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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 19 janvier 2018, n° 17-16346

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société des Ateliers Mécaniques de Pont-sur-Sambre (SARL), Martin Invest (SAS)

Défendeur :

Eurenco (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Kerner-Menay

Conseillers :

M. Vasseur, Mme Dias-Da Silva

Avocats :

Mes Guinet, Bouabdelli

T. com. Evry, du 24 juill. 2017

24 juillet 2017

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Eurenco anciennement SNPE (Société Nationale des Poudres et Explosifs) est spécialisée dans la fabrication des poudres entrant dans la composition des bombes et explosifs de l'armée française. La société des Ateliers Mécaniques de Pont-sur-Sambre (ci-après la société SAMP) est spécialisée quant à elle dans la fabrication des corps de bombe, ce qui correspond à l'enveloppe métallique des bombes. Aussi les deux sociétés exerçaient-elles une activité complémentaire, l'une pour le contenu, l'autre pour le contenant, des bombes commandées par l'armée française.

Ces deux sociétés, la société Eurenco et la société SAMP ont naguère répondu en cotraitance, selon le terme qu'elles emploient pour chacune d'entre elles, à des marchés publics de la direction générale de l'armement.

Cependant, à l'occasion d'un avis de marché publié le 16 décembre 2014, la société Eurenco a rejeté une proposition de réponse commune qui lui avait été faite par la société SAMP et le marché a finalement été attribué à une société tierce, la société RWM Italia, laquelle a ensuite signé avec la société Eurenco un contrat de sous-traitance.

Par acte du 1er juin 2016, la société SAMP ainsi que la société Martin Invest qui détient la totalité de son capital social, ont fait assigner la société Eurenco devant le Tribunal de commerce d'Evry en demandant la condamnation de cette dernière au paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle. En cours d'instance, la société SAMP a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire, prononcée par le Tribunal de commerce de Valenciennes le 15 mai 2017, M. X étant nommé liquidateur judiciaire.

Par jugement du 24 juillet 2017, le Tribunal de commerce d'Evry a :

- constaté que la présente affaire relève de la compétence du Tribunal de commerce de Paris ;

En conséquence,

- soulevé l'exception d'incompétence et s'est déclaré incompétent pour connaître de la présente cause ;

- désigné le Tribunal de commerce de Paris pour connaître du litige au fond et renvoyé les parties à se pourvoir devant ladite juridiction conformément aux dispositions de l'article 96 alinéa 2 du Code de procédure civile ;

- dit que faute pour les parties de présenter une déclaration de contredit au greffe du tribunal dans le délai de 15 jours à compter du présent jugement conformément aux dispositions de l'article 82 du Code de procédure civile, le dossier de la présente affaire sera transmis par le greffier du tribunal à la juridiction désignée par application des dispositions de l'article 97 du Code de procédure civile ;

- dit qu'en cas de contredit, le greffier du tribunal notifiera sans délai à la partie adverse une copie dudit contredit par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, en informera également son représentant le cas échéant et transmettre simultanément au greffier de la cour d'appel le dossier de l'affaire avec le contredit et une copie de jugement conformément à l'article 83 du Code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné solidairement les sociétés SAMP et Martin aux entiers dépens en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 99,32 euros TTC.

Les sociétés SAMP et Martin Invest ont formé contredit de ce jugement le 3 août 2017. Dans leur acte motivé de contredit, ces deux sociétés demandent à la cour de :

- dire et juger la société SAMP prise en la personne de Me X, ès qualiés de liquidateur judiciaire, et la société Martin Invest recevables et bien fondées en leur contredit ;

- dire et juger que le Tribunal de commerce d'Evry est compétent pour se prononcer sur les demandes des sociétés SAMP prise en la personne de Me Y, ès qualités de liquidateur judiciaire, et Martin Invest fondées sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil (ancien) ;

et en conséquence :

- réformer le jugement du Tribunal de commerce d'Evry du 24 juillet 2017, par lequel le tribunal s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris ;

- renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce d'Evry, autrement constitué ;

- réserver les dépens du contredit, lesquels seront liquidés comme ceux de la demande au fond.

Les sociétés SAMP et Martin Invest qui se réfèrent à l'audience aux termes de leur acte de contredit invoquent :

- une méconnaissance des termes du litige, les sociétés SAMP et Martin Invest ayant agi à l'encontre de la société Enrenco en responsabilité délictuelle sur le seul fondement de l'article 1382 ancien du Code civil, de sorte qu'en retenant que l'affaire concerne une rupture brutale des relations commerciales établies, le tribunal a méconnu les termes du litige ;

- une violation du principe de la contradiction, le tribunal de commerce ayant d'office, soumis le litige à une autre règle de droit que celle invoquée et débattue par les parties, et ayant déduit de cette autre règle son incompétence, sans jamais soumettre ces points aux parties afin de les inviter à faire valoir leurs observations, de sorte que c'est postérieurement aux débats qu'il est apparu que le juge avait considéré que l'affaire concernait une rupture brutale de relations commerciales établies ;

- une mauvaise appréciation du fondement, en l'absence de rupture brutale des relations commerciales établies, l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce n'ayant pas lieu de s'appliquer dès lors qu'il n'y a eu aucune relation commerciale établie entre les parties, et donc aucune rupture mais seulement un refus de co-traiter.

A l'audience, se référant aux termes de ses conclusions, la société Eurenco et de manière convergente avec les demanderesses au contredit, sollicite de :

- dire et juger que l'action engagée par les sociétés SAMP et Martin Invest devant le Tribunal de commerce d'Évry, par assignation du 1er juin 2006, ne concerne pas des relations commerciales établies avec la société Eurenco dont la rupture justifierait la compétence dérogatoire du Tribunal de commerce de Paris ;

- réformer le jugement du Tribunal de commerce d'Évry du 24 juillet 2017 en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître du litige opposant les sociétés SAMP et Martin Invest à la société Eurenco ;

En conséquence,

- dire et juger que le tribunal de commerce est exclusivement compétent pour se prononcer sur les demandes des sociétés SAMP et Martin Invest telles qu'exposées dans l'assignation du 1er juin 2016 ;

- renvoyer la cause et les parties devant le Tribunal de commerce d'Évry afin que celui-ci entende les parties en leurs observations au fond ;

- condamner solidairement les sociétés SAMP et Martin Invest à verser à la société Eurenco la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner solidairement les sociétés SAMP et Martin Invest aux entiers dépens de l'instance.

A l'instar de leurs adversaires à la procédure au fond, la société Eurenco indique qu'aucune des parties n'a placé le litige sur le terrain de la rupture abusive de relations commerciales et que le débat ne portait que sur le refus de la société Eurenco d'accepter la proposition de cotraitance que la société SAMP lui avait transmise. Elle indique que le critère de la relation commerciale établie ne sont au demeurant pas réunis, qu'il n'a jamais existé un quelconque accord-cadre fixant les relations entre les sociétés Eurenco et SAMP, de sorte que la compétence dérogatoire du Tribunal de commerce de Paris n'a pas lieu d'être retenue.

Sur ce,

LA COUR

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce prévoit qu'un commerçant ou un industriel engage sa responsabilité lorsqu'il rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans un préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les relations ainsi visées par cette disposition peuvent être à durée déterminée ou indéterminée, peuvent consister en des contrats successifs ayant un objet identique, peuvent avoir été formalisées par un écrit ou non, de sorte qu'il n'est pas nécessaire pour établir de telles relations commerciales qu'il y ait un accord-cadre. Au demeurant, la Cour de cassation admet qu'il puisse exister une relation commerciale établie en l'absence même de tout contrat (Com. 5 mai 2009, n° 08-11.916).

En revanche, il est constant que les parties n'entretenaient pas de relations commerciales établies. Ainsi, il résulte des termes mêmes du contredit que le dernier marché de cotraitance ayant associé la société SAMP et la société Eurenco datait de 2009, ce qu'indique également la société Eurenco de sorte que cinq années s'étaient écoulées lors de la publication du nouvel avis de marché qui est à l'origine du présent litige. De même, la société SAMP indique elle-même expressément que, outre l'absence de relation commerciale établie, son adversaire n'était pas tenu de respecter un quelconque préavis.

En l'absence de toute prétention de la société SAMP à voir sanctionner le défaut d'un préavis par son adversaire et faute d'une relation commerciale établie, ce qui est affirmé par chacune des parties au présent litige, c'est à tort que le Tribunal de commerce d'Evry a retenu que l'affaire concernait la rupture d'une relation commerciale établie entre les parties et devait, comme telle, relever de la compétence exclusive du Tribunal de commerce de Paris.

Aussi convient-il de déclarer la société SAMP bien-fondée en son contredit et, infirmant le jugement entrepris, de renvoyer l'examen de la cause devant le Tribunal de commerce d'Evry, initialement saisi.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare le contredit recevable et bien fondé ; Dit que le Tribunal de commerce d'Evry, initialement saisi, est compétent pour connaître de l'action engagée par la société SAMP à l'encontre de la société Eurenco ; Dit que chaque partie conservera à la sa charge les frais du contredit qu'elles ont respectivement exposés. Rejette la demande de la société Eurenco au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.