, une perte de temps et qui n'est pas acceptable.
Ces manquements répétés et très graves sont en totale contradiction avec vos engagements m'offrir " des conditions tarifaires compétitives et un service performant " ... J'estime très clairement que vous m'avez trompée, flouée.
Je vous mets donc en demeure, conformément à l'article 13 de mon contrat, d'avoir à me proposer, d'une part, un logiciel équivalent me permettant de passer mes commandes sans avoir à contrôler l'ensemble de mes factures lignes à lignes et produits par produits et capable d'intégrer la politique tarifaire sans que mes modifications manuelles de prix ne soient écrasées, d'autre part, une indemnisation cohérente et sérieuse de mon préjudice subi depuis le 3 mai 2016 et enfin, d'avoir à me justifier les raisons de ces dysfonctionnements et ce, dans un délai de 8 jours A défaut, et eu égard au préjudice important subi par ma société, je vous informe d'ores et déjà que j'entends mettre en œuvre la résiliation de plein droit de mon contrat. "
Par lettre en date du 8 septembre 2017, signifiée à la SAS Distribution Casino France le 15 septembre 2017, la SARL BC Alimentation a informé celle-ci de la résiliation du contrat d'approvisionnement à compter de la réception de cette lettre.
La SAS Distribution Casino France par acte du 25 septembre 2017, a fait assigner la SARL BC Alimentation à l'audience du 2 octobre 2017 du juge des référés du Tribunal de commerce de Lyon qui, par ordonnance rendue le 25 octobre 2017, a :
- dit recevable mais non fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société BC Alimentation ;
- s'est déclaré compétent pour connaître du litige ;
- donné acte à la société Distribution Casino France de ce qu'elle a déjà saisi le juge du fond, à savoir le Tribunal de commerce de Lyon, afin de contester la résiliation du contrat à durée déterminée la liant à la société BC Alimentation ainsi que, plus généralement, de leur relation commerciale ;
- ordonné à la société BC Alimentation de reprendre les relations contractuelles avec la société Distribution Casino France telles qu'elles résultent du contrat en date du 3 mai 2016 jusqu'à ce qu`une décision au fond intervienne s'agissant de la rupture dudit contrat, et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et infraction constatée à compter du l0ème jour suivant la signification de la présente ordonnance ;
- s'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte prononcée par application de l'article 35 de la loi du 9 juillet 1991 ;
- condamné la société BC Alimentation à payer à la société Distribution Casino France la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.
Par déclaration du 10 novembre 2017, la société BC Alimentation a fait appel de cette ordonnance.
Elle a été autorisée sur le fondement de l'article 917 du Code de procédure civile à faire assigner la SAS Distribution Casino France à l'audience du 21 décembre 2017.
Au terme de ses dernières écritures communiquées par voie électronique le 20 décembre 2017, la SARL BC Alimentation demande à la cour de :
- dire que la saisine du juge des référés sur les conséquences d'une prétendue rupture de la relation établie est sans objet ;
- dire que le litige se limite au rapport contractuel entre les parties ;
- en conséquence, vu la clause attributive de compétence au profit du tribunal du lieu de la défenderesse, infirmer la décision déférée en toutes ses dispositions ;
- se déclarer incompétent au profit du Tribunal de commerce de Toulouse ;
à titre subsidiaire sur le prétendu trouble manifestement illicite,
- débouter la société Distribution Casino France de l'ensemble de ses prétentions ;
en toute hypothèse,
- la condamner au paiement de la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
La SAS Distribution Casino France dans ses conclusions communiquées par voie électronique le 19 décembre 2017, demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du 25 octobre 2017 ; et en tout état de cause,
I. Sur l'exception d'incompétence :
- dire que la clause attributive de compétence prévue à l'article 17 du contrat ne s'applique pas à l'action introduite par ses soins fondée, notamment, sur l'urgence ;
- dire que la clause attributive de compétence prévue à l'article 17 du contrat ne s'applique pas à l'action introduite par ses soins fondée, notamment, sur les dispositions de l'article L. 442-6-1,5° du Code de commerce qui pose un régime de responsabilité civile délictuelle, et ce conformément à la jurisprudence rendue en matière de rapport de droit interne ;
- dire que la société BC Alimentation est infondée à remettre en cause, en l'espèce, le caractère établi de la relation commerciale existant entre elles qui s'est traduit par la conclusions de deux contrats successifs fussent-ils à durée déterminée ;
en conséquence,
- dire que c'est à bon droit que M. le président du Tribunal de commerce de Lyon s'est déclaré compétent ;
II. Sur le bien-fondé de ses demandes :
- dire qu'elle avait répondu à la mise en demeure qui lui avait été adressée de sorte que celle-ci n'était pas restée " infructueuse " au sens de l'article 17 du contrat ;
en conséquence, à titre principal,
- dire que la rupture unilatérale par la société BC Alimentation des contrats du 3 mai 2016, à durée déterminée et dont l'échéance contractuelle est fixée au 2 mai 2021 qui fait loi des parties, constitue un trouble manifestement illicite en ce qu'il met un terme immédiat au contrat qui fait la loi des parties et cause un dommage imminent à la concluante ;
- ordonner à la société BC Alimentation la reprise des relations contractuelles avec la concluante telles qu'elles résultent des contrats du 3 mai 2016 jusqu'à ce qu'une décision au fond ayant autorité de la chose jugée intervienne s'agissant de la rupture du contrat par la société BC Alimentation, et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et infraction constatée à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir ;
- se réserver le pouvoir de liquider les astreintes prononcées ; à titre subsidiaire,
- dire que la rupture par la société BC Alimentation de la relation commerciale établie, depuis 26 mois, avec la concluante revêt un caractère manifestement brutal ;
en conséquence,
- ordonner à la société BC Alimentation de respecter un préavis dans les conditions et obligations telles qu'elles résultent des contrats en date 2 mai 2016 de 6 mois ou, à tous le moins, jusqu'à ce qu'une décision au fond ayant autorité de la chose jugée intervienne s'agissant de la rupture du contrat de franchise par la société BC Alimentation pour mettre un terme à sa relation commerciale avec la concluante aux conditions strictes du contrat de franchise conclu entre les parties, et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et infraction constatée à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir ;
- se réserver le pouvoir de liquider les astreintes prononcées ;
III. Sur l'article 700 et " l'exécution provisoire "
- condamner la société BC Alimentation au paiement d'une somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance ;
- condamner la société BC Alimentation à lui payer, en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, une indemnité équivalente au droit proportionnel mis à la charge du créancier par l'huissier instrumentaire au titre de l'article 10 du décret 2001-212 du 8 mars 2001.
Sur ce, LA COUR
Sur l'exception d'incompétence
La SARL BC Distribution expose en substance les moyens et arguments suivants :
- les parties, dans la clause attributive de compétence stipulée à l'article 17 du contrat, ont souhaité que le juge compétent en cas de litige soit celui du domicile du défendeur et cette clause de portée générale a vocation à s'appliquer au litige en examen ;
- la SAS Distribution Casino France soutient à tort que cette clause peut être écartée en référé dès lors qu'elle vise aussi le cas d'une action en référé ;
- faute de relation établie entre les parties, les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° n'ont pas vocation à s'appliquer, le contrat les liant ayant été conclu à durée déterminée sans reconduction automatique ;
- par arrêt du 5 juillet 2017, la Cour de Paris a jugé que le caractère précaire d'un contrat à durée déterminée excluait l'existence d'une relation établie et, partant, l'application de l'article L. 442-6 I 5° ; la Cour de cassation dans un arrêt du 21 juin 2017 a dit également qu'une partie ne saurait invoquer une brusque rupture dans le cadre d'un contrat à durée déterminée ; et la conclusion de plusieurs contrats à durée déterminée ne caractérise pas une relation établie ; en outre, par la cession de son fonds de commerce, la SAS Distribution Casino France a accepté que l'exploitation sous l'enseigne Vival se poursuive dans le cadre d'un contrat à durée déterminée ;
- le litige étant d'ordre purement contractuel, les dispositions de l'article D. 442-3 Code de commerce sont donc également inapplicables et, en vertu de la clause attributive de compétence, le tribunal de commerce compétent est celui de Toulouse où elle a son siège social ;
- en outre, en matière contractuelle, le tribunal territorialement compétent est soit celui du domicile du défendeur soit celui du lieu d'exécution du contrat, ce qui correspond dans les deux cas au tribunal de Toulouse.
La SAS Distribution Casino France soutient en résumé les moyens et arguments suivants :
- la compétence du Tribunal de commerce de Lyon est justifiée par le fait qu'elle fonde son action, à titre subsidiaire, sur les dispositions de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce et par l'article 46 du Code de procédure civile qui prévoit que, en matière délictuelle, le demandeur peut porter son action devant la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;
- la chambre commerciale de la Cour de cassation a retenu que la clause attributive de juridiction devait viser expressément l'hypothèse de la rupture de la relation commerciale pour être valablement invoquée à l'encontre d'une demande formée sur ce fondement ;
- les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° Code de commerce s'appliquent quelle que soit la nature des relations commerciales et les types de rapport entre les parties ;
- en vertu de l'article D. 442-3 du Code de commerce, d'ordre public et auquel aucune clause ne peut déroger, la société concluante ayant son siège dans le ressort du tribunal de Saint Etienne et le dommage ayant été subi à ce siège, le Tribunal de commerce de Lyon était compétent pour connaître du litige ;
- la Cour de Paris, dans l'affaire l'opposant à la SARL Caballe ayant donné lieu à l'arrêt rendu le 10 février 2015, a jugé que le Tribunal de commerce de Lyon était compétent alors que les faits étaient identiques à ceux de l'affaire en examen ;
- en outre, une clause attributive de compétence est inopposable à une partie qui saisit le juge des référés ;
- le litige concerne bien une relation commerciale établie dès lors que les parties sont en relation d'affaires depuis juillet 2015 et qu'elles ont conclu deux contrats successifs et le fait que la société BC Alimentation ait été locataire gérant puis propriétaire du fonds de commerce est à cet égard inopérant, les contrats signés en 2015 puis 2016 étant identiques.
La cour retiendra ce qui suit.
La SAS Distribution Casino France a fondé son action devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Lyon, à titre subsidiaire, sur les dispositions de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce.
L'article L. 442-6 I, du Code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
" 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure [...] "
Afin de combiner le respect de la liberté contractuelle et les prescriptions de cet article, la doctrine et la jurisprudence limitent le domaine d'application de ces dispositions aux cas où la relation commerciale entre les parties revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et où la partie victime de l'interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaire avec son partenaire commercial.
La société qui se prétend victime d'une rupture brutale au sens de l'article précité doit donc établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer.
Il s'ensuit qu'une relation commerciale établie ne peut pas résulter de la conclusion d'un seul contrat à durée déterminée.
Il est constant que le contrat d'approvisionnement conclu par la SAS Distribution Casino France avec la SARL BC Alimentation le 3 mai 2016 l'a été pour une durée de cinq ans sans tacite reconduction.
Toutefois, il est aussi établi que les mêmes parties avaient conclu précédemment le 30 juillet 2015 un contrat d'approvisionnement d'une durée déterminée de deux ans dont, au surplus, les articles hormis l'article 2 relatif à la durée sont identiques à ceux de la convention du 3 mai 2016.
La circonstance que ce précédant contrat avait été conclu par la SARL BC Alimentation alors qu'elle était locataire-gérant du fonds de commerce appartenant à la SAS Distribution Casino France et que la cession de ce fonds de commerce n'a pas entraîné la cession de ce premier contrat d'approvisionnement ne saurait masquer le fait que les deux contrats ont été conclus entre les mêmes parties.
La conclusion de ces deux contrats à durée déterminée, le premier d'une durée de deux ans et le second d'une durée de cinq ans, dont l'exécution s'est succédé sans interruption, a ainsi pu conduire la société Distribution Casino France à augurer que cette relation avait vocation à perdurer et faire naître une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I 5°, précité.
Dès lors qu'est invoquée une rupture brutale des relations commerciales, la compétence exclusive attribuée par décret à des juridictions spécialisées implique que soit soumis à ces juridictions l'ensemble du litige.
Il est également de jurisprudence établie que les dispositions de l'article L. 442-6 Code de commerce attribuant le pouvoir juridictionnel, pour les litiges relatifs à son application, aux juridictions désignées par l'article D. 442-3 du même code ne peuvent, dans le cadre d'un litige purement interne, être mises en échec par une clause attributive de juridiction lorsque celle-ci désigne une autre juridiction que celles-ci.
La rupture d'une relation commerciale établie, invoquée par la société Distribution Casino France à titre subsidiaire, engage la responsabilité délictuelle de son auteur. Il s'ensuit que la compétence du juge saisi s'apprécie au regard des dispositions de l'article 46 du Code de procédure civile, selon lesquelles le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du fait dommageable ou celle dans le ressort duquel le dommage a été subi.
Il n'est pas contesté que le dommage causé à la SAS Distribution Casino France par la rupture brutale alléguée de la relation commerciale litigieuse peut être considéré comme ayant été subi à son siège social. Celui-ci se trouvant dans le ressort du tribunal de Saint Etienne, la SAS Distribution Casino France en application des dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce, a donc saisi valablement le Tribunal de commerce de Lyon de son action.
Par conséquent, le juge des référés de cette juridiction s'est déclaré compétent à bon droit et la demande de la SARL BC Distribution visant à voir juger cette juridiction incompétente au profit du Tribunal de commerce de Toulouse sera rejetée comme non fondée.
Sur le principal
La SARL BC Distribution expose en substance les éléments suivants :
- le premier juge n'a caractérisé ni le caractère illicite de la rupture ni a fortiori son caractère manifeste ; il a méconnu le fait que l'appelante a mis en œuvre une clause de résiliation de plein droit et il a, à tort, fait application de la jurisprudence relative à une rupture anticipée pour faute grave ;
- la clause de résiliation de plein droit, prévue dans le contrat liant les parties qui, au surplus, constitue un contrat d'adhésion et qui doit ainsi être interprétée contre celui qui l'a rédigée, prévoit qu'elle peut être mise en œuvre pour toute faute contractuelle quel que soit son degré de gravité ; il n'incombait donc pas à l'appelante de prouver la gravité de la faute mais seulement son existence ;
- le premier juge ne pouvait pas non plus tirer argument de l'absence de mise en demeure préalable et lui imposer ainsi d'autres formalités que celles prévues par la clause de résiliation de plein droit ;
- la mise en demeure en date du 28 août 2017 qu'elle a notifiée à la SAS Distribution Casino France l'a été dans la forme prévue au contrat et elle a exposé les obligations contractuelles de cette dernière qui n'ont pas été respectées ;
- la SAS Distribution Casino France s'était engagée à lui fournir un système de caisse informatique devant lui permettre d'améliorer sa productivité ; au lieu de cela, le logiciel Gold préconise des prix de vente inférieurs aux prix de cession et entraîne des ventes à perte ;
- cette situation perdure dans le cadre de l'exécution de l'ordonnance attaquée et l'oblige à reprendre, ligne par ligne, étiquette par étiquette, le prix des marchandises livrées ;
- la SAS Distribution Casino France ne saurait tirer argument de la clause de non responsabilité stipulée dans le contrat " Gold ", ce contrat joint en annexe au contrat d'approvisionnement ne pouvant se substituer à ce dernier et constituant en outre un contrat d'adhésion ;
- la SAS Distribution Casino France n'a pas satisfait dans le délai de huit jours prévu dans la clause de résiliation de plein droit aux injonctions de fournir un nouveau logiciel et de donner toute explication sur les défaillances constatées ;
- au regard des obligations qui lui ont été imposées dans la lettre du 9 juin 2017 lui accordant un échelonnement de sa dette, l'appelante est contrainte de respecter l'étiquetage des marchandises fournies par l'intimée, de sorte que sa situation diffère de celle de la société Caballe Distribution ;
- ces dysfonctionnements sont récurrents comme le montrent les factures versées aux débats et ont été constatés par huissier le 15 novembre 2017 ;
- la SAS Distribution Casino France ne démontre pas la mauvaise foi de l'appelante ni qu'elle serait victime d'une manœuvre du groupe Carrefour ;
- les défaillances du logiciel Gold ont été constatées par le Tribunal de commerce de Marseille ;
- les dispositions de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce ne sont pas applicables faute de relation commerciale établie et il a été établi que la SAS Distribution Casino France avait commis une faute grave rendant impossible la poursuite du contrat ;
- en outre, la demande de l'intimée est devenue sans objet au regard du fait qu'elle a obtenu un préavis suffisant et que ce dernier, vu la durée de la relation des parties, soit 26 mois de juillet 2015 à septembre 2017, ne pouvait excéder deux mois.
La SAS Distribution Casino France fait valoir en résumé ce qui suit :
- sa lettre du 9 juin 2017 accordant un échelonnement à la société BC Alimentation n'impose pas à celle-ci de respecter les prix étiquetés ou conseillés, les termes " implantations " et " étiquetages positionnés " signifiant le positionnement des produits dans le magasin au regard du fait que, à la suite des retards de paiement, les approvisionnements avaient diminué et les rayons étaient insuffisamment achalandés ainsi que la remise d'étiquette comportant des références destinées à faciliter les commandes ;
- le juge des référés tire de l'article 873 du Code de procédure civile le pouvoir d'ordonner la poursuite ou la reprise d'un contrat abusivement suspendu ou interrompu ;
- la mise en œuvre d'une clause résolutoire doit être strictement limitée et ne peut intervenir qu'après l'envoi d'une mise en demeure indiquant précisément les manquements reprochés et le délai imparti pour se mettre en règle ;
- le logiciel Gold a été mis à la disposition de la SARL BC Alimentation par un contrat distinct du contrat d'approvisionnement et qui contient à l'article 10 une clause aux termes de laquelle " le client reconnaît qu'il n'est pas possible de garantir que le système informatique satisfera à des exigences de performance " ;
- préalablement à sa mise en demeure du 28 août 2017 et pendant les 26 mois de leurs relations contractuelles, la société BC Alimentation n'avait exprimé aucun grief concernant le fonctionnement du logiciel Gold ;
- cette mise en demeure ne vise aucune obligation contractuelle précise et ne cite aucun exemple de dysfonctionnement ;
- la concluante a malgré cela donné suite à ladite mise en demeure qui, ainsi, n'est pas restée infructueuse, puisque M. ..., directeur régional Vival Sud-Ouest, s'est rendu au magasin de la SARL BC Alimentation le 1er septembre 2017 ;
- la résiliation du contrat d'approvisionnement signifiée par la société BC Alimentation le 15 septembre 2017 est donc manifestement illicite et elle a causé un dommage imminent à la concluante, puisque les commandes ont cessé depuis le 26 août 2017 ;
- la SARL BC Distribution a cherché un prétexte pour mettre un terme à leur relation contractuelle comme le prouve le changement d'enseigne constaté par huissier le 25 septembre 2017, effectué sans respecter le délai de 20 jours prévu par l'article L. 330-3 du Code de commerce, ce qui démontre que l'opération a été ourdie par le groupe Carrefour ;
- la concluante n'a pas refusé de fournir un autre logiciel car elle pensait légitimement, à la suite de la rencontre du 1er septembre 2017, que l'incident était clos ;
- l'affaire en examen est donc comparable en tous points à celle qui l'a opposée à la société Caballe et qui a donné lieu aux arrêts de la cour de Paris du 10 février 2015 et du 14 décembre 2016 ;
- à titre subsidiaire, la rupture du contrat liant les parties revêt manifestement un caractère brutal au sens de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce, la durée de leur relation obligeant la SARL BC Alimentation à respecter un délai de préavis de six mois au moins ;
- les jugements rendus par le Tribunal de commerce de Marseille dont la SARL BC Alimentation se prévaut ont été frappés d'appel ;
- elle n'a pas commis de faute grave justifiant de la priver de ce préavis. La cour retiendra les motifs suivants.
Selon l'article 873 du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence de ce tribunal et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.
La résiliation unilatérale d'un contrat à durée déterminée avant le terme de celui-ci est susceptible de créer un dommage imminent et de constituer un trouble manifestement illicite.
Dans l'affaire en examen, la SARL BC Alimentation a signifié le 15 septembre 2017 à la SAS Distribution Casino France la résiliation avec effet immédiat du contrat d'approvisionnement conclu le 3 mai 2016 pour une durée de cinq ans.
La SARL BC Alimentation a fondé cette résiliation sur la clause résolutoire stipulée à l'article 13 de ce contrat, aux termes duquel, en cas d'inexécution totale ou partielle de ses obligations par l'une des parties, l'autre partie pourra résilier de plein droit ledit contrat, sans indemnité ni préavis, après une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception restée infructueuse pendant huit jours.
La circonstance que la résiliation litigieuse a été fondée sur une telle clause, qui ouvre ainsi aux parties le droit de résilier la convention qui les lie sans devoir recourir à une résiliation judiciaire, ne prive pas la partie au préjudice de laquelle ce droit a été mis en œuvre de contester cette mise en œuvre en justice.
Dans sa mise en demeure en date du 28 août 2017, la SARL BC Alimentation a sommé la SAS Distribution Casino France de lui proposer un logiciel équivalent au logiciel Gold lui permettant de passer ses commandes sans avoir à contrôler l'ensemble de ses factures lignes à lignes et produits par produits et capable d'intégrer la politique tarifaire sans que ses modifications manuelles de prix ne soient écrasées, une indemnisation cohérente et sérieuse de son préjudice subi depuis le 3 mai 2016 et de lui justifier les raisons de ces dysfonctionnements.
Elle y indiquait préalablement que, depuis le 3 mai 2016, elle commande ses marchandises auprès de la centrale de sa cocontractante via le logiciel Gold, que les prix de revente aux consommateurs que ce logiciel lui conseille d'appliquer sont parfois moins élevés que les prix de cession, la conduisant ainsi à revendre ses marchandises à perte, que ce dysfonctionnement a déjà généré une perte importante de chiffre d'affaires et de marge pour sa société et qu'il la contraint à reprendre l'ensemble de ses factures et à modifier manuellement les prix des produits, ce qui occasionne une perte de temps inacceptable.
La SARL BC Alimentation soutient que les dysfonctionnements qui affectent le logiciel Gold constituent un manquement de la part de la SAS Distribution Casino France à l'obligation d'assistance prévue dans le contrat d'approvisionnement, plus précisément à celle de lui fournir un système de caisse informatique performant destiné à lui permettre d'améliorer la productivité de son point de vente.
Les dispositions d'une clause résolutoire doivent être interprétées strictement et elles ne peuvent sanctionner que les obligations expressément prévues par le contrat. En outre, elles doivent être mises en œuvre de bonne foi.
L'affirmation de la SARL BC Alimentation, selon laquelle les dysfonctionnements du logiciel Gold constituent un manquement caractérisé aux obligations contractuelles de la SAS Distribution Casino France se heurte à l'article 10 des conditions générales relatives au logiciel Gold, figurant en annexe 7 du contrat d'approvisionnement et à laquelle ce dernier renvoie expressément, rédigé comme suit :
" Le client reconnaît qu'il n'est pas possible de garantir que le système informatique satisfera à des exigences de performances et qu'il fonctionnera sans discontinuité.
Casino ne pourra pas être tenu pour responsable des dégradations éventuelles des informations, programmes, fichiers ou bases de données consécutives à l'utilisation des services de maintenances.
Casino ne pourra en aucun cas être tenu responsable à l'égard du client ou de tout tiers des dommages directs ou indirects résultant de l'utilisation du Progiciel. En tout état de cause, la responsabilité de Casino ne pourra excéder la somme totale effectivement perçue par Casino au titre du droit d'utilisation dans l'année où est constaté l'incident. "
L'argumentation de la SARL BC Alimentation selon laquelle cette convention relative au logiciel Gold ne peut se substituer au contrat d'approvisionnement, cela d'autant moins qu'il s'agit de contrats d'adhésion, ne s'impose pas avec l'évidence requise en référé et son appréciation implique de procéder à une analyse des deux conventions en cause qui ne relève pas de la compétence du juge des référés.
Il ne peut donc être tenu pour acquis à ce stade que les dysfonctionnements du logiciel Gold constituent une violation par la SAS Distribution Casino France de ses obligations contractuelles permettant à la SARL BC Distribution de mettre en œuvre la clause résolutoire stipulée dans le contrat d'approvisionnement.
En outre, s'il est établi par la société BC Distribution que des factures émises par le logiciel Gold comportent des erreurs en ce que des prix de vente conseillés sont, pour quelques produits, inférieurs au prix d'acquisition par celle-ci, ou d'un montant anormalement supérieur ou encore en ce que des prix ne sont pas indiqués, la nature et la gravité du préjudice causé par ces dysfonctionnements ne sont pas non plus démontrées avec l'évidence requise en référé.
Ainsi, force est de constater, tout d'abord que la SARL BC Alimentation ne démontre pas avoir exprimé à la SAS Distribution Casino France le moindre grief concernant le fonctionnement du logiciel Gold avant sa lettre de mise en demeure du 28 août 2017, bien qu'elle indique dans cette dernière rencontrer des difficultés avec celui-ci depuis la conclusion du contrat le 3 mai 2016.
Ensuite, la SARL BC Distribution ne démontre pas non plus avec l'évidence requise en référé que les conditions d'échelonnement de sa dette, qui avaient été convenues avec la SAS Distribution Casino France et visées dans la lettre de celle-ci en date du 9 juin 2017, en particulier celle de respecter les implantations et les étiquetages positionnés, lui imposaient de vendre ses produits aux prix conseillés par le logiciel Gold. Il convient de relever, à cet égard, que l'existence de cette obligation n'est pas mentionnée dans la mise en demeure du 28 août 2017.
De même, la SARL BC Distribution, qui soutient dans cette mise en demeure que le mauvais fonctionnement de ce logiciel a généré une perte importante de chiffre d'affaires et de marge pour sa société, ne fournit aucun élément de preuve au soutien de cette affirmation.
Le seul préjudice qui peut être admis comme établi avec l'évidence requise en référé et qui ressort du constat d'huissier qu'elle a fait établir le 15 novembre 2017 tient à la perte de temps que le contrôle des factures émises par le logiciel Gold et l'ajout des prix manquants dans celles-ci, génère, sans que l'importance totale de cette perte de temps ne soit indiquée ni ne puisse être évaluée et, partant, que l'impact réel des dysfonctionnements en cause sur la bonne marche du commerce de la SARL BC Alimentation ne soit mesurable et, partant, démontré.
Il ressort de ce qui précède qu'il existe à ce stade des doutes sérieux sur le manquement de la SAS Distribution Casino France à ses obligations contractuelles et la bonne foi de la SARL BC Alimentation dans la mise en œuvre de la clause résolutoire du contrat d'approvisionnement.
Il s'ensuit que l'intimée est fondée à soutenir que la résiliation de ce contrat à effet du 15 septembre 2017 revêt à ce stade un caractère manifestement illicite.
Par ailleurs, il est constant que cette résiliation avait eu pour conséquence de la part de la SARL BC Alimentation la cessation de toute commande de produits à la SAS Casino Distribution France ce qui était de nature à causer à cette dernière un dommage imminent.
La poursuite du contrat d'approvisionnement du 3 mai 2016 jusqu'à ce qu'une décision au fond intervienne est apte à prévenir ce dommage et à faire cesser ce trouble et l'astreinte prévue dans l'ordonnance attaquée est propre à assurer l'exécution de celle-ci.
Enfin, le premier juge a fait une application équitable de l'article 700 du Code de procédure civile et fondée de l'article 696 du même code, de sorte que l'ordonnance attaquée doit aussi être confirmée de ces chefs.
L'ordonnance rendue le 25 octobre 2017 sera, par conséquent, confirmée en toutes ses dispositions.
En cause d'appel, la SARL BC Alimentation, dont le recours est rejeté, devra, conformément à l'article 696 du Code de procédure civile, supporter les dépens tels qu'ils sont définis à l'article 695 du même code.
L'équité commande de décharger la SAS Distribution Casino France des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager dans le cadre du présent litige et de lui allouer ainsi, sur le fondement de l'article 700 dudit code, la somme de 5 000 euros.
Par ces motifs, confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 25 octobre 2017 par le juge des référés du Tribunal de commerce de Lyon ; Ajoutant à celle-ci, condamne la SARL BC Alimentation aux dépens d'appel et à payer à la SAS Distribution Casino France la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.