CA Lyon, 6e ch., 18 janvier 2018, n° 16-01854
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
X
Défendeur :
Iicsen (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boisselet
Conseillers :
Mme Clerc, M. Gaget
Avocats :
Mes Villand, Nouvellet
FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES
Antonia A.C. est propriétaire de plusieurs appartements à Saint Chamond (Loire). Durant les années 2007 à 2010, elle a confié le remplacement de radiateurs à David M., exerçant son activité en nom personnel à l'enseigne DM Electricité.
Quatre ans plus tard, les appareils, fournis par la SARL Iicsen, se sont révélés défectueux. La société Iicsen a fourni des appareils neufs de remplacement qui ont été installés par la société Entreprise Générale JP Bonnand en 2014.
Entre temps, M. M. a été placé en liquidation judiciaire par le Tribunal de commerce de Saint-Etienne le 21 mars 2012.
La société Iicsen a refusé de prendre en charge les frais de pose des nouveaux appareils, ainsi que la fourniture et la pose de quatre radiateurs dans l'un des appartements.
Par acte d'huissier de justice en date du 24 mars 2015, Mme A. a fait assigner la SARL Iicsen à comparaître devant le Tribunal d'instance de Saint-Etienne, pour la voir condamner notamment à lui payer les sommes suivantes :
- 2 706,55 euros au titre des frais de pose des nouveaux appareils de chauffage,
- 393,80 euros au titre de la pose à prévoir des quatre derniers radiateurs dans l'immeuble loué par M. F.,
- 760 euros au titre du coût des radiateurs,
- 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.
Par jugement du 15 décembre 2015, le Tribunal d'instance de Saint-Etienne a déclaré irrecevable l'action
formée par Mme A. à l'encontre de la SARL Iicsen, dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné Mme A. aux dépens.
Mme A. a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe de la cour le 9 mars 2016.
En ses dernières conclusions du 2 mai 2017, Antonia A.C. demande à la cour dire son appel recevable et bien fondé et :
- juger qu'elle et parfaitement recevable à agir à l'encontre de la société Iicsen au visa des articles 1386-1 et suivants du Code civil, notamment 1386-7,
vu l'arrêt de la CJUE du 5 mars 2015,
- constater que, par lettre du 28 juillet 2014 (pièce adverse n° 2) la société Iicsen a, par l'intermédiaire de son conseil, reconnu le caractère défectueux des matériels au sens de l'article 1386-7,
- faire en conséquence droit aux demandes de Mme A. et condamner la SARL Iicsen au paiement des sommes suivantes :
- 2 706,55 euros ttc au titre du coût de pose de remplacement des appareils de chauffage défectueux,
- 393,80 euros au titre de la pose à prévoir des quatre derniers radiateurs dans l'immeuble loué par M. F.,
- 760 euros au titre du coût des appareils concernant l'appartement loué par M. F.,
- 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- condamner la SARL Iicsen au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Iicsen aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de Me Géraldine Villand, avocat.
Par dernières conclusions du 13 juin 2017, la SARL Iicsen demande à la cour, vu les articles 1386-1 et suivants, 1147 et 1382 du Code civil,
à titre principal,
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal d'instance de Saint-Etienne le 15 décembre 2015, en ce qu'il a déclaré Mme A. irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Iicsen ;
à titre subsidiaire, au fond,
Sur les demandes de Mme A. au titre des frais de pose et des coûts des radiateurs :
- constater que Mme A. ne rapporte pas la preuve du caractère défectueux des radiateurs ;
- débouter en conséquence Mme A. de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la societé Iicsen ;
à titre infiniment subsidiaire,
- constater que les conditions générales de vente de la société Iicsen et spécifiquement son article 11 sont opposables à Mme A. ;
- dire que la demande formulée par Mme A. au titre des coûts de remplacement des radiateurs ne repose sur aucun élément ;
- débouter en conséquence Mme A. de l'ensemble de ses demandes à l`encontre de la société Iicsen ;
Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive :
- constater que Mme A. ne justifie d'aucun dommage, d`aucun préjudice et d'aucun lien de causalité entre ce dommage et ce préjudice ;
- la débouter de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
en toutes hypothèses,
- condamner Mme A. à payer à la société Iicsen la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, " dont distraction au profit de Me Philippe Nouvellet de la SCP Aguiraud Nouvellet, avocats au barreau de Lyon " ;
- condamner Mme A. aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 septembre 2017.
Il est expressément renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l'exposé exhaustif de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les dispositions légales applicables au litige
La fourniture des radiateurs litigieux datant des années 2007 à 2010, les références des articles du Code civil citées ci-après sont celles des textes en leur rédaction en antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
Il résulte de l'article 1386-2 du Code civil que les dispositions des articles 1386-1 à 1386-18 du même Code s'appliquent à la réparation des dommages au personnes et, dans certaines limites, des dommages aux biens autres que le produit défectueux lui-même.
Ces dispositions transcrivent au plan national celles de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Par arrêt du 5 mars 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a considéré, à propos d'appareils de stimulation cardiaque, que l'opération chirurgicale de remplacement du produit défectueux est un dommage dont le producteur est responsable.
Il s'en déduit que, dans le cas des radiateurs dont la défectuosité est de nature à occasionner un dommage aux personnes, s'agissant en l'occurrence d'écoulements huileux pouvant être provoquer des chutes ou être ingérés par des jeunes enfants, l'opération de remplacement des appareils est bien un dommage dont le producteur doit supporter l'indemnisation.
La clause des conditions générales de vente opposée par la société Iicsen, prétendant limiter son engagement au seul remplacement des objets défectueux, est inopérante, en vertu de l'article 1386-15 al.1 qui prévoit que les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité du fait des produits défectueux sont interdites et réputées non écrites.
La société Iicsen soutient en effet vainement que ce même article dispose, en son 2ème alinéa, que les dommages causés aux biens qui ne sont pas utilisés par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privée peuvent faire l'objet de clauses stipulées entre professionnels.
En effet, s'il est exact que Mme A. n'a pas usé des biens à titre personnel, le seul fait qu'elle est propriétaire de plusieurs logements dont elle tire des revenus locatifs ne lui confère pas automatiquement la qualité de bailleur professionnel.
En l'occurrence, tel n'est pas le cas, dès lors qu'elle n'est pas inscrite au registre du commerce et des sociétés, n'est pas soumise au régime fiscal correspondant et se borne à percevoir les loyers des biens gérés par un cabinet immobilier destinataire des devis et factures de l'entreprise Bonnand.
Sur la défectuosité des radiateurs
L'article 1386-4 du Code civil définit le produit défectueux comme n'offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Le tribunal a retenu à bon droit que la défectuosité des radiateurs est établie au regard du courrier du 28 juillet 2014 du conseil de la SARL Iicsen indiquant que " Les dispositions de l'article 1386-7 ont été parfaitement honorées par le remplacement des appareils défectueux ".
Au demeurant, la fourniture gratuite d'une quarantaine d'appareils de remplacement (selon les factures de l 'entreprise Bonnand) excède le simple geste commercial et s'analyse en la reconnaissance du caractère défectueux de ceux précédemment installés.
Etant ajouté que trois témoignages de locataires de Mme A. confirment les fuites d'huile.
Sur le droit à indemnisation de Mme A.
Le premier juge a estimé que Mme A. ne pouvait pas, au regard des dispositions de l'article 1386-7 du Code civil, rechercher la responsabilité du fournisseur, la SARL Iicsen, sans avoir préalablement demandé à cette société ou aux entreprises installatrices les coordonnées du producteur des radiateurs défectueux.
Au vu de l'extrait d'inscription au registre du commerce et des sociétés, il s'avère que la société Iicsen a effectivement un objet social portant essentiellement sur le négoce et les activités de conception, distribution, assistance commerciale de produits techniques, sans mention de production proprement dite.
Selon son courrier du 11 avril 2016, le fournisseur des produits litigieux est une société ayant son siège à Shangaï (Chine).
Cependant, il résulte de l'article 1386-6 du Code civil qu'est notamment assimilée à un producteur toute personne agissant à titre professionnel qui importe un produit dans la " Communauté européenne " en vue d'une vente, d'une location avec ou sans promesse de vente, ou de tout autre forme de distribution.
Cette disposition vise à assurer l'effectivité du recours du consommateur, qui ne pourrait d'évidence pas faire aisément valoir ses droits dans la plupart des pays étrangers à l'Union européenne.
En conséquence, le jugement doit être infirmé en ce qu'il a considéré à tort que Mme A. recherchait la responsabilité de la société Iicsen en qualité de fournisseur et non de producteur par l'assimilation résultant du texte précité.
Sur le préjudice de Mme A.
Il résulte des factures de l'entreprise Bonnand versées aux débats que Mme A. a réglé les sommes suivantes, pour la pose des radiateurs fournis par la société Iicsen :
- appartement Claveizolle, 4 radiateurs : 190 euros ht
- appartement Dutour, 7 radiateurs : 304 euros ht
- appartement Goyet, 3 radiateurs : 171 euros ht
- appartement Benidito, 4 radiateurs : 190 euros ht
- appartement Hilaire Ogier, 7 radiateurs : 475 euros ht
- appartement Veyre, 7 radiateurs : 446,50 euros ht
- appartement Arnould G., 4 radiateurs : 304 euros ht
- appartement Malhomme, 3 radiateurs : 190 euros ht
- appartement Fumas, 4 radiateurs : 190 euros ht
2 460,50 euros ht,
soit 2 706,55 euros ttc
A cette somme s'ajoute le coût de remplacement des radiateurs de l'appartement Fumas que la SARL Iicsen a refusé de livrer, soit 760 euros.
Sur ce point, la société Iicsen soutient que ce montant n'est pas justifié mais les factures de l'entreprise DM Electricité révèlent que le coût unitaire des radiateurs posés entre 2007 et 2010 (fournis par Iicsen) était du même ordre, voire inférieur.
On relève par exemple sur la facture proforma du 7 juillet 2010 que le coût de chaque radiateur était de 194,72 euros ht, ce qui correspondrait à plus de 856 euros ttc pour 4 radiateurs avec la TVA actuellement en vigueur au taux de 10 %.
La somme réclamée de 760 euros n'est donc nullement excessive.
En revanche, il n'y a pas lieu d'ajouter le coût de pose de ces radiateurs, déjà facturé par l'entreprise Bonnand pour l'appartement Fumas, comme indiqué ci-dessus.
Sur les demandes accessoires
La résistance de la société Iicsen, pour être infondée en droit, n'en est pas pour autant abusive et, de surcroît, Mme A. ne justifie pas d'un préjudice spécifique à l'appui de sa demande de dommages et intérêts, dont elle doit être déboutée.
La société Iicsen, partie perdante, supporte les dépens de première instance et d'appel. Elle conserve la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés et doit indemniser Mme A. de ses propres frais à concurrence de 3 000 euros.
Par ces motifs, LA COUR, Réforme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 15 décembre 2015 par le Tribunal d'instance de Saint-Etienne ; Statuant à nouveau, Condamne la SARL Iicsen à payer à Antonia A.C. les sommes suivantes : - 2 06,55 euros au titre des frais de pose des appareils de remplacement ; - 760 euros au titre du coût de remplacement des quatre appareils défectueux pour lesquels des appareils de remplacement n'ont pas été fournis ; Condamne la SARL Iicsen aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement direct au profit de Me Géraldine Villand, avocat ; Condamne la SARL Iicsen à payer à Antonia A.C. la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes.