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Décisions

ADLC, 20 décembre 2017, n° 17-D-25

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Décision relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des dispositifs transdermiques de fentanyl

ADLC n° 17-D-25

20 décembre 2017

L'Autorité de la concurrence (section II),

Vu la lettre, enregistrée le 6 mars 2009 sous les numéros 09/0025F et 09/0026M par laquelle la société Ratiopharm a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Janssen-Cilag SAS sur les marchés de la commercialisation en officine et à l'hôpital de Durogesic et a demandé le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du code de commerce ; Vu la décision n° 09-D-28du 31 juillet 2009 relative à des pratiques de Janssen-Cilag France dans le secteur pharmaceutique, rendue à la suite d'une demande de mesures conservatoires ; Vu la décision du 20 novembre 2014 procédant à la disjonction de l'instruction de la saisine de la société Ratiopharm en plusieurs affaires ; Vu la décision n° 15-DE-0l du 10 février 2015 relative au désistement de la société Teva Santé, anciennement Ratiopharm, et à la poursuite de l'instruction de l'affaire ; Vu l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du code de commerce ; Vu les décisions de secret d'affaires n° 15-DSA-111 du 10 mars 2015, n° 15-DSA-112 du 10 mars 2015, n° 12-DSA-391 du 19 novembre 2012, n° 16-DSA-04 du 7 janvier 2016, n° 14-DSA-275 du 20 octobre 2014, n° 09-DSA-72a du 12 mai 2009, n° 15-DSA-44 du 30 janvier 2015, n° 14-DSA-297 du 28 octobre 2014, n° 15-DSA-411 du 03 décembre 2015, n° 14-DSA-223 du 31 juillet 2014, n° 15-DSA-71 du 17 février 2015, n° 15-DSA-101 du 5 mars 2015, n° 15-DSA-102 du 05 mars 2015, n° 15-DEC-08 du 23 mars 2015, n° 16-DEC-01 du 7 janvier 2016, n° 16-DEC-423 du 28 décembre 2016, n° 17-DEC-050 du 2 février 2017, n° 15-DECR-18 du 23 mars 2015, n° 15-DECR-21 du 24 mars 2015, n° 15-DECR-24 du 20 avril 2015 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par les sociétés Johnson & Johnson et Janssen-Cilag SAS ainsi que par le commissaire du Gouvernement ; Vu la note des services d'instruction remise en séance le 12 octobre 2017 et la note en délibéré des sociétés Johnson & Johnson et Janssen-Cilag SAS du 16 novembre 2017 ; Les rapporteurs, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Janssen-Cilag SAS et Johnson & Johnson, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 12 octobre 2017 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Seront successivement présentés la procédure (A), le secteur d'activité concerné (B), les entreprises mises en cause (C) et les pratiques relevées (D).

A. LA PROCÉDURE

1. LA SAISINE DE RATIOPHARM

2. Par lettre en date du 6 mars 2009, enregistrée sous les numéros 09/0025 F et 09/0026 M, la société Ratiopharm a saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après, l' " Autorité ") de pratiques mises en œuvre par la société Janssen-Cilag SAS (ci-après, " Janssen-Cilag "), dans le secteur des dispositifs transdermiques de fentanyl. Dans sa plainte, Ratiopharm reproche notamment à Janssen-Cilag d'avoir, dans un premier temps, exercé des pressions sur l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (ci-après, l' " AFSSAPS ") pour empêcher la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché (ci-après, " AMM ") et l'obtention du statut de générique pour ses patchs de fentanyl, puis, dans un second temps, d'avoir mené une campagne de dénigrement auprès des professionnels de la santé afin de faire obstacle à la commercialisation de ses produits.

3. Ratiopharm a assorti sa saisine au fond d'une demande de mesures conservatoires visant à faire cesser les pratiques dénoncées.

4. Par sa décision n° 09-D-28 du 31 juillet 2009, l'Autorité a rejeté cette demande tout en décidant de poursuivre l'instruction au fond de l'affaire.

2. LES OPÉRATIONS DE VISITE ET SAISIE

5. Le 29 avril 2009, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre a autorisé les agents de l'Autorité à procéder à des opérations de visite et saisie notamment dans les locaux de Janssen-Cilag, situés à Issy-Les-Moulineaux. Ces opérations ont été effectuées du 5 au 6 mai 2009 et ont permis de recueillir de nombreux documents et fichiers informatiques.

6. Le 18 mai 2009, Janssen-Cilaga formé un recours en annulation de ces opérations devant la cour d'appel de Versailles. Par une ordonnance du 19 février 2010, la cour d'appel a annulé la saisie de trois fichiers et en a ordonné la restitution. Pour le reste, les opérations en cause ont été déclarées régulières.

7. Par deux arrêts du 30 novembre 2011, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par Janssen-Cilag et le rapporteur général de l'Autorité.

8. Par arrêt du 13 avril 2017, la Cour européenne des droits de l'Homme a déclaré la requête de Janssen-Cilag irrecevable, après avoir considéré que les visites et saisies effectuées dans les locaux de la requérante étaient conformes aux articles 6, paragraphes 1 et 3 (droit à un procès équitable), 6, paragraphe 3c), 8 (droit à un recours effectif) et 13 (droit au respect du domicile et de la correspondance) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

3. LA SAISINE D'OFFICE DE L'AUTORITÉ

9. Par lettre enregistrée le 11décembre 2014, Ratiopharm (devenue " Teva Santé ") a informé l'Autorité du désistement de sa saisine (cote 38137).

10. Par décision n° 15-DE-01 du 10 février 2015, le Président de l'Autorité a donné acte de ce désistement et a décidé de la poursuite de l'instruction de l'affaire (cote 39593).

11. Le 18 janvier 2016, la rapporteure générale de l'Autorité a adressé une notification de griefs pour des pratiques prohibées au titre de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après, " TFUE ") et de l'article L. 420-2 du code de commerce à la société Janssen-Cilag, en qualité d'auteur, et à la société Johnson & Johnson, en tant que société mère.

B. LE SECTEUR D'ACTIVITÉ CONCERNÉ

1. LE CADRE LÉGALET RÉGLEMENTAIRE DE LA COMMERCIALISATIONDE MÉDICAMENTS EN FRANCE

a) Notions de médicament et de médicament générique

Définition du médicament

12. Le code de la santé publique définit le médicament comme " toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme ou chez l'animal ou pouvant leur être administrée, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique " (article L. 5111-1 du code de la santé publique).

13. Le code de la santé publique définit par ailleurs la spécialité pharmaceutique comme " tout médicament préparé à l'avance, présenté sous un conditionnement particulier et caractérisé par une dénomination spéciale " (article L. 5111-2 du code de la santé publique).

Définition du médicament de référence et conditions d'octroi du statut de médicament générique

14. Le médicament de référence ou médicament princeps est le premier médicament commercialisé contenant le principe actif. Il s'agit du médicament " original ", qui est protégé par un brevet d'une durée variable.

15. Le médicament générique est quant à lui conçu à partir de la molécule d'un médicament déjà autorisé, le médicament princeps, dont le brevet est désormais tombé dans le domaine public.

16. L'article 10, paragraphe 2, b) de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain définit le médicament générique comme suit :

" [U]n médicament qui a la même composition qualitative et quantitative en substances actives et la même forme pharmaceutique que le médicament de référence et dont la bioéquivalence avec le médicament de référence a été démontrée par des études appropriées de biodisponibilité. Les différents sels, esters, éthers, isomères, mélanges d'isomères, complexes ou dérivés d'une substance active sont considérés comme une même substance active, à moins qu'ils ne présentent des propriétés sensiblement différentes au regard de la sécurité et/ou de l'efficacité. Dans ce cas, des informations supplémentaires fournissant la preuve de la sécurité et/ou de l'efficacité des différents sels, esters ou dérivés d'une substance active autorisée doivent être données par le demandeur. Les différentes formes pharmaceutiques orales à libération immédiate sont considérées comme une même forme pharmaceutique. Le demandeur peut être dispensé des études de biodisponibilité s'il peut prouver que le médicament générique satisfait aux critères pertinents figurant dans les lignes directrices détaillées applicables ".

17. Ainsi, trois conditions de fond doivent être remplies afin qu'un médicament soit qualifié de générique par rapport à une spécialité de référence : (i) l'identité de la composition qualitative et quantitative en principe actif, (ii) l'identité de la forme pharmaceutique et (iii) la bioéquivalence par rapport à la spécialité de référence.

18. La notion de médicament générique concerne avant tout l'équivalence des effets thérapeutiques, laquelle est établie au travers de l'étude de bioéquivalence. Cette notion vise " l'équivalence des biodisponibilités ", la biodisponibilité étant " la vitesse et l'intensité de l'absorption dans l'organisme, à partir d'une forme pharmaceutique, de la substance active ou de sa fraction thérapeutique destiné à devenir disponible au niveau des sites d'action " (article R. 5121-1 du code de la santé publique). Pour conclure à la bioéquivalence entre le médicament princeps et le médicament générique, l'intervalle de confiance du ratio Générique / Princeps, fixé par la réglementation européenne, doit être entièrement compris dans l'intervalle [80,00 % - 125,00 %]. Il existe toutefois certains médicaments, dits à marge thérapeutique étroite, pour lesquels de faibles variations de dose ou de concentration peuvent être à l'origine de différences importantes d'efficacité ou de tolérance. L'intervalle d'acceptabilité de la bioéquivalence est alors resserré.

b) Les procédures d'autorisation de mise sur le marché

19. Tout médicament fabriqué industriellement et mis en vente sur un marché national ou dans l'Union européenne doit faire l'objet d'une AMM.

20. Les procédures d'octroi d'AMM permettent d'évaluer les médicaments (princeps ou génériques) concernés, notamment en termes de sécurité, d'efficacité ou d'équivalence des effets thérapeutiques (cette dernière condition s'appliquant aux médicaments génériques). Les autorités de santé compétentes pour délivrer l'AMM s'appuient sur les résultats d'études effectuées par les laboratoires pharmaceutiques demandeurs d'AMM (essais cliniques et précliniques pour les médicaments princeps et études de bioéquivalence pour les médicaments génériques). Elles ne procèdent, de façon générale, pas elles-mêmes aux expériences scientifiques requises pour l'analyse des effets d'un médicament.

Les procédures d'octroi d'AMM

21. Au niveau européen, le dispositif encadrant les procédures d'octroi d'AMM des médicaments à usage humain sur le territoire de l'UE est fixé par le règlement (CE) n° 726/2004 et la version consolidée du code communautaire relatif aux médicaments à usage humain.

22. Ces dispositions harmonisent les conditions dans lesquelles les autorités compétentes des États membres peuvent délivrer une AMM sur leurs territoires nationaux respectifs, étant précisé que seuls les médicaments ayant fait l'objet d'une AMM délivrée par l'autorité compétente d'un État membre peuvent être mis en circulation sur le marché (article 6 du code communautaire relatif aux médicaments à usage humain).

23. Il existe quatre procédures distinctes d'octroi d'AMM. Trois d'entre elles sont régies par les textes européens, la quatrième étant la procédure nationale. Les procédures européennes

24. Les procédures européennes portent sur les situations dans lesquelles un demandeur souhaiterait obtenir une AMM (princeps ou générique) couvrant plusieurs États membres de l'Union européenne. Il s'agit de la procédure centralisée, la procédure décentralisée et la procédure de reconnaissance mutuelle.

25. Les deux premières procédures s'appliquent lorsqu'aucune demande d'AMM n'a encore été traitée par une agence nationale. La troisième procédure est applicable dès lors qu'un État membre a déjà délivré une AMM sur son territoire national pour le médicament concerné (articles 29 à 39 du code communautaire relatif aux médicaments à usage humain).

26. S'agissant de cette dernière procédure, les États membres concernés par la demande d'AMM sont appelés à reconnaître l'AMM octroyée par l'État membre de référence, qui est celui qui a délivré la première AMM. À cet effet, celui-ci établit ou met à jour un rapport d'évaluation, lequel est transmis aux autres États membres avec le résumé des caractéristiques du produit (ci-après, " RCP "), l'étiquetage et la notice (article 28 du code communautaire relatif aux médicaments à usage humain).

27. Lorsque les États concernés par la demande adoptent une position unanime quant à l'octroi de l'AMM, cette position commune prévaut et chaque agence nationale compétente délivre cette autorisation au laboratoire ayant introduit la demande.

28. En revanche, dans l'hypothèse d'un désaccord persistant entre les États concernés, l'Agence européenne du médicament (ci-après, " AEM ") doit en être informée et une procédure d'arbitrage est alors initiée (article28du code communautaire des médicaments). Le Comité des médicaments à usage humain (ci-après, " CHMP ") de l'AEM délivre un avis à l'issue de cet arbitrage, lequel est soumis à la Commission européenne pour décision finale. Si celle-ci est convaincue par les conclusions de l'AEM, elle reproduit son avis avec sa décision finale enjoignant aux États membres concernés d'octroyer l'AMM au niveau national (articles 30 à 34 du code communautaire relatif aux médicaments à usage humain).

29. Cette décision est alors adressée aux États membres et communiquée pour information au titulaire de l'AMM. Les États membres concernés sont tenus de délivrer l'AMM en conformité avec cette décision dans un délai de 30 jours suivant sa notification (article 34 paragraphe 3 du code communautaire relatif aux médicaments à usage humain et article R. 5121-51-5 du code de la santé publique). À défaut, un manquement est susceptible d'être constaté par la Cour de justice de l'Union européenne, conformément à la procédure prévue aux articles 258 à 260 du TFUE.

30. Si un État membre ou une partie démontrant l'existence d'un intérêt à agir (par exemple, un laboratoire princeps lorsque la procédure a porté sur l'octroi d'AMM pour une spécialité générique de son princeps) est en désaccord avec cette décision, il lui est possible de la contester dans le cadre des recours ad hoc prévus par le TFUE devant les juridictions de l'Union européenne.

La procédure nationale

31. Au niveau national, en l'absence de toute procédure européenne, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ci-après, " ANSM "), anciennement l'AFSSAPS délivre les AMM, conformément à l'article L. 5121-8 du code de la santé publique.

32. Cette délivrance d'AMM est soumise aux conditions établies par le code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, lesquelles ont été transposées en droit national.

33. Les laboratoires génériques sont tenus d'informer le laboratoire princeps de tout dépôt de demande d'AMM pour une spécialité générique au niveau national (article L. 5121-10 du code de la santé publique).

Études soumises dans le cadre des procédures d'octroi d'AMM

34. Les laboratoires pharmaceutiques soumettent, dans le cadre des procédures d'octroi d'AMM, des études scientifiques relatives à l'efficacité de leurs médicaments.

35. Concernant les médicaments princeps, les laboratoires soumettent principalement des études dites cliniques et précliniques.

36. S'agissant des médicaments génériques, le demandeur d'AMM présente un " dossier abrégé ", en ce qu'il ne fournit que des résultats d'essais précliniques et cliniques, mais doit néanmoins démontrer que les conditions de fond propres aux médicaments génériques sont remplies (article 10 du code communautaire relatif aux médicaments à usage humain). Les demandes d'AMM portant sur des médicaments génériques comprennent ainsi un dossier biopharmaceutique ou de bioéquivalence.

c) Le répertoire des médicaments génériques

Inscription au répertoire des médicaments génériques

37. Lorsqu'elle décide de délivrer une AMM à une spécialité générique, l'ANSM doit notifier sa décision au titulaire du princeps. Au terme d'un délai de 60 jours, l'ANSM adopte une décision d'inscription au répertoire des génériques, qui sera publiée sur son site Internet et au JORF (article L. 5121-10 du code de la santé publique).

38. Ainsi, l'obtention d'une AMM fondée sur les conditions propres aux médicaments génériques donne lieu à l'inscription de la spécialité au répertoire des génériques.

39. Dès lors qu'un médicament générique est inscrit au répertoire des génériques, le pharmacien d'officine peut délivrer par substitution à la spécialité prescrite une spécialité du même groupe générique (article L. 5125-23 du code de la santé publique).

Les mises en garde relatives à la substitution

40. Le décret n° 2008-435 du 6 mai 2008 relatif à la mise sur le marché de spécialités pharmaceutiques à usage humain modifiant le code de la santé a introduit la possibilité pour l'autorité nationale de santé d'assortir la création d'un groupe au répertoire des génériques d'une mise en garde relative à la substitution. L'ANSM peut ainsi indiquer que la substitution peut entraîner un risque particulier pour la santé de certains patients dans certains cas (article R. 5121-5 du code de la santé publique).

41. Avant cette date, l'AFSSAPS procédait à la diffusion de messages relatifs à la substitution valant mise en garde, par voie de communiqués de presse et de courriers adressés aux professionnels de la santé (cote 34061).

d) Les modalités de vente en ville et à l'hôpital

42. Les modes de fixation des prix des médicaments varient en fonction du canal de vente.

Les principes relatifs à la fixation du prix des médicaments remboursables en ville

43. Le prix de vente au public est fixé par convention entre l'entreprise exploitant le médicament et le Comité économique des produits de santé (ci-après, " CEPS ") ou, à défaut, par décision du CEPS (article L. 162-16-4 du code de la santé publique).

44. Le prix d'un générique est exprimé par une décote représentant un certain pourcentage du prix du princeps de référence avant la commercialisation des génériques. Entre 2008 et 2012, cette décote était généralement fixée à 55 % du prix fabricant hors taxe, le prix princeps baissant quant à lui de 15 % après la commercialisation du premier générique.

45. L'assurance maladie fixe des objectifs de substitution au sein du répertoire des génériques. En 2006, l'objectif de substitution a été fixé à 70 %. En 2012, il était fixé à 85 %. Dans l'hypothèse où les objectifs de substitution entre princeps et génériques ne sont pas remplis, les pouvoirs publics disposent de la possibilité d'imposer un tarif forfaitaire de responsabilité (ci-après, " TFR "), applicable au groupe du répertoire des génériques. Il permet d'imposer un montant nominal de remboursement unique pour princeps et génériques, déchargeant le pharmacien d'officine de son obligation de substitution du princeps par le générique (article L. 162-16-7 du code de la sécurité sociale et article 1 de l'arrêté du 4 mai 2012 portant approbation de l'avenant n°6 à l'accord national relatif à la fixation d'objectifs de délivrance de spécialités génériques).

46. Le TFR induit donc un alignement des prix des princeps et génériques inscrits au sein d'un même groupe du répertoire des génériques. Il est donc favorable à la préservation de la part de marché du princeps, étant donné que ce TFR lève l'objectif de substitution sur le pharmacien et affaiblit par conséquent l'argument principal de vente des génériques (à savoir le prix et incidemment le montant restant éventuellement à charge de l'assuré social).

Les modalités de vente à l'hôpital

47. Les prix des médicaments vendus aux hôpitaux sont fixés librement, dans le cadre de procédures d'appels d'offres ou de marchés négociés.

48. Encadrée par le code des marchés publics, la procédure d'achat des hôpitaux publics peut être faite soit par le biais d'appel d'offres, garantissant la mise en concurrence des fournisseurs, soit par le biais de marchés négociés, sans mise en concurrence, pour les spécialités pharmaceutiques protégées par un brevet ou ne souffrant aucune concurrence (cas limitativement prévus au 8° du II de l'article 35 du code des marchés publics).

49. Par ailleurs, les hôpitaux publics et les cliniques privées peuvent, au choix, passer des marchés individuels ou des marchés collectifs, dans le cadre de groupements de commandes publiques (groupements d'achat), ou encore recourir à des centrales de référencement qu'ils mandatent pour passer un appel d'offres en leur lieu et place.

e) Les liens existant entre la distribution des médicaments à l'hôpital et à la ville

50. Les liens économiques et factuels existant entre la distribution des médicaments à l'hôpital et à la ville induisent la coexistence de deux effets qui sont caractérisés comme l' " effet source " et l' " effet de réputation ".

51. D'une part, certains médicaments, à savoir ceux particulièrement prescrits à l'hôpital, se caractérisent par l'existence d'un " effet source ", qui désigne la propension des prescriptions délivrées à l'hôpital à générer des ventes en officine de ville.

52. Dans sa décision n°10-D-02du 14 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des héparines à bas poids moléculaire, l'Autorité a observé, concernant l'effet source, qu'il s'agit d' " un phénomène assez répandu dans le secteur pharmaceutique dans les cas où la prescription initiale est délivrée à l'hôpital ". En effet, " compte tenu de la nature des produits de santé, il existe une certaine rigidité au changement tant du côté des praticiens que des patients dès lors que le premier produit utilisé a démontré son efficacité " (paragraphe 73).

53. D'autre part, le secteur pharmaceutique se caractérise par l'existence d'un " effet de réputation ", comprenant deux aspects, à savoir la réputation acquise par un laboratoire détenteur d'un brevet et celle résultant du référencement par les établissements hospitaliers.

2. LES PRODUITS : DUROGESIC ET SES GÉNÉRIQUES

a) Durogesic

54. En France, Durogesic est commercialisé par le laboratoire Janssen-Cilag.

Le produit Durogesic

55. Durogesic est un dispositif transdermique dont le fentanyl est le principe actif. C'est un antalgique opioïde puissant, prescrit pour le traitement de la douleur sévère.

56. Les dispositifs transdermiques de fentanyl relèvent du palier III du classement de l'OMS (comprenant les opioïdes forts comme l'hydromorphone, l'oxycodone, la morphine, ou le fentanyl) pour les douleurs intenses à très intenses. Il s'agit plus précisément d'opioïdes, analgésiques centraux morphinomimétiques, dont la puissance pharmacologique est 50 à 100 fois supérieure à celle de la morphine (cote 329).

Indications thérapeutiques

57. La première indication de Durogesic était le traitement des douleurs chroniques d'origine cancéreuse, intenses ou rebelles aux autres antalgiques, en cas de douleur stable.

58. Par la suite, Durogesic a obtenu une indication en pédiatrie, permettant son emploi dans le traitement de la douleur cancéreuse chez l'enfant de plus de deux ans et dans le traitement des douleurs non cancéreuses.

Usages thérapeutiques

59. Le fentanyl est utilisé en tant qu'alternative ou complément aux médicaments ayant la morphine ou un dérivé de morphine comme principe actif (morphiniques) dans le traitement de la douleur intense.

60. Le mode d'action particulier et la puissance du principe actif de ce médicament sont à l'origine des différences d'usage des dispositifs transdermiques de fentanyl par rapport aux autres antalgiques de palier III, et notamment par rapport à ceux à libération prolongée, administrés par voie orale.

61. Ce médicament est généralement prescrit en seconde intention, lorsque le traitement avec la morphine a échoué ou qu'il est nécessaire d'augmenter considérablement les doses.

62. Par ailleurs, la voie d'administration transcutanée, par l'intermédiaire d'un dispositif transdermique de fentanyl, permet une efficacité de longue durée du produit, en moyenne pendant 72 heures, même durant la nuit, sans pics à l'administration, comparables à ceux observés avec les opioïdes administrés par voie orale, et avec des effets indésirables plus réduits. En d'autres termes, le fentanyl transdermique a une efficacité et une durée d'action sans commune mesure avec celles des autres antalgiques de palier III (cote 13200).

63. Toutefois, le dispositif transdermique de fentanyl présente plusieurs inconvénients par rapport à la morphine administrée par voie orale. En effet, un délai d'environ 12 heures doit s'écouler pour parvenir à la dose efficace et la maniabilité est difficile en ce qui concerne l'adaptation posologique (cote 9446). Afin de palier ce délai de 12 heures nécessaire pour atteindre l'effet antalgique recherché, le médecin prescrit en plus du dispositif transdermique de fentanyl, des antalgiques de palier III administrés par voie orale (cotes 30751 et 38534).

64. Compte tenu de ces caractéristiques, les dispositifs transdermiques de fentanyl sont souvent administrés en dernier recours, en fin de vie, lorsque les autres traitements administrés par voie orale ne sont pas possibles ou plus suffisants pour éradiquer la douleur (cote 30729).

Les brevets protégeant la spécialité et les AMM délivrées

65. Le fentanyl a, dans un premier temps, été employé en formule injectable indiquée pour l'anesthésie, avant d'être utilisé dans le traitement contre la douleur, également sous forme injectable. Le produit est toujours utilisé comme anesthésiant en milieu hospitalier. Il existe également sous une forme orale, qui est indiquée pour le traitement des accès douloureux paroxystiques.

66. Le fentanyl a par ailleurs été introduit sous la forme de dispositif transdermique ou patch " à réservoir " en 1998 par Janssen-Cilag. Il s'agit de Durogesic, commercialisé sous la forme de cinq dosages différents (12 µg, 25µg, 50µg, 75µget 100µg). Le brevet protégeant la formulation sous forme de patch " à réservoir " de Durogesic a expiré le 22 juillet 2005. En janvier 2005, c'est-à-dire quelques mois avant l'expiration de ce brevet, Janssen-Cilag a arrêté la vente des patchs " à réservoir ", qu'il a remplacés par des patchs dits " matriciels ", les deux technologies ayant coexisté pendant 3 à 6 mois (cote 41731).

67. Le changement de système a donné lieu à une variation de l'AMM d'origine, approuvée le 5 novembre 2004 par l'autorité nationale de santé (cote 39770). Les deux formes (réservoir et matricielle) ont en effet été considérées bioéquivalentes, sur le fondement d'études déposées par Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS (cote 1214, saisine n° 09/0026 M). Celle-ci a en effet indiqué que " lors du changement de la formule du DUROGESIC avec passage d'un patch réservoir à un patch matriciel, seules des études de bioéquivalence comparant les deux formes du patch ont été déposées. Cela prouve que le ''switch'' d'un patch à un autre est possible en cas de démonstration de la bioéquivalence " (cote 312).

68. Concrètement, ceci signifie que les patchs à réservoir ont été substitués par les patchs matriciels auprès des patients en cours de traitement, les deux formes n'ayant coexisté que quelques mois.

b) Les génériques de Durogesic

69. En France, les premières spécialités commercialisées sous le statut de générique de Durogesic sont celles produites par Ratiopharm.Par la suite, de nombreux autres laboratoires ont introduit des génériques de cette spécialité sur le marché français, en particulier Winthrop, Biogaran, Sandoz, Teva, Actavis et Ranbaxy.

La procédure de reconnaissance mutuelle de l'AMM de Ratiopharm

70. La première AMM octroyée au sein de l'Union européenne au bénéfice du groupe Ratiopharm pour ses patchs de fentanyl génériques a été délivrée le 4 avril 2006 en Allemagne, à l'issue d'une procédure nationale (cotes 292).

71. Se fondant sur cette AMM accordée pour ses spécialités génériques, Ratiopharm GmbH a lancé, le 6 juillet 2006, une procédure de reconnaissance mutuelle, sur la base d'un " dossier abrégé " pour les patchs de fentanyl Ratiopharm(r) aux dosages suivants : 25 µg, 50 µg, 75 µg et 100 µg/h. Dans le cadre de cette procédure, l'État membre de référence était l'Allemagne, la France ayant été désignée co-rapporteur. Les États membres concernés par cette procédure étaient la France, l'Autriche, les Pays-Bas, l'Espagne et le Royaume-Uni. Une seconde procédure similaire, portant sur les patchs 12µg, a été initiée le 14 septembre 2007.

72. Au cours de cette procédure, la France a déclaré " qu'en raison d'un risque potentiel grave pour la santé publique, ils ne [peuvent] approuver le rapport d'évaluation, le résumé des caractéristiques du produit ainsi que l'étiquetage et la notice " (cotes 31662 et 31663).

73. Les points de désaccord émis par la France à l'époque portaient sur (i) l'extension de l'indication thérapeutique aux patients non cancéreux souffrant de douleurs chroniques sévères, (ii) le choix du/des tableau(x) de conversion à inclure dans le RCP, (iii) la nécessité de citer parmi les contre-indications l'allaitement et l'administration conjointe avec des opioïdes agnostiques partiels et (iv) la nécessité, pour les études de bioéquivalence, de démontrer l'équivalence avec le produit de référence. Ainsi, parmi les conditions de fond pour qu'un médicament soit qualifié de générique, seule la question de la bioéquivalence a été soulevée par la France, les conditions relatives à l'identité de principe actif et de forme pharmaceutique n'étant quant à elles pas évoquées dans le différend.

74. En raison des désaccords entre les États membres au sein du groupe de coordination, une procédure d'arbitrage a été initiée le24 janvier 2007par l'AEM. Le titulaire de l'AMM a été invité à exposer sa position par écrit le 13 avril 2007 (cotes 292 et 293).

75. Le 19 juillet 2007, le CHMP a rendu un avis unanime favorable à l'octroi d'AMM aux spécialités génériques de Ratiopharm. Le Comité a en effet estimé que " le rapport bénéfice/risque est positif pour Fentanyl Ratiopharm 25/50/75/100µg/h TTS et dénominations associées ; que les objections soulevées par la France ne doivent pas empêcher la délivrance d'une autorisation de mise sur le marché ; que le résumé des caractéristiques du produit, l'étiquetage et la notice de l'État membre de référence doivent être modifiés " (cote 292). En particulier, le CHMP a reconnu la bioéquivalence des génériques en cause à la spécialité de référence, établie dans le cadre des procédures allemande puis européenne, dans l'intervalle de confiance de [80,00 % - 125,00 %].

76. Les spécialités de Ratiopharm ont donc fait l'objet d'une double évaluation scientifique, et par conséquent, d'une double expertise, d'abord par l'autorité de santé allemande, puis par l'autorité de santé européenne.

77. Le 23 octobre 2007, la Commission européenne a, en conséquence, adopté une décision reproduisant la position finale de l'AEM, approuvant le dossier de demande d'AMM de Ratiopharm et enjoignant aux États membres concernés par la procédure, y compris la France, d'octroyer les AMM nationales demandées par Ratiopharm pour ses spécialités génériques (cotes 31662 et 31663). Aucun recours n'a été introduit à l'encontre de cette décision devant les juridictions de l'Union européenne.

78. Cette décision clôt ainsi l'ensemble des débats relatifs à la qualité de générique des spécialités de Ratiopharm, les conditions réglementaires ayant toutes été évaluées et considérées comme satisfaites au cours de la procédure, par le biais d'une double expertise.

L'octroi de l'AMM et l'inscription au répertoire des génériques des spécialités de Ratiopharm en France

79. Conformément à l'article R. 5121-51-5 du code de la santé publique, l'AFSSAPS était tenue de délivrer à Ratiopharm les AMM pour ses spécialités génériques de fentanyl transdermique dans un délai de 30 jours suivant la notification de la décision de la Commission.

80. Pourtant, l'AFSSAPS n'accordera pas avant la fin de l'année 2008 le statut de générique aux spécialités de Ratiopharm, dépassant de plusieurs mois le délai réglementaire qui lui était imposé.

Les premiers avis de l'AFSSAPS

81. Lorsqu'elle a pris connaissance du dossier des patchs de fentanyl, l'AFSSAPS a émis dans un premier temps un avis positif sur l'octroi d'AMM aux spécialités génériques de Ratiopharm.

82. En effet, la Commission d'AMM de l'AFSSAPS, réunie le 24 janvier 2008, a approuvé à l'unanimité des membres présents, et sans modifications, le dossier de reconnaissance mutuelle de l'AMM portant sur les spécialités génériques de fentanyl transdermique de Ratiopharm (cotes 295 à 301).

83. Le 27 mars 2008 - soit cinq mois après l'adoption de la décision de la Commission européenne du 23 octobre 2007 -, la Commission d'AMM a approuvé à nouveau le dossier de demande d'AMM portant sur les spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopharm (cotes 304 à 309).

Le refus de l'AFSSAPS d'accorder le statut de générique aux spécialités de Ratiopharm

84. À la suite d'interventions de Janssen-Cilag, qui seront décrites ci-après (voir paragraphes 178 et suivants), l'AFSSAPS a, dans un second temps, rendu deux avis en contradiction avec ceux préalablement rendus par la Commission d'AMM.

85. En effet, le 19 juin 2008, le groupe de travail sur les médicaments génériques (ci-après, " GTMG ") de l'AFSSAPS a rendu un avis dans lequel il a indiqué être favorable à l'autorisation de la substitution, à condition d'être accompagnée de recommandations. Il a toutefois émis " de fortes réserves sur l'interprétation juridique faite de la définition du générique, afin de pouvoir y inclure les dispositifs transdermiques. En effet, le groupe considère que la notion de l'identité de la composition quantitative en substance active ne peut être entendue comme identité de la quantité de substance libérée du patch. De plus, une telle position conduirait à des dérives d'interprétation et il serait dès lors difficile de refuser un comprimé ou une gélule qui n'a pas la même composition quantitative en substance active, mais qui démontrerait sa bioéquivalence avec la spécialité de référence " (cotes 312 et 313).

86. De même, le 10 juillet 2008, le groupe de travail neuro-psychiatrie-antalgie (ci-après " GTNPA ") de l'AFSSAPS a rendu un avis entérinant la position du GTMG (cote 348).

87. Par suite, le 28 juillet 2008, l'AFSSAPS a adoptécinq décisions d'AMM sans reconnaissance de statut générique au profit de Ratiopharm pour ses patchs de fentanyl aux dosages de 12 µg, 25 µg, 50 µg, 75 µg et 100 µg sur le fondement de l'article L. 5121-8 du code de la santé publique.

88. Au demeurant, par lettre recommandée datée du 29 juillet 2008, le directeur général de l'AFSSAPS a informé Ratiopharm des motifs ne permettant pas d'envisager l'inscription de ses spécialités au répertoire des génériques, soulignant en particulier l'absence d'identité de quantité de principe actif, sous réserve d'éléments complémentaires pouvant être apportés par le laboratoire générique (cotes 445 et 446).

89. Par ces décisions, l'AFSSAPS a donc refusé d'octroyer le statut de générique aux spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopharm, alors que la décision de la Commission européenne leur reconnaissait ce statut.

Les réserves émises par Ratiopharm et le réexamen du dossier par l'AFSSAPS

90. Dans un courrier daté du 6 août 2008, le président directeur général de Ratiopharm s'est étonné du refus d'octroi du statut de générique opposé par l'AFSSAPS aux patchs du laboratoire générique et a émis " les plus vives réserves quant au bien-fondé des moyens soulevés par l'AFSSAPS dans son courrier du 29 juillet 2008 " (cotes 448 et 449).

91. Dans ce courrier, Ratiopharm a rappelé le caractère contraignant de la décision de la Commission européenne, ainsi que les motifs juridiques et scientifiques s'imposant à l'agence nationale de santé et tranchant en faveur de la reconnaissance du statut de générique à ces spécialités.

92. Le laboratoire générique a donc soumis, le 9 septembre 2008, un argumentaire juridique et scientifique en vue de la réunion de la commission d'AMM prévue pour le 25 septembre 2008.

La reconnaissance du statut de génériqueet l'inscription au répertoire des génériques des spécialités de Ratiopharm en France

93. Le 25 septembre 2008, revenant sur les décisions des 28 et 29 juillet 2008, la Commission d'AMM de l'AFSSAPS a décidé de procéder à l'inscription de ces spécialités au répertoire des génériques en l'assortissant d'une mise en garde (cotes 44481 à 44488).

94. Le 8 octobre 2008, le directeur général de l'AFSSAPS a notifié à Janssen-Cilag les cinq décisions d'AMM reconnaissant le statut de génériques aux patchs de fentanyl Ratiopharm, en indiquant envisager que leur inscription au répertoire des génériques soit assortie d'une mise en garde (cotes 1450 et 1451, saisine n° 09/0026M).

95. Le 3 novembre 2008, l'agence française de santé a informéRatiopharm qu'elle délivrait des AMM pour ses spécialités de fentanyl transdermique en tant que génériques de Durogesic. Ce courrier indique en outre que l'AFSSAPS a décidé de faire figurer au répertoire des génériques lamise en garde suivante :

" Mise en garde :

Le fentanyl est un antalgique opioïde puissant à marge thérapeutique étroite. Comme indiqué à la rubrique " mises en gardes spéciales et précautions d'emploi " dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP), il est rappelé que :

• Des augmentations importantes de la température corporelle sont susceptibles d'accélérer l'absorption du fentanyl. C'est pourquoi, les patients fébriles doivent être surveillés, à la recherche d'éventuels effets indésirables des opioïdes ;

• Les patients âgés et les enfants (de 2 à 16 ans) risquent d'être plus sensibles à la substance active.

Compte tenu des variations inter-individuelles qui pourraient survenir chez certains patients âgés ou certains enfants et afin de prévenir tout risque de surdosage ou de sous-dosage, une surveillance attentive du patient en cours de traitement est particulièrement nécessaire en cas de changement de spécialité à base de fentanyl (spécialité de référence par spécialité générique, spécialité générique par spécialité de référence ou spécialité générique par spécialité générique) " (cotes 470 à 475).

96. L'inscription au répertoire des génériques de Ratiopharm a, en définitive, été effectuée par le directeur général de l'AFSSAPS le 10 décembre 2008, avec publication au Journal officiel le 21 janvier 2009 (cote 289).

c) Les autres produits contenant du fentanyl

97. D'autres produits contenant du fentanyl sont commercialisés en France. Bien qu'elles soient toutes " indiquées dans le traitement des accès douloureux paroxystiques chez les patients adultes utilisant déjà des médicaments dérivés de l'opium pour traiter les douleurs chroniques d'origine cancéreuse ", ces spécialités ne sont toutefois pas équivalentes entre elles. Elles sont en outre utilisées de façon plus ponctuelle que les dispositifs transdermiques de fentanyl.

98. Il s'agit notamment d'Abstral (comprimé sublingual commercialisé par le laboratoire Prostraka), Actiq (comprimé avec applicateur buccal commercialisé par le laboratoire Cephalon), Effentora (comprimé gingival muco-adhésif commercialisé par le laboratoire Cephalon), ainsi que Instanyl et Pecfent (solutions pour pulvérisation nasale, respectivement commercialisées par les laboratoires Nycomed et Archimedes Pharma).

3. LES VENTES DE DISPOSITIFS TRANSDERMIQUES DE FENTANYL EN VILLEET À L'HÔPITAL

a) Les modalités de vente des dispositifs transdermiques de fentanyl en ville et à l'hôpital

99. Les dispositifs transdermiques de fentanyl sont dispensés aux patients en ville, c'est-à-dire au travers des pharmacies d'officine, ainsi qu'à l'hôpital. Les modes de commercialisation, et par conséquent de fixation des prix, de ces produits varient en fonction du canal suivi.

Les prix des dispositifs transdermiques de fentanyl en ville

100. Les prix de Durogesic et, de facto de ses génériques, ont été fixés, conformément à la réglementation, en tenant compte du service médical rendu par ces spécialités. La Commission de la transparence de la HAS a estimé en 2006 que " le service médical rendu par cette spécialité [Durogesic ] est important " (cote 265).

101. En janvier 2011, un TFR a été instauré pour Durogesic et ses génériques. Depuis, il a été modifié plusieurs fois.

Les prix des dispositifs transdermiques de fentanyl à l'hôpital

102. Contrairement à la situation prévalant en ville, les prix des dispositifs transdermiques vendus en milieu hospitalier sont fixés librement, dans le cadre de procédures d'appels d'offres ou demarchés négociés.

b) L'évolution des ventes dans le secteur du fentanyl transdermique

Ventes des dispositifs transdermiques de fentanyl

103. En 2008, les ventes annuelles de dispositifs transdermiques de fentanyl s'élevaient en volume, à 8 millions d'unités sur le marché de la ville et 1,7 million d'unités sur le marché de l'hôpital. En valeur, elles s'élevaient à 70millions d'euros sur le marché de la ville et à 11 millions d'euros sur le marché de l'hôpital (source : ANSM).

104. En 2011, les ventes annuelles de dispositifs transdermiques de fentanyl sont passées en volume à 9,4 millions d'unités en ville et à 2,5 millions d'unités à l'hôpital. En valeur, elles s'élevaient à 55,5 millions d'euros en ville et à 2,1 millions d'euros à l'hôpital (source : ANSM).

Parts de marché de Janssen-Cilag et taux de pénétration des génériques de Durogesic sur les marchés de la ville et de l'hôpital

105. Sur le marché de la ville et le marché de l'hôpital, le produit Durogesic a conservé une part de marché très importante malgré l'arrivée des génériques sur le marché des patchs de fentanyl à partir de la fin de l'année 2008, comme cela ressort du tableau ci-après :

<TABLEAU>

106. De même, sur le marché de la ville et le marché de l'hôpital, les spécialités génériques concurrentes de Durogesic ont gardé des parts de marché très faibles, voire marginales, comme cela ressort du tableau ci-après :

<TABLEAU>

C. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

1. LE GROUPE JOHNSON &JOHNSON

107. Le groupe Johnson & Johnson est un laboratoire américain qui compte plus de 250 filiales implantées dans le mondeet qui est spécialisé dans la production et la vente de médicaments avec ou sans ordonnance, de dispositifs médicaux, de produits de soins, etc.

108. En 2007, le groupe Johnson & Johnson a réalisé un chiffre d'affaires mondial de 61,1milliards de dollars, dont [...] % réalisé dans le secteur pharmaceutique, soit [...] milliards de dollars. En 2016, le chiffre d'affaires mondial consolidé de Johnson & Johnson était de 71,9 milliards de dollars, soit environ 65 milliards d'euros.

109. Les ventes mondiales deDurogesic se sont élevées en 2007 à [...] milliard de dollars.

110. Le siège de la société mère du groupe Johnson & Johnson est situé àNew Brunswick, New Jersey, aux États-Unis d'Amérique (cote 39891).

2. JANSSEN-CILAG

111. La société Janssen-Cilag SAS est la filiale française du groupe Johnson & Johnson. Elle commercialise principalement des médicaments de prescription. Elle est active dans 5 domaines thérapeutiques hautement spécialisés : les neurosciences, les maladies infectieuses, l'immunologie, l'onco-hématologie et les maladies cardiovasculaires.

112. En 2007, Janssen-Cilag a réalisé un chiffre d'affaires de 840 millions d'euros. Fin 2008, Durogesic représentait le [...]ème produit du portefeuille de Janssen-Cilag en ville et le [...]ème à l'hôpital, en termes de chiffre d'affaires.

113. La société a toutefois connu ces dernières années une baisse globale de ses ventes, laquelle s'explique par la fin de la protection brevetaire de certaines de ses spécialités princeps - notamment Risperdal, Motillium et Durogesic - et l'arrivée corrélative de spécialités génériques concurrentes (cote 10).

D. LES PRATIQUES RELEVÉES

1. LA STRATÉGIE ÉLABORÉEPAR JANSSEN-CILAG FACE À L'ARRIVÉE DES GÉNÉRIQUES

114. Seront d'abord exposées les stratégies élaborées par Janssen-Cilag à l'expiration du brevet protégeant la spécialité Durogesic (a), puis celles développées après la décision de la Commission européenne relative à l'octroi du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic (b).

a) Les premières stratégies, à l'expiration du brevet protégeant Durogesic

115. Dès l'expiration en 2005 du brevet protégeant la forme à réservoir de Durogesic, Janssen- Cilag a réfléchi à la stratégie à mettre en place à l'arrivée des génériques.

La réunion " Team ANTI-Génériques Durogesic " du 29 mars 2005

116. Les premières orientations de la stratégie de Janssen-Cilag sont évoquées au cours d'une réunion interne organisée le 29 mars 2005. Cette réunion rassemble les membres d'une équipe intitulée " Team ANTI-Génériques Durogesic " (cotes 2106 à 2108).

117. L'intitulé de cette réunion, et plus spécifiquement le préfixe " ANTI " en capitales d'imprimerie, est explicite sur l'objectif de Janssen-Cilag d'empêcher l'arrivée des génériques de Durogesic sur le marché, en se positionnant " contre " les génériques.

118. Àl'occasion de cette réunion, le laboratoire princeps a abordé plusieurs sujets, qui dessinent les contours de sa stratégie d'éviction des génériques.

119. Plus particulièrement, le compte-rendu mentionne les aspects réglementaires concernant l'entrée des génériques - notamment les évolutions en matière d'AMM - et la communication à adopter auprès des agences de santé sur ceux-ci. Ainsi, Janssen-Cilag suit de près l'évolution des demandes d'AMM des laboratoires génériques, d'une part, et la position des agences de santé, d'autre part.

120. Par ailleurs, le laboratoire princeps dresse une première liste des professionnels de la santé (" actions officines ") et partenaires éventuels (" points grossistes ") auprès desquels communiquer sur les génériques. Le compte-rendu fait notamment état d'un " chiffrage " d'une opération de qualification des officines et des leviers d'influence. Des actions spécifiques sont envisagées par Janssen-Cilag à l'endroit de cet échelon de la distribution du médicament qui, dans le régime français, détient la responsabilité de la substitution princeps/générique.

121. Ce document souligne l'existence d'un " effet source hospitalier ". Le laboratoire princeps porte ainsi création d'un " groupe veille concurrentielle générique " ciblant le marché hospitalier en priorité, conscient de la nécessité d'adapter sa stratégie aux spécificités des marchés (ville et hôpital).

122. Le compte-rendu contient enfin la mention : " instauration de nouveau TFR, déclenchement plus régulier ". Ainsi, dès 2005, Janssen-Cilag envisage l'hypothèse de la mise sous TFR de Durogesic et ses génériques.

Le " plan produit pour 2007 " du 12 juin 2006

123. Dans une présentation intitulée " Plan produit pour 2007 " du 12 juin 2006, Janssen-Cilag élabore sa stratégie pour Durogesic pour l'année 2007, en considération de l'arrivée imminente des génériques sur le marché (cotes 3155 à 3213).

124. Plus particulièrement, la présentation s'interroge sur les moyens de maximiser les ventes de Durogesic avant l'arrivée des génériques et de minimiser leur érosion après leur arrivée, questions qualifiées de stratégiques (" key strategic questions ") par le laboratoire princeps (cote 3198).

125. Le laboratoire princeps y indique que " Durogesic bénéficie encore d'un potentiel significatif de croissance " et que les divisions " affaires médicales " (en charge de l'évaluation de la composition des produits, de leur efficacité, des études cliniques, etc.) et " affaires réglementaires " (en charge de suivre l'accès au marché et notamment les questions relatives aux octrois d'AMM) " soutiennent les initiatives et nouvelles orientations de l'équipe française, pour intervenir et reporter le lancement des génériques " (cote 3212).

126. Par ailleurs, cette présentation pose les prémisses de la stratégie de communication du laboratoire auprès des professionnels de la santé. En particulier, le document identifie l'action de " formation médicale "auprès des autorités publiques et des professionnels de la santé comme l'un des facteurs déterminants du marché (" key market driver ") (cote 3193).

127. Ainsi, le " plan produit pour 2007 " identifie les acteurs de la chaine de distribution du médicament auprès desquels communiquer afin de lutter contre la pénétration des génériques de Durogesic (cote 3200). Plus spécifiquement, le document identifie quatre " points de levier " portant sur des activités exercées par le médecin (à savoir le choix du traitement, le choix de la marque et la prescription éventuelle du princeps) d'une part, et l'activité des pharmaciens exerçant en ville et à l'hôpital (à savoir la dispensation), d'autre part. Le document indique ainsi qu'il faut " convaincre de prescrire le princeps " et qu'il est nécessaire de " convaincre contre la substitution " par les pharmaciens.

128. Ce document souligne en outre l'importance de l' " effet source hospitalier " et de l' " initiation " des traitements (cote 3193). En d'autres termes, il est capital pour Janssen- Cilag de favoriser l'initiation de Durogesic à l'hôpital pour sécuriser l'effet source en faveur de Durogesic sur le marché de la ville.

" Durogesic defence strategy " du 18 août 2006

129. Janssen-Cilag suit de près la procédure de reconnaissance mutuelle concernant les spécialités génériques de fentanyl transdermique de Ratiopharm.

130. Il constate dans un document interne, intitulé " Durogesic defence strategy ", du 18 août 2006, que " le comité français d'experts [de l'AFSSAPS] a changé de position. Au début, il était en faveur du statut de non substituabilité, mais en raison de l'alignement avec les lignes directrices européennes, il a décidé d'appliquer un statut de générique substituable " (cote 4636).

Le " Point sur la situation Génériques de Durogesic " du 11 janvier 2007

131. À l'occasion d'une réunion interne tenue le 11 janvier 2007, le laboratoire princeps a fait un point sur la situation des génériques dans les différents pays européens, et plus particulièrement l'avancement des octrois d'AMM.

132. Le compte-rendu de cette réunion fait état d'une décision de recueillir l'ensemble des arguments à caractère scientifique susceptibles d'influencer les professionnels de la santé, en vue d'une communication mise en place par le marketing, après avoir identifié les éléments auxquels ces derniers sont particulièrement sensibles (cotes 4716 et 4717).

Le courriel interne du 17 octobre 2007

133. Un courriel interne du 17 octobre 2007 envisage le " mode opératoire " à adopter pour préserver les référencements de Durogesic en2008 (cote 4566).

134. La stratégie envisagée par le laboratoire consiste à approcher les pharmaciens d'établissements hospitaliers ciblés (" protect "), selon un calendrier précis (nombre de visites, échéances), avec des messages à diffuser (présentation notamment des " différences essentielles entre Duro et les NS "), prévoyant un suivi (" bilan téléphonique "), et le cas échéant, une adaptation de la stratégie (" voir si besoin d'une action spécifique ").

b) Les stratégies développées postérieurement à la décision de la Commission européenne

135. Après l'adoption par la Commission européenne, le 23 octobre 2007, de la décision approuvant le dossier de demande d'AMM portant sur les spécialités fentanyl génériques du laboratoire Ratiopharm, Janssen-Cilag a continué de réfléchir à la stratégie à mettre en place à l'arrivée des génériques.

La présentation stratégique interne du 29 octobre 2007

136. Le 29 octobre 2007 - soit 6 jours après la décision de la Commission européenne - une présentation parcourant les évolutions envisageables sur le marché pour Durogesic en 2008 est diffusée en interne (cotes 6043 à 6105).

137. Cette présentation donne tout d'abord, une estimation du calendrier dans lequel l'AFSSAPS devrait octroyer les AMM nationales aux spécialités génériques de Ratiopharm (" novembre 2007 "), ainsi que la date d'entrée sur le marché des patchs concurrents (" avril 2008 ") (cote 6050).

138. La présentation analyse ensuite les conséquences de l'entrée des génériques sur ses ventes de Durogesic. Plus particulièrement, elle envisage dans une première analyse, trois scénarii stratégiques distincts, aux effets variables sur les ventes de Durogesic (cote 6068).

139. Dans le premier scénario envisagé (intitulé " downside "), le laboratoire princeps estime qu'une entrée sur le marché des génériques de Durogesic vers janvier 2008 devrait générer une baisse des ventes annuelles nettes pour la spécialité princeps et un taux de substitution mensuel supérieur à 40 % dès décembre 2008.

140. Dans le deuxième scénario, le laboratoire estime que le report de l'octroi du statut de générique à septembre 2008, cumulé à une baisse des prix à l'hôpital, lui permettrait de réaliser des ventes annuelles nettes supérieures, avec un taux de substitution inférieur à 30 % en décembre 2008.

141. Enfin, dans le troisième scénario (intitulé " upside "), qui repose sur un report de l'octroi du statut de générique à janvier 2009 et le maintien des parts de marché à l'hôpital grâce à sa baisse des prix, le laboratoire princeps estime qu'il pourrait maintenir ses ventes annuelles nettes de Durogesic de 2007 (cote 2386, saisine n° 09/0026M), avec un taux de substitution mensuel inférieur à 10 % en décembre 2008.

142. Dans une seconde analyse, le laboratoire princeps propose de nouvelles estimations selon les différents scénarii (" upside "et " downside "), en distinguant les taux de pénétration des concurrents de Durogesic, qu'il qualifie de " non substituables ", sur le marché de l'hôpital et le marché de la ville (cote 6070).

143. Ainsi, le laboratoire princeps constate qu'un report de l'arrivée des génériques sur le marché devrait avoir un effet déterminant sur le niveau de ses ventes de Durogesic en2008.

La réunion " Anémie-Douleur " du 18 mars 2008

144. Dans une présentation figurant en support d'une réunion du 18 mars 2008, Janssen-Cilag affine davantage sa stratégie de communication auprès des professionnels de la santé sur les concurrents futurs, qu'il qualifie de " NS " (cotes 9934 à 9969).

145. La présentation fait état de la situation pour l'année 2008, en particulier les " dossiers non substituables ", concernant l'arrivée sur le marché des génériques. Elle identifie cinq " points clés " à retenir concernant ces concurrents, à savoir (i) l'absence de statut de générique et le caractère " non substituable " (ou " NS ") des spécialités concurrentes, (ii) les risques pour les patients en termes de surdosage ou sous-dosage, compte tenu de la différence de biodisponibilité avec Durogesic, (iii) le fait que les dossiers d'AMM reposent uniquement sur des études comparatives avec Durogesic réservoir (et non avec Durogesic matriciel), dont il ressortirait que la spécialité concurrente ne pourrait revendiquer " une quelconque supériorité en terme d'efficacité ou de tolérance ", (iv) l'absence d'innovation scientifique et thérapeutique, de preuves précliniques et cliniques et d'indication pédiatrique à ce jour, et enfin (v) le risque de confusion pour les patients ou le personnel soignant, compte tenu des couleurs de packaging différentes mais similaires (cote 9949).

146. Il convient de relever les termes qui sont soulignés sur la diapositive : " pas un statut de générique ", " risques pour le patient ", " Durogesic réservoir " et " confusion ".

147. S'agissant plus spécifiquement de la bioéquivalence, qualifiée d' " argument clé ", la présentation insiste sur l'intervalle de référence utilisé, illustré par un graphique, qui met en exergue l'application de l'intervalle standard de bioéquivalence de [80 % - 125 %] soulignant une " variation de 45 % !!! " (cote 9950).

148. Dans une partie portant sur la stratégie pour l'année 2008, la présentation met en lumière les principaux axes de l'action à suivre par le laboratoire afin de " conforter Janssen-Cilag et Durogesic en tant que leader du marché " (cote 9952). 149. Parmi les objectifs présentés figure notamment la nécessité de communiquer afin de favoriser l'initiation et la prescription par les médecins des traitements sous la marque Durogesic et de s'assurer que les pharmacies d'officine délivrent la marque Durogesic en les informant sur le " statut NS " des spécialités concurrentes. Cette diapositive insiste sur la nécessité d'initier les traitements, de prescrire et de délivrer dans la marque Durogesic. La communication envisagée sera donc également fondée sur les mérites du produit : qualité et expertise du laboratoire. Il s'agit de " protéger la marque Durogesic face aux NS ".

150. Enfin, la présentation comprend " un plan d'action et une déclinaison opérationnelle " de cette stratégie, en plusieurs diapositives. Ce plan d'action comprend un descriptif détaillé de la stratégie à adopter à l'hôpital et en ville.

151. S'agissant de la stratégie à l'hôpital, l'objectif affirmé est de maintenir les référencements hospitaliers dans les établissements prioritaires, par le biais notamment d'une action de communication auprès des partenaires, afin de s'assurer d'une " adhésion " des médecins à prescrire Durogesic, en insistant sur l' " efficacité " et la " sécurité " apportées par le laboratoire princeps qui est " partenaire de référence depuis 10 ans " (cote 9960).

152. S'agissant de la stratégie en ville, la présentation trace les premiers axes de communication auprès des officines afin de les convaincre de ne pas substituer Durogesic par ses génériques (cote 9963). L'objectif principal est d' " informer les officinaux du statut NS " des futurs génériques, par le biais de " pop-up " au moment de la délivrance dans 17 500 officines, de contacts téléphoniques (auprès de 8 000 officines) et par fax (auprès de 23 000 officines), mais également auprès des médecins généralistes. Tous ces professionnels de la santé sont censés recevoir le même message : les spécialités de fentanyl autres que Durogesic sont, selon les termes du laboratoire, " non substituables ".

Le " plan produit " de juin 2008

153. Dans un document intitulé " Pain Franchise Product plan " de juin 2008, le laboratoire affine les points de communication concernant Durogesic et ses concurrents, qu'il continue de qualifier de " NS " (cotes 7321 à 7351).

154. Le document rappelle dans un premier temps la question, que le laboratoire qualifie de stratégique (" key strategic questions "), du statut des patchs de fentanyl concurrents et de son impact sur les ventes de Durogesic (cote 7324).

155. Le document dresse les objectifs stratégiques à suivre, à savoir une maximisation de la croissance et des ventes de Durogesic jusqu'à l'obtention du " statut de substituable " par les concurrents du princeps (cote 7332).

156. Dans une autre diapositive, Janssen-Cilag définit les axes sur lesquels agir afin d'atteindre ces objectifs, parmi lesquels figurent l' " initiation ", les " prescriptions " par les médecins et la " délivrance " par les pharmaciens de la marque Durogesic (cote 7335). En d'autres termes, il s'agit d'éviter que les médecins ne prescrivent et que les pharmaciens ne délivrent d'autres patchs de fentanyl que Durogesic.

157. Plus concrètement, le laboratoire princeps identifie les plans de communication à établir et les partenaires avec lesquels les mettre en œuvre pour convaincre les professionnels de la santé de privilégier Durogesic (cote 7338).

158. Il s'agit d'une part, de protéger les prescriptions de Durogesic à l'hôpital et de sécuriser l'effet source en développant notamment une communication axée sur l'expérience et l'expertise de Jansen-Cilag sur le traitement de la douleur et, d'autre part, de sensibiliser les professionnels de la santé et notamment les pharmaciens d'officine, futurs acteurs de la substitution, sur l'existence de différences entre Durogesic et les spécialités de fentanyl, qui seront soumises au statut générique à plus ou moins brève échéance.

Le " plan d'action Durogesic " d'octobre 2008

159. Une première version du " plan d'action " pour Durogesic est diffusée en interne en octobre 2008. Ce plan de communication sur les génériques de Durogesic prend la forme d'une présentation et prévoit des moyens d'action adaptés à chaque catégorie de professionnels de la santé (cotes 3405 à 3413).

160. S'agissant des " cibles " à approcher, le plan identifie en particulier les médecins et pharmaciens exerçant en ville et à l'hôpital (cote 3405).

161. Le plan rappelle ensuite les objectifs à atteindre, à savoir préserver l'initiation de traitement et la délivrance de Durogesic à l'hôpital, en axant la communication " sur la sécurité patient et la responsabilité médecin/pharmacien ", en s'appuyant sur " les mises en garde des génériques du répertoire " et en insistant sur la " sécurité " et la " confiance " pouvant être attribuées à Durogesic, qui est présenté comme un produit " original et unique " (cotes3406 et 3407).

162. Janssen-Cilag recommande donc à ses forces de vente de comparer princeps et générique en présentant un double argumentaire favorable à son produit et orienté sur les risques concernant ses concurrents.

163. Le document revient sur la mise en garde que l'AFSSAPS a décidé d'adopter, ne visant que la substitution du princeps par un générique (" un répertoire des génériques est créé avec des mises en garde concernant leur substitution "), alors qu'elle couvre également la substitution du générique par le princeps. La communication sur la mise en garde doit s'attacher à en " détailler " le contenu, à rappeler les " populations concernées "et souligner que " le respect des mises en garde permet d'assurer la sécurité des patients " (cote 3407).

164. Le laboratoire précise par ailleurs que les axes de communication comprennent une lettre qui sera adressée aux professionnels de la santé et publiée dans la presse spécialisée (il s'agit de la " lettre d'information médicale ", présentée aux paragraphes 270 et suivants de la présente décision) (cote 3407).

165. Enfin, le plan comprend une stratégie détaillée de communication auprès des pharmaciens d'officine, par l'envoi de fax et de courriers, par l'installation de fenêtres automatiques (" pop-up ") ou encore par la tenue de formations en " Masterclass " (cote 3411).

La réunion " plan d'action Durogesic " du 21 octobre 2008

166. Le 21 octobre 2008, une réunion interne s'est tenue concernant le " plan d'action Durogesic ". Le compte-rendu de cette réunion reprend les éléments de la stratégie de communication du laboratoire sur les génériques de Durogesic auprès des professionnels de la santé (cotes 15735 à 15740).

167. Le document rappelle les objectifs à atteindre, à savoir préserver l'initiation de traitement et la délivrance de Durogesic à l'hôpital, en soulignant qu'il est nécessaire de " diffuser les règles de Bon usage de Durogesic le plus rapidement possible " et d'insister sur la " responsabilité des médecins, pharmaciens " (cote 15737).

168. Le compte-rendu envisage par ailleurs l'élaboration d'un tableau comparatif en vue de la formation des visiteurs médicaux portant sur les différences entre les quantités de fentanyl comprises dans les différents patchs, sur leur taille, etc.

169. Le compte-rendu mentionne en outre la nécessité de former les visiteurs médicaux sur les génériques de Durogesic, autour de la thématique " Pourquoi les patchs de fentanyl ne sont-ils pas substituables entre eux ", tout en faisant état de l'octroi d'AMM génériques par l'AFSSAPS (cotes 15737 et 15738).

170. Afin d'affiner la formation des visiteurs médicaux, le compte-rendu reprend une liste de questions portant sur le statut " particulier " des génériques, l'existence de " mises en garde " pour les génériques, les " différences " des nouveaux patchs ou encore les " conséquences cliniques " pour les patients (cote 15738).

171. Le compte-rendu mentionne les moyens de communication à mettre en œuvre n particulier un texte de " bon usage " de Durogesic, diffusé aux pharmaciens d'officine et hospitaliers, aux médecins généralistes, ce qui devrait permettre une couverture large des professionnels de la santé prescrivant et dispensant les patchs de fentanyl (cotes 15739 et 15740).

Le " Plan d'action Durogesic " du 24 novembre 2008

172. Une seconde version du " plan d'action " pour Durogesic a été élaborée en novembre 2008. Ce plan de communication prend la même forme que la version d'octobre 2008, prévoyant des moyens d'action adaptés à chaque catégorie de professionnels de la santé (cotes 8697 à 8711).

173. Après un rappel des objectifs (" focus marché hospitalier " et " Préserver l'initiation et la délivrance dans la marque ") et des points essentiels de la communication (les " différences " de taille et de constitution des patchs, les paramètres de pharmacocinétique, les différences de biodisponibilité) (cotes 8701 et 8702), le laboratoire revient en particulier sur les axes de communication supplémentaires destinés aux officines (" plan d'action officine "), qu'il synthétise dans un tableau décrivant les actions à mettre en œuvre

174. Le document détermine d'abord les officines les plus importantes en termes de délivrance de Durogesic, en identifiant les pharmacies " clientes Durogesic ", réparties en 11 " tranches de CA ", parmi lesquelles 6 700 d'entre elles représentent 60 % du chiffre d'affaires et des volumes de ventes de Durogesic.

175. Le laboratoire développe ainsi une stratégie intense de communication auprès des pharmaciens d'officine. En synthèse, elle comprend les visites des visiteurs médicaux (qualifiées de " commando "), l'envoi de la " lettre d'information médicale " par différents canaux (fax, cartons de livraison, courrier ordinaire, publication dans des revues spécialisées, etc.), la mise en place de ventes directes aux officines au cours desquelles la " lettre d'information médicale "est également communiquée aux pharmaciens, l'installation d'une fenêtre automatique (ou " pop-up ") dans certains logiciels de dispensation de médicaments utilisés par les pharmaciens, la mise en place d'appels téléphoniques avec les pharmaciens d'officine (qualifiés d' " entretiens confraternels "), l'offre de formations à distance (intitulées " e-detailing "), ou encore l'offre de formations en " Masterclass ", dont la logistique est assurée par un grossiste-répartiteur (cotes 8708 et 8709).

176. Le document prévoit un calendrier précis pour l'organisation des visites médicales auprès des médecins et pharmaciens, exerçant en ville et en milieu hospitalier (cote 8708).

2. LES PRATIQUES MISES EN œUVRE PAR JANSSEN-CILAG

177. Seront exposées les actions entreprises par Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS (1) puis celles mises en œuvre auprès des professionnels de la santé, d'autre part (2)

a) Les actions entreprises par Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS

178. Janssen-Cilag est intervenu auprès de l'AFSSAPS, au cours de la procédure nationale lancée après l'adoption de la décision de la Commission européenne approuvant le dossier de demande d'AMM portant sur les spécialités génériques de fentanyl de Ratiopharm.

Les arguments présentés devant l'AFSSAPS par Janssen-Cilag au cours de la procédure de délivrance d'AMM aux spécialités génériques de Ratiopharm

Le courrier de Janssen-Cilag à l'AFSSAPS du 25 mars 2008

179. Le 25 mars 2008, le pharmacien responsable et vice-président des affaires pharmaceutiques et professionnelles de Janssen-Cilag a adressé un courrier au directeur général de l'AFSSAPS (cotes 381 et 382).

180. Dans ce courrier, Janssen-Cilag souligne que Durogesic et les spécialités de Ratiopharm ne sont pas " exactement similaires " concernant la quantité de principe actif et la surface du patch.

181. Il émet des doutes quant à la qualité de générique des patchs concurrents de Durogesic (" l'attribution d'un statut de générique à de telles spécialités, pouvant entraîner à terme la substitution par le pharmacien, ne nous semble pas pertinente et favorable au bon usage de ces médicaments (...) "), alors pourtant que la Commission européenne a approuvé le dossier de demande d'AMM pour les génériques de Ratiopharm et, de ce fait, a reconnu le statut de générique de ces dernières.

Le courrier de Janssen-Cilag à l'AFSSAPS du 14 avril 2008

182. Le 14 avril 2008, Janssen-Cilag a adressé un nouveau courrier au directeur général de l'AFSSAPS (cotes 384 à 386).

183. Dans ce courrier, le laboratoire princeps remet en cause la décision de la Commission européenne en affirmant que la législation en vigueur (" les définitions communautaires ou nationales relatives aux spécialités génériques ") " ne devrai(en)t pas permettre d'accorder un statut de générique aux spécialités de fentanyl ".

184. Le laboratoire princeps laisse ensuite entendre, au mépris du cadre légal en vigueur, que l'AFSSAPS pourrait remettre en cause la décision de la Commission européenne, en présentant l'octroi du statut de générique aux spécialités de Ratiopharm comme une simple hypothèse. Il envisage en effet au conditionnel la perspective d'une inscription de ces spécialités comme générique (" si une telle perspective devait être envisagée ").

185. Par ailleurs, le laboratoire princeps développe des arguments de nature à susciter le doute, voire même " l'inquiétude ", quant aux risques pour les patients en termes d'efficacité et de sécurité, en cas de substitution entre médicaments princeps et générique.

186. À cet égard, le terme " risque " est employé cinq fois. Les mots " inquiétude ", " survenue d'inefficacité " ou " inefficacité antalgique ", " surdosage ", " accident ", " effets indésirables ", " déstabilisation " ou encore " sécurité " figurent également à maintes reprises dans le texte.

187. Le courrier souligne que les spécialités concernées " s'adressent à des malades présentant des douleurs chroniques sévères ", en insistant sur le fait que la lutte contre la douleur constitue en France " une priorité de santé publique ". Le courrier explique en outre que la substitution peut engendrer la " survenue d'inefficacité ou d'effets indésirables inhabituels chez certaines populations de malades (personnes âgées ou fragiles) ", provoquant de fait un surcroît de souffrance chez ces patients. Il vise en particulier les patients les plus jeunes, en indiquant que " toute substitution chez les enfants poserait des difficultés comparables sinon plus importantes " en insistant sur " la plus grande vulnérabilité de la population concernée ".

188. Janssen-Cilag suscite encore l'inquiétude par l'évocation d'inconvénients allégués des spécialités génériques (" risques pour les patients ", " inefficacité ou [d']effets indésirables inhabituels ", " différences de biodisponibilité entre génériques eux-mêmes ", " risque de surdosage (...) ou de sous-dosage ", etc.), en comparaison avec Durogesic qui est présenté comme un traitement " efficace et bien toléré ", qui maintient " le soulagement du patient " et ne fait pas courir de " risque de déstabilisation ".

189. Le laboratoire revient en outre sur l'étude de bioéquivalence déposée pour les spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopharm, en s'appuyant sur les conclusions du CHMP, pour mettre en avant notamment les différences de biodisponibilité entre génériques et en conclure que ces différences peuvent entraîner la survenue d'inefficacité ou d'effets indésirables, alors que le comité a conclu que la bioéquivalence était établie en l'espèce (cf. paragraphe 75 ci-dessus).

190. Les arguments destinés à provoquer l'inquiétude sont peu étayés et les références sont approximatives (" les experts du domaine ", " la table ronde n° 7 ", " des 23èmes Rencontres Nationales de Pharmacologie Clinique de Giens "). Aucune étude scientifique ne vient appuyer ces affirmations.

191. Par le biais de ce courrier, Janssen-Cilag a donc véhiculé auprès de l'AFSSAPS -agence de santé investie d'un objectif général de protection de la santé publique - un message tendant à démontrer l'existence, voire la probabilité, d'un risque pour la santé publique en cas de substitution entre princeps et générique. Les représentants de l'ANSM ont confirmé ce point lors d'une audition : " Janssen-Cilag cherchait par conséquent à alerter l'agence sur les risques de santé publique. Le Directeur Général était en effet sensible à tout signalement portant sur ce type de risques " (cote 34060).

La rencontre du 21 avril 2008 entre les représentants de Janssen-Cilag et le directeur général de l'AFSSAPS

192. Quelques jours après l'envoi de ce courrier, le 21 avril 2008, une réunion s'est tenue entre les représentants de Janssen-Cilag et le directeur général de l'AFSSAPS, à la demande et après insistance du laboratoire princeps.

193. Comme l'ont indiqué les représentants de l'ANSM en audition, " cette réunion faisait suite à deux courriers et des courriels émis par Janssen-Cilag. Ayant insisté sur l'organisation d'une rencontre, le laboratoire princeps a obtenu l'organisation d'une réunion avec le Directeur général le 21 avril 2008 ". Ceux-ci ont par ailleurs précisé qu'au cours de cette réunion, " Janssen-Cilag a rappelé ses inquiétudes concernant l'octroi du statut générique aux patchs de fentanyl (notamment au vu de la définition légale des génériques) et sur les conséquences pour la santé publique de la substitution " (cote 34060).

194. Ainsi, Janssen-Cilag a développé, au cours de cette réunion, des arguments similaires à ceux qui figurent dans le courrier du 14 avril 2008, de nature à générer une crainte dans l'esprit de l'AFSSAPS concernant les éventuelles conséquences pour la santé publique de la reconnaissance du statut de générique aux patchs concurrents de Durogesic.

L'argumentaire détaillé de Janssen-Cilag du 19 mai 2008

195. À l'issue de la réunion du 21 avril 2008, Janssen-Cilag a transmis à l'AFSSAPS un argumentaire technique pour appuyer ses affirmations (cotes 388 à 423).

196. Lors d'une audition, les représentants de l'ANSM ont confirmé que le laboratoire princeps avait été invité à remettre à l'AFSSAPS " un argumentaire technique étayé par écrit ". Ce document, daté du 19 mai 2008 et intitulé " Dossier Durogesic ", a " par la suite été transmis à Ratiopharm pour commentaires, ainsi qu'à tout autre laboratoire demandeur ou titulaire d'AMM de patchs de fentanyl " (cote 34060).

197. Dans cet argumentaire, Janssen-Cilag revient sur des questions relatives à la bioéquivalence et à la pharmacocinétique qui ont pourtant été tranchées par l'AEM et la Commission européenne dans le cadre de la procédure d'arbitrage, ayant abouti à une décision favorable à l'octroi d'AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique de Ratiopharm (cf. paragraphe 77 ci-dessus).

198. Le document commence par des observations liminaires sur les systèmes transdermiques, notamment sur les questions de bioéquivalence et de substitution. Il souligne les différences existant entre les médicaments ayant cette forme pharmaceutique, concluant que " l'octroi du statut de générique pour les dispositifs transdermiques à base de fentanyl remettrait en question la position adoptée jusqu'à ce jour à l'égard des autres patchs " (cote 392).

199. Janssen-Cilag affirme plus loin qu'il existe plusieurs types de dispositifs transdermiques de fentanyl enregistrés et commercialisés en Europe, à savoir les systèmes à réservoir et les systèmes matriciels, dont " la composition varie selon les systèmes " (cote 394). 200. Le laboratoire princeps indique par ailleurs dans son argumentaire que les dispositifs transdermiques concurrents ont été enregistrés " sur la base de dossiers allégés type génériques prévus par l'article 10 de la Directive 2001/83/CE amendée (...), faisant référence à la spécialité DUROGESIC ", en soulignant qu'ils ne comportaient pas de " résultats d'essais précliniques ni d'efficacité et tolérance cliniques " (cote 400), études qui ne sont précisément pas requises dans les procédures de demande d'AMM pour des spécialités génériques, lesquelles nécessitent uniquement la démonstration de la bioéquivalence par rapport à la spécialité de référence par le biais d'une étude de bioéquivalence (cf. paragraphe 36 de la présente décision).

201. Janssen-Cilag poursuit son argumentaire en affirmant qu'au regard des éléments auxquels il a pu avoir accès, ces spécialités " ne répondraient pas à la définition de spécialité générique " (cote 400).

202. Afin d'étayer son raisonnement, le laboratoire princeps insiste sur les différences entre la spécialité de référence et ses spécialités concurrentes, en soulignant qu'elles " ne comportent jamais la même composition quantitative " (cote 400) ou encore que " l'ensemble des excipients et des procédés de fabrication sont différents d'une spécialité à l'autre ce qui peut modifier la pharmacocinétique du médicament " pour insister sur " l'importance des limites de bioéquivalence " (cote 412).

203. Le laboratoire poursuit son raisonnement sur la bioéquivalence, après avoir souligné les " différences individuelles entre génériques " dans l'intervalle de confiance, en indiquant que " la démonstration de la bioéquivalence ne garantit pas nécessairement la même efficacité et la même tolérance chez les patients " (cote 413).

204. Janssen-Cilag s'interroge par ailleurs " sur la pertinence du choix du produit de référence (DUROGESIC forme réservoir) utilisé dans les études de biodisponibilité " compte tenu du fait que cette forme a évolué en 2005. Selon le laboratoire princeps, ce constat soulèverait " un problème de fond quant à la validité de la bioéquivalence des nouveaux dispositifs transdermiques de fentanyl par rapport à DUROGESIC matriciel, ainsi que leur bioéquivalence entre eux " (cote 414), puisque leur bioéquivalence a été établie sur la base de l'ancienne forme de Durogesic. Toutefois, il y a lieu de souligner que Janssen-Cilag s'est lui-même également fondé sur la forme réservoir de ses spécialités pour obtenir la variation de son AMM initiale au profit de la nouvelle forme matricielle (cf. paragraphe 67ci-dessus). 205. Enfin, Janssen-Cilag insiste sur le fait que le fentanyl est une substance " dont la marge thérapeutique est faible " (cote 413). Il indique que les résultats qu'il observe concernant la bioéquivalence " plaident en faveur d'une non-substitution " (cote 417).

206. Pour finir, le laboratoire princeps n'hésite pas à remettre en cause l'ensemble de la classe des génériques, en indiquant dans son argumentaire que " le système en place n'offre pas toutes les sécurités nécessaires "et que les soucis d'économies des laboratoires les amènent à " chercher des sources d'approvisionnement en dehors de l'Union européenne, impliquant des pays n'offrant pas toujours les garanties de qualité requises (ex : Asie) ". Le laboratoire doute ainsi que les " contrôles de qualité mis en place par les autorités de santé puissent toujours détecter les impuretés et/ou produits de dégradation " (cote 414), remettant ainsi en question l'existence et l'efficacité des inspections sanitaires conjointes réalisées par l'AFSSAPS et les autorités de santé d'autres États dans les lieux de fabrication de ces produits, qu'ils soient situés sur le territoire de l'UE ou sur d'autres continents.

Le courrier de Janssen-Cilag à l'AFSSAPS du 22 octobre 2008

207. Le 22 octobre 2008, Janssen-Cilag adresse un nouveau courrier au directeur général de l'AFSSAPS (cotes 3991 et 3992).

208. Dans ce courrier, le laboratoire princeps revient sur les différences de composition qualitative et quantitative des dispositifs transdermiques de fentanyl, en affirmant que " la définition des génériques (européenne et transposée) pose une difficulté évidente qui devra être clarifiée puisque, manifestement, des AMM de génériques ont été accordées à des systèmes transdermiques ou autres alors même qu'ils n'ont pas ''la même composition qualitative et quantitative en substance active'' ".

209. Il y relève également que le statut de générique n'a pas été accordé aux spécialités concurrentes de Durogesic lors de la délivrance des AMM en juillet 2008. Les conséquences des échanges ayant eu lieu entre Janssen-Cilag et l'AFSSAPS sur la procédure d'octroi d'AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique en France

210. L'AFSSAPS, sensible aux arguments présentés par Janssen-Cilag, a refusé, temporairement, de reconnaître le statut de générique aux spécialités de fentanyl transdermique concurrentes de Durogesic.

Les avis des 19 juin et 10 juillet 2008 211. Le 19 juin et le 10 juillet 2008, les GTMG et GTNPA de l'AFSSAPS ont rendu des avis défavorables à l'octroi du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, en contradiction avec les avis préalablement rendus par la Commission d'AMM en janvier et mars 2008.

212. Ainsi, le GTNPA revient sur les conditions de fond d'octroi d'une AMM à une spécialité générique, en insistant sur le fait que les patchs n'ont " pas la même composition quantitative en substance active "et indiquant que " la notion de l'identité de la composition quantitative en substance active ne peut être entendue comme identité de la quantité de substance libérée du patch " (cote 313).

213. De même, le GTMG reprend à son compte les conclusions du GTPA après avoir souligné que " le laboratoire Janssen-Cilag a contesté le statut de générique que l'Agence s'apprêtait à accorder aux spécialités fentanyl Ratiopharm " (cote 318).

Le courrier adressé par l'AFSSAPS à Ratiopharm en date du 29 juillet 2008

214. Par courrier du 29 juillet 2008, le directeur général de l'AFSSAPS a informé Ratiopharm des raisons justifiant sa décision de ne pas reconnaître le statut de générique à ses spécialités (cotes 445 et 446).

215. Plus spécifiquement, ce courrier explicite les motifs pour lesquels l'AFSSAPS a considéré qu'elle ne pouvait pas envisager l'inscription de ces spécialités au répertoire des génériques.

Parmi ces motifs, figurent certains des arguments précédemment soulevés par Janssen-Cilag devant l'AFSSAPS.

216. Le courrier indique par exemple que " la quantité de principe actif contenue dans un patch [des spécialités de Ratiopharm] n'est pas la même que celle qui est contenue dans un patch des spécialités de référence DUROGESIC (...) ".

217. L'AFSSAPS s'interroge ensuite sur la possibilité d'inscrire au répertoire des génériques un médicament " se présentant sous la forme d'un patch et ne contenant pas la même quantité de principe actif que la spécialité de référence ". Elle relève dans le cadre de son analyse qu'en tout état de cause, " la preuve de l'identité de la quantité de substance active libérée dans l'organisme " n'est pas satisfaite entre les spécialités Durogesic et celles de Ratiopharm.

218. L'agence française de santé est donc revenue, dans ce courrier, sur la première condition d'octroi du statut de générique à une spécialité pharmaceutique, relative à l'identité de la composition qualitative et quantitative en principe actif. Cette question avait pourtant été tranchée à l'issue de la procédure de reconnaissance mutuelle et d'arbitrage.

La réaction de Ratiopharm après la décision de l'AFSSAPS

219. Dans un courrier daté du 6 août 2008, le président directeur général de Ratiopharm a fait part de " ses plus vives réserves " sur le bien-fondé du refus d'octroi du statut de générique opposé par l'AFSSAPS pour ses spécialités (cotes 448 et 449).

220. Le 9 septembre 2008, le laboratoire générique a soumis à l'AFSSAPS un argumentaire juridique et scientifique en vue d'une réunion de la commission d'AMM prévue pour le 25 septembre 2008 (cotes 452 à 468).

221. Dans son argumentaire, Ratiopharm rappelle les deux avis positifs de la commission d'AMM et indique que " ce n'est qu'à la suite des interférences du laboratoire Janssen-Cilag, à un stade très avancé de la procédure, que la Commission d'AMM a finalement été amenée à reconsidérer sa position initiale lors de sa réunion du 17 juillet 2008 " et à se prononcer " finalement contre l'autorisation d'accorder le statut de génériques aux patchs Fentanyl Ratiopharm " (cote 455).

222. En premier lieu, Ratiopharm rappelle à l'AFSSAPS que la procédure de reconnaissance mutuelle a abouti à une " décision favorable sur la base d'une procédure abrégée réservée aux spécialités génériques "de la Commission européenne, impliquant, au regard des textes applicables, que " l'AMM octroyée par l'AFSSAPS reconnaisse ce statut de générique ". Le laboratoire générique affirme ainsi que l'agence de santé ne disposait " d'aucune latitude ", dans le cadre de cette procédure, quant à la délivrance de l'AMM à ses spécialités en tant que génériques de Durogesic. Ratiopharm souligne d'ailleurs que " tous les États membres de la Communauté européenne ayant autorisé la mise sur le marché de nos spécialités Fentanyl Ratiopharm(r) ont reconnu le statut de générique y afférant " (cote 459).

223. Ainsi, selon le laboratoire générique, " l'octroi du statut de générique " pour ses spécialités de fentanyl transdermique " s'imposait " en application de la réglementation européenne. Il précise que la remise en cause éventuelle de la qualification de générique de ses spécialités " n'aurait pu légalement être soulevée que dans le cadre de la procédure d'arbitrage CHMP du 20 juin 2007, conformément aux articles 29 et suivants de la directive 2001/83/CE " (cote 466).

224. Dès lors, Ratiopharm indique à l'agence nationale de santé que " la situation créée par vos[ses] décisions du 28 juillet 2008 d'octroi des AMM sans statut générique aux spécialités Fentanyl Ratiopharm(r) " est " contraire à l'application des textes communautaires " (cote 457).

225. En second lieu, Ratiopharm revient sur des considérations scientifiques relatives notamment à la démonstration de l'identité des compositions quantitatives en substance active des spécialités Ratiopharm avec les spécialités Durogesic.

226. Le laboratoire générique indique que cette question relève de la bioéquivalence entre les spécialités, " laquelle a été approuvée à l'unanimité par l'avis du CHMP entériné par la décision de la Commission Européenne du 23 octobre 2007 " (cote 462). Selon Ratiopharm, " sans les interférences tardives du Laboratoire princeps Janssen-Cilag, un tel débat n'aurait probablement pas pu prospérer " (cote 459).

227. Ratiopharm revient en outre sur les éventuels risques associés à la substitution soulignés par l'AFSSAPS dans son courrier du 29 juillet 2008. Il précise que les textes applicables, en particulier l'article R. 5121-5 du code de la santé publique, permettent à l'AFSSAPS de préciser, par le biais d'une mise en garde, " que la substitution de la spécialité de référence par la spécialité générique peut entraîner un risque particulier pour la santé de certains patients dans certaines conditions d'utilisation ".

228. Sur la base de ces éléments, Ratiopharm demande à l'AFSSAPS qu'elle octroie, " dans les meilleurs délais ", à ses spécialités de fentanyl transdermique, le " statut de générique via une requalification des AMM accordées " (cote 467). Le réexamen par l'AFSSAPS du dossier de Ratiopharm et le libellé de la mise en garde insérée dans le groupe des patchs de fentanyl au répertoire des génériques 229. Le 25 septembre 2008, la Commission d'AMM de l'AFSSAPS a décidé de procéder à l'inscription de ces spécialités au répertoire des génériques en l'assortissant d'une mise en garde.

230. L'AFSSAPS est ainsi revenue sur ses décisions de juillet 2008 et a accordé le 3 novembre 2008 aux spécialités de Ratiopharm le statut de générique, décidant qu'elles seraient assorties d'une mise en garde relative à la substitution, inscrite dans le groupe des patchs de fentanyl au répertoire des génériques.

Observations des laboratoires génériques sur le retard d'octroi d'AMM

231. Le laboratoire Teva (anciennement Ratiopharm) a indiqué que la commercialisation de ses spécialités a été " retardée de près de onze mois, entraînant une perte de chiffre d'affaires considérable ", ayant pour conséquence de " freiner considérablement la capacité de RATIOPHARM à se développer sur le marché concerné, alors que ce marché est en développement rapide, créant ainsi au profit de JANSSEN-CILAG un avantage concurrentiel que l'on peut considérer comme quasi-définitif " (cote 29).

232. Dans le même sens, dans une réponse à une demande de renseignements, un laboratoire a déclaré avoir été surpris par la durée de sa propre procédure d'octroi d'AMM. Il a indiqué que cette procédure a été " inhabituellement longue " et a fait l'objet de " multiples reports d'examen ". Il s'est donc " inquiété auprès du Directeur général de l'AFSSAPS des délais anormalement longs de cet examen ", s'interrogeant sur les " raisons de la longueur de cette procédure, en particulier sur d'éventuelles interventions tierces " (cotes 38693 et 38694).

b) La communication de Janssen-Cilag auprès des professionnels de la santé

233. Le laboratoire princeps a dispensé une formation auprès de ses visiteurs médicaux chargés de présenter Durogesic aux professionnels de la santé. Dans le prolongement de cette formation, des éléments de communication ont directement été transmis aux médecins et aux pharmaciens.

La formation des visiteurs médicaux de Janssen-Cilag

234. Le 28 novembre 2008, les visiteurs médicaux des réseaux Anémie Douleur, Neurogériatrie, et Médecine générale de Janssen-Cilag se sont réunis dans le cadre d'une réunion nationale sur Durogesic (cotes 15458 et 5012). Ces réseaux de visiteurs médicaux, actifs en ville ou à l'hôpital, sont propres au laboratoire princeps. Ils comprenaient, à l'époque des faits, un total d'environ 300 visiteurs (cote 38894).

235. Cette formation a porté sur Durogesic, ses génériques et la substitution.

Les " messages clés " présentés aux visiteurs médicaux

236. À l'occasion de cette formation, une présentation reprenant les arguments scientifiques et juridiques élaborés en amont par le laboratoire princeps contre les génériques et les " messages clés " à retenir a été élaborée et présentée par le laboratoire princeps (cotes 15458 à 15476).

Présentation des génériques : des " génériques pas comme les autres "

237. En introduction, la présentation retrace l'évolution du dossier d'AMM des patchs de Ratiopharm devant l'AFSSAPS. Elle précise qu'une mise en garde relative à la substitution a été adoptée (cotes 15460 et 15461).

238. Ensuite, la formation rappelle certains aspects des définitions légales des médicaments princeps et génériques. Sur les spécialités princeps, la présentation rappelle, en visant l'article L. 5121-5 du code de la santé publique, qu'il s'agit des spécialités " de référence ", qui sont enregistrées sur la base d'un " dossier complet ". Sur les spécialités génériques, elle rappelle, en visant l'article L. 5121-1 du code de la santé publique, les trois conditions de fond (identité de composition qualitative et quantitative en principe actif, identité de forme pharmaceutique et bioéquivalence), en précisant qu'il s'agit d'un " dossier abrégé ", qui ne requiert pas de données précliniques et cliniques (cote 15461). La présentation revient enfin sur la possibilité d'inscrire au répertoire des génériques une mise en garde sur la substitution.

239. Puis, revenant sur la composition quantitative des patchs de fentanyl, la présentation dresse un tableau comparant les quantités de principe actif comprises dans les différents patchs génériques, ainsi que la taille de ces patchs. Ce tableau compare, par laboratoire et par dosage (à savoir 12µg, 25µg, 50µg, 75µg et 100µg), la surface des patchs de fentanyl et la quantité de principe actif contenue dans ceux-ci (cote 15462).

240. S'agissant des études de bioéquivalence, la présentation reprend des graphiques illustrant l'intervalle de bioéquivalence appliqué par les autorités de santé dans l'étude du dossier des génériques de Durogesic. Dans un premier graphique (présenté en interne au cours de la réunion du 18 mars 2008, cf. paragraphes 144 et suivants), le laboratoire insiste sur une variation possible de 45 % entre deux patchs et illustre celle-ci par des courbes prononcées. La présentation comprend un second graphique qui interroge sur l'existence d'une bioéquivalence réelle entre deux patchs de fentanyl (" bio équivalents ? ") et rappelant que la bioéquivalence des génériques a été établie vis-à-vis de l'ancienne forme du patch à réservoir de Durogesic et non vis-à-vis du patch matriciel qui l'a remplacé (cote 15463).

241. Le laboratoire poursuit sa présentation en insistant sur les " conséquences cliniques " de la substitution. En particulier, elle insiste sur " les conséquences cliniques potentielles " en cas de " surdosage " ou de " sous-dosage ", qui ne sont pas évoquées spécifiquement dans la mise en garde (cote 15463).

242. S'agissant de la mise en garde, la présentation en expose, avant sa publication, le texte exact, qui invite les professionnels de la santé à une surveillance attentive des trois catégories de patients particulièrement sensibles à la substance active (patients fébriles, patients âgés ou enfants de 2 à 16 ans) (cote 15464).

243. En synthèse, le laboratoire lie, d'une part, les différences qualitatives et quantitatives des patchs de fentanyl (princeps et génériques) et d'autre part, les conséquences supposées de ces différences sur la sécurité des patients et les recommandations de la mise en garde sur la nécessité d'un suivi des patients en cas de substitution. Il en conclut qu'il s'agit de " génériques pas comme les autres " en soulignant que c'est la " première fois " qu'une mise en garde est adoptée par l'AFSSAPS (cote 15464).

Les axes de communication adoptés

244. Après cette présentation des médicaments génériques, le laboratoire poursuit la formation des visiteurs médicaux en les informant des priorités établies par Janssen-Cilag pour Durogesic, à savoir maintenir l'initiation et le suivi du traitement sous la marque princeps de l'hôpital à l'officine en ville (cote 15465).

245. Ces diapositives présentent le discours que les visiteurs médicaux de Janssen-Cilag devront tenir auprès des professionnels de la santé, en s'appuyant sur la future mise en garde de l'AFSSAPS.

246. Le laboratoire présente ainsi un " message clé ", orienté autour de " l'efficacité et la sécurité des patients ", en " veillant à l'absence de changement de marque de patch de fentanyl en cours de traitement ". La présentation précise qu' " un patient initié sous Durogesic doit rester préférentiellement sous Durogesic " (cote 15466).

247. En particulier, le laboratoire insiste sur la notoriété de Durogesic, qui est assimilé aux termes suivants : " efficacité, sécurité d'emploi, expertise dans la douleur ". À l'inverse, il souligne que le changement d'une marque à l'autre pourrait " entraîner un risque pour les patients ", qui aurait justifié l'insertion d'une mise en garde dans le répertoire des génériques (" C'est pourquoi, pour la première fois en France, une mise en garde spécifique figurera dans le répertoire ").

248. La présentation vise ainsi le " principe de précaution ", en jouant sur la responsabilité encourue par le professionnel de la santé en cas de substitution. À cet égard, le laboratoire fait référence à la " lettre d'information médicale ", document mis à la disposition des visiteurs médicaux, afin qu'ils le distribuent et qu'ils s'y réfèrent dans le cadre de leurs visites médicales (cote 15466, cf. paragraphes 272 et suivants pour son contenu).

Les " plans d'action "

Le " plan d'action Officines "

249. Une partie de la présentation porte sur le plan de communication, intitulé " plan d'action Officines ", que les visiteurs médicaux devront mettre en œuvre auprès des officines concernant Durogesic et ses génériques (cote 15467).

250. La communication du message de Durogesic vers les officines se veut massive. Le laboratoire souhaite toucher l' " intégralité des 23 000 " pharmacies de ville, en leur diffusant la " lettre d'information médicale " à travers différents canaux (visites médicales, presse spécialisée, courriers, fax, cartons de livraison) et en s'assurant de la bonne restitution du message par le biais d' " entretiens confraternels " ou de formations à distance. Le laboratoire vise par ailleurs un " cœur de cible ", soit les 6 700 pharmacies représentant 80 % du chiffre d'affaires de Durogesic et 5 000 officines additionnelles.

251. En outre, Janssen-Cilag envisage d'octroyer des " conditions commerciales attractives " dans le cadre de la " vente directe " avec le concours d'un dépositaire et la mise en place d'un numéro de téléphone dédié pour les commandes de Durogesic.

252. Ces actions sont prévues selon un calendrier précis : d'abord, la mise en œuvre d'actions commerciales (dès le 1er décembre 2008), suivies d'actions de communication sur le " cœur de cible " d'abord (à compter du 8 décembre 2008), puis auprès de l'ensemble des pharmacies (mi-décembre 2008).

253. Janssen-Cilag envisage ainsi de mettre en œuvre sa stratégie de communication avant l'entrée du générique sur le marché, l'inscription des spécialités de fentanyl transdermique concurrentes de Durogesic au répertoire des génériques n'ayant eu lieu que le 10 décembre 2008.

Le " plan d'action par réseau " auprès des hôpitaux et des médecins

254. Le laboratoire princeps envisage par ailleurs des " actions spécifiques " auprès des médecins, en distinguant la stratégie de communication " par réseau " (" Anémie- Douleur ", " Neuro-Gériatrie ", " Médecine Générale "), dans le cadre desquelles les visiteurs médicaux sont appelés à " assurer une diffusion maximale des messages-clés ", présentés ci-dessus (cote 15468).

255. Sont en particulier visés les " Ets Protects ", centres hospitaliers pour lesquels le laboratoire princeps souhaite conserver un référencement, les visiteurs médicaux étant ainsi invités à remonter immédiatement " toutes infos " provenant de ces centres.

256. Par ailleurs, le laboratoire invite les visiteurs médicaux à se concentrer sur les prescripteurs en consultation externe (" focus sur les prescripteurs en consultations externes ") ou encore à communiquer un " message de vigilance sur les ordonnances de sortie " de l'hôpital, ce qui confirme la volonté du laboratoire de pérenniser la prescription de Durogesic vers la ville également. L'objectif affirmé par Janssen-Cilag est en effet de " maximiser l'effet source vers la ville et la continuité du traitement sous Durogesic ".

257. S'agissant plus spécifiquement de la gériatrie, la présentation préconise d'adapter la communication aux personnes âgées. Elle envisage ainsi des recommandations spécifiques, portant en particulier sur la mise en garde et donc la substitution.

Les documents transmis aux visiteurs médicaux et aux professionnels de la santé

258. En complément de la présentation, plusieurs documents ont été remis aux visiteurs médicaux lors de la réunion nationale sur Durogesic du 28 novembre 2008 : un document intitulé " communication réseaux DUROGESIC ", un document intitulé " réponses à objections " et la " lettre d'information médicale " (cotes 15107 à 15115).

La " communication réseaux Durogesic "

259. Le document de " communication réseaux Durogesic " est un document de formation qui précise le " message clé " et les " arguments clés " à retenir concernant Durogesic et ses génériques (cote 15109).

260. Le document revient d'abord sur les atouts de Durogesic : " efficacité et sécurité d'emploi prouvée ", " depuis plus de 10 ans ", " recul sur +2 millions de patients ".

261. Il présente ensuite les risques liés à la substitution, en insistant sur le fait que " tout changement en cours de traitement " peut entraîner des " risques pour les patients ", visant en particulier certains aspects qualitatifs des patchs (" les taux plasmatiques de fentanyl obtenus peuvent varier d'un patch à l'autre "). Il souligne en outre qu'une " surveillance particulière " est nécessaire pour " certaines populations (patients âgés, fébriles et enfants) ".

262. Le document revient enfin sur les " mises en garde spécifiques " figurant dans le répertoire des médicaments génériques concernant les patchs de fentanyl. Il souligne en particulier que c'est la " première fois " qu'une mise en garde est adoptée par l'AFSSAPS, alors que, comme indiqué plus haut (paragraphes 40et suivants), cette possibilité n'a été introduite que peu de temps auparavant et qu'elle avait déjà été mise en œuvre dans le passé, mais sous d'autres formes que celle de l'inscription au répertoire des génériques.

263. En conclusion, le document indique que, " pour garantir la sécurité des patients et par principe de précaution ", il convient " de ne pas passer d'un patch à l'autre en cours de traitement ", alors que la mise en garde de l'AFSSAPS préconise seulement une surveillance médicale attentive en cas de changement en cours de traitement.

Le document " réponses à objections "

264. Le document " réponses à objections " est un document de questions-réponses, qui présente aux visiteurs médicaux les réponses à formuler aux questions posées par les professionnels de la santé lors des visites médicales (cotes 15114 et 15115).

265. Ce document revient d'abord sur les " différences " entre les patchs de fentanyl génériques et Durogesic. Plus particulièrement, en réponse à l'interrogation " Y-a-t-il des différences entre les patchs de fentanyl génériques et Durogesic ? ", le laboratoire princeps préconise d'insister sur le fait que les patchs génériques " n'ont pas la même composition, ni la même quantité de fentanyl et taille, que le patch de Durogesic ". Il propose aussi de souligner que les génériques ont été enregistrés sur la base d'un " dossier allégé contenant seulement des études de bioéquivalence ".

266. Le document revient ensuite sur les " risques " pour les patients en cas de changement de patch en cours de traitement. Plus spécifiquement, en réponse à l'interrogation " Quel est le risque pour le patient lors du passage d'un patch à l'autre en cours de traitement ? ", Janssen-Cilag invite les visiteurs médicaux à rappeler que si la bioéquivalence a été démontrée conformément à la réglementation européenne, celle-ci accepte " une variabilité des concentrations sanguines de - 20 à + 25 % " qui peut avoir des conséquences sur " l'efficacité " et sur " l'incidence des effets secondaires ", compte tenu du fait que " des variations de concentrations sanguines de fentanyl, même minimes " peuvent entrainer des " différences cliniques " pour les patients. Le laboratoire princeps souligne ensuite les " conséquences cliniques préjudiciables pour le patient " en cas de " substitution automatique sans encadrement médical approprié " sans pour autant distinguer selon les catégories de patients.

267. Le document aborde par ailleurs l'ensemble des risques liés au surdosage ou au sous-dosage. Il souligne en particulier un risque de décès du patient (" son pronostic vital peut en être mis en jeu ").

268. Le document propose en outre de répondre à la question " Puis-je changer de patch de fentanyl chez un patient qui ne répond pas aux trois populations des mises en garde ? "que " tout patient " est susceptible de " rentrer dans le cadre des populations concernées par les mises en garde ", compte tenu des risques d' " augmentations de températures corporelles ".

269. Enfin, en réponse à la question " Que signifie ''adopter une surveillance attentive du patient en cours de traitement'' ? ", Janssen-Cilag souligne qu' " aucune surveillance médicale continue " ne peut être " garantie " s'agissant des " patients traités en ambulatoire ".

La " lettre d'information médicale "

270. Le troisième document mis à la disposition des visiteurs médicaux au cours de la réunion nationale de formation du 28 novembre 2008 est une lettre datée du 27 novembre 2008 signée par le vice-président de Janssen-Cilag (cote 15110).

271. Dès décembre 2008, ce courrier sera largement diffusé par le laboratoire pharmaceutique auprès des professionnels de la santé (médecins et pharmaciens). Néanmoins, son contenu sera dénoncé par l'AFSSAPS, entraînant la cessation de sa diffusion.

Le contenu

272. Dans ce courrier, Janssen-Cilag reprend le texte de la mise en garde de l'AFSSAPS, qui est " à paraître ", pour en donner son interprétation, en particulier concernant le risque pour les patients et quant à son caractère inédit.

273. Tout d'abord, la lettre commence comme un courrier confraternel entre professionnels de la santé, par l'usage de la formulation " Cher(e) confrère ".

274. Ensuite, Janssen-Cilag insiste sur l'expérience et la notoriété de Janssen-Cilag dans le traitement de la douleur avec Durogesic, en soulignant qu'il est " impliqué(s) depuis plus de 50 ans dans la prise en charge de la douleur ".

275. Le laboratoire princeps délivre ainsi, de façon anticipée, le contenu de la mise en garde que l'AFSSAPS a décidé d'insérer au répertoire des génériques. Il précise agir " dans un souci d'information large du corps médical et de la protection des patients " et indique qu'au regard de l' " importance de cette mise en garde ", il a demandé à ce que celle-ci soit intégrée dans le RCP de ses spécialités Durogesic. Ainsi, tout professionnel de santé prescrivant Durogesic saura combien la substitution " peut entraîner un risque particulier ".

276. En premier lieu, avant de citer le contenu de la mise en garde, Janssen-Cilag présente la décision du directeur général de l'AFSSAPS selon laquelle " tout changement en cours de traitement " est susceptible d'entraîner " un risque particulier " pour la santé de certains patients dans certaines conditions d'utilisation. Ce courrier ne précise pas, pour autant, que le risque peut être écarté par la surveillance médicale, la mise en garde prévoyant une " surveillance particulière " pour certains patients. En outre, il insiste sur la substitution du princeps par le générique (" et notamment, la substitution de la spécialité de référence Durogesic par la spécialité générique ") alors que la mise en garde n'effectue aucune distinction entre les différents modes de substitution. Ce courrier détaille enfin les conséquences du surdosage, notamment son caractère potentiellement fatal, dans une note de bas de page ne figurant pas dans le texte de la mise en garde de l'AFSSAPS (" Le risque de surdosage expose à la dépression respiratoire potentiellement fatale en l'absence de mesure d'assistance respiratoire chez les patients traités en ambulatoire et donc en dehors de structure de soin disposant de moyens de réanimation ").

277. En second lieu, le document insiste, en mettant les termes en gras, sur le caractère inédit de cette mise en garde (" Pour la première fois, figurera au répertoire des génériques (à paraître) le texte suivant "), alors que, comme indiqué plus haut, l'agence française de santé ne dispose de cette possibilité que depuis l'adoption du décret n° 2008-435 du 6 mai 2008, d'autres " avertissements " ayant néanmoins déjà été diffusés par le biais de courriers ou communiqués de presse.

278. En conclusion, le laboratoire insiste de nouveau sur la relation confraternelle qu'il entretient avec les professionnels de la santé, en offrant à ces derniers de les " accompagner dans la prise en charge de la douleur et dans le bon usage des systèmes de fentanyl ".

La réaction de l'AFSSAPS sur le contenu de la lettre

279. Par courrier du 1er décembre 2008, Janssen-Cilag a informé l'AFSSAPS de son intention d'adresser à l'ensemble du corps médical des informations relatives à la bonne utilisation des dispositifs transdermiques de Fentanyl, dans le contexte de l'inscription de plusieurs produits au répertoire des médicaments génériques.

280. Le 12 février 2009, le directeur général de l'AFSSAPS a adressé un courrier à Janssen-Cilag, afin de rectifier les inexactitudes de cette lettre concernant la position de l'AFSSAPS sur la substitution des patchs de fentanyl et la présentation de la mise en garde (cotes 580 et 581).

281. Dans ce courrier, l'AFSSAPS indique que " certaines des formulations " de la " lettre d'information médicale " " appellent (...) des commentaires " et ce, " afin de dissiper toute ambiguïté quant à la portée de la décision de l'Agence " car elles " ne reflètent pas exactement la teneur de la position que l'Afssaps a prise ".

282. D'abord, l'AFSSAPS indique à Janssen-Cilag qu'il n'y a pas lieu de procéder à une hiérarchisation, par l'utilisation du terme " notamment ", entre spécialité princeps et spécialités génériques. Elle souligne dans ce sens qu' " elle a spécifiquement entendu couvrir l'ensemble des cas possibles de changement, sans aucune distinction ni hiérarchie (spécialité de référence par spécialité générique, spécialité générique par spécialité de référence et spécialité générique par spécialité générique).

283. Ensuite, elle souligne que les risques potentiels justifiant une surveillance particulière figurait déjà dans le RCP des produits de fentanyl et donc de Durogesic (" les types de situation thérapeutique justifiant cette surveillance attentive faisaient déjà l'objet de mentions dans la rubrique ''mises en garde spéciales et précaution d'emploi'' du résumé des caractéristiques des produits de Fentanyl ").

284. Par ailleurs, l'AFSSAPS rappelle que, s'il est vrai que c'est la première fois qu'une mise en garde figurera au répertoire des génériques, " la possibilité de prévoir une telle mise en garde est très récente puisqu'elle a été introduite par l'article 5 du décret du 6 mai 2008 ". 285. En conclusion, l'agence de santé indique que cette mise en garde " visait non pas à faire obstacle à toute substitution (...) mais à appeler l'attention des professionnels de santé concernés sur les précautions nécessaires en cas de changement de spécialité ".

La diffusion de la lettre

286. Bien que Janssen-Cilag ait consulté l'AFSSAPS sur le contenu de sa lettre, le laboratoire princeps n'a pas attendu le courrier de réponse de l'agence de santé pour la diffuser.

287. En plus de la distribution par les visiteurs médicaux, le laboratoire a prévu la diffusion de cette lettre par les moyens suivants : par fax aux pharmacies de ville et à l'hôpital, par l'intermédiaire des grossistes-répartiteurs ou par ventes directes à l'occasion des livraisons des commandes de Durogesic, à travers la presse spécialisée (" Moniteur des pharmacies ", " Impact pharmacien ", " Quotidien du pharmacien ", " Impact médecine ", " Quotidien du médecin " et " Généraliste ") ou encore par courrier auprès des médecins généralistes, pharmaciens d'officine et hospitaliers, neurologues (libéraux, clinique et hôpital), gériatres (libéraux, clinique et hôpital) et spécialistes hospitaliers (cote 14600).

288. S'agissant des pharmaciens d'officine, le " plan d'action officines " présenté ci-dessus prévoit également une diffusion à l'ensemble d'entre eux (" intégralité des 23 000 officines ").

289. Un courriel interne du 9 décembre 2008 fait état du fait que, dans le cadre du " plan de communication et d'action auprès des pharmaciens d'officine ", cette lettre est en cours de diffusion (" la lettre qui est en ce moment même diffusée par les équipes de terrain ") auprès de l'ensemble des professionnels de la santé prescrivant ou délivrant Durogesic (pharmaciens d'officine, médecins généralistes, neurologues, gériatres, spécialistes hospitaliers et pharmaciens hospitaliers) (cote 14462).

290. Le laboratoire princeps prévoit par ailleurs un suivi de la diffusion de cette lettre, en s'assurant des dates d'arrivée à ses destinataires (cotes 14656) ou en retraçant, dans un tableau de 163 pages, les noms et adresses des 9419 professionnels de la santé (pharmaciens et des médecins de diverses spécialités exerçant en milieu hospitalier et/ou en ville) visités en 2008 et auprès desquels l'envoi a été effectué (cotes 16008 et suivantes).

291. La lettre a en outre été diffusée dans la presse spécialisée (" Quotidien du pharmacien ", " Impact pharmacien ", le " Quotidien du médecin " et le " Moniteur des pharmacies ") (cotes 560 et 33271).

292. Enfin, de nombreux professionnels de la santé (pharmaciens et médecins de ville ou hospitaliers) ont confirmé avoir reçu cette lettre, et parfois à plusieurs reprises (cf. paragraphes 326 et suivants).

293. Par conséquent, cette lettre a fait l'objet d'une diffusion massive auprès de l'ensemble des professionnels de la santé prescrivant ou dispensant des patchs de fentanyl, avant même l'entrée des génériques sur le marché.

L'arrêt de la diffusion de la lettre

294. Le laboratoire indique dans un document interne avoir cessé la diffusion de la " lettre d'information médicale " le 13 février 2009 (cote 5012), soit plus de deux mois et demi après l'émission de cette lettre laquelle avait déjà été envoyée à l'ensemble des professionnels de la santé visés (cf. paragraphes 326 et suivants).

295. Pour autant, dans une réponse à une demande de renseignements, le dépositaire indique avoir diffusé cette lettre " du 2 décembre 2008 au 23 mars 2009 " (cote 38516).

Les installations dans les logiciels des professionnels de la santé

296. En complément, Janssen-Cilag a fait installer des fenêtres automatiques et des écrans de veille sur les ordinateurs des professionnels de la santé. Les fenêtres automatiques (" pop-up ") installées chez les pharmaciens d'officine

297. Le laboratoire princeps a demandé à un éditeur d'un logiciel destiné à assister le pharmacien d'officine dans la délivrance de médicaments de diffuser une information sur Durogesic, " affichée en automatique en cours de délivrance sous un format pop-up " (cotes 37598 à 37601).

298. L'éditeur a indiqué que cette opération était programmée " sur 12 (douze) mois à compter de janvier 2009 dans toutes nos solutions logicielles (...), soit une diffusion sur un périmètre de 9 375 officines ". Il a précisé que " pendant toute la période de campagne, l'affichage du pop-up a été proposé lors de la délivrance " des dispositifs transdermiques de fentanyl. La fenêtre s'ouvrait automatiquement avec l'utilisation des mots-clés " dispositif transdermique ".

299. Le contenu de cette fenêtre automatique a évolué dans le temps. Jusqu'à avril 2009, les pharmaciens utilisant ce logiciel ont vu apparaître le message suivant : " compte tenu des variations inter-individuelles qui pourraient survenir chez certains patients âgés ou certains enfants et afin de prévenir tout risque de surdosage ou de sous-dosage, une surveillance attentive du patient en cours de traitement est particulièrement nécessaire en cas de changement de spécialité à base de fentanyl ". À partir d'avril 2009, le logiciel a été mis à jour et la fenêtre automatique a été remplacée par une proposition de " conseils de bon usage " à transmettre aux patients, avec un renvoi à une " fiche d'information " accessible en ligne.

L'économiseur d'écran destiné aux médecins généralistes

300. Un éditeur des logiciels de prescription destinés aux médecins a également confirmé avoir installé un économiseur d'écran (ou écran de veille) auprès de 12 000 médecins généralistes acceptant ce type d'installations, de fin février à mi-août 2009 (cotes 37565 à 37595).

301. L'économiseur d'écran en question est constitué d'une succession d'images (" story board ") mises au point par Janssen-Cilag. Ces images comprennent l'apparition en fondu de la marque Durogesic avec le logo de Janssen-Cilag et le message suivant : " la marque originale de notre savoir-faire ". Le fondu enchaîne ensuite sur une image reproduisant l'ensemble des boîtes de Durogesic (par dosage), en précisant qu'elles permettent " une identification claire ", ainsi que sur une illustration des avantages des patchs matriciels et enfin sur un rappel de l'expérience de Janssen-Cilag sur le produit.

302. L'économiseur d'écran se termine enfin par un rappel de la mise en garde, sous le titre " mise en garde spéciale ". Le texte de la mise en garde est entouré de plusieurs panneaux de signalisation triangulaires évoquant l'existence d'un danger.

Les éléments supplémentaires de communication auprès des pharmaciens d'officine

303. Le laboratoire princeps a établi une stratégie de communication encore plus poussée auprès des pharmaciens d'officine par la mise en place d'appels téléphoniques et de formations. Les appels téléphoniques et formations à distance

304. Un courriel interne du 9 décembre 2008 indique, concernant l' " opération Durogesic ", qu'un " projet de edetailing [formation à distance] pour l'équipe officinale a été mis en place " en deux phases : un " entretien confraternel " réalisé par un médecin d'une société prestataire, suivi d'une formation à distance, opérée par les visiteurs médicaux de cette même société (cote 2275).

305. Dans ce cadre, Janssen-Cilag a fait appel à deux prestataires indépendants spécialisés dans la communication et le télémarketing dans le secteur de la santé, dont les médecins ont suivi une formation à cet effet au début du mois de décembre 2008 par les équipes de Janssen- Cilag (cote 15170).

L' " entretien confraternel "

306. L' " entretien confraternel " consiste en un appel téléphonique d'un médecin délivrant des informations relatives à Durogesic et ses génériques aux pharmaciens d'officine (cote 4997 ; cotes 8782 et 8783).

307. L'objectif est de contacter les 12 800 officines sélectionnées par Janssen-Cilag, lesquelles ont déjà reçu la " lettre d'information médicale ", que ce soit au cours d'une visite médicale, par courrier ou par fax, ou encore lors des livraisons effectuées dans le cadre des ventes directes ou par l'intermédiaire des grossistes-répartiteurs.

308. Afin d'assurer un contrôle minutieux du message délivré aux officines, l' " entretien confraternel " fait l'objet d'un script rédigé par les équipes de Janssen-Cilag et devant être suivi par les médecins chargés d'entrer en contact avec les officines.

309. Le médecin est invité à revenir sur la mise en garde, et plus particulièrement, la " lettre d'information médicale " qui a été communiquée aux pharmaciens, afin de s'assurer que ceux-ci ont pris connaissance de son contenu. Le médecin doit présenter les objectifs de son appel (revenir sur le contenu de cette mise en garde) et leur proposer de bénéficier de la campagne de formation à distance des équipes officinales mise en œuvre par Janssen-Cilag.

310. Un suivi des officines effectivement contactées est par ailleurs assuré par une équipe dédiée au sein de Janssen-Cilag, laquelle est en contact régulier avec les prestataires. Plus spécifiquement, les médecins chargés de faire ces entretiens doivent évaluer la " sensibilité " du pharmacien avec lequel il s'est entretenu (" Patient " s'il apparaît sensible au message véhiculé par le laboratoire princeps, ou " Economique " s'il apparaît sensible aux intérêts économiques de l'assurance-maladie ou de leur officine). Ainsi, 9 207 pharmaciens ont été contactés au 7 janvier 2009 (cote 14575).

La formation à distance (" e-detailing ")

311. La formation à distance des officines, qui est proposée à l'issue de l' " entretien confraternel ", est dispensée par des employés des prestataires en charge de l'entretien, formés par les équipes de Janssen-Cilag.

312. Un diaporama préparé par Janssen-Cilag est présenté au cours de la formation (cotes 14468 à 14473).

313. Le diaporama commence par présenter Durogesic. Le prestataire chargé de la formation informe ensuite le pharmacien sur l'initiation de traitement par Durogesic et le suivi du patient. Le prestataire aborde ensuite la délivrance de Durogesic, en rappelant certains principes, notamment de suivi du patient.

314. Cette présentation du produit et de sa délivrance est suivie d'un rappel du texte de la mise en garde inscrite au répertoire des génériques et d'un exposé des risques encourus par les patients en cas de changement de traitement (" conséquences cliniques potentielles en cas d'un changement de traitement ").

315. La présentation se termine par des considérations générales et des conseils pratiques sur le produit, ainsi que sur le signalement de complications liées à l'utilisation du produit. Les formations en " Masterclass " proposées par OCP

316. Enfin, Janssen-Cilag a mis en place des formations en " Masterclass " assurées par un grossiste-répartiteur (cotes 3411 et 5011), organisées en 2008 et 2009 au bénéfice d'un total de 1 414 participants dans de nombreuses villes de France métropolitaine (cotes 38627 et 38628).

317. Le grossiste-répartiteur a diffusé un document d'invitation à ces formations, sur en-tête conjoint avec Janssen-Cilag (cote 584).

La diffusion des messages clés de Janssen-Cilag auprès des professionnels de la santé

La diffusion du message par les visiteurs médicaux à l'issue de la formation

318. Les 300 visiteurs médicaux formés au cours de la réunion du 28 novembre 2008 ont été chargés de diffuser le message de Janssen-Cilag concernant Durogesic, ses génériques et la substitution, en s'appuyant sur les documents remis au cours de leur formation.

319. Il ressort d'un courriel interne du 25 novembre 2008 que le laboratoire vise un " cœur de cible " de 6700 officines. En outre, le suivi des visites réalisées est considéré par le laboratoire princeps comme un point " fondamental sur nos ventes Duro de début d'année " (cote 14058).

320. À l'issue de la formation du 28 novembre 2008, le laboratoire a adressé aux visiteurs médicaux un fichier reprenant l'ensemble des pharmacies à visiter : " Comme convenu, nous vous adressons le fichier électronique des officines clés " : ce fichier est un document d'une centaine de pages, reprenant les coordonnées des milliers d'officines à visiter et identifiant les visiteurs médicaux en charge de chaque visite (cotes 15830 à 15930).

321. Enfin, de nombreux professionnels de la santé (pharmaciens et médecins exerçant en ville et à l'hôpital) ont confirmé avoir reçu la visite de visiteurs médicaux de Janssen-Cilag, véhiculant le contenu du message de la formation de novembre 2008 (cf. paragraphes 326 et suivants).

Les officines contactées et formées dans le cadre de l' " entretien confraternel " et de la formation à distance

322. Les opérations de formation à distance et d' " entretiens confraternels " ont été initiées avant l'arrivée des génériques sur le marché. En effet, les " entretiens confraternels " ont été initiés le 8 décembre 2008 et ont été organisés quotidiennement jusqu'au 15 janvier 2009. Les formations à distance ont, quant à elles, commencé le 14 décembre 2008et ont été organisées régulièrement jusqu'au 20 mars 2009 (cote 38270).

323. Afin de s'assurer de la bonne délivrance de son message par ses prestataires lors de l' " entretien confraternel " et de la formation à distance, Janssen-Cilag a mis en place un système de suivi détaillé et régulier de leur activité par le biais d'un " reporting journalier " rémunéré, avec un " bilan quantitatif final " (cote 37386).

324. Au total, 12 800 pharmacies ont été contactées dans le cadre de l' " entretien confraternel " et 5 400 d'entre elles ont reçu la formation à distance " edetailing ", sur une période allant de décembre 2008 à mars 2009 (cote 4997).

325. Les remontées quotidiennes des prestataires communiquées à Janssen-Cilag étaient insérées dans un tableau de plusieurs dizaines de pages reprenant les 12 800 officines cibles, afin d'assurer un compte-rendu hebdomadaire, adressé par courriel, de l'avancement des contacts téléphoniques et des formations à distance (cotes 16345 à 16405) et indiquant, le cas échéant, si l'intervention d'un visiteur médical de Janssen-Cilag était nécessaire (cote16543). À titre d'illustration, le courriel du 8 janvier 2009 fait état de 9207officines contactées au 7 janvier au soir dans le cadre de l' " entretien confraternel " (cote14575). De même, dans le compte- rendu du 23 janvier 2009, le tableau communiqué fait état d'un nombre total de 12 144 officines contactées dans le cadre de l' " entretien confraternel " pour 2 278 pharmacies déjà formées à distance (cotes 14581 à 14583).

Les témoignages de professionnels de la santé destinataires des " messages clés " de Janssen-Cilag

326. Plusieurs témoignages ont été recueillis en 2009, lors de la procédure de mesures conservatoires, puis en 2012 et 2013, au cours de l'instruction au fond. À cette occasion, de nombreux professionnels de la santé ont indiqué se souvenir des démarches de Janssen-Cilag à l'occasion de la sortie des génériques de Durogesic et attesté avoir reçu la " lettre d'information médicale " ou, de manière plus générale, des informations du laboratoire princeps les incitant à ne pas substituer Durogesic.

Les témoignages des pharmaciens d'officine

327. En 2009, un pharmacien en officine à Paris témoigne que, lors d'une " réunion d'information avec d'autres pharmaciens sur les produits analgésiques ", la présentation qui lui a été faite " laissait entendre qu'il n'était pas conseillé de substituer avec un générique en raison des risques de sous-dosage ou de surdosage ", compte tenu du fait qu' " il pouvait y avoir une variation globale de 40 % du générique par rapport au princeps ". Ce même pharmacien a indiqué avoir demandé des explications auprès d'un représentant de Ratiopharm, car il avait " compris qu'il y avait une différence de procédé : je pensais que le générique était un patch à réservoir et que le princeps était un patch matriciel ". Il reconnait avoir été influencé par le discours de Janssen-Cilag : " Il me semble que le discours de Janssen-Cilag a laissé des traces. J'ai l'impression d'avoir été influencé par le discours du médecin à l'occasion de la rencontre organisée par l'OCP " (saisine 09/0026M : cotes 1842 à 1843).

328. En 2012, la pharmacie X..., située à Paris, a confirmé avoir reçu des informations de Janssen-Cilag l'ayant convaincue de ne pas substituer Durogesic : " Nous ne substitutions pas Durogesic car c'est déconseillé en cas de poursuite de traitement. En effet, quand le générique est sorti, le laboratoire nous a appelés pour nous conseiller de continuer sous Durogesic des traitements déjà initiés sous ce produit (et de ne pas passer au générique). Les motifs contre la substitution étaient une stabilité de dosage chez le patient. Le laboratoire fabricant de Durogesic nous a également proposé des formations à l'époque de la sortie des génériques de Durogesic. Ces formations rappellent le produit, sa délivrance, etc. " (cotes 17718 et 17719).

329. La pharmacie Y..., à Lyon, se souvient : " Il y a au moins deux ans les délégués médicaux de Janssen-Cilag ont visité la pharmacie et ont indiqué que si l'on délivrait le générique, il y avait un risque d'administration de dosage différent au patient. Peu après, la pharmacie a reçu une seconde visite, lors de la sortie des mises en garde sur les dispositifs transdermiques de fentanyl, et le représentant de Janssen a indiqué que l'AFSSAPS reconnaissait que le générique était mauvais " (cotes 30766 à 30768).

330. La pharmacie Z..., située à Lyon, témoigne : " Nous avions eu un message sur l'efficacité moindre du générique [de Durogesic] et n'étions pas enclins à substituer. D'autant plus que les ordonnances comportaient la mention ''non substituable''. Le message était fondé sur des informations de l'AFSSAPS " (cotes 30782 à 30784).

331. De nombreux témoignages similaires figurent également au dossier (09/0026M: cotes 1840 à 1842 ; voir également les cotes 17675 à 17677 ; 17670 et 17671 ; 17688 à 17690 ; 17714 et 17715 ; 17722 et 17723 ; 30737 à 30740 ; 30746 à 30748 ; 30750 à 30752, 30770 à 30772 ; 30802 à 30804).

332. Au surplus, un courriel interne de Janssen-Cilag du 8 décembre 2008 fait état du mécontentement d'un pharmacien d'officine ayant reçu un appel dans le cadre de l' " entretien confraternel ".Celui-ci a déclaré avoir reçu un appel " d'un certain Dr A...qui voulait le mettre en garde contre les génériques et qui a insisté ''lourdement'' pour obtenir un rendez-vous pour une formation en ligne. Il [le pharmacien] trouvait cette démarche incorrecte et agressive et voulait savoir si c'était réellement le laboratoire JC [Janssen- Cilag] qui a lancé cette opération " (cote 14060).

Les témoignages des pharmaciens et médecins hospitaliers

333. Le pharmacien responsable du centre hospitalier de Valence a indiqué avoir reçu des offres de formation de Janssen-Cilag concernant Durogesic et ses génériques, mais ne s'y être jamais rendu. Il a par ailleurs confirmé avoir été approché par un représentant de Janssen- Cilag, soulignant que " bien que le Fentanyl transdermique Ratiopharm(r) soit un générique du Durogesic, leurs activités n'étaient ni superposables ni substituables " (cote 28722).

334. Le pharmacien responsable du centre hospitalier de Tours se souvient avoir reçu une information en novembre 2008 concernant la biodisponibilité du générique de Ratiopharm, laquelle varierait à hauteur de plus ou moins 25 %, le rendant non-substituable. Le médecin exerçant en soins palliatifs indique par ailleurs avoir reçu également des informations de Janssen-Cilag indiquant qu'il n'y a pas de substitution possible " quand un traitement est débuté avec une spécialité donnée " (cotes 29110 et 29111).

335. Les pharmaciens responsables des centres hospitaliers de Nantes, de Roanne et de Laval, de Lille ont également confirmé avoir reçu le courrier du 27 novembre 2008 (cote 29329, cotes 29452 et 29454, cotes 29828 et 29830).

336. Par ailleurs, au cours de la visite médicale au centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze, le délégué de Janssen-Cilag a " signalé les différences de biodisponibilité entre leur patch et les génériques en stipulant qu'il convenait d'utiliser toujours une même marque de patch chez un même patient, ce que nous avons mis en œuvre " (cote 31116).

337. Enfin, une cancérologue exerçant à Lille, a confirmé avoir reçu la visite de visiteurs médicaux de Janssen-Cilag. Elle a en particulier précisé ce qui suit : " Juste avant l'arrivée des génériques, j'ai reçu beaucoup de visites des délégués médicaux de Janssen qui m'ont parlé des génériques de Durogesic (...) Le discours était articulé autour de deux axes : la différence dans les excipients entre Durogesic et ses génériques et la question de la bioéquivalence. Le thème général était qu'un générique ce n'est pas la même chose qu'un princeps (...) La déléguée mettait en avant le fait que les génériques pouvaient ne pas avoir la même quantité de principe actif (+ ou -10 %) et le fait que les excipients différents pouvaient modifier la biodisponibilité avec un risque de sur ou sous dosage. La déléguée me mettait en garde du risque pour les patients (...) le discours des délégués était très insistant. Ils faisaient pression pour faire passer leur message. Ce message tendait à me culpabiliser, par exemple laissait entendre que les patients à qui j'aurais prescrit le générique seraient rattrapés par la douleur " (cotes 38720 et 38721).

338. De nombreux témoignages similaires figurent également au dossier (voir les cotes 28799 ; 29118 et 29119 ; 29596 ; 30357 ; 31111 à 31125).

3. LE SUIVI PAR JANSSEN-CILAG DE LA PÉNÉTRATION DES GÉNÉRIQUES

339. Après la mise sur le marché des génériques, Janssen-Cilag a étudié la mémorisation de son " message " par les professionnels de la santé et opéré un suivi régulier des taux de pénétration des génériques en ville et à l'hôpital.

a) Le suivi de la mémorisation du " message " par les professionnels de la santé : l'étude " Recall Durogesic " du 15 décembre 2008

340. Un institut d'études de marché et d'opinion a réalisé une étude, intitulée " Recall Durogesic ", datée du 15 décembre 2008, pour Janssen-Cilag. Cette étude, qui porte sur un échantillon de 133 pharmaciens d'officine, a pour objet de mettre en lumière la mémorisation des messages véhiculés par les visiteurs médicaux (cotes 15085 à 15095).

341. Sur ces 133 pharmaciens contactés par téléphone, 94 d'entre eux (c'est-à-dire 75 % de l'échantillon) confirment avoir reçu un ou plusieurs visiteurs médicaux présentant des antalgiques de palier III, principalement Durogesic.

342. Le reste de l'étude présente un ensemble de statistiques de mémorisation des messages des visiteurs médicaux. Ainsi, 53 % des pharmaciens interrogés ont confirmé qu'au cours de la visite médicale, on leur avait parlé des risques de complications graves en cas de surdosage. De même, 83 % des pharmaciens interrogés se souviennent des risques liés au changement de spécialité à base de fentanyl.

343. À l'inverse, l'étude montre que seulement 49 % des pharmaciens interrogés ont indiqué se souvenir que les risques encourus concernaient certaines populations et 16 % d'entre eux se souviennent qu'il s'agit des populations à risques.

b) Le suivi des ventes de Durogesic et du taux de pénétration des génériques

Le " strat-plan2009-2016 Durogesic " du 19 février 2009

344. À l'occasion d'une présentation stratégique, le 19 février 2009, le laboratoire a réalisé des projections internes du taux de pénétration des génériques de Durogesic (cotes 4294 et 4295).

345. Ces projections se présentent en 3 scénarii distincts en envisageant les conséquences tant sur le marché de la ville que de l'hôpital. À titre d'illustration, dans le cadre du scénario le plus défavorable aux intérêts du laboratoire (" Worst "), Janssen-Cilagestime que les génériques de Durogesic pourraient obtenir une part de marché de 37 % en moyenne en 2009 et de 51 % la seconde année en 2010, sur le marché de la ville. Dans le cadre du scénario le plus vraisemblable (le scénario " Base "), Janssen-Cilag présente une pénétration des génériques de 18 % en moyenne en 2009 et de 35 % en 2010 lors de la deuxième année de commercialisation en ville, qu'il qualifie de " pénétration modérée " (" moderate penetration "). Enfin, dans le cadre du scénario le plus favorable au laboratoire princeps (" Best "), le laboratoire, qui imagine une hypothèse dans laquelle l'AFSSAPS irait au-delà de la rédaction de la mise en garde en recommandant aux médecins de porter la mention " non-substituable " sur leurs ordonnances, prévoit une pénétration moyenne de 6 % en 2009 et de 17 % en 2010 sur le marché de la ville.

Le courriel interne du 10 avril 2009

346. Dans un courriel interne du 10 avril 2009, le laboratoire princeps fait le point sur les ventes au premier trimestre 2009 de ses spécialités, et notamment de Durogesic (cote 8536).

347. Ce courriel indique en particulier que la faible pénétration des génériques concernant Durogesic va au-delà des attentes du laboratoire princeps (" le produit reste sur une très bonne dynamique et est en avance en CA par rapport aux objectifs internes ").

L' " observatoire de substitution de Durogesic "

348. Enfin, le laboratoire princeps a mis en place un " observatoire de substitution de Durogesic " en pharmacie qui établit un compte-rendu mensuel de l'évolution des taux de pénétration des génériques.

349. Les données collectées dans le cadre de cet observatoire sont remontées par " vagues " au sein de Janssen-Cilag.

350. Dans un courriel du27 avril 2009, le laboratoire princeps relève en particulier que le nombre de délivrances de fentanyl générique reste " très faible ", constatant un taux de pénétration de 3 %. Il constate en outre que le " niveau de switch " est plus faible que celui constaté lors de la première vague : " lorsque Durogesic est prescrit, il est délivré dans 98,3 % des cas " (cote 3323).

E. LE GRIEF NOTIFIÉ

351. Au vu de ces constatations, la rapporteure générale a adressé, le 18 janvier 2016, une notification de griefs pour des pratiques prohibées par les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE :

" Il est fait grief à la société Janssen-Cilag France et à la société Johnson & Johnson, en tant que société-mère, d'avoir abusé de leur position dominante sur le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé à l'hôpital et sur le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville, en mettant en œuvre plusieurs pratiques constituant une infraction complexe, unique et continue ayant pour objet et pour effet d'empêcher, puis de limiter, la pénétration des génériques de Durogesic sur lesdits marchés.

Ces pratiques consistent, dans un premier temps, dans une intervention juridiquement infondée auprès de l'autorité nationale de santé, l'AFSSAPS (aujourd'hui l'ANSM), pouvant être qualifiée d'intervention abusive dans la procédure organisée devant celle-ci, visant à convaincre l'autorité nationale de santé de refuser l'octroi au niveau national du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, en dépit de l'obtention de ce statut au niveau européen, puis, dans un second temps, dans la diffusion d'un discours dénigrant auprès de professionnels de la santé exerçant en milieu hospitalier et en ville. Le dénigrement a en outre été appuyé par une offre de prix très bas sur le marché hospitalier.

Ces deux pratiques ont poursuivi, dans le cadre d'un plan d'ensemble conçu par le laboratoire pharmaceutique lui-même, un objectif anticoncurrentiel unique visant à entraver l'entrée des génériques, puis leur pénétration, sur les marchés concernés, constituant ainsi une infraction complexe, unique et continue.

L'infraction complexe, unique et continue a été initiée le 25 mars 2008, date du premier courrier dans lequel Janssen-Cilag a présenté devant l'AFSSAPS des moyens contraires à la décision d'octroi du statut de générique rendue préalablement par la Commission européenne, en vue de convaincre l'agence de santé de refuser l'octroi au niveau national d'un tel statut aux spécialités concurrentes de Durogesic. Elle s'est poursuivie par la mise en œuvre du dénigrement à l'encontre des génériques de Durogesic à compter du 28 novembre 2008 (formation des forces de vente) et jusqu'au 31 décembre 2009 (adaptation des logiciels des professionnels de santé, formations OCP et visites médicales).

Cependant, les effets du dénigrement ont perduré au-delà de cette date, en continuant de bénéficier de l'appui de la pratique tarifaire à l'hôpital. Ces effets ont à tout le moins perduré jusqu'au 1er janvier 2011, date de la mise en place d'un taux forfaitaire de responsabilité (TFR), que Janssen-Cilag poursuivait sciemment comme objectif.

L'infraction complexe, unique et continue, prohibée par les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE, a donc duré du 25 mars 2008 au 1er janvier 2011.

Par ailleurs, chacune des deux composantes de cette infraction complexe, unique et continue, à savoir l'intervention abusive dans la procédure devant l'autorité de santé, d'une part, et le dénigrement, d'autre part, est individuellement susceptible de constituer une infraction autonome et distincte aux articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE. En premier lieu, comme évoqué ci-dessus au paragraphe 1373, la pratique d'intervention abusive devant l'AFSSAPS a été initiée le 25 mars 2008 par l'envoi d'un premier courrier à l'autorité de santé. Elle a pris fin le 10 décembre 2008, à l'occasion de l'inscription du groupe des génériques de Durogesic au sein du répertoire des génériques. Cette pratique, telle que décrite dans le cadre de la présente notification de griefs est prohibée par les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE.

En second lieu, comme évoqué ci-dessus au paragraphe 1373, le dénigrement a été initié à l'occasion d'une formation donnée par Janssen-Cilag à ses forces de vente le 28 novembre 2008. Pour les raisons précisées ci-dessus au même paragraphe, le dénigrement a pris fin à tout le moins le 1er janvier 2011, date d'instauration du TFR au sein du groupe des génériques de Durogesic. Cette pratique, telle que décrite dans le cadre de la présente notification de griefs est prohibée par les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE ".

II. Discussion

352. Seront successivement examinés la compétence de l'Autorité (A), la régularité de la procédure (B), l'application du droit de l'Union (C), le bien-fondé du grief notifié (D), l'imputabilité des pratiques (E) et la sanction (F).

A. SUR LA COMPÉTENCE DE L'AUTORITÉ

353. Les mises en cause soutiennent que l'Autorité ne serait pas compétente pour apprécier la pertinence juridique des arguments présentés par Janssen-Cilag à l'AFSSAPS, un tel contrôle relevant de la compétence du juge administratif. Elles estiment que ces éléments relèvent du contrôle de la légalité interne et externe des décisions de l'AFSSAPS et affirment que seule cette dernière et les juridictions administratives seraient compétentes pour en connaître.

354. En l'espèce, il ne relève pas de la compétence de l'Autorité d'apprécier la pertinence scientifique des arguments présentés par Janssen-Cilag à l'AFSSAPS, ni de contrôler la légalité des décisions de l'agence française de santé. En revanche, il lui appartient de déterminer, au vu du cadre réglementaire en vigueur, si le laboratoire princeps pouvait présenter à cette dernière de tels arguments au cours de la procédure d'examen des demandes d'AMM pour les spécialités génériques concurrentes de Durogesic sans enfreindre les règles de la concurrence.

355. Partant, sans se prononcer sur les modalités de mise en œuvre par l'AFSSAPS de ses prérogatives de puissance publique, l'Autorité est compétente pour apprécier si le comportement de Janssen-Cilag constitue une immixtion indue de ce dernier dans la procédure devant l'AFSSAPS, pouvant être sanctionnée au titre des abus de position dominante.

356. Pour cela, l'Autorité doit tenir compte du cadre réglementaire entourant le secteur dans lequel elle constate une infraction au droit de la concurrence. Elle peut notamment tenir compte du cadre juridique applicable concernant la procédure de délivrance des AMM des médicaments génériques au niveau européen et au niveau national, sans qu'il ne lui soit reproché d'interférer avec une compétence de l'AFSSAPS ou des juridictions administratives.

357. En effet, l'Autorité ne se prononce pas sur la légalité des décisions prises par l'AFSSAPS dans le cadre de ses prérogatives mais bien sur les interférences de Janssen-Cilag dans la mise en œuvre par l'autorité publique de ses pouvoirs.

358. Les arguments des mises en cause portant sur des considérations scientifiques (par exemple, l'absence d'étude couvrant l'association des dispositifs transdermiques avec d'autres opiacés ou l'impact clinique du passage du patch à réservoir au patch matriciel chez certains patients, cotes 41730 et 41731), qui sont de nature à réintroduire dans la discussionun doute quant à la sécurité des génériques de Durogesic, seront écartés. En effet, ils n'ont aucun lien avec le grief notifié et visent à déplacer le débat vers des considérations qui lui sont étrangères et qui ne relèvent pas de la compétence de l'Autorité.

B. SUR LARÉGULARITÉ DE LA PROCÉDURE

359. Les mises en cause contestent la durée de la procédure (1), l'impartialité de la procédure (2) et allèguent que le grief notifié aurait été modifié en cours de procédure (3).

1. SUR LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

360. Les mises en cause soulignent que la procédure aurait été particulièrement longue, la notification degriefs étant intervenueaprès huit années d'instruction (cotes 41687et 41689).

361. Selon une jurisprudence constante, la sanction qui s'attache à la violation par l'Autorité de l'obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure ou sa réformation, à moins qu'il ne soit démontré qu'une atteinte personnelle, effective et irrémédiable aux droits de la défense ait été causée à une partie, qui s'en prévaut, par le dépassement d'un délai raisonnable entre la date des comportements reprochés et le jour où elle a su qu'elle devrait en répondre (arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2010, société Beauté prestige international, n° 09-72031). Par ailleurs, et en tout état de cause, le délai raisonnable au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la CESDH s'apprécie au regard de l'ampleur et de la complexité de la procédure (arrêts de la cour d'appel de Paris du 15 mai 2014, Cerafel, n° 2012/06498 ; du 29 janvier 2008, Le Goff Confort SAS, n° 2006/07820 ; du 8 avril 2008GlaxoSmithKline, n° 2007/07008 et du 6 mai 2008Lafarge Ciments, n° 2007/06172).

362. En l'espèce, compte tenu notamment de la complexité du cadre réglementaire applicable, l'ampleur de la présente procédure - caractérisée par des opérations de visite et saisie, l'envoi de nombreuses demandes de renseignements et la tenue de nombreuses auditions - ayant conduit à l'appréhension et à l'exploitation d'un nombre très important de documents, justifie la durée de son traitement. Au surplus, il convient de tenir compte du fait que le dossier a d'abord été instruit concernant la demande de mesures conservatoires, puis que son instruction a été suspendue pendant plus de deux ans, compte tenu des recours formés par Janssen-Cilag sur le déroulement des opérations de visites et saisies.

363. Par conséquent, la durée de la procédure ne revêt pas un caractère déraisonnable.

2. SUR L'IMPARTIALITÉ ET LA LOYAUTÉ DE L'INSTRUCTION

364. En premier lieu, les mises en cause affirment que les services d'instruction auraient procédé à une analyse parcellaire des pièces du dossier et auraient tronqué de nombreuses pièces pour ne retenir que les passages à charge (cotes 44202 et 44203).

365. Le rapporteur dispose d'un pouvoir d'appréciation quant à la conduite de ses investigations (Cour de cassation, 15 juin 1999, Lilly France). Il fonde la notification de griefs sur les faits qui lui paraissent de nature à en établir le bien-fondé et n'a pas à répondre à tous les arguments développés par les parties (cour d'appel de Paris, 24 janvier 2006, Ordre des avocats au barreau de Marseille, page 3).

366. En l'espèce, il n'est pas contesté que les parties ont eu accès à l'ensemble des pièces du dossier, qui ont pu être discutées par les sociétés mises en cause au cours de la procédure. Ces dernières ont ainsi eu toute latitude pour apporter les éléments utiles à leur défense. Il ne saurait donc être reproché aux services d'instruction d'avoir porté atteinte au principe d'impartialité. L'argument sera donc écarté.

367. En second lieu, les mises en cause reprochent aux services d'instruction d'avoir différencié leur appréciation relative aux pièces postérieures aux faits litigieux, en considérant ces dernières comme pertinentes seulement lorsqu'elles étaient à charge. De façon déloyale, les services d'instruction auraient écarté des pièces invoquées par les mises en cause (articles scientifiques postérieurs aux faits) mais se seraient en revanche appuyés sur des auditions et témoignages à charge réalisés plusieurs années après les faits (cotes 44209 à 44210).

368. Toutefois, il ressort d'une pratique décisionnelle constante que, " pour apprécier la valeur probante d'une déclaration ou d'un document, il faut, en s'inspirant de ce que jugent les juridictions communautaires : " en premier lieu vérifier la vraisemblance de l'information qui y est contenue. Il faut alors tenir compte, notamment, de l'origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et se demander si, d'après son contenu, il semble sensé et fiable " (TPICE, 25 octobre 2005, Groupe Danone, T 38/02) " (voir notamment la décision n° 16-D-20du 29 septembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequins, paragraphe 314 ; décision n° 07-D-48du 18 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du déménagement national et international, paragraphe 186).

369. En l'espèce, les documents scientifiques produits par les mises en cause avaient pour objet de revenir sur le débat scientifique relatif à la qualité des génériques. Or, comme cela été démontré ci-dessus, il n'appartient pas à l'Autorité d'apprécier la pertinence scientifique des arguments présentés par Janssen-Cilag à l'AFSSAPS, ni de contrôler la légalité des décisions de l'AFSSAPS. Ces documents n'ont donc pas été pris en compte par les services d'instruction, non pas du fait de leur ancienneté, mais du fait de leur contenu qui est étranger au grief notifié. En conséquence, l'argument sera écarté.

3. SURLA MODIFICATION ALLÉGUÉE DU GRIEF NOTIFIÉ

370. Les mises en cause soutiennent que les services d'instruction auraient modifié le grief notifié en cours de procédure. Elles avancent en effet qu'au stade du rapport, certains éléments du grief auraient été abandonnés, en particulier concernant la mise en garde et la marge thérapeutique étroite des dispositifs transdermiques de fentanyl (cotes 44207 et 44208).

371. Comme l'a rappelé le Conseil de la concurrence, " la notification des griefs est un document synthétique qui contient une description précise des faits reprochés, leur date, leur imputabilité et leur qualification, puis reprend, in fine, en les résumant, la rédaction des griefs eux-mêmes dans une formule concise. Elle constitue l'acte d'accusation et doit donc être précise (cour d'appel de Paris, 29 mars 2005, Film dis Cinésogar), cette exigence n'excluant pas que les juges d'appel et de cassation recherchent, dans le corps même de la notification des griefs, la portée de ces derniers (Cour de cassation, 6 avril 1999, ODA) " (décision du Conseil de la concurrence n° 09-D-06du 5 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par la SNCF et Expedia Inc. dans le secteur de la vente de voyages en ligne, paragraphe 73).

372. Par conséquent, " tant que le rapport ne vise pas des pratiques différentes de celles évoquées dans la notification des griefs et ne modifie pas leur qualification, il est possible d'y affiner l'analyse concurrentielle, d'étayer ou de préciser l'un des griefs notifiés " (décision n° 06-D-18 du 28 juin 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité cinématographique, paragraphe 111).

373. En l'espèce, le grief notifié est formulé comme suit, concernant la première pratique : " une intervention juridiquement infondée auprès de l'autorité nationale de santé, l'AFSSAPS (aujourd'hui l'ANSM), pouvant être qualifiée d'intervention abusive dans la procédure organisée devant celle-ci, visant à convaincre l'autorité nationale de santé de refuser l'octroi au niveau national du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, en dépit de l'obtention de ce statut au niveau européen ". Contrairement à ce que soutiennent les mises en cause, la première pratique reprochée n'a jamais inclus d'éventuelles interventions de Janssen-Cilag relatives à la mise en garde ou à la marge thérapeutique du fentanyl transdermique. Partant, l'argument sera écarté.

C. SUR L'APPLICATIONDU DROIT DE L'UNION

374. La jurisprudence de l'Union comme celle des juridictions nationales prévoit, comme le rappelle la communication de la Commission européenne portant lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 101 et 102 du traité (JO 2004, C101, p. 81 et suivantes), que trois éléments doivent être réunis pour établir que des pratiques sont susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre États membres : l'existence d'échanges entre États membres portant sur les produits ou les services en cause, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et le caractère sensible de cette possible affectation.

375. S'agissant du dernier des trois critères rappelés ci-dessus relatif au caractère sensible de l'affectation, les lignes directrices de la Commission mentionnent qu'il faut " tenir compte du fait que la présence de l'entreprise dominante couvrant l'ensemble d'un État membre est susceptible de rendre la pénétration du marché plus difficile. Toute pratique abusive qui rend plus difficile l'entrée sur le marché national doit donc être considérée comme affectant sensiblement le commerce " (point 96 des lignes directrices). Elles précisent les conditions auxquelles le commerce intracommunautaire pourrait ne pas être susceptible d'être affecté : " (...) il est possible que le commerce ne soit pas susceptible d'être sensiblement affecté si l'abus de position dominante est purement local ou ne concerne qu'une partie négligeable des ventes de l'entreprise dominante " (point 99).

376. En l'espèce, les pratiques en cause ont été mises en œuvre sur l'ensemble du territoire français. Elles sont de nature à entraver l'entrée sur les marchés du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé à l'hôpital et en ville des laboratoires génériques, dont certains sont très importants, et qui sont actifs sur l'ensemble du territoire européen.

377. Ainsi, les pratiques en cause sont susceptibles d'affecter de façon sensible le commerce entre États membres. Elles seront par conséquent analysées au regard des règles de concurrence tant internes que de l'Union. Ce point n'est pas contesté par les mises en cause.

D. SUR LE BIEN-FONDÉ DU GRIEF

378. Seront successivement abordés ci-après, le marché pertinent et la position de Janssen-Cilag sur ces marchés (1) et le grief notifié (2).

1. SUR LE MARCHÉ PERTINENT ET LA POSITION DEJANSSEN-CILAG SUR CES MARCHÉS

a) Sur la définition du marché pertinent

Le marché de produits

Principes applicables

379. Dans sa communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JOCE 1997, C 372, p. 5), la Commission européenne a indiqué qu' " un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés ". Suivant la même approche, l'Autorité a rappelé dans son rapport annuel 2011 que " le marché est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande de produits ou de services spécifiques, considérés par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux, mais non substituables aux autres biens et services offerts " (page 106).

380. Le secteur des médicaments présente à cet égard une particularité, en ce que la décision d'achat n'est pas prise par l'utilisateur final, mais par le médecin prescripteur, qui choisit le médicament devant être administré à son patient. Dans un arrêt du 15 juin 1999, Lilly France (pourvoi n° 97-15185), la Cour de cassation a approuvé la cour d'appel de Paris qui avait considéré que " l'interchangeabilité des médicaments ne dépend pas fondamentalement de leur identité physique ou chimique, mais de leur interchangeabilité fonctionnelle du point de vue du dispensateur, et donc, dans le cas des médicaments soumis à prescription, également du point de vue des médecins établis ".

381. Afin de déterminer le marché de produits pertinent, il convient donc de prendre en compte la perception des médecins prescripteurs, qui est très largement dépendante des indications et contre-indications thérapeutiques des médicaments.

382. La pratique décisionnelle et la jurisprudence, tant interne qu'européenne, s'appuient à cet égard sur le système de classification " Anatomical Therapeutical Chemical " (ci-après, " classification ATC ") reconnue et utilisée par l'Organisation mondiale de la santé pour définir les marchés pertinents (voir, par exemple, l'arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 1999, précité, et la décision C (2005) 1757 final de la Commission européenne, du 15 juin 2005, relative à une procédure d'application de l'article 82 CE et de l'article 54 de l'accord EEE (affaire COMP/A.37.507/F3 -AstraZeneca)). Ce système classe les produits pharmaceutiques en fonction de leurs indications thérapeutiques. La classification se décline en " niveaux ". Dans son arrêt Lilly France, précité, la Cour de cassation a confirmé cette approche de la définition des marchés des produits pharmaceutiques, considérant que, " si, pour délimiter le marché de référence d'un médicament, le troisième niveau [de la classification ATC] est utile, cette classification peut être trop étroite ou trop vaste pour certains médicaments ".

Appréciation en l'espèce

383. Les pratiques en cause dans la présente affaire concernent le médicament Durogesic et ses génériques dont le principe actif est le fentanyl, administré par voie transdermique.

384. Durogesic et ses génériques sont prescrits pour traiter des douleurs chroniques d'origine cancéreuse et non cancéreuse, intenses ou rebelles aux autres antalgiques, en cas de douleur stable. Ils font partie, dans la classification ATC, des médicaments agissant sur le système nerveux, c'est-à-dire de la classe thérapeutique obéissant à la lettreN. Au troisième niveau (N02A) de cette classification ATC, au sein de la catégorie des opioïdes, le fentanyl fait partie de la famille des dérivés de la phénylpipéridine (N02AB) où figurent également la kétobémidone et la péthidine, seule ou en association avec d'autres produits (psycholeptiques ou autres). Àcemême troisième niveau figurent également la famille des alcaloïdes naturels de l'opium (N02AA) dont relèvent notamment la morphine, l'opium, l'hydromorphone, la nicomorphine, l'oxycodone, la dilhydrocodéine, etc.

385. Ainsi, il existe des spécialités ayant le même principe actif que Durogesic et ses génériques, le fentanyl, mais qui se présentent sous une autre forme que les dispositifs transdermiques. Ces spécialités ne peuvent cependant pas être considérées comme substituables car elles n'ont pas les mêmes indications. En effet, le fentanyl injectable est un anesthésiant tandis que le fentanyl transdermique est un antalgique. De même, les autres spécialités à base de fentanyl (Abstral, Actiq, Effentora, Instanyl et Pecfent) sont administrées pour un soulagement immédiat de la douleur, tandis queDurogesic et ses génériques sont administrés pour un contrôle de la douleur stable. En outre, ces dernières spécialités peuvent être prescrites en même temps qu'un patch de fentanyl. 386. Concernant l'oxycodone et l'hydromorphone, les différences de forme (par voie orale) et de rapidité d'action analgésique (les comprimés ont une durée d'action d'environ 12 heures) expliquent que ces deux spécialités n'apparaissent pas substituables avec le fentanyl transdermique.

387. Concernant les spécialités dont le principe actif est la nalbuphine et la péthidine, leur forme injectable, qui induit un usage réservé à l'hôpital, implique que ces spécialités ne soient pas considérées comme substituables avec le fentanyl transdermique. 388. Concernant les antalgiques de palier III à libération immédiate et dont le principe actif est la morphine ou un dérivé de morphine (Sevredol, Actiskénan, Oramorph ou morphine Aguettant), ils ne sauraient être considérés comme substituables avec le fentanyl transdermique, dans la mesure où ils n'ont pas les mêmes indications thérapeutiques. De plus, ces spécialités, puisqu'elles traitent des douleurs aigües, peuvent dans certains cas être prescrites en même temps qu'un dispositif transdermique de fentanyl.

389. Concernant enfin les antalgiques de palier III à libération prolongée dont le principe actif est la morphine ou un dérivé (Skénan et Moscontin), ceux-ci ont les mêmes indications thérapeutiques que Durogesic, à savoir le traitement des douleurs intenses. Toutefois, ils ne peuvent pas être considérés comme substituables avec le fentanyl transdermique, dans la mesure où ils n'ont pas la même forme (voie orale), ce qui implique une différence de la rapidité d'action analgésique (les comprimés ont une durée d'action d'environ 12 heures), et des modalités de prescription (ces médicaments sont prescrits en première intention).

390. Les déclarations des professionnels de la santé interrogés au cours de l'instruction montrent que, du point de vue des prescripteurs et des pharmaciens, il existe des différences notables entre le fentanyl en dispositif transdermiqueet les autres spécialités dupalier III (cotes 38263 à 38267, cote 38720, cote 30725). Ceci est en outre conforme à l'avis de laCommission de la transparence de la HAS du 10 décembre 2008, qui a précisé que les seuls médicaments comparables à Durogesic étaient ses génériques (cote 224).

391. Compte tenu de ce qui précède, il apparaît que Durogesic et ses génériques ne sont pas substituables aux antalgiques de palier III à libération prolongée dont le principe actif est la morphine (ou un dérivé). Par conséquent, il convient de constater que le fentanyl par voie transdermique constitue un marché distinct des autres antalgiques de palier III, ce que les mises en cause n'ont, par ailleurs, pas contesté.

La distinction entre le marché de la ville et le marché hospitalier

Principes applicables

392. L'Autorité distingue habituellement le marché de la ville du marché hospitalier. Ainsi, dans sa décision n° 10-D-02 du 14 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des héparines à bas poids moléculaire, elle a considéré qu'une telle distinction était justifiée pour les raisons suivantes : " en ville, les prix sont régulés alors que sur le marché hospitalier les prix sont libres. Par ailleurs, si l'offre est la même, la demande est différente : pour le marché de la ville, la demande intermédiaire est constituée par les grossistes et les pharmacies, et pour le marché de l'hôpital, par les établissements hospitaliers, publics (par exemple, les hôpitaux de l'Assistance publique) ou privés (cliniques privées). Par ailleurs, l'élasticité-prix des acheteurs n'est pas la même : à l'hôpital elle est forte car le prix d'achat affecte le budget des hôpitaux tandis qu'en ville elle est faible, car le patient n'assume pas directement le prix de l'héparine qui lui est remboursé par l'Assurance maladie " (paragraphe 55 ; voir également la décision n° 13-D-11 du 14 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur pharmaceutique, paragraphe 302 et la décision n° 13-D-21 du 18 décembre 2013 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché français de la buprénorphine haut dosage commercialisée en ville, paragraphe 330).

393. Dans cette même décision, l'Autorité a également indiqué que pour certaines spécialités pharmaceutiques, vendues en ville et à l'hôpital, il pouvait exister " un effet source " des prescriptions à l'hôpital réalisées ensuite en ville qui permettrait de considérer que les deux marchés sont connexes (décision n° 10-D-02, précitée, paragraphe 57).

Appréciation en l'espèce

394. Les pratiques en cause concernent les ventes de dispositifs transdermiques de fentanyl à l'hôpital et en ville. Toutefois, en ville, les prix sont régulés alors que sur le marché hospitalier les prix sont libres. Par ailleurs, si l'offre est la même, la demande est différente : en ville, la demande intermédiaire est constituée par les grossistes et les pharmacies, tandis qu'à l'hôpital, elle provient des établissements hospitaliers publics (par exemple, les hôpitaux de l'Assistance publique) ou privés (cliniques privées). En outre, l'élasticité-prix des acheteurs n'est pas la même : à l'hôpital, elle est forte car le prix d'achat affecte le budget des hôpitaux tandis qu'en ville, elle est faible car le patient n'assume pas directement le prix du dispositif transdermique de fentanyl qui lui est remboursé par l'Assurance maladie. 395. Compte tenu de ce qui précède, il existe donc deux marchés distincts, pouvant être considérés comme connexes, compte tenu de l'existence de l' " effet source ": le marché du fentanyl en dispositif transdermique vendu en ville, d'une part, et le marché du fentanyl en dispositif transdermique vendu aux hôpitaux, d'autre part. Ce point n'a pas été contesté par les mises en cause.

La dimension géographique

Principes applicables

396. Dans sa communication précitée, la Commission européenne a précisé que " [l]e marché géographique en cause comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable " (point 8).

397. Il ressort de la pratique décisionnelle constante des autorités de concurrence en matière de marchés pharmaceutiques que les marchés de médicaments sont généralement de dimension nationale (voir, notamment, décisions n° 10-D-02, précitée, paragraphe 52 et n° 13-D-11, précitée, paragraphe 308, n° 13-D-21 précitée, paragraphe 333, décision de la Commission européenne du4 février 1998, 98/526/CE,Hoffman-LaRoche/Boehringer Mannheim).Dans la décision n° 10-D-02, précitée, l'Autorité a ainsi constaté que " le marché géographique pertinent d'une spécialité, vendue aux hôpitaux mais également en ville, et dont le prix de vente en pharmacie est régulé par les pouvoirs publics, est celui du territoire national ".

398. Une telle analyse est liée aux fortes disparités existant entre les systèmes de sécurité sociale des États membres de l'Union européenne (mécanisme de fixation des prix, système de remboursement et conditionnement et noms des produits).

Appréciation en l'espèce

399. Au cas d'espèce, il apparaît que les marchés géographiques pertinents du fentanyl en dispositif transdermique, vendu aux hôpitaux mais également en ville, et dont le prix de vente en pharmacie est régulé par les pouvoirs publics, est celui du territoire national. 400. Il convient donc de considérer que les marchés du fentanyl en dispositif transdermique sont de dimension nationale, ce que les destinataires des griefs n'ont, par ailleurs, pas contesté.

Conclusion sur le marché pertinent

401. Les marchés pertinents en l'espèce sont donc, d'une part, le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et, d'autre part, le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé à l'hôpital. Ces deux marchés sont connexes.

b) Sur la position de Janssen-Cilag sur le marché pertinent

Les principes applicables

402. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, la position dominante visée par l'article 102 du TFUE concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants, dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, et finalement des consommateurs (arrêts du 13 février 1979, Hoffman-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 38, et du 6 décembre 2012, Astra Zeneca e.a./Commission, C-457/10 P, point 175, voir également arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 décembre 2014, n° 2013/12370).

403. Dans son arrêt précité du 18 décembre 2014, la cour d'appel a relevé que " l'existence d'une position dominante résulte en général de la réunion de facteurs divers, qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants mais qui traduisent ensemble la puissance économique requise par la jurisprudence ". L'Autorité a rappelé dans sa décision n° 13-D-11, précitée, qu' " une telle position peut résulter de différents facteurs caractérisant le marché lui-même ou l'entreprise, comme la détention, soit d'un monopole légal ou de fait sur une activité, soit de parts de marché substantielles. Une telle position peut aussi résulter de l'appartenance à un groupe de grande envergure, de la faiblesse des concurrents, de la détention d'une avance technologique ou d'un savoir-faire spécifique " (paragraphe 311).

404. L'appréciation de la position dominante d'une entreprise s'effectue donc à partir d'un faisceau de critères qui prend en compte des données d'ordre structurel, comme les parts de marché de l'entreprise et celles de ses principaux concurrents, mais aussi des éléments qui sont de nature à donner un avantage concurrentiel à l'entreprise concernée, comme l'appartenance à un groupe puissant ou la détention d'une avance technologique.

405. En ce qui concerne les facteurs structurels, l'Autorité a rappelé à plusieurs reprises que la détention d'un monopole, de droit ou de fait, suffit à établir la position dominante de son titulaire (voir, notamment, décisions n° 10-D-14 du 16 avril 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la valorisation électrique du biogaz et n° 10-D-34 du 9 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la gestion de droits d'auteurs d'œuvres audiovisuelles).

406. S'agissant du pouvoir de marché de l'entreprise, en dehors de toute situation de monopole, l'Autorité a souligné, dans sa décision n° 13-D-11, précitée, que, " [d]'une manière générale, l'examen des parts de marché constitue un paramètre essentiel dans l'appréciation de la dominance éventuelle d'une entreprise sur son marché. Il ressort de la jurisprudence des juridictions communautaires et nationales que des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante " (paragraphe 314). La Cour de justice considère en effet que la possession, dans la durée, d'une part de marché extrêmement importante constitue, sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante, et que tel est le cas d'une part de marché de plus de 50 % (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 41, du 3 juillet 1991, Akzo/Commission, C-62/86, Rec. p. I-3359, point 60, et Astra Zeneca e.a./Commission, précité, point 176).

407. Cependant, comme l'a souligné l'Autorité à plusieurs reprises, l'analyse de la position dominante d'une entreprise ne saurait toujours se limiter à un examen des parts de marché. D'autres facteurs peuvent être pris en compte, en particulier lorsque l'importance de la part de marché détenue par l'entreprise ne suffit pas à elle seule à caractériser la position dominante d'une entreprise sur le marché. Il pourra ainsi être tenu compte du rapport entre les parts de marché détenues par l'entreprise concernée et celles détenues par ses concurrents, de l'intensité de la concurrence et des barrières à l'entrée sur le marché concerné ou encore des caractéristiques propres à l'entreprise en cause (leadership sur le marché, image de marque, puissance financière (voir, à cet égard, les décisions n° 10-D-32 du 16 novembre 2010 relative à des pratiques dans le secteur de la télévision payante, paragraphe 532, n° 10-D-02, précitée, et n° 13-D-11, précitée, paragraphe 316).

408. En ce qui concerne les autres facteurs, la cour d'appel de Paris a relevé, d'une part, que " le brevet initial que cette société [Sanofi Aventis] a exploité en monopole pendant dix ans et l'importance du groupe dans lequel elle s'inscrit, lui ont permis d'acquérir une réputation de référence, accentuée en l'espèce par le retour d'expérience de dix ans qu'elle peut faire, et fait, valoir auprès des professionnels de santé ", et d'autre part, que " les visites aux médecins permises par l'important réseau de visiteurs médicaux dont disposait la société Sanofi Aventis, lors de la mise en œuvre des pratiques reprochées, constituait un incontestable outil d'influence auprès des prescripteurs " (arrêt du 18 décembre 2014, Sanofi, n° 2013/12370, page 7).

Appréciation en l'espèce

409. Il convient de distinguer deux périodes pour apprécier la position de Janssen-Cilag sur les marchés concernés au moment des faits qui lui sont reprochés : d'une part, la période qui précède l'entrée des génériques et, d'autre part, celle qui débute à compter de leur commercialisation.

410. Jusqu'en 2008, Janssen-Cilag, détentrice des brevets relatifs au médicament Durogesic, détenait un monopole sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital. Le 25 juin 2008, le laboratoire Nycomed a obtenu une AMM pour ses spécialités concurrentes de Durogesic. Le 28 juillet 2008, le laboratoire Ratiopharm a obtenu une AMM pour ses spécialités concurrentes de Durogesic. Toutefois, ces spécialités ne se sont pas vues reconnaître le statut de générique et n'ont été inscrites au répertoire des génériques que, respectivement, le 25 janvier 2010 et le 10 décembre 2008. En l'absence de droit à substitution, Janssen-Cilag jouissait en conséquence, en 2008, d'un monopole et donc d'une position dominante sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital.

411. En ce qui concerne la seconde période, Janssen-Cilag a conservé sa position dominante, compte tenu de ses parts de marchés très importantes sur les deux marchés concernés. En effet, sur le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville, Janssen-Cilag disposait, en 2009, d'une part de marché en valeur de 93,5 %. De même, sur le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé à l'hôpital, Janssen-Cilag disposait, en 2009, d'une part de marché en valeur de 89,5 %.

412. Sans qu'il soit besoin d'examiner d'autres critères, il résulte de ce qui précède que Janssen- Cilag jouissait d'une position dominante sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital pendant toute la durée du grief notifié, ce que les destinataires des griefs n'ont, par ailleurs, pas contesté.

2. SUR LE GRIEF NOTIFIÉ À JANSSEN-CILAG

413. Après des remarques préliminaires sur le contexte dans lequel les pratiques ont été mises en œuvre a), l'Autorité examinera ci-après la pratique d'intervention abusive auprès de l'AFSSAPS (b), la pratique de dénigrement (c) et la qualification de l'infraction unique et continue (d).

a) Remarques préliminaires sur le contexte

414. Avant d'examiner les pratiques reprochées à Janssen-Cilag, il convient de rappeler le contexte dans lequel celles-ci ont été mises en œuvre et notamment la prudence, voire l'aversion au risque des professionnels de la santé (médecins et pharmaciens) et des représentants de l'agence française de santé, qui interviennent dans un secteur tout à fait particulier au regard de ses enjeux humains - la santé des patients et, dans les situations les plus graves, leur survie même dépendent de l'efficacité et de l'innocuité des médicaments qui leur sont prescrits et délivrés -mais également économiques et financiers.

415. L'Autorité a par le passé constaté que les médecins français prescrivent le plus souvent les médicaments sous la dénomination commerciale du princeps (décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 346 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 350). Il apparaît en outre que ces mêmes médecins ne disposent pas toujours des connaissances précises et complètes sur tous les médicaments disponibles (voir décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 347 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 350).

416. Il apparaît, ensuite, que les professionnels de la santé ne maîtrisent qu'imparfaitement les procédures de délivrance des autorisations de mise sur le marché des spécialités génériques, les questions relatives aux droits de propriété intellectuelle ainsi que le cadre juridique réglementant la substitution des spécialités de référence par les spécialités génériques (décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphes 350 et 351 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 351).

417. L'Autorité s'est déjà également prononcée sur le rôle central de la visite médicale qui constitue en effet, pour les médecins, une source majeure d'information sur les médicaments, en raison de son accessibilité, de sa gratuité et de son interactivité (décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphes 352 à 357 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 353).

418. L'importance de la visite médicale, en tant que source d'information, impose donc à ceux qui l'effectuent, en l'occurrence les visiteurs médicaux, de partager les informations dont ils disposent de façon absolument objective, complète et fiable (décision n° 13-D-11, précitée, paragraphe 357 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 354). Une telle conclusion vaut également pour les informations qui sont délivrées par les délégués pharmaceutiques aux pharmaciens d'officine.

419. Il a enfin été constaté l'aversion au risque des professionnels de la santé en raison notamment d'une certaine judiciarisation des questions de santé (décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 358 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 355). Il convient donc de tenir compte, dans l'analyse du discours commercial d'un laboratoire pharmaceutique, " de la forte rigidité au changement des médecins prescripteurs et des pharmaciens, ainsi que de l'aversion aux risques des professionnels de santé " (arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 décembre 2014, n° 2013/12370, page 14, confirmé par un arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2016, n° 15-10384).

420. Enfin, l'Autorité relève que la mission des agences de santé, qui sont chargées de garantir, au travers de leurs missions de sécurité et de vigilance sanitaire, l'efficacité, la qualité et le bon usage de tous les produits de santé, repose en particulier sur la transmission d'informations par les professionnels de la santé mais aussi par les laboratoires pharmaceutiques.

b) Sur la pratique d'intervention infondée auprès de l'AFSSAPS

Les principes applicables

421. Il ressort de la pratique décisionnelle que des comportements adoptés devant des autorités publiques peuvent, dans certaines circonstances, relever d'un examen concurrentiel (décisions n° 05-D-58 du 3 novembre 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'eau potable en Ile-de-France et n° 16-D-11du 6 juin 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne terrestre).

422. Pour apprécier l'existence d'une pratique d'intervention abusive auprès d'une autorité publique, l'Autorité s'attache, non pas à contrôler la légalité de la décision adoptée par cette dernière - qui relève de la compétence exclusive des juridictions administratives -mais à rechercher si l'entreprise en position dominante s'est immiscée indûment dans le processus décisionnel de cette autorité ou encore si elle a mis en œuvre des pratiques de nature à l'inciter à adopter une décision qu'elle ne devrait pas prendre (décisions n° 05-D-58, précitée, paragraphes 123 à 125 et n° 16-D-11, précitée, paragraphe 192).

423. Selon la jurisprudence européenne, " la présentation aux autorités publiques d'informations trompeuses, de nature à induire celles-ci en erreur et à permettre, en conséquence, la délivrance d'un droit exclusif auquel l'entreprise n'a pas droit, ou auquel elle a droit pour une période plus limitée, constitue une pratique étrangère à la concurrence par les mérites, qui peut être particulièrement restrictive de la concurrence. Un tel comportement ne correspond pas à la responsabilité particulière incombant à une entreprise en position dominante de ne pas porter atteinte, par un comportement étranger à la concurrence par les mérites, à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun " (arrêts du Tribunal du 1er juillet 2010, point 355, et de la Cour de justice du 6 décembre 2012, Astra Zeneca, précités).

424. Ce type de comportement doit être apprécié au vu des circonstances de l'espèce. En effet, " l'appréciation de la nature trompeuse de déclarations fournies aux autorités publiques aux fins de l'obtention indue de droits exclusifs doit être opérée in concreto et est susceptible de varier selon les circonstances propres à chaque affaire ". Plus spécifiquement, " la marge d'appréciation limitée des autorités publiques ou l'absence d'obligation leur incombant de vérifier l'exactitude ou la véracité des informations communiquées peuvent constituer des éléments pertinents devant être pris en considération aux fins de déterminer si la pratique en cause est de nature à aboutir à l'élévation d'obstacles réglementaires à la concurrence " (arrêt du Tribunal Astra Zeneca, précité, point 357).

425. Par ailleurs, selon les juridictions de l'Union, la réaction des tiers n'exclut pas la responsabilité de l'entreprise en position dominante au titre des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. En effet, " la seule circonstance que certaines autorités publiques ne se soient pas laissées abuser et aient décelé les inexactitudes des informations fournies à l'appui des demandes de droits exclusifs, ou que des concurrents aient obtenu, postérieurement à l'octroi irrégulier des droits exclusifs, l'annulation de ceux-ci, ne suffit pas pour considérer que les déclarations trompeuses n'étaient en tout état de cause pas susceptibles d'aboutir. (...) dès lors qu'il est établi qu'un comportement est objectivement de nature à restreindre la concurrence, son caractère abusif ne saurait dépendre des aléas des réactions des tiers " (arrêt du Tribunal Astra Zeneca, précité, point 360, voir également arrêt de la Cour de justice, Astra Zeneca, précité, point 111).

426. Enfin, le caractère délibéré du comportement est susceptible d'être pris en considération. Selon le Tribunal, " si la démonstration du caractère délibéré du comportement de nature à tromper les autorités publiques n'est pas nécessaire aux fins de l'identification d'un abus de position dominante, celui-ci n'en constitue pas moins également un élément pertinent pouvant, le cas échéant, être pris en considération par la Commission " (arrêt du Tribunal Astra Zeneca, précité, point 359).

Appréciation en l'espèce

Sur la stratégie de Janssen-Cilag consistant à intervenir en vue de reporter l'entrée des génériques de Durogesic

427. Il ressort tout d'abord des documents de stratégie présentés aux paragraphes 115 et suivants de la présente décision que Janssen-Cilag a suivi l'évolution des demandes d'AMM des laboratoires génériques et, plus particulièrement, le déroulement de la procédure de reconnaissance mutuelle mise en œuvre pour les spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopharm.

428. Très en amont de l'entrée des génériques de Durogesic sur le marché, le laboratoire princeps a envisagé d'intervenir auprès de l'autorité de santé française afin de reporter la date d'autorisation de mise sur le marché des génériques. Il a en outre étudié l'impact qu'un tel report aurait sur son chiffre d'affaires annuel. Cette étude n'était pas fondée sur des arguments de défense de la santé publique.

429. En effet, dès 2005, Janssen-Cilaga envisagé, lors de la réunion " Team ANTI-génériques de Durogesic " du 29 mars 2005, d'examiner la position de l'agence française de santé dans le cadre de l'examen des demandes d'AMM pour les spécialités génériques concurrentes de Durogesic (" Point réglementaire (...) évaluer la position de l'agence vis-à-vis des contraintes liées à l'enregistrement des patchs Gé [génériques] ", cote 2107).

430. De même, dans le " Plan produit pour 2007 " du 12 juin 2006, le laboratoire princeps a indiqué : " l'équipe française pense que ... Durogesic bénéficie encore d'un fort potentiel de croissance. Pour cela nous avons besoin que les affaires médicales et réglementaires de JC EMEA [Janssen-Cilag Europe] soutiennent les initiatives de l'équipe française d'intervenir et de reporter le lancement des génériques " (cote 3212, traduction libre).

431. Enfin, dans la présentation " Durogesic 2008 " du29 octobre 2007, Janssen-Cilag a envisagé l'hypothèse d'un report de l'entrée des génériques de Durogesic (prévue pour janvier 2008) à septembre 2008, voire à janvier 2009 (cote 6068). Dans ce document, Janssen-Cilag estime que la situation qui lui serait la plus défavorable (scénario intitulé " downside "), en ce qu'elle engendrerait une baisse de son chiffre d'affaires, serait l'entrée des génériques sur le marché en janvier 2008. À l'inverse, le report de la commercialisation des génériques à janvier 2009 lui permettrait de maintenir ses ventes annuelles nettes et lui serait très favorable (scénario intitulé " upside "). Dans le même sens, dans sa seconde analyse, le laboratoire princeps envisage les conséquences sur son chiffre d'affaires et sur les taux de pénétration en ville et à l'hôpital du report à juin 2008 de l'entrée des " non substituables " (cote 6070).

Sur l'intervention juridiquement infondée de Janssen-Cilag dans le processus décisionnel de l'AFSSAPS

432. Il ressort des pièces du dossier que Janssen-Cilag a approché l'AFSSAPS à plusieurs reprises au cours de la procédure d'examen de la demande d'AMM concernant les spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopharm. À cette occasion, le laboratoire princeps est revenu sur les conditions de fond d'attribution d'une AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique (remise en cause de la bioéquivalence, de la condition d'identité de quantité et qualité du principe actif et de la condition relative à la forme pharmaceutique), afin de remettre en cause la délivrance d'AMM et la reconnaissance du statut de générique à ces spécialités et ce, alors que l'agence française de santé ne disposait d'aucune marge de manœuvre pour revenir sur ce statut, reconnu par la décision du 23 octobre 2007 de la Commission européenne.

En ce qui concerne le caractère légitime de l'intervention d'un laboratoire pharmaceutique devant une autorité de santé

433. Les mises en cause affirment que, si l'Autorité confirmait le caractère abusif de son intervention devant l'AFSSAPS, sa décision aurait pour effet d'empêcher tout laboratoire pharmaceutique, en position dominante, de faire part de ses préoccupations devant une autorité de santé, ce qui pourrait avoir des conséquences préjudiciables pour les consommateurs. Elles soutiennent qu'un laboratoire pharmaceutique doit pouvoir partager avec l'autorité nationale de santé ses interrogations scientifiques et craintes éventuelles en matière de santé publique, en s'appuyant sur le principe de précaution et les obligations de signalement et de suivi auxquelles les laboratoires pharmaceutiques sont soumis dans le cadre de la pharmacovigilance. Elles s'appuient notamment sur la décision n° 13-D-11, dans laquelle l'Autorité observait que " Sanofi-Aventis était libre de transmettre aux autorités de santé toute information à sa disposition relative à la sécurité et à l'efficacité des génériques de Plavix(r) " (cotes 41708 et 41709 ; cote 44219).

434. Ces affirmations ne sauraient prospérer. En effet, le grief notifié vise une pratique d' " intervention juridiquement infondée auprès de l'autorité nationale de santé (...) visant à convaincre l'autorité nationale de santé de refuser l'octroi au niveau national du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, en dépit de l'obtention de ce statut au niveau européen ". Ce n'est donc pas le principe même de l'intervention du laboratoire princeps, en position dominante, auprès de l'autorité nationale de santé qui est visé dans le grief notifié, mais bien la teneur de son intervention au cas d'espèce et son absence de fondement juridique.

435. Ainsi, un laboratoire ne peut pas s'immiscer indûment dans le processus décisionnel d'une autorité de santé, en présentant à cette dernière des arguments de nature à l'inciter à adopter une décision contraire au cadre juridique s'imposant à elle. Lorsqu'un tel laboratoire se situe en position dominante sur un marché, cette pratique peut être qualifiée d'abusive au regard des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE.

436. En revanche, un laboratoire reste parfaitement libre de faire valoir, de façon objective et neutre, ses éventuelles préoccupations de santé publique devant les autorités de santé compétentes.

437. Dès lors, c'est au regard du contenu des échanges entre Janssen-Cilag et l'AFSSAPS et du contexte dans lequel ils se sont inscrits que le comportement du laboratoire princeps doit être appréhendé.

En ce qui concerne le contexte dans lequel se sont inscrits les contacts initiés par Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS

438. Janssen-Cilag est intervenu, de manière répétée, auprès de l'AFSSAPS, au cours de la procédure d'examen de la demande d'AMM concernant les spécialités génériques de fentanyl transdermique de Ratiopharm. En effet, le laboratoire a adressé à l'autorité de santé plusieurs courriers (le 25 mars 2008, le 14 avril 2008, le 19 mai 2008 et le 22 octobre 2008) et a sollicité l'organisation d'une réunion avec le directeur général de l'AFSSAPS, qui s'est tenue le 21 avril 2008.

439. Or, ces échanges sont intervenus dans un contexte dans lequel l'AFSSAPS ne disposait d'aucune marge d'appréciation concernant la reconnaissance du statut de générique des spécialités concurrentes de Durogesic.

440. En effet, l'autorité juridiquement compétente pour connaître des conditions d'octroi d'une AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique était, du fait du cadre procédural de l'espèce, celle constituée au niveau européen par l'AEM et la Commission européenne. La décision de la Commission européenne a ainsi clos l'ensemble des débats relatifs à la qualité de générique des spécialités de Ratiopharm, les conditions réglementaires ayant toutes été évaluées et considérées comme satisfaites au cours des procédures de reconnaissance mutuelle et d'arbitrage, par le biais d'une double expertise.

441. Ainsi, conformément aux dispositions législatives et réglementaires applicables, comme l'ont confirmé les représentants de l'AFSSAPS interrogés en audition et les mises en cause dans leurs observations (cote 41675), la décision de la Commission européenne du 23 octobre 2007 s'imposait à l'autorité nationale de santé. L'AFSSAPS était tenue d'accorder une AMM nationale reconnaissant le statut de générique aux spécialités génériques de fentanyl transdermique de Ratiopharm et d'en tirer les conséquences juridiques en les inscrivant au répertoire des génériques, après les avoir identifiées comme génériques.

442. Le chef du pôle juridique de l'ANSM a déclaré en audition le 13 février 2017 que " depuis le 30 octobre 2005 (date d'expiration du délai de transposition de la Directive 2004/27/CE), le sort de l'AMM est réglé : l'AFSSAPS ne délivre que des AMM génériques. La notion d'essentiellement similaire n'existe plus, elle a été substituée par la notion de générique issue de la Directive 2004/27/CE. En l'espèce, l'AFSSAPS était tenue d'octroyer l'AMM générique à partir du moment où la décision définitive était intervenue au niveau communautaire, à savoir la décision du 23 octobre 2007 de la Commission européenne " (cote 43940).

443. De même, le responsable du département de l'évaluation pharmaceutique de l'AFSSAPS a déclaré en audition le 23 mars 2012 qu' " avant la révision de 2004, transposée en France en 2008, il n'y avait pas de définition de médicament générique au niveau européen. Seule la notion de médicament essentiellement similaire existait. Par conséquent, chaque pays pouvait définir la notion de générique comme il l'entendait. Avec la révision de la directive intervenue en 2004, la notion de médicament essentiellement similaire a été supprimée dans la directive pour être remplacée par celle de médicament générique. En France, la nuance entre les notions de médicament essentiellement similaire et médicament générique était reflétée dans la législation et induisait des différences quant à la substitution par le pharmacien : la substitution n'était possible que pour les médicaments génériques. Or, pour bénéficier du statut de générique, avant la révision de 2004, l'agence devait déterminer si les critères établis par la législation étaient remplis. Avec la révision de 2004, on ne parle plus d'essentiellement similaires. Par ailleurs, depuis 2004 et la modification de la directive, les agences nationales ne disposent plus de latitude sur la qualification des génériques notamment lorsque ces derniers ont obtenu leur AMM à l'issue de procédures européennes telles que prévues dans le code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (instauré par la directive 2001/83/CE)

S'agissant du fentanyl transdermique, Ratiopharm avait obtenu l'AMM pour son générique à travers les procédures européennes (procédure de reconnaissance mutuelle et d'arbitrage, décision de la Commission européenne du 23 octobre 2007). Dès lors, la France ne pouvait plus revenir sur le caractère générique du médicament de Ratiopharm, étant donné que le délai de transposition de la directive de 2004 était écoulé depuis fin 2005. La directive de 2004 était directement applicable aux États membres, une fois ce délai expiré " (cote 28429).

444. Ainsi, la notion de spécialité " essentiellement similaire " a été supprimée du corpus juridique européen par la directive 2004/27/CE devenue directement applicable fin 2005 (c'est-à-dire plusieurs années avant la mise en œuvre des pratiques notifiées). Cette directive a par ailleurs été transposée en droit français par la loi n°2007-248 du 26 février 2007 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament et son décret d'application du 6 mai 2008. En conséquence, en France, eu égard à l'effet direct et à l'effort de transposition presque entièrement effectué au moment des faits de l'espèce, aucun doute n'était possible quant au statut applicable aux spécialités de Ratiopharm : il s'agissait bien du " statut de générique ".

445. D'ailleurs, il convient de relever que le laboratoire Janssen-Cilag est revenu, lors de ses contacts avec l'AFSSAPS, sur le seul " statut de générique " des spécialités de fentanyl transdermique : aucun de ses courriers ne fait en effet référence à cette notion de spécialité " essentiellement similaire ".

446. Dès lors, les mises en cause affirment à tort que, dans la mesure où la notion de spécialité " essentiellement similaire " aurait coexisté pendant les faits avec celle de médicament générique, Janssen-Cilag ne pouvait savoir quel statut (" générique " ou " essentiellement similaire ") serait retenu in fine par l'AFSSAPS pour les spécialités de Ratiopharm (cotes 41706 à 41708 ; cotes 44214 à 44220). En l'espèce, seul un statut de " générique " pouvait être envisagé, dès lors que la décision de la Commission européenne avait été rendue sur le fondement de textes européens relatifs à la notion de médicament générique.

447. Les mises en cause affirment en outre dans leurs observations que l'adoption du décret n° 2008-435 du 6 mai 2008 aurait donné un nouvel éclairage à l'AFSSAPS justifiant son changement de position quant à l'inscription au répertoire des génériques des spécialités de Ratiopharm, au second semestre 2008. L'entrée en vigueur de ce décret aurait entraîné une nouvelle compréhension du cadre réglementaire français permettant à l'agence de santé de qualifier les spécialités concurrentes de Durogesic de génériques, ce qui serait confirmé par les déclarations des représentants de l'ANSM (cotes 41737 à 41739).

448. Ces arguments ne sauraient prospérer. En effet, comme cela a été développé ci-dessus, aucun doute ne pouvait exister, au premier semestre 2008, quant au fait que la France (comme les autres États membres concernés) était tenue d'octroyer une AMM nationale reconnaissant le statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic depuis la décision de la Commission européenne du 23 octobre 2007.

449. L'argument des mises en cause est d'ailleurs contredit par le calendrier des décisions adoptées par l'AFSSAPS. En effet, ce décret était en vigueur en juillet 2008, lorsque l'AFSSAPS a accordé les AMM pour les spécialités de fentanyl transdermique sans leur reconnaître le " statut de générique " et en refusant par conséquent leur inscription au répertoire des génériques. Or, le chef du pôle juridique de l'ANSM a indiqué en audition que depuis " la modification de la réglementation au 6 mai 2008 : nous étions depuis lors obligés de les qualifier de génériques et l'encadrement de la substitution n'était possible que par la mise en garde " (cote 37444). Cette incohérence ressort d'ailleurs des observations des mises en cause, qui indiquent que cette interprétation n'est " pas compatible " avec la décision du directeur de l'AFSSAPS du 28 juillet 2008 (cote 41738).

450. Par ailleurs, si le décret du 6 mai 2008 a introduit dans le code de la santé publique la possibilité pour l'AFSSAPS d'assortir l'inscription d'un groupe de médicaments au répertoire des génériques d'une mise en garde relative à la substitution, cette innovation doit être relativisée. En effet, l'AFSSAPS procédait, avant l'adoption de ce décret, à la communication aux professionnels de la santé de mises en garde sur la substitution au sein d'un groupe de génériques par voie de communiqués de presse et de courriers, ainsi que l'ont indiqué les représentants de l'ANSM en audition (cote 34061). L'Autorité note à cet égard qu'en l'espèce, Janssen-Cilag n'a, dans aucun des courriers adressés à l'AFSSAPS, proposé à l'agence de santé d'émettre des recommandations relatives à un accompagnement de la substitution.

451. Au surplus, l'Autorité relève que Janssen-Cilag avait connaissance, avant la mise en œuvre des pratiques notifiées, d'une part, du fait que l'AFSSAPS était tenue de se conformer à la réglementation européenne, et, d'autre part, que cette dernière n'entendait pas s'opposer à la délivrance d'une AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique. En effet, dans un document interne, intitulé " Durogesic defence strategy ", du 18 août 2006, le laboratoire princeps indique que " le comité français d'experts [de l'AFSSAPS] a changé de position. Au début, il était en faveur du statut de non substituabilité, mais en raison de l'alignement avec les lignes directrices européennes, il a décidé d'appliquer un statut de générique substituable " (cote 4636).

En ce qui concerne les informations présentées par Janssen-Cilag à l'AFSSAPS

452. Les mises en cause soutiennent dans leurs observations que Janssen-Cilag n'aurait jamais contesté l'octroi de l'Amour les spécialités génériques de fentanyl transdermique. Le laboratoire princeps aurait uniquement soumis devant l'AFSSAPS des arguments visant à exprimer son inquiétude sur la substitution entre le princeps et les génériques, ce qui relèverait de la compétence de l'autorité nationale de santé. Plus spécifiquement, elles prétendent que les courriers adressés à l'AFSSAPS, qu'elles considèrent " objectifs, précis et mesurés ", n'aborderaient pas la question de l'octroi d'AMM mais se limiteraient à initier un débat sur la substitution. Les mises en cause reviennent en outre sur le cadre juridique de la substitution, alléguant notamment qu'il ne peut être déduit de la réglementation européenne que deux médicaments génériques doivent être considérés comme substituables.

Elles affirment par ailleurs qu'il existerait un statut européen et un statut national de génériques, n'ayant pas les mêmes conséquences en termes de substitution (cotes 41702 à 41715 ; cotes 41722 et 41723 ; cotes 44213 à 44 223 ; cotes 44233 à 44235 ; cotes 44242 et 44243 ; cotes 41690 à 41695).

453. Néanmoins, s'il est exact que les courriers du laboratoire princeps ont abordé la question de la substitution, les mises en cause ne peuvent affirmer que le débat qu'elles avaient engagé devant l'autorité nationale de santé se serait limité à cette seule question. Il ne peut donc être sérieusement avancé que l'AFSSAPS aurait compris le débat porté devant elle comme couvrant la seule question de la substitution et de son accompagnement.

454. Au contraire, il ressort du contenu des courriers adressés par Janssen-Cilag à l'AFSSAPS que le laboratoire princeps a présenté à l'autorité française de santé des arguments dont l'objet était de remettre en cause l'octroi d'AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique concurrentes de Durogesic et la reconnaissance du statut de générique de ces spécialités.

- La teneur des courriers de Janssen-Cilag

Le courrier du 25 mars 2008

455. Dans le courrier du 25 mars 2008 - envoyé par Janssen-Cilag après qu'une première commission d'AMM de l'AFSSAPS s'est prononcée, à l'unanimité, favorablement sur l'examen du dossier de procédure de reconnaissance mutuelle concernant les spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopham - le laboratoire princeps revient plus particulièrement sur les conditions de fond d'attribution d'une AMM pour une spécialité générique, en soulignant l'existence de différences entre les spécialités génériques et le princeps (" rappelons que ces produits ne sont pas exactement similaires à Durogesic, tant sur le plan de la quantité de principe actif contenu dans le patch, que sur surface "). Il conteste également la bioéquivalence des dispositifs transdermiques de fentanyl (" un patient ayant commencé avec un système devra continuer avec le même système en raison de l'absence d'équivalence entre les systèmes "). Le laboratoire en conclut que l'AFSSAPS ne devrait pas reconnaître le " statut de générique " pour ces spécialités en affirmant que " l'attribution d'un statut de générique à de telles spécialités, pouvant entraîner à terme la substitution par le pharmacien, ne nous semble pas pertinente et favorable au bon usage de ces médicaments " et que " dans ce contexte, il nous apparaîtrait surprenant que ces nouvelles spécialités se voient attribuer un statut de générique " (cotes 381 et 382).

456. Ainsi, le courrier du 25 mars 2008 ne traite de la substitution que de façon secondaire, en tant que conséquence de l'acquisition du statut de générique, et uniquement dans la perspective de convaincre l'autorité nationale de santé de refuser l'octroi de l'AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique.

Le courrier du 14 avril 2008

457. Dans son courrier du 14 avril 2008 - envoyé par Janssen-Cilag après qu'une deuxième commission d'AMM de l'AFSSAPS s'est prononcée, à l'unanimité ici encore, favorablement sur l'examen du dossier de procédure de reconnaissance mutuelle concernant les spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopharm - le laboratoire princeps développe, de manière plus incisive, des arguments de nature à contester la délivrance d'AMM pour les spécialités génériques de dispositifs transdermiques de fentanyl (cotes 384 à 386).

458. Ici encore, Janssen-Cilag revient sur les conditions de fond relatives à l'octroi d'une AMM pour une spécialité générique, soulignant les différences de quantité de principe actif et de biodisponibilité entre les spécialités de fentanyl transdermique (" comme souligné lors des 23èmes Rencontres Nationales de Pharmacologie Clinique de Giens (à la table ronde n° 7), des différences de biodisponibilité (sans précision de forme galénique) entre génériques eux- mêmes pouvant aller de -36 à +56 % ont été relevées "), de nature à faire croire que celles- ci ne seraient pas remplies en l'espèce (" les définitions communautaires ou nationales relatives aux spécialités génériques et, en particulier, la quantité de principe actif ne devraient pas permettre d'accorder un statut de génériques aux spécialités de fentanyl sous forme de systèmes transdermiques ").

459. Par ailleurs, le laboratoire présente des arguments de nature à susciter une inquiétude quant à l'efficacité et la sécurité des génériques (" les différences ainsi relevées peuvent entraîner la survenue d'inefficacité ou d'effets indésirables inhabituels chez certaines populations de malades (personnes âgées ou fragiles) "). Janssen-Cilag insiste en particulier sur son inquiétude quant à " la perspective d'une inscription de ces spécialités comme générique " - perspective qu'il met au conditionnel (" si une telle perspective devait être envisagée ") alors qu'il s'agit d'une conséquence découlant de la délivrance d'une AMM pour des spécialités génériques - qui, selon lui, " présenterait des risques pour les patients, que ce soit en termes d'efficacité et de sécurité ".

460. Dès lors, le courrier du 14 avril 2008 ne se limite pas à émettre des interrogations sur la substitution, mais vise également à convaincre l'AFSSAPS de ne pas octroyer d'AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique.

L'argumentaire du 19 mai 2008

461. Dans l'argumentaire du 19 mai 2008 - adressé après une réunion tenue le 21 avril entre le directeur général de l'AFSSAPS et les représentants de Janssen-Cilag à l'occasion de laquelle le laboratoire a " fait part au directeur général de ses préoccupations de santé publique si le statut de générique devait être octroyé aux patchs Fentanyl Ratiopharm " (cote 34060) -, Janssen-Cilag a développé une série d'arguments portant sur le " statut de générique " des dispositifs transdermiques de fentanyl, remettant en particulier en cause la bioéquivalence et la substituabilité de ces dispositifs (cotes 388 à 423).

462. Le document revient ici encore sur les conditions de fond relatives à l'octroi d'une AMM pour une spécialité générique en soulignant " qu'une spécialité ne peut avoir un statut générique d'une spécialité princeps que pour autant qu'elle a la même composition qualitative et quantitative en substance active, la même forme pharmaceutique que le médicament de référence et que sa biodisponibilité a été démontrée par des études de biodisponibilité appropriées ". Or, le laboratoire princeps affirme qu'en l'espèce, " l'octroi du statut de générique pour les dispositifs transdermiques à base de fentanyl remettrait en question la position adoptée jusqu'à ce jour à l'égard des autres patchs ", en soulignant que " les éléments auxquels Janssen-Cilag a pu avoir accès mettent en évidence que les spécialités transdermiques à base de fentanyl enregistrées ou qui seraient en cours d'enregistrement en France sur la base de dossiers allégés ne répondraient pas à la définition de spécialité générique précédemment rappelée ".

463. Le laboratoire princeps insiste de nouveau sur l'existence de différences entre spécialités génériques et princeps (" ces dispositifs peuvent présenter des caractéristiques différentes, notamment en terme de : composition quantitative en principes actifs, technologie (matricielle ou autre), excipients " ou encore " ces spécialités ne comportent jamais la même composition quantitative en principe actif que la spécialité de référence ").

464. Par ailleurs, Janssen-Cilag insinue que la procédure d'octroi d'AMM des médicaments génériques n'est pas suffisamment protectrice de la sécurité et de la santé des patients, en soulignant que " bien que ne répondant pas strictement à la définition du médicament générique, ceux-ci [les dispositifs transdermiques de Ratiopharm] ont été néanmoins évalués par les autorités de santé sur la base de dossiers allégés ". Il insiste sur le fait que ces dossiers ne comportaient pas de " résultats d'essais précliniques ni d'efficacité et tolérance cliniques ", alors que de telles données ne sont précisément pas requises dans les procédures de demande d'AMM pour des spécialités génériques, lesquelles nécessitent uniquement la démonstration de la bioéquivalence par rapport à la spécialité de référence, par le biais de seules études de biodisponibilité.

465. Pour finir, le laboratoire princeps n'hésite pas à remettre en cause l'ensemble de la classe des génériques, en questionnant l'origine des produits et la qualité des matières premières utilisées pour leur conception (" chercher des sources d'approvisionnement en dehors de l'Union européenne, impliquant des pays n'offrant pas toujours les garanties de qualité requises (ex : Asie) ").

466. Au surplus, contrairement à ce que soutiennent les mises en cause, Janssen-Cilag n'a, dans cet argumentaire, ni d'ailleurs dans le cadre de ses autres correspondances avec l'AFSSAPS au cours de cette procédure, jamais soumis d'étude clinique ou de bioéquivalence de nature à étayer ses arguments.

467. Aussi, l'argumentaire du 19 mai 2008 contient des arguments de nature à convaincre l'AFSSAPS de ne pas octroyer d'AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique.

Le courrier du 22 octobre 2008

468. L'Autorité relève que, dans son courrier du 22 octobre 2008 adressé à l'AFSSAPS, Janssen- Cilag est revenu, une fois encore, sur les conditions de fond relatives à l'octroi d'une AMM pour une spécialité générique, en affirmant que " la définition des génériques (européenne et transposée) pose une difficulté évidente qui devra être clarifiée puisque, manifestement, des AMM de génériques ont été accordées à des systèmes transdermiques ou autres alors même qu'ils n'ont pas ''la même composition qualitative et quantitative en substance active'' " (cotes 3991 et 3992).

Conclusion

469. Il ressort de ce qui précède que le laboratoire princeps a tenu des propos dépassant la formulation de simples inquiétudes sur la substitution. Il n'a pas seulement émis devant l'AFSSAPS des préoccupations allant dans le sens d'un accompagnement de la substitution (tel que celui finalement adopté dans la mise en garde) mais a, en réalité, présenté un argumentaire remettant en cause l'octroi même de l'AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique. Le discours de Janssen-Cilag avait donc pour objet de convaincre l'AFSSAPS de refuser l'octroi au niveau national du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, en dépit de l'obtention de ce statut au niveau européen.

470. D'ailleurs, si la volonté de Janssen-Cilag avait été, comme le prétendent les mises en cause, d'alerter l'AFSSAPS sur les risques d'une substitution non encadrée, le laboratoire princeps aurait ciblé ses interventions sur ce seul sujet. Sa demande à l'autorité de santé aurait porté sur l'accompagnement de l'inscription au répertoire des génériques par une alerte sur la nécessité d'un suivi médical lors de la substitution, ce qui avait déjà été fait avant même l'adoption du décret du 6 mai 2008.

471. Aussi, les considérations émises par les mises en cause concernant le cadre juridique de la substitution, outre le fait qu'elles sont erronées et infondées, sont dénuées de pertinence pour l'appréciation du grief notifié.

- Le message reçu par l'AFSSAPS

472. D'abord, contrairement à ce que soutiennent les mises en cause, le message reçu par l'AFSSAPS portait sur le statut de générique des spécialités de fentanyl transdermique, et non sur la seule question de la substitution et de son accompagnement.

473. En effet, dans le compte-rendu de la réunion du GTNPA du 10 juillet 2008, l'AFSSAPS fait état du fait que " le laboratoire Janssen-Cilag a contesté le statut de générique que l'Agence s'apprêtait à accorder aux spécialités fentanyl Ratiopharm pour les motifs suivants : - juridique : les patchs de Ratiopharm ne répondant pas à la définition du générique en terme de même composition (qualitative et quantitative) - thérapeutique : risque en termes de sécurité et d'efficacité " (cote 318).

474. De même, à l'issue de la réunion du 19 juin 2008, le GTMG s'est prononcé en faveur de l'autorisation de la substitution encadrée par des recommandations des prescripteurs et pharmaciens, mais, reprenant à son compte les arguments de Janssen-Cilag, il a émis de " fortes réserves sur l'interprétation juridique faite de la définition du générique, afin de pouvoir y inclure les dispositifs transdermiques. En effet, le groupe considère que la notion de l'identité de la composition quantitative en substance active ne peut être entendue comme identité de la quantité de substance active libérée du patch. De plus, une telle position conduirait à des dérives d'interprétation et il serait dès lors difficile de refuser un comprimé ou une gélule qui n'a pas la même composition quantitative en substance active, mais qui démontrerait sa bioéquivalence avec la spécialité de référence " (cote 313).

475. Les représentants de l'ANSM, lors d'une audition le 22 septembre 2014, ont confirmé que les arguments présentés par le laboratoire princeps auprès de l'AFSSAPS portaient sur l'octroi du statut de générique aux dispositifs transdermiques de fentanyl et sur les conséquences liées à la substitution qui en résultaient : " le laboratoire avait en effet fait part au Directeur général de ses préoccupations de santé publique si le statut de générique devait être octroyé aux patchs fentanyl Ratiopharm (...). Jansen-Cilag a rappelé ses inquiétudes concernant l'octroi du statut de générique aux patchs de fentanyl (notamment au vue de la définition légale des génériques) et sur les conséquences pour la santé publique de la substitution (...). Janssen-Cilag cherchait par conséquent à alerter l'agence sur les risques de santé publique " (cote 34060).

476. L'AFSSAPS a donc bien perçu le débat introduit par Janssen-Cilag devant elle comme étant centré sur le statut de générique des spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopharm, ce qui l'a conduit à refuser temporairement de leur reconnaître ce statut.

477. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les mises en cause, l'AFSSAPS ne partageait nullement, à l'époque des faits, les mêmes préoccupations que Janssen-Cilag sur la substitution entre Durogesic et ses spécialités concurrentes (cote 41735). D'ailleurs, la question de l'encadrement de la substitution, au travers de l'insertion d'une mise en garde au répertoire des génériques, n'a été abordée que bien plus tard dans les débats devant l'agence nationale de santé.

478. Par ailleurs, l'Autorité relève que les arguments du laboratoire princeps sont de nature à créer un climat anxiogène autour des génériques de Durogesic. Cette pratique est d'autant plus contestable que, compte tenu de la mise en place de la procédure d'arbitrage au cours de la procédure de reconnaissance mutuelle, les spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopharm ont exceptionnellement fait l'objet d'une double évaluation scientifique (une fois par les autorités de santé allemande et une fois par les autorités de santé européenne), qui est de nature à renforcer la fiabilité des médicaments de Ratiopharm.

Conclusion

479. Il ressort de ce qui précède que Janssen-Cilag s'est indûment immiscée, par son intervention juridiquement infondée, dans la procédure nationale d'examen des demandes d'AMM portant sur les spécialités génériques de fentanyl transdermique concurrentes de Durogesic, en présentant à l'AFSSAPS, afin de la convaincre de refuser de délivrer les AMM demandées reconnaissant le statut de générique, des arguments sur les conditions de fond de délivrance des AMM pour ces spécialités, dénués de toute pertinence, puisque cette question avait été tranchée au niveau européen.

Sur les conséquences du discours tenu par Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS

480. Il ressort des pièces du dossier que la procédure d'examen de la demande de reconnaissance mutuelle de Ratiopharm -mais également des demandes d'AMM nationales présentées par d'autres laboratoires génériques - a été inhabituellement longue. En effet, l'AFSSAPS, sensible aux arguments présentés par Janssen-Cilag, a refusé, temporairement, de reconnaître le statut de générique aux spécialités de fentanyl transdermique concurrentes de Durogesic.

481. Concernant la demande de reconnaissance mutuelle de Ratiopharm, la Commission d'octroi d'AMM de l'AFSSAPS s'est, dans un premier temps, prononcée favorablement sur l'examen du dossier de procédure de reconnaissance mutuelle concernant les spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopharm, lors des commissions d'AMM du 24 janvier 2008 (cotes 295 à 301) et du 27 mars 2008 (cotes 304 à 309). 482. Puis, sur les sollicitations de Janssen-Cilag, l'AFSSAPS a procédé à un examen plus approfondi de la demande de Ratiopharm. En particulier, elle a réuni des groupes de travail

- le GTMG (cotes 312 et 313) et le GTNPA (cotes 318 à 322 et cote 348) - revenant indûment sur le " statut de générique " de ces spécialités. Lors de la commission d'AMM du 17 juillet 2008, des débats ont eu lieu sur la substituabilité de ces spécialités (cotes 354 à 364). Elle a alors rendu, le 28 juillet 2008, des décisions d'AMM concernant ces spécialités (cotes 425 à 428) mais en refusant leur inscription au répertoire des génériques (cotes 445 et 446).

483. Ce n'est que dans un troisième temps, après que Ratiopharm a contesté les décisions d'AMM sans statut de générique présentées ci-dessus, que l'AFSSAPS a décidé de procéder à l'inscription de ces spécialités au répertoire des génériques en l'assortissant d'une mise en garde à l'issue de la réunion d'une commission d'AMM le 25 septembre 2008 (cotes 44481 à 44488). Elle a alors rendu, le 3 novembre 2008, une décision portant identification des spécialités génériques (cotes 470 à 474) et a procédé à leur inscription au répertoire des génériques par décision du 10 décembre 2008.

484. Finalement, ainsi que le constate Janssen-Cilag dans son courrier du 22 octobre 2008, l'AFSSAPS a décidé d'attribuer le statut de générique aux spécialités de fentanyl transdermique concurrentes de Durogesic plusieurs mois après avoir délivré les AMM pour ces spécialités (cotes 3991 et 3992).

En ce qui concerne l'octroi des AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique

485. L'Autorité relève que l'AFSSAPS a adopté des décisions d'AMM concernant les spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopharm neuf mois après la décision de la Commission européenne du 23 octobre 2007. Le délai de 30 jours prévu par l'article 34, paragraphe 3, du code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, codifié à l'article R. 5121- 51-5 du code de la santé publique, a donc été largement dépassé.

486. En outre, et en tout état de cause, les spécialités de Ratiopharm ne se sont vues attribuer le statut de générique qu'en novembre 2008 et la commercialisation des spécialités génériques concurrentes de Durogesic n'a pu véritablement débuter qu'à partir du 10 décembre 2008, date de leur inscription au répertoire des génériques, soit plus d'un an après la décision de la Commission européenne.

487. Les mises en cause soutiennent toutefois que la procédure devant l'AFSSAPS n'aurait pas été " d'une longueur singulière ". Elles affirment notamment que le délai écoulé entre la décision de la Commission européenne et les décisions d'AMM délivrées par l'AFSSAPS serait conforme à celui constaté pour d'autres spécialités ayant obtenu une AMM générique nationale à la suite d'une procédure de reconnaissance mutuelle au niveau européen. Elles s'appuient sur un extrait de l'avis n° 13-A-24du 19 décembre 2013 relatif au fonctionnement de la concurrence dans le secteur de la distribution du médicament à usage humain en ville qui confirme l'existence de retards " quant au traitement [de] demandes d'AMM génériques et de dépassement des délais fixés par les textes européens et nationaux " par l'AFSSAPS et soumettent un tableau récapitulatif des délais de traitement des AMM par l'agence française de santé (cotes 41741 41742).

488. Or, ce tableau fait apparaître un délai moyen de 95 jours lors de l'année 2008, concernée par les pratiques, soit un délai moyen légèrement supérieur à 3 mois, démontrant au contraire que le délai de traitement de ce dossier a été exceptionnellement long comparé à la durée moyenne de traitement au cours de l'année 2008.

En ce qui concerne le refus temporaire de l'AFSSAPS de reconnaître le statut de générique aux spécialités de fentanyl transdermique concurrentes de Durogesic

489. L'Autorité relève que l'AFSSAPS, qui s'était pourtant initialement montrée favorable lors de l'examen du dossier de procédure de reconnaissance mutuelle des spécialités génériques de fentanyl transdermique de Ratiopham, n'a pas procédé à l'identification de ces spécialités comme génériques de Durogesic à l'occasion de la délivrance des AMM en juillet 2008. Cette décision d'identification a été adoptée en novembre 2008, entraînant une inscription au répertoire des génériques en décembre 2008, soit plus de cinq mois après la délivrance de ces AMM.

490. Les mises en cause soutiennent que l'expression " AMM générique ", utilisée par les services d'instruction, serait " impropre ". Elles affirment dans leurs observations qu'il y a lieu de distinguer trois décisions prises par l'AFSSAPS pour permettre la commercialisation et la substitution d'un médicament générique : d'abord, la décision d'AMM - qui en l'espèce s'imposait à l'AFSSAPS en raison de la décision de la Commission européenne -, suivie ensuite de la décision d'identification des spécialités comme générique, puis de la décision d'inscription des spécialités au répertoire des génériques, relevant, selon les mises en causes, de la seule discrétion de l'AFSSAPS. S'agissant en particulier de la désignation comme générique (et de l'appréciation au fond de cette qualité de générique), les mises en cause ajoutent, en s'appuyant en particulier sur la lettre de l'article R. 5121-5 du code de la santé publique, qu'il s'agirait d'une compétence distincte du directeur général de l'AFSSAPS, laquelle ne serait pas liée à l'AMM. Ainsi, selon les mises en cause, l'attribution du statut de générique résulterait d'un acte distinct de l'AMM. Elles soulignent en outre que la délivrance d'une AMM au niveau européen n'entraînerait que des conséquences au niveau de la prescription, tandis que l'ouverture du droit à substitution ne résulterait que d'une décision prise par l'autorité nationale de santé (cotes 41702 à 41707 ; cotes 44224 à 44233).

491. S'il est exact que l'AFSSAPS prend trois décisions administratives distinctes - AMM, identification et inscription - il ne peut être sérieusement avancé que l'octroi d'une AMM serait dissocié de la désignation d'un médicament en tant que générique.

492. En effet, une AMM ne peut être délivrée que lorsqu'un ensemble de conditions de fond est rempli. Or, ces conditions de fond portent précisément sur la qualification (" princeps " ou " générique ") dumédicament pour lequel l'AMM a été sollicitée. Ainsi, les médicaments génériques doivent remplir des conditions distinctes de celles des médicaments princeps, à savoir la démonstration de leur bioéquivalence avec la spécialité de référence, de l'identité de principe actif et de l'identité de forme pharmaceutique.

493. En conséquence, et contrairement à ce qu'avancent les mises en cause, seules deux étapes doivent être distinguées concernant l'enregistrement de médicaments génériques, à savoir, d'abord, l'octroi de l'AMM entraînant la qualification du médicament générique, suivi ensuite de son inscription au répertoire des génériques.

494. C'est ce qui ressort de l'arrêt Reckitt Benckiser à l'occasion duquel le Conseil d'État a précisé que " l'identification d'un médicament comme générique d'une spécialité de référence se fait à l'occasion de la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché à ce médicament (...) que l'inscription de ce médicament sur le registre des génériques, si elle constitue une décision distincte de la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché du générique et si elle produit des effets propres consistant à permettre au pharmacien de substituer un générique à la spécialité de référence, se borne néanmoins à tirer les conséquences de la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché en qualité de générique (...) " (arrêt du Conseil d'État du 21 décembre 2007, n° 288129).

495. En tout état de cause, l'article R. 5121-5 du code de la santé publique renvoie à l'article L. 5121-10 dudit code, qui traite précisément de l'obligation pour le directeur général de l'AFSSAPS d'inscrire au répertoire des génériques toute spécialité ayant obtenu une AMM fondée sur les conditions propres aux médicaments génériques : " lorsque l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a délivré une autorisation de mise sur le marché d'une spécialité générique, elle en informe le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité de référence. Le directeur général de l'agence procède à l'inscription de la spécialité générique dans le répertoire des groupes génériques au terme d'un délai de soixante jours (...) ".

496. Il ne peut par conséquent être sérieusement avancé que l'article R. 5121-5 du code de la santé publique introduirait un pouvoir discrétionnaire de l'agence de santé pour ce qui concerne l'appréciation de la qualité de générique d'une spécialité pharmaceutique et son inscription au répertoire des génériques dans la présente affaire.

497. D'ailleurs, le document interne intitulé " Durogesic defence strategy " du 18 août 2006 présenté aux paragraphes 129 et suivants ci-dessus, qui fait mention de " générique substituable ", démontre que le laboratoire princeps avait connaissance du fait que l'octroi d'une AMM pour une spécialité générique entraînait son inscription au répertoire des génériques, ouvrant le droit à la substitution au pharmacien.

498. Au surplus, l'Autorité relève que l'expression " AMM générique " est utilisée par Janssen- Cilag (cotes 15737 et 15738), mais également par l'AFSSAPS, dans son courrier du 8 octobre 2008, adressé à Jansen-Cilag (cotes 1450 et 1451, saisine n° 09/0026M) ou encore dans ses déclarations en audition (cote 43740). L'argument des mises en cause sera donc écarté.

En ce qui concerne le lien avec l'intervention de Janssen-Cilag

499. Il ressort des pièces du dossier que le caractère anormalement long de la procédure est lié aux interventions du laboratoire princeps auprès de l'AFSSAPS.

500. En premier lieu, l'Autorité relève que l'AFSSAPS s'était, dans un premier temps, montrée favorable à l'octroi des AMM pour les spécialités transdermiques de fentanyl de Ratiopharm (commissions d'AMM du 24 janvier 2008 et du 27 mars 2008). Le changement de position de l'agence nationale de santé n'est en effet observé qu'à la suite des courriers de Janssen- Cilag, le représentant de l'ANSM ayant confirmé en séance avoir été saisi d'un signalement par le titulaire de la spécialité princeps. Le GTNPA a ainsi constaté que " le laboratoire Janssen-Cilag a contesté le statut de générique que l'Agence s'apprêtait à accorder aux spécialités fentanyl Ratiopharm " (cote 318).

501. En second lieu, ces éléments sont corroborés par les déclarations des représentants de l'ANSM et les laboratoires génériques concernés. Le chef du pôle juridique de l'ANSM a déclaré en audition le 29 octobre 2014 : " je pense que l'AFSSAPS aurait de toute façon adopté une mise en garde mais que cette procédure aurait probablement été plus rapide sans les difficultés liées aux interventions notamment de Janssen " (cote 37443).

502. De même, un laboratoire générique a déclaré, au cours de l'instruction, que " la procédure d'obtention des AMM a été inhabituellement longue et fait l'objet de multiples reports d'examen (...) alors que son dossier avait été favorablement examiné. (...) C'est la raison pour laquelle [le laboratoire] s'est inquiété[e] auprès du Directeur général de l'AFSSAPS des délais anormalement longs de cet examen. Nous nous interrogeons sur les raisons de la longueur de cette procédure, en particulier sur d'éventuelles interventions tierces " (cotes 38693 et 38694).

Conclusion

503. Il ressort de ce qui précède que la procédure de délivrance des AMM pour les spécialités génériques de dispositifs transdermiques de fentanyl a été retardée, en raison de l'intervention juridiquement infondée de Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS.

Sur le caractère abusif du comportement de Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS

504. Selon les mises en cause, l'intervention d'une entreprise en position dominante devant une autorité réglementaire ne serait susceptible d'être qualifiée d'abus que dans deux circonstances : lorsque l'entreprise en position dominante met en œuvre des " actions judiciaires frivoles et répétées " (en se référant à la jurisprudence ITT Promedia) ou lorsqu'elle communique des " informations factuelles erronées lorsque l'autorité n'a pas de marge de manœuvre pour les écarter " (en se référant à la jurisprudence AstraZeneca) (cotes 44248 à 44250).

505. Tout d'abord, il convient de relever que la pratique notifiée ne constitue pas, en tout état de cause, une action judiciaire, mais une intervention auprès d'une autorité administrative. Il ne s'agit pas plus d'un recours hiérarchique ou d'un recours gracieux formé contre une décision administrative. Dès lors, le laboratoire princeps n'est pas fondé à soutenir que son comportement relèverait du droit fondamental que constitue le droit d'agir en justice.

506. En outre, dans l'arrêt ITT Promedia, le Tribunal a précisé que " l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'intenter une action en justice est susceptible de constituer un abus de position dominante " (arrêt du Tribunal du 17 juillet 1998, ITT Promedia/Commission, T-111/96, Rec. p. II-2937, point 60). Dès lors, " afin de conclure qu'une action en justice peut constituer, en réalité, un abus de position dominante, deux conditions cumulatives doivent être réunies. En premier lieu, il faut que l'action ne puisse être raisonnablement considérée comme visant à faire valoir les droits de l'entreprise en cause et ne puisse dès lors servir qu'à harceler la partie adverse. En deuxième lieu, l'action doit être conçue dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer la concurrence (voir, en ce sens, arrêt ITT Promedia/Commission, précité, point 55). Ces deux conditions doivent être interprétées et appliquées restrictivement, de manière à ne pas tenir en échec l'application du principe général d'accès au juge (arrêt ITT Promedia/Commission, précité, point 61) " (arrêt du Tribunal du 13 septembre 2012, Protégé International/Commission, T-119/09, point 49). Le Tribunal a précisé que " aux fins de l'analyse de la première condition établie dans l'arrêt ITT Promedia/Commission, précité, il ne s'agit pas de déterminer si les droits que l'entreprise concernée faisait valoir au moment où elle a intenté son action en justice existaient effectivement, ou si celle-ci était fondée, mais de déterminer si une telle action avait pour but de faire valoir ce que l'entreprise, à ce moment-là, pouvait raisonnablement considérer comme étant ses droits (voir, en ce sens, arrêt ITT Promedia/Commission, précité, points 72 et 73) (...) la Commission a estimé à bon droit que le caractère objectivement déraisonnable ou l'absence de fondement juridique que doit revêtir l'action en justice pour la considérer comme étant une pratique abusive n'était pas manifeste en l'espèce " (arrêt du Tribunal du 13 septembre 2012, Protégé International/Commission, T-119/09, points 56 et 57).

507. Or, en l'espèce, ainsi que cela a été développé ci-dessus, Janssen-Cilag n'était pas juridiquement fondé à présenter à l'AFSSAPS des arguments dont l'objet était de remettre en cause l'octroi d'une AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique de Ratiopharm, alors que l'autorité de santé française ne disposait d'aucun pouvoir d'appréciation pour en connaître, ce dont le laboratoire avait connaissance.

508. Partant, le laboratoire ne peut soutenir que son intervention auprès de l'AFSSAPS avait pour but de faire valoir ce qu'il, à ce moment-là, pouvait raisonnablement considérer comme étant ses droits.

509. Ensuite, l'Autorité constate que les mises en cause déforment les critères dégagés par la jurisprudence Astra Zeneca.

510. En effet, les juridictions de l'Union n'exigent pas que les informations communiquées par l'entreprise en position dominante soient, ainsi que l'allèguent les mises en cause, des " informations factuelles erronées ", mais qu'elles soient " trompeuses, de nature à induire celles-ci en erreur ". À cet égard, dans l'affaire Hoffmann-La Roche, l'avocat général M. Henrik Saugmandsgaard a affirmé que " la communication d'allégations trompeuses inclut la diffusion de données en elles-mêmes exactes mais présentées de façon sélective ou incomplète lorsque, au vu de ces modalités de présentation, cette diffusion est susceptible d'induire en erreur ses destinataires " (conclusions de l'avocat général M. Henrik Saugmandsgaard présentées le 21 septembre 2017, F. Hoffmann-La Roche Ltd e.a., C179/16, point 158).

511. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les mises en cause, l'absence de marge de manœuvre de l'autorité publique n'est pas une condition nécessaire à l'établissement de l'infraction, mais " peu[ven]t constituer des[un] élément[s] pertinent[s] devant être pris en considération aux fins de déterminer si la pratique en cause est de nature à aboutir à l'élévation d'obstacles réglementaires à la concurrence " (arrêt du Tribunal Astra Zeneca, précité, point 357).

512. Enfin, et en tout état de cause, l'intervention d'une entreprise en position dominante devant une autorité réglementaire peut être qualifiée d'abus dans d'autres circonstances que celles invoquées par les mises en cause (cf. paragraphe 421 ci-dessus).

513. Ainsi, l'immixtion d'une entreprise en position dominante dans le processus décisionnel d'une autorité publique est susceptible de constituer un abus de position dominante contraire aux articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce, dans la mesure où cette intervention est indue, en ce qu'elle est juridiquement infondée, et qu'elle vise à convaincre l'autorité publique de prendre une décision qu'elle ne devrait pas prendre.

514. Or, en l'espèce, il ressort des développements ci-dessus que le laboratoire Janssen-Cilag est intervenu de façon indue auprès de l'AFSSAPS afin de la convaincre de refuser l'octroi au niveau national du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, en dépit de l'obtention de ce statut au niveau européen.

515. En effet, l'intervention de Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS relève moins du débat scientifique, qui a été conduit devant l'AEM et tranché par la Commission européenne par voie de décision, que d'un détournement du cadre juridique en vigueur.

516. Ainsi, en présentant, dans la procédure d'examen de la demande d'AMM concernant les spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopharm, un argumentaire concernant les conditions relatives à l'octroi du statut de générique (identité de composition quantitative et qualitative en principe actif, identité de forme pharmaceutique et bioéquivalence), dénué de toute pertinence puisque cette question avait été tranchée par la décision de la Commission européenne, le laboratoire princeps a méconnu sa responsabilité particulière lui incombant en tant qu'entreprise en position dominante.

517. En outre, il doit être tenu compte du caractère alarmiste du discours tenu par Janssen-Cilag, de nature à inquiéter l'agence de santé sur des risques de santé publique, sujets auquel elle est tenue d'être particulièrement sensible.

518. Enfin, s'il résulte du caractère objectif de l'abus que la qualification d'une intervention abusive auprès d'une autorité publique ne requiert pas la démonstration d'une quelconque intention de l'entreprise dominante, la démonstration d'une telle intention peut en revanche venir conforter les conclusions de l'autorité de concurrence ayant à connaître d'un tel comportement abusif.

519. En l'espèce, l'Autorité relève que le comportement du laboratoire princeps s'inscrit dans une stratégie d'éviction des génériques de Durogesic, qui ressort de plusieurs pièces du dossier présentées aux paragraphes 115et suivants de la présente décision. Ainsi, l'immixtion indue de Janssen-Cilag dans la procédure devant l'AFSSAPS avait pour objectif de retarder l'entrée des médicaments génériques sur le marché, objectif poursuivi volontairement par le laboratoire princeps.

520. Il ressort de ce qui précède que Janssen-Cilag, en s'immisçant indûment, par une intervention juridiquement infondée, dans la procédure de délivrance des AMM pour les spécialités génériques concurrentes de Durogesic, a méconnu la responsabilité particulière qui lui incombe, en tant qu'entreprise en position dominante.

Sur les effets de l'intervention juridiquement infondée de Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS

521. Il convient à ce stade d'examiner les effets, potentiels ou avérés, attachés à l'intervention de Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS dans le cadre de la procédure d'examen de la demande d'AMM concernant les spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopharm.

522. À titre liminaire, le fait que l'autorité publique ait été influencée par les arguments lui étant présentés n'altère pas la responsabilité de l'entreprise en position dominante. Ainsi, dès lors qu'il est établi qu'un comportement est objectivement de nature à restreindre la concurrence, son caractère abusif ne saurait dépendre des aléas des réactions des tiers.

523. En l'espèce, l'Autorité constate que la manœuvre du laboratoire princeps a produit les effets recherchés, dès lors qu'elle a entraîné un retard dans la procédure de délivrance des AMM pour les spécialités génériques de dispositifs transdermiques de fentanyl.

524. En effet, les interventions répétées de Janssen-Cilag devant l'agence nationale de santé ont conduit l'AFSSAPS à ne pas procéder à l'identification des spécialités de fentanyl transdermique comme génériques de Durogesic à l'occasion de la délivrance des AMM de ces spécialités en juillet 2008. Une telle décision empêche toute substitution par le pharmacien. Elle est par conséquent de nature à préserver indûment le monopole du laboratoire princeps.

525. L'intervention abusive de Janssen-Cilag dans la procédure devant l'AFSSAPS a donc produit des effets jusqu'à l'inscription au répertoire des génériques des spécialités de Ratiopharm, le 10 décembre 2008.

526. Il résulte de ce qui précède que l'intervention de Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS a été de nature à avoir un effet négatif sur le déroulement de la procédure d'examen de la demande d'AMM concernant les spécialités de fentanyl transdermique de Ratiopharm, constat suffisant pour fonder une pratique d'abus de position dominante, mais a en outre effectivement eu de tels effets.

527. Le laboratoire princeps a ainsi fait obstacle à la concurrence à l'étape clé de l'entrée des médicaments génériques sur le marché. L'intervention abusive de Janssen-Cilag dans la procédure devant l'AFSSAPS a eu pour effet de créer artificiellement une barrière réglementaire à l'entrée pour ces nouveaux entrants, empêchant la commercialisation de leurs spécialités ainsi que l'animation concurrentielle qui aurait dû découler de leur entrée sur le marché et de la fin du monopole de la spécialité princeps.

Conclusion sur la pratique d'intervention auprès de l'AFSSAPS

528. Il ressort donc de ce qui précède que le comportement de Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS, initié le 25 mars 2008, date du premier courrier adressé à l'AFSSAPS, est constitutif d'une manœuvre abusive contraire aux articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital.

c) Sur le dénigrement

Principes applicables

529. Dans son arrêt du 18 décembre 2014, la cour d'appel de Paris a considéré " que les dispositions de droit interne et communautaire prohibant la mise en œuvre de pratiques d'abus de position dominante sont rédigées en termes généraux et que toute pratique, y compris le dénigrement des concurrents actuels ou potentiels, est susceptible de constituer un abus prévu par ces textes dès lors qu'elle a pour objet ou peut avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence (article L. 420-2 du code de commerce) ou qu'elle est susceptible d'affecter le commerce entre États membres de l'Union européenne (article 102 du TFUE) " (arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 décembre 2014, n° 2013/12370, confirmé par l'arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2016, n° 15-10384).

530. Selon une pratique décisionnelle constante de l'Autorité, un tel comportement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié. Il se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en pénalisant son compétiteur (décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 365 et n° 13-D-21, précitée, paragraphes 360).

531. Pour qu'un dénigrement puisse être qualifié d'abus de position dominante, il convient que soit établi un lien entre la domination de l'entreprise et la pratique de dénigrement (décision n° 09-D-14 du 25 mars 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de l'électricité, paragraphes 57 et 58, confirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 mars 2010, Gaz et électricité de Grenoble, n° 2009/09599 ; voir également la décision n° 10-D-32, précitée, paragraphe 305 et les décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 366 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 361).

532. Pour apprécier l'existence d'une pratique de dénigrement, l'Autorité s'attache d'abord à vérifier si le discours commercial tenu par l'entreprise en position dominante relève de constatations objectives ou s'il procède d'assertions non vérifiées (décision n° 07-D-33 du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès à Internet à haut débit, paragraphe 305 ; voir également les décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 367 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 362). 533. Dans le secteur pharmaceutique, l'Autorité considère que, s'il est parfaitement loisible à un laboratoire pharmaceutique de mettre en exergue les qualités objectives d'un produit, le fait de mettre en évidence non pas seulement des qualités, mais des différences qui, dans le contexte du discours tenu et des conditions dans lesquelles il est entendu, ne peuvent se comprendre que comme des différences substantielles, de nature à soulever un doute objectif sur les qualités des spécialités génériques concurrentes ou sur les risques associés à la substitution, peut témoigner d'une volonté d'induire le praticien en erreur et être constitutif d'un abus de position dominante (décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 373 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 365).

534. Sur ce point, la cour d'appel de Paris a souligné que " la diffusion d'une information négative, voire l'instillation d'un doute sur les qualités intrinsèques d'un médicament, peut suffire à le discréditer immédiatement auprès des professionnels de santé ". En effet, " instiller un doute dans l'esprit de professionnels de la santé, ciblé sur la qualité ou les propriétés du médicament générique, en délivrant des informations incomplètes, ambigües ou présentées de telle manière qu'elles suggèrent l'existence d'un risque à le substituer ou entretiennent, pour des motifs injustifiés, une crainte ou une prévention à cet égard, constitue bien une pratique déloyale et abusive, qui, si elle a pour objet et peut avoir pour effet de restreindre la diffusion sur le marché de ce médicament générique, contrevient aux dispositions (...) du droit de la concurrence " (arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 décembre 2014, précité, page 14, confirmé par un arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2016, précité).

535. Dans l'affaire Hoffmann-La Roche, l'avocat général M. Henrik Saugmandsgaard a affirmé que " la communication concertée d'allégations trompeuses relatives à la moindre sécurité d'un médicament par rapport à un autre est, par sa nature même, nuisible au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (...) ". Plus spécifiquement, il considère que " la communication d'allégations trompeuses inclut la diffusion de données en elles- mêmes exactes mais présentées de façon sélective ou incomplète lorsque, au vu de ces modalités de présentation, cette diffusion est susceptible d'induire en erreur ses destinataires (...). À mon avis, le fait d'omettre de préciser le caractère incertain des risques soulevés quant à l'utilisation de ce médicament, ou d'exagérer ceux-ci en manquant d'objectivité au regard des preuves disponibles, peut rendre trompeuse une communication concertée relative à ces risques " (conclusions de l'avocat général M. Henrik Saugmandsgaard présentées le 21 septembre 2017, F. Hoffmann-La Roche Ltd e.a., C179/16, paragraphes 156 et s.).

536. Dans ce sens, la cour d'appel a souligné " d'une part, que la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu'elle soit exacte, d'autre part, que ce n'est pas en l'espèce l'objectivité ou l'exactitude des informations contenues dans le discours de la société requérante qui est en cause, mais le lien établi entre deux informations exactes mais indépendantes et présentées de façon incomplète permettant de susciter un doute, voire une crainte sur l'efficacité ou la sécurité des médicaments génériques " (arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 décembre 2014, précité, page 15, confirmé par un arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2016, précité). 537. Puis, afin de déterminer si le discours commercial de l'entreprise est de nature à influencer la structure de marché, l'Autorité examine les effets attendus ou réels de ces discours auprès des partenaires commerciaux ou de la clientèle potentielle de ses concurrents (décision n° 10-D-32, précitée, paragraphe 307 ; voir également les décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 368 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 363). Il n'est en effet pas nécessaire de démontrer que le comportement de l'entreprise en position dominante a eu un effet anticoncurrentiel concret sur le marché concerné pour pouvoir le qualifier d'abusif. Il suffit de démontrer qu'il tend à restreindre la concurrence ou, en d'autres termes, qu'il est de nature à avoir un tel effet (arrêt de la Cour de justice du 17 février 2011, Telia Sonera, aff. C-52/09, point 64 ; voir également l'arrêt de la Cour, Astra Zeneca c/ Commission, précité, point 112 et la décision n° 13-D-21, précitée, paragraphe 363).

538. Enfin, au nombre des éléments que l'Autorité retient pour établir l'existence d'un lien entre la domination de l'entreprise en cause et la pratique de dénigrement figurent la notoriété de cette entreprise et la confiance que lui accordent les acteurs du marché qui sont de nature à renforcer significativement l'impact du discours développé par celle-ci. L'Autorité a ainsi pris en considération le fait que l'entreprise mise en cause bénéficiait aux yeux du grand public de la réputation et de la notoriété d'un ancien monopole gérant un service public (décision n° 07-D-33, précitée, paragraphe 79 ; voir également les décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 369 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 364).

Application à l'espèce

Sur le standard de preuve

539. Les mises en cause soutiennent que le standard de preuve en matière de dénigrement n'est pas rempli. Elles affirment que les services d'instruction se sont fondés sur " quelques documents pris hors de leur contexte " qui n'établissent pas, individuellement ou pris dans leur ensemble, une pratique de dénigrement (cotes 44253 et 44254). Les mises en cause remettent aussi en question la fiabilité des témoignages des professionnels de la santé recueillis dans le cadre de l'instruction, en ce qu'ils seraient trop anciens et ne permettraient pas d'établir l'existence ni les effets de la pratique qui est reprochée à Janssen-Cilag (cotes 44209 et 44210 ; cotes 44294 et 44295).

540. Tout d'abord, il convient de rappeler que, si la preuve de l'existence d'une pratique de dénigrement peut résulter de l'existence formelle de pièces se suffisant à elles-mêmes, elle peut aussi résulter d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants, apprécié globalement et constitué par diverses pièces recueillies au cours de l'instruction, et ce alors même que chacune des pièces prises isolément n'aurait pas un caractère suffisamment probant, ainsi le cas échéant que par le rapprochement de ces pièces avec d'autres éléments de preuve tels que les témoignages de personnes auxquelles est destiné le discours en cause (décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphes 375 et suivants et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 366).

541. Par ailleurs, l'Autorité considère que les témoignages recueillis auprès de professionnels de la santé peuvent être valablement utilisés pour démontrer l'existence d'une pratique anticoncurrentielle dès lors qu'ils ont été obtenus de façon loyale, qu'ils permettent d'identifier les personnes les ayant déposés, qu'ils sont crédibles et, enfin, qu'ils ont été soumis au débat contradictoire afin que les mises en cause soient en mesure de faire valoir leurs observations (voir la décision n° 13-D-11, précitée, point 385).

542. En l'espèce, il ressort des éléments du dossier que l'instruction s'est appuyée sur plusieurs dizaines de déclarations de professionnels de la santé dont les premières datent de 2009, c'est-à-dire de l'année même de la diffusion du discours dénigrant, complétées par des auditions en 2012 et 2013.

543. Or, la cohérence de l'ensemble de ces témoignages et leur nombre important permettent d'écarter tout doute quant à la fiabilité des souvenirs évoqués par les professionnels de la santé qui ont été interrogés. En effet, plusieurs professionnels de la santé ont confirmé avoir reçu la " lettre d'information médicale ", avoir rencontré les visiteurs médicaux du laboratoire princeps et avoir été destinataires d'un discours portant sur les qualités des génériques de Durogesic et visant à les convaincre de ne pas substituer le princeps par les génériques.

544. Ces déclarations constituent donc des éléments de preuve crédibles qui, associés aux autres pièces recueillies au cours de l'instruction, peuvent constituer un faisceau d'indices graves, précis et concordants susceptible de caractériser l'existence d'une pratique de dénigrement.

545. Dans ce contexte, les arguments des mises en cause seront écartés. Sur la transmission d'éléments manifestement inexacts et incomplets visant à jeter le discrédit sur les génériques concurrents et à limiter la substitution 546. L'Autorité relève que Janssen-Cilag a mis en œuvre une campagne de communication globale et structurée tendant à jeter le discrédit sur les génériques concurrents de Durogesic et à limiter la substitution.

547. Comme cela a été exposé ci-dessus, cette campagne a été mise en œuvre auprès des médecins et pharmaciens exerçant en ville et à l'hôpital par l'intermédiaire des visiteurs médicaux du laboratoire, relayant des informations diffusées lors de la formation du 28 novembre 2008, par la diffusion de la " lettre d'information médicale " (par fax, cartons de livraison, courrier ordinaire, publications dans des revues spécialisées), par des installations logicielles et par des actions spécifiques en officine, prenant la forme d' " entretiens confraternels " ou de formation à distance (" edetailing ").

Une communication globale et structurée

548. Il ressort des éléments du dossier que, dans le contexte du lancement des génériques concurrents de Durogesic, Janssen-Cilag a entrepris la transmission auprès des professionnels de la santé, exerçant en ville et à l'hôpital, d'un ensemble de prises de position cohérentes entre elles, élaborées en amont de leur diffusion, au travers de canaux variés.

- Une campagne de communication élaborée en amont de sa diffusion

549. Avant même l'octroi de l'AMM aux spécialités génériques concurrentes de Durogesic, Janssen-Cilag a mené des réflexions sur les axes de communication à adopter pour limiter l'entrée des génériques sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital.

550. En effet, les premières orientations de la stratégie de Janssen-Cilag sont évoquées lors de la réunion " Team ANTI-générique Durogesic " du 29 mars 2005 (cotes 2106 à 2108). Sous le titre " Actions officines ", les membres de ce groupe dessinent les prémisses de la stratégie de communication qui s'insèrera dans la stratégie globale visant à empêcher, ou du moins retarder, l'entrée des génériques sur le marché.

551. La stratégie de communication sera ensuite discutée en interne lors d'une présentation " Plan produit pour 2007 " du 12 juin 2006 (cotes 30192 à 3213) et lors du " Point sur la situation des génériques " du 11 janvier 2007 (cotes 4716 et 4717), réunions à l'occasion desquelles Janssen-Cilag a mené des réflexions sur les messages à diffuser auprès des professionnels de la santé pour limiter la pénétration des génériques sur les marchés concernés.

552. Dans ce sens, le courrier interne du 17 octobre 2007, qui revient sur le contenu de la communication à mettre en place auprès des pharmaciens hospitaliers, montre la volonté du laboratoire princeps de mettre en place une communication efficiente axée sur les différences entre le médicament princeps et les génériques, qualifiés de " Non-substituables " (cote 4566).

553. Après la délivrance par les autorités européennes de santé de l'AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique, Janssen-Cilag affine davantage sa stratégie de communication auprès des professionnels de la santé en ce qui concerne les concurrents futurs, qu'il continue de qualifier de " non-substituables " malgré la reconnaissance par les autorités de santé de leur statut de générique (cotes 9934 à 9969).

554. Sur ce point, les mises en cause soutiennent que la qualification des génériques de " non- substituables " proviendrait de l'incertitude qui aurait entouré le dossier réglementaire des génériques devant l'AFSSAPS. Elles affirment en outre que ces éléments auraient été retirés de toute communication dès que la position de l'AFSSAPS a été rendue. Mais s'il est vrai qu'avant la décision de la Commission européenne du 23 octobre 2007, l'attribution du statut de générique aux autres spécialités de fentanyl transdermique n'était pas certaine, tout doute a été levé postérieurement à cette date (cf. paragraphe 78 ci-dessus).

555. Ainsi, plusieurs documents - en particulier la présentation en support de la réunion " Anémie-douleur " du 18 mars 2008 (cotes 9949 à 9963), le document intitulé " Pain Franchise Product plan " de juin 2008 (cotes 7321 à 7351) et les différentes versions du " plan d'action Durogesic ", à savoir celles d'octobre 2008 (cotes 3405 à 3413 et cotes 15735 à 15740) et du 24 novembre 2008 (cotes 8697 à 8711) - reviennent, sur les informations qui seront transmises aux visiteurs médicaux (comme l'absence de bioéquivalence ou encore les risques pour les patients en termes de surdosage ou sous- dosage), sur les différentes " cibles " à approcher, ainsi que les canaux de transmission à utiliser. Ces documents précisent également les objectifs à atteindre, à savoir préserver l'initiation de traitement et la délivrance de Durogesic en ville et à l'hôpital, en axant la communication " sur la sécurité patient et la responsabilité médecin/pharmacien ", en s'appuyant sur " les mises en garde des génériques du répertoire " et en insistant sur la " sécurité " et la " confiance " pouvant être attribuées à Durogesic, qui est présenté comme un produit " original et unique ".

556. Ainsi, très en amont de la mise en œuvre de sa campagne de communication, Janssen-Cilag a envisagé de comparer princeps et générique, en présentant un double argumentaire favorable à son produit et orienté sur les risques concernant ses concurrents.

- Une diffusion massive à l'hôpital et en ville

557. Les mises en cause soutiennent que l'analyse des documents préparatoires ne démontrerait pas l'organisation par le laboratoire d'une campagne de dénigrement (cotes 44255 à44256).

558. Toutefois, l'Autorité relève que cette stratégie a effectivement été mise en œuvre avec une diffusion massive des éléments de communication élaborés en amont à l'hôpital et en ville. Ces éléments démontrent qu'il ne s'agit pas d'actions ponctuelles de communication, mais véritablement de la mise en œuvre d'une campagne de communication globale et structurée.

559. En effet, environ 300 visiteurs médicaux ont été formés à l'arrivée des génériques de Durogesic, afin qu'ils véhiculent ce discours auprès des professionnels de la santé exerçant en ville et à l'hôpital. Le laboratoire a centré ses efforts sur un " cœur r de cible " de 6 700 pharmacies (cote 14058). En parallèle, la " lettre d'information médicale " a été largement diffusée auprès de l'ensemble des professionnels de la santé exerçant en ville et à l'hôpital par courrier, courriel, fax, presse spécialisée, par les visiteurs médicaux, par les grossistes-répartiteurs et par le dépositaire.

560. Au surplus, l'Autorité constate que Janssen-Cilag a adapté sa stratégie et son discours aux différentes catégories de professionnels de la santé visées.

561. D'une part, le laboratoire princeps a mis en œuvre un plan d'action spécifique aux officines (" plan d'action officines ", cote 15467). Ces dernières ont en effet été la cible, outre des visites médicales et de l'envoi de la " lettre d'information médicale ", de l'installation de fenêtres " pop-up " dans certains logiciels de dispensation de médicaments utilisés par les pharmaciens, des entretiens téléphoniques " confraternels ", de l'offre de formation et de conditions commerciales attractives. Ainsi, 12800 officines ont été contactées dans le cadre de l' " entretien confraternel " et 5400 d'entre elles ont reçu la formation à distance " edetailing " (cote 4997).

562. D'autre part, Janssen-Cilag a mis en œuvre un plan d'action spécifique aux médecins et pharmaciens d'hôpitaux (" plan d'action réseaux ", cotes 15468 et 15469). Le laboratoire a ainsi adapté les messages adressés aux médecins en tenant compte des profils des patients principalement traités (" anémie-douleur ", " neuro-gériatrie ", etc.).

563. La mise en œuvre de ces actions a également été confirmée par de nombreux témoignages de professionnels de la santé ayant indiqué avoir reçu la visite de visiteurs médicaux de Janssen-Cilag, véhiculant le contenu du message de la formation de novembre 2008 (voir paragraphes 326 et suivants ci-dessus). À titre d'illustration, la pharmacie X..., située à Paris, a indiqué : " quand le générique est sorti, le laboratoire nous a appelés pour nous conseiller de continuer sous Durogesic des traitements déjà initiés sous ce produit (et de ne pas passer au générique) (...) Le laboratoire fabricant de Durogesic nous a également proposé des formations à l'époque de la sortie des génériques de Durogesic. Ces formations rappellent le produit, sa délivrance, etc. " (cotes 17718 et 17719). De même, la pharmacie D..., à Lyon, se rappelle : " Nous avons reçu la visite de Janssen-Cilag au moment de la sortie du générique. La personne qui est venue (...) nous a conseillé de ne pas délivrer le générique " (cotes 30737 à 30740). Dans le même sens, le pharmacien responsable du centre hospitalier de Roanne a précisé que les visiteurs médicaux de Janssen-Cilag l'ont informé au cours d'une visite de " l'arrivée de produits concurrentiels ''non génériques'' (Nycomed, Ratiopharm), donc ''non substituables'' " (cote 29329). Le pharmacien responsable du centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze a également indiqué avoir reçu la visite médicale de Janssen-Cilag qui signalait les différences de biodisponibilité entre les patchs et les génériques en stipulant qu'il convenait d'utiliser toujours une même marque de patch chez un même patient (cote 31116).

564. En conséquence, contrairement à ce qu'avancent les mises en cause, il est établi que le laboratoire princeps a diffusé, de manière globale et structurée, via les différents canaux de distribution envisagés dans les documents internes de stratégie, les éléments d'une communication portant sur les génériques de Durogesic et les conditions de substitution.

Le contenu du discours délivré par Janssen-Cilag

565. Les mises en causes considèrent que leur communication ne comporte aucun élément dénigrant. En effet, selon elles, Janssen-Cilag se serait borné, à l'occasion de la formation du 28 novembre 2008, à informer ses visiteurs médicaux sur Durogesic et ses génériques. Elles affirment notamment que tant les comparaisons entre princeps et génériques que les affirmations relatives à la bioéquivalence n'auraient été accompagnées d'aucun message remettant en cause l'efficacité ou l'innocuité des génériques. Elles allèguent également que le discours de Janssen-Cilag n'a fait que reproduire de manière exacte et objective le contenu de la mise en garde adoptée par l'AFSSAPS, sans pour autant dénigrer les génériques de Durogesic (cotes 44253 à 44254 ; cotes 44264 et 44265 ; cotes 44274 à 44278).

566. Néanmoins, il ressort des nombreuses pièces du dossier, et notamment du support de présentation de la formation des visiteurs médicaux du 28 novembre 2008 ainsi que des documents complémentaires transmis aux visiteurs médicaux et aux professionnels de la santé, que le laboratoire princeps a communiqué un certain nombre d'éléments concernant les caractéristiques des génériques, d'une part, et la mise en garde de l'AFSSAPS, d'autre part, de nature à soulever un doute injustifié, voire une crainte, sur les qualités des génériques concurrents de Durogesic.

- S'agissant des caractéristiques des génériques de Durogesic

567. L'Autorité relève que Janssen-Cilag est revenu sur les conditions de fond d'octroi d'une AMM à une spécialité générique (identité de composition qualitative et quantitative en principe actif, identité de forme pharmaceutique et bioéquivalence), alors que ces questions ont été tranchées par la Commission européenne à l'issue de la procédure de reconnaissance mutuelle.

568. En effet, le laboratoire princeps a axé sa communication sur les conditions relatives à l'octroi du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, en vue d'établir qu'il s'agirait de " génériques pas comme les autres " (cote 15464) et qu'ils ne seraient pas exactement équivalents au princeps, ce qui pourrait présenter un risque pour les patients.

569. Tout d'abord, le laboratoire princeps a remis en cause l'identité de forme et de composition des génériques. En particulier, dans sa présentation aux visiteurs médicaux du 28 novembre 2008, Janssen-Cilag a souligné les différences de quantités de principe actif contenues dans les différents patchs et leurs tailles respectives. Or, en soulignant de telles disparités entre patchs génériques, le laboratoire princeps a véhiculé des informations de nature à laisser croire que ceux-ci ne répondraient pas aux conditions d'identité de composition qualitative et quantitative en principe actif et de forme pharmaceutique (cote 15462).

570. De la même manière, dans le document " réponses à objections " remis aux visiteurs médicaux lors de la formation du 28 novembre 2008, le laboratoire princeps a préconisé à ses visiteurs médicaux d'insister sur le fait que les patchs génériques " n'ont pas la même composition, ni la même quantité de fentanyl et taille que le patch de Durogesic ".

571. Par ailleurs, le laboratoire princeps a questionné la bioéquivalence des spécialités transdermiques de fentanyl. En effet, d'une part, il a insinué, dans cette même présentation, que l'intervalle de bioéquivalence retenu par les autorités de santé pour l'évaluation des génériques (à savoir l'intervalle standard de [80 % - 125 %]) serait trop large pour permettre de conclure à la bioéquivalence des patchs de fentanyl (cote 15463).D'autre part, il a insisté sur le fait que les études de bioéquivalence ont été établies en référence à l'ancienne forme à réservoir de Durogesic (et non par rapport à l'actuel patch matriciel) et n'ont pas été réalisées entre spécialités génériques.

572. Enfin, Janssen-Cilag a laissé entendre que la procédure d'octroi d'AMM des médicaments génériques ne serait pas suffisamment protectrice de la sécurité et de la santé des patients, en soulignant que les génériques ont été enregistrés sur la base d'un " dossier allégé contenant seulement des études de bioéquivalence " (cotes 15114 et 15115).

573. Il ressort de ce qui précède que Janssen-Cilag a conduit ses visiteurs médicaux à transmettre aux professionnels de la santé des informations qu'il savait dénuées de pertinence - dans la mesure où ces questions ont été tranchées par les autorités de santé -sur les différences entre les dispositifs de fentanyl transdermiques et discréditant les études de bioéquivalence, qui étaient de nature à remettre en cause l'efficacité et l'innocuité des génériques concurrents de Durogesic.

- S'agissant des risques associés à la substitution des génériques de patchs de fentanyl

574. Contrairement à ce que soutiennent les mises en cause, la communication de Janssen-Cilag sur la mise en garde adoptée par l'AFSSAPS ne s'est pas limitée à la reprise du texte adopté par l'agence française de santé. Au contraire, l'Autorité relève que le laboratoire princeps a déformé son contenu, véhiculant auprès des professionnels de la santé un discours anxiogène quant aux risques liés à la substitution.

575. En premier lieu, le laboratoire princeps a insisté, dans la " lettre d'information médicale ", sur le risque lié à la substitution du princeps par le générique (" et notamment en cas de substitution du princeps par le générique "), alors que la mise en garde visait indifféremment tous les cas de substitution (" spécialité de référence par spécialité générique, spécialité générique par spécialité de référence ou spécialité générique par spécialité générique ").

576. Sur ce point, le directeur général de l'AFSSAPS a souligné, dans son courrier du 12 février 2009, que l'agence française de santé n'avait fait " aucune distinction, ni aucune hiérarchie " des cas de substitution.

577. En deuxième lieu, le laboratoire princeps a laissé entendre, dans la " lettre d'information médicale ", le document " communication réseaux Durogesic ", le document " réponses à objections " et la présentation du 28 novembre 2008, que " tout changement " de patch de fentanyl en cours de traitement pouvait entraîner un risque particulier, et de facto, était à éviter. Or, s'il est vrai que la mise en garde fait état de risques particuliers en cas de changement pour certaines catégories de personnes, elle précise que ces risques peuvent être écartés par une surveillance médicale, ce que le laboratoire princeps omet de préciser. C'est d'ailleurs l'objet même de cette mise en garde. Sur ce point, le directeur général de l'AFSSAPS a indiqué, dans son courrier du 12 février 2009 que la mise en garde " visait non pas à faire obstacle à toute substitution (...) mais à appeler l'attention des professionnels de santé concernés sur les précautions nécessaires en cas de changement de spécialité ". 578. Ainsi, en affirmant qu' " il convient de ne pas passer d'un patch à l'autre en cours de traitement ", qu' " un patient initié sous Durogesic doit rester préférentiellement sous Durogesic " ou encore qu'il convient de " veill[er] à l'absence de changement de marque de patch de fentanyl en cours de traitement ", le laboratoire a dépassé le contenu exact de la mise en garde.

579. En troisième lieu, Janssen-Cilag a excédé les préconisations de l'AFSSAPS concernant la surveillance médicale à apporter aux populations concernées.

580. En effet, dans le document " réponses à objections ", le laboratoire princeps affirme que " tout " patient est susceptible de rentrer dans le cadre des populations concernées par la mise en garde et qu'une surveillance attentive ne peut être garantie pour les patients traités en ambulatoire (cotes 15114 et 15115). Or, la mise en garde vise seulement trois catégories de patients (patients fébriles, âgés et enfants) et ne limite pas les cas de changement de patch en cours de traitement aux patients hospitalisés.

581. En quatrième lieu, Janssen-Cilag a procédé à des mises en avant alarmistes des conséquences en cas de surdosage ou de sous-dosage, dépassant les affirmations de l'AFSSAPS dans sa mise en garde.

582. En effet, dans la " lettre d'information médicale ", le laboratoire princeps a détaillé les conséquences du surdosage, notamment son caractère potentiellement fatal dans une note de bas de page ne figurant pas dans le texte de la mise en garde de l'AFSSAPS (" Le risque de surdosage expose à la dépression respiratoire potentiellement fatale en l'absence de mesure d'assistance respiratoire chez les patients traités en ambulatoire et donc en dehors de structure de soin disposant de moyens de réanimation "). De même, le laboratoire insiste, dans sa présentation de formation du 28 novembre 2008, sur les " conséquences cliniques " de la substitution, qui ne sont pas évoquées spécifiquement dans la mise en garde (cote 15463). En outre, le document " réponses à objections " liste un ensemble de risques liés au surdosage ou au sous-dosage, soulignant en particulier un risque de décès du patient (" son pronostic vital peut en être mis en jeu ").

583. En cinquième lieu, Janssen-Cilag a insisté sur le caractère prétendument inédit de la mise en garde adoptée par l'AFSSAPS, en le liant indûment aux spécificités des spécialités en cause.

584. En effet, dans sa présentation du 28 novembre 2008, le document " communication réseaux Durogesic " et la " lettre d'information médicale ", le laboratoire a souligné que ce serait " la première fois " que l'AFSSAPS ferait figurer une mise en garde au répertoire des génériques. Or, cette allégation est incomplète puisque la raison en est réglementaire : l'agence ne disposait pas de la faculté d'inscrire des mises en garde au répertoire des génériques avant l'adoption du décret du 6 mai 2008. Elle avait en revanche déjà attiré l'attention des professionnels de la santé par d'autres moyens sur la substitution d'autres produits inscrits dans un même groupe au sein du répertoire des génériques (voir paragraphes 40 et suivants ci-dessus). Ce point a d'ailleurs été repris par le directeur général de l'AFSSAPS qui a rappelé, dans son courrier du 12 février 2009, que l'AFSSAPS ne disposait pas de la possibilité d'adopter des mises en garde auparavant.

585. Ces nuances apportées par le directeur général de l'AFSSAPS, qui a réagi à la " lettre d'informationmédicale ", en indiquant au laboratoire que certaines formules de la lettre " ne reflètent pas exactement la teneur de la position de l'AFSSAPS ", afin de " dissiper toute ambiguïté " sur cette publication, confirment le caractère inexact, incomplet et ambigu des informations communiquées par Janssen-Cilag aux professionnels de la santé.

586. Concernant plus spécifiquement la " lettre d'information médicale ", les mises en cause soutiennent avoir, avant même la réaction du directeur général de l'AFSSAPS, rapidement supprimé les mentions litigieuses du courrier. À cet effet, elles appuient leur argument sur un courrier, plus épuré, qui aurait été envoyé dès le 23 décembre 2008(cotes 44271 à 44274).

587. Toutefois, les mises en cause n'apportent pas la preuve de la diffusion de cette nouvelle version de la lettre. Au contraire, les pièces du dossier témoignent du fait que la première version de la lettre a largement été diffusée. En effet, au 9 décembre 2008, cette version de la lettre avait déjà été adressée aux pharmaciens ainsi qu'aux médecins généralistes, neurologues, gériatres, spécialistes hospitaliers et pharmaciens hospitaliers (cote 14462). Au total, ce sont 9 419 professionnels de la santé, exerçant en ville et à l'hôpital qui avaient reçu la lettre au 15 décembre 2008 (cotes 16008 et suivantes). Cette version de la lettre a été publiée dans plusieurs journaux et revues spécialisés (cotes 560 et 33271). Enfin, des professionnels de la santé interrogés ont transmis, au cours de l'instruction, cette première version de la lettre qui leur avait été communiquée (cotes 29454 et 29276).

588. Ainsi, la communication de Janssen-Cilag ne s'est pas limitée à la retranscription exacte et objective de la mise en garde adoptée par l'AFSSAPS. Le laboratoire princeps a, au contraire, procédé à une présentation inexacte, incomplète ou ambigüe des risques liés à la substitution, sans expliquer les moyens de les limiter, ce qui est pourtant l'objet même de la mise en garde.

589. L'interprétation de la mise en garde véhiculée par Janssen-Cilag est donc défavorable aux génériques de Durogesic, en ce qu'elle est de nature à faire croire que les patchs de fentanyl génériques seraient de qualité moindre que Durogesic, voire potentiellement dangereux pour la santé des patients.

- S'agissant des éléments supplémentaires de communication

590. Janssen-Cilag a veillé à ce que les éléments de son discours soient rappelés un certain nombre de fois aux professionnels de la santé, notamment dans le cadre d'une communication dite " confraternelle ". Cette communication s'appuie sur la notoriété du laboratoire princeps dans le domaine du traitement de la douleur, pour chercher à gagner la confiance du destinataire, médecin ou pharmacien en ville ou à l'hôpital, afin d'obtenir son adhésion au contenu du discours. Elle est de nature à renforcer la crainte des professionnels face aux génériques et à la substitution.

591. En effet, d'abord, le laboratoire pharmaceutique s'est assuré, par le biais d'appels téléphoniques, appelés " entretiens confraternels ", que les pharmaciens avaient bien pris connaissance du contenu de la " lettre d'information médicale ", dont il a été démontré plus haut le caractère inexact, incomplet ou ambigüe (cotes 8782 et 8783).

592. Par ailleurs, le laboratoire a proposé des formations à distance (" edetailing ") dispensées par des prestataires formés par les équipes de Janssen-Cilag. Il est revenu en particulier sur les conséquences en cas de surdosage ou de sous-dosage, dont la présentation revêt un caractère alarmiste dépassant les affirmations de l'AFSSAPS dans sa mise en garde (cotes 14468 à 14473).

593. Les mises en causes soutiennent néanmoins que Janssen-Cilag aurait pris toutes les mesures nécessaires ex post pour faire immédiatement cesser les dérives de ses prestataires et veiller à ce qu'aucun discours potentiellement dénigrant à l'encontre des génériques ne puisse être diffusé auprès des professionnels de la santé. Elles s'appuient sur l'incident survenu au cours d'un " entretien confraternel " ayant causé le mécontentement d'un pharmacien d'officine (cotes 44259 à 44261).

594. Toutefois, il ressort seulement des extraits produits par les mises en cause que Janssen-Cilag a souhaité s'assurer que le comportement agressif du médecin ayant procédé à l'appel ne se reproduise pas, sans pour autant demander la modification du discours relatif aux génériques.

Les mises en cause ne démontrent donc pas que le laboratoire princeps a tenté d'empêcher la propagation du discours dénigrant.

595. En outre, les conditions de présentation de la mise en garde sur les économiseurs d'écran installés sur les ordinateurs de plus de 12000 médecins généralistes - qui reprend le texte de la mise en garde, après un rappel de la réputation et de l'expérience de Janssen-Cilag s'agissant de Durogesic, en la qualifiant de " spéciale " et l'entourant de panneaux de signalisation triangulaires évoquant l'existence d'un danger (cotes 37565 à 37595) - sont de nature à conférer un caractère alarmiste au message reproduit. Dans le contexte du discours véhiculé par le laboratoire princeps, ces éléments sont de nature à renforcer la crainte des professionnels de la santé à substituer.

596. En revanche, comme le soutiennent à juste titre les mises en cause, il n'est pas établi que les " pop-up " installées par Janssen-Cilag dans les logiciels de dispensation des pharmaciens comportaient un message dénigrant, de nature à renforcer la crainte des professionnels face aux génériques et à la substitution. En effet, même dans le contexte dans lequel elles s'inscrivent, les fenêtres automatiques ne dépassent pas le libellé de la mise en garde adoptée par l'AFSSAPS et ne sont associées à aucun élément de nature alarmiste.

597. De même, il n'est pas non plus établi que le message véhiculé lors des formations en " Masterclass " dispensées par les grossistes-répartiteurs était de nature à renforcer la crainte des professionnels de la santé à substituer.

Un discours qui ne s'inscrit pas dans le cadre du respect des obligations de pharmacovigilance

598. Les mises en cause affirment que la communication du laboratoire est justifiée par le principe de précaution. Elles considèrent plus précisément que la campagne d'information menée par Janssen-Cilag auprès de médecins spécialisés et de pharmaciens se justifiait - de la même façon que son intervention devant l'AFSSAPS - du fait de son rôle dans le cadre des procédures de pharmacovigilance, c'est-à-dire " la surveillance des médicaments et la prévention du risque d'effet indésirable résultant de leur utilisation, que ce risque soit potentiel ou avéré ".

599. S'agissant en particulier des pharmaciens, les mises en cause considèrent qu'elles avaient, selon l'article R. 4235-48 du code de la santé publique, alors en vigueur, l'obligation professionnelle d'associer à chaque délivrance de médicament " la mise à disposition des informations et les conseils nécessaires au bon usage du médicament ". De même, elles invoquent l'article L. 5122-2 du code de la santé publique, alors applicable, qui imposait aux laboratoires de présenter, dans leur communication externe, les médicaments de façon objective et dans un sens favorisant le bon usage ainsi que l'article R. 5122-9 du même code qui précisait que les informations contenues dans les publicités doivent être exactes, à jour, vérifiables et suffisamment complètes pour permettre au destinataire de se faire une idée personnelle de la valeur thérapeutique du médicament.

600. En outre, selon les mises en cause, l'existence de la mise en garde justifiait pleinement cette communication visant à permettre le bon usage du médicament, compte tenu des risques pour certains patients en cas de substitution en cours de traitement. Elles considèrent ainsi que Janssen-Cilag " pouvait légitimement développer un axe de communication s'inscrivant dans le cadre de la mise en garde -d'autant plus qu'il s'agissait de la première mise en garde jamais prononcée par l'AFSSAPS - sachant qu'il n'a jamais omis de préciser que toutes les formes de substitution étaient concernées, et non seulement celle du princeps vers le générique ". Les mises en cause ajoutent que ces informations auraient été fournies à la demande des professionnels de la santé (cotes 44261 à 44265).

601. Toutefois, en l'espèce, il n'est pas reproché à Janssen-Cilag d'avoir mis en place une campagne de communication autour de la mise en garde adoptée par l'AFSSAPS. En effet, un laboratoire en position dominante reste parfaitement libre d'informer les professionnels de la santé des règles de bon usage de son médicament. En revanche, un laboratoire en position dominante ne peut communiquer de manière à renforcer ou créer un doute, voire une crainte non justifiée quant à l'efficacité et l'innocuité des génériques afin de les discréditer aux yeux des professionnels de la santé.

602. Ainsi, il appartenait à Janssen-Cilag, compte tenu de la responsabilité particulière qui lui incombe en tant qu'entreprise en position dominante, de se conformer strictement au contenu de la mise en garde dans sa communication.

603. Or, en l'espèce, comme développé ci-dessus, Janssen-Cilag n'a pas fait que reprendre la mise en garde pour en informer les professionnels, mais a, au contraire, dépassé et déformé son contenu de manière à créer une crainte infondée dans l'esprit des professionnels de la santé à l'égard des génériques et de la substitution.

604. Au surplus, l'Autorité relève que le RCP des produits de fentanyl transdermique précise l'existence de risques justifiant une surveillance particulière (voir le paragraphe 283 ci-dessus).

605. Les arguments des mises en cause seront donc écartés.

Conclusion

606. Il ressort de ce qui précède que Janssen-Cilag a communiqué aux professionnels de la santé exerçant en ville et à l'hôpital, directement ou par l'intermédiaire de ses visiteurs médicaux, des informations inexactes, incomplètes ou ambigües, qui revêtent un caractère trompeur, de nature à jeter le discrédit sur les génériques et à limiter la substitution avec le princeps.

607. En effet, ces informations, intégrées dans un discours global et délivrées dans un contexte marqué par un niveau d'information imparfait, une inertie relative des comportements de prescription ainsi qu'une très grande aversion au risque des professionnels de la santé, sont de nature à entretenir des doutes injustifiés sur la bioéquivalence des génériques de Durogesic et sur leur substituabilité.

608. Ces informations n'ont pas été délivrées dans les conditions d'exhaustivité et d'objectivité qui s'imposaient, compte tenu de la responsabilité particulière de Janssen-Cilag. Sur les effets de la pratique mise en œuvre par Janssen-Cilag

609. Il convient à ce stade d'examiner les effets, potentiels ou avérés, attachés au discours véhiculé par Janssen-Cilag auprès des professionnels de la santé exerçant en ville et à l'hôpital.

610. L'Autorité relève que les actions de dénigrement de Janssen-Cilag ont bénéficié d'une couverture très importante et ont pu toucher la très large majorité des professionnels de la santé prescrivant ou délivrant des patchs de fentanyl en France, que ce soit en ville ou à l'hôpital. En effet, comme développé ci-dessus, le discours dénigrant du laboratoire princeps à l'encontre des génériques de Durogesic a été effectivement transmis par Janssen-Cilag dans le cadre d'une stratégie de communication de grande ampleur.

Les effets de la pratique mise en œuvre par Janssen-Cilag sur les professionnels de la santé

611. L'Autorité relève que, compte tenu du contexte dans lequel le discours de Janssen-Cilag a été diffusé, tel que décrit précédemment (paragraphes 414et suivants) et des caractéristiques des patchs de fentanyl ainsi que de l'existence de la mise en garde, de nature à renforcer la méfiance des professionnels vis-à-vis des génériques, la campagne de communication du laboratoire princeps a eu pour effet de provoquer l'inquiétude chez les professionnels de la santé.

612. Ainsi, toute appréciation négative à l'égard des génériques de Durogesic était inévitablement de nature à provoquer l'inquiétude chez les professionnels de la santé, attentifs à tout élément permettant d'assurer la sécurité de leurs patients. Un tel effet a en outre été renforcé par le fait, d'une part, que Janssen-Cilag jouit d'une réputation tout à fait particulière, en raison de son monopole de plusieurs années sur les patchs de fentanyl, celui-ci se présentant d'ailleurs comme le laboratoire de référence dans le traitement de la douleur et, d'autre part, que les laboratoires génériques ne disposent généralement pas de forces commerciales équivalentes à celles des laboratoires princeps et ne peuvent donc pas contrer de tels discours.

613. Partant, toute remise en cause, directe ou indirecte, de l'efficacité et de l'innocuité des génériques concurrents de Durogesic ne pouvait qu'avoir un effet sensible sur les professionnels de la santé soucieux de protéger les intérêts de leurs patients et les inciter à privilégier les spécialités de Janssen-Cilag au détriment des génériques concurrents.

614. Il ressort par ailleurs des témoignages directs de pharmaciens et de médecins et du suivi de la pénétration des génériques de Durogesic par le laboratoire que la pratique mise en œuvre par Janssen-Cilag consistant à remettre en cause la bioéquivalence et la substituabilité des génériques concurrents de Durogesic a eu un impact réel et significatif sur le comportement des professionnels de la santé.

615. En effet, de nombreux professionnels de la santé exerçant en ville et à l'hôpital ont indiqué avoir reçu le discours de Janssen-Cilag présenté plus haut. En particulier, un nombre significatif d'entre eux reconnait avoir été informé des " risques liés à la substitution " et avoir reçu un discours les incitant à ne pas substituer (notamment cotes 17675 à 17677, cotes 17714 et 17715, cotes 30737 à 30740). Certains ont par ailleurs indiqué avoir été troublés ou inquiétés par le discours transmis par le laboratoire princeps à travers ses visiteurs médicaux et représentants, les poussant à renoncer à substituer le princeps par un patch de fentanyl concurrent. Àtitre d'illustration, une cancérologue exerçant à Lille, a précisé : " La déléguée me mettait en garde du risque pour les patients (...) le discours des délégués était très insistant. Ils faisaient pression pour faire passer leur message. Ce message tendait à me culpabiliser, par exemple laissait entendre que les patients à qui j'aurais prescrit le générique seraient rattrapés par la douleur " (cotes 38720 et 38721). De même, la pharmacie Z..., située à Lyon, a indiqué : " Nous avions eu un message sur l'efficacité moindre du générique [de Durogesic ] et n'étions pas enclins à substituer. D'autant plus que les ordonnances comportaient la mention ''non substituable'' (...) " (cotes 30782 à 30784)

616. Les mises en causes considèrent cependant que la pratique de Janssen-Cilag n'aurait pas produit d'effets sur la prescription de fentanyl ou sur la substitution en pharmacie. Elles s'appuient notamment sur certains témoignages contraires et sur le faible nombre d'ordonnances de médecins faisant état de la mention " non-substituable " (cotes 44292 et 44293). Les mises en cause soutiennent par ailleurs que les professionnels de la santé auraient été influencés par la mise en garde et non par le discours de Janssen-Cilag, en s'appuyant sur une étude de 2011 (cote 44298).

617. Toutefois, comme exposé plus haut, de nombreux professionnels de la santé ont indiqué avoir reçu le discours de Janssen-Cilag, dépassant le libellé de la mise en garde. Par ailleurs, plusieurs pièces au dossier témoignent du fait que les médecins ont reçu, et retransmis aux pharmaciens, le discours de Janssen-Cilag relatif à la moindre efficacité ou aux risques associés à la substitution. À titre d'illustration, la pharmacie B..., située à Lyon, a indiqué que " (...) Le médecin a laissé entendre que le générique était moins efficace (...) " (cotes 30750 à 30752). De même, la pharmacie C..., située à Paris, a précisé " (...) J'avais pensé substituer avec le générique. J'en ai parlé au médecin qui m'a fait valoir le risque d'allergie avec le générique (...) " (cotes 17670 et 17671). En outre, la circonstance que certains professionnels aient déclaré n'avoir reçu aucune information sur la substitution de Durogesic ou aucun discours sur les génériques de Durogesic n'infirme pas le fait que d'autres professionnels de la santé aient été destinataires de la campagne de dénigrement de Janssen-Cilag à l'encontre des génériques concurrents. Partant, l'Autorité considère que les éléments soulevés par les mises en cause ne suffisent pas à remettre en cause les effets du dénigrement constatés dans les développements ci-dessus.

618. Par conséquent, les arguments des mises en cause seront donc écartés.

Les effets de la pratique mise en œuvre par Janssen-Cilag sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital

619. Ainsi que cela ressort des paragraphes 105 et 106 de la présente décision, les taux de pénétration des génériques de Durogesic ont été particulièrement bas sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital.

620. Or, comme le soulignent les requérantes (cotes 44297 à 44299), la faiblesse de ce taux ne saurait être imputée à la seule pratique de dénigrement mise en œuvre par Janssen-Cilag. En particulier, il ne saurait être exclu que l'existence de la mise en garde adoptée par l'AFSSAPS afin d'encadrer les conditions de substitution des dispositifs transdermiques de fentanyl ait eu un impact sur la décision des professionnels de la santé de procéder, ou non, au changement de patchs en cours de traitement, entrainant de facto un taux de pénétration des génériques de Durogesic plus faible.

621. Toutefois, comme développé ci-après (paragraphes 713 et suivants), les autres éléments invoqués par les mises en cause, notamment l'existence de la mise en garde, ne sont pas de nature à justifier, à eux-seuls, la faiblesse de ce taux.

Sur le lien entre le discours dénigrant et la position dominante de Janssen-Cilag

622. La pratique en cause a été mise en œuvre par Janssen-Cilag à l'issue de plusieurs années de monopole détenu par le laboratoire princeps sur les marchés français des dispositifs transdermiques de fentanyl commercialisés en ville et à l'hôpital. Le laboratoire Janssen- Cilag étant l'inventeur du fentanyl et le concepteur des patchs de fentanyl, il a pu, au cours de ces années, développer un niveau de crédibilité et de notoriété important auprès des professionnels de la santé.

623. Le laboratoire princeps disposait en outre, à l'époque des faits, de forces de vente importantes et a fait appel aux visiteurs médicaux issus de ses différents réseaux pour véhiculer son message dénigrant. Environ 300 visiteurs médicaux, exerçant en ville ou à l'hôpital, auprès des médecins ou pharmaciens, ont ainsi été sollicités par le laboratoire princeps.

624. Janssen-Cilag a par ailleurs renforcé ses forces de vente en faisant appel à des prestataires extérieurs pour diffuser son message. Ainsi, la " lettre d'information médicale " diffusée par courrier et par l'intermédiaire des visiteurs médicaux de Janssen-Cilag, a également été distribuée par deux grossistes-répartiteurs et un dépositaire. Le laboratoire a également fait procéder à la diffusion de cette lettre dans plusieurs revues spécialisées destinées aux pharmaciens et aux médecins.

625. Enfin, les actions complémentaires auprès des officines et les adaptations logicielles de professionnels de la santé sont venues renforcer le message du laboratoire.

626. Le laboratoire a ainsi utilisé sa puissance de marché pour véhiculer un discours dénigrant envers ses concurrents génériques.

627. Il existe donc un lien direct entre la position dominante de Janssen-Cilag et la pratique en cause : c'est cette position dominante, et notamment la notoriété et la confiance qui en découlent, que le laboratoire Janssen-Cilag était seul à détenir, qui a permis au laboratoire princeps de donner sa pleine efficacité à sa stratégie consistant à dénigrer les produits de ses concurrents, au bénéfice de son propre médicament. Conclusion sur la pratique de dénigrement

628. Janssen-Cilag a mis en place une pratique de dénigrement à l'encontre des génériques concurrents de Durogesic, du 28 novembre 2008, date de la formation des visiteurs médicaux, à mi-août 2009, avec la désactivation des économiseurs d'écran mis en place par le laboratoire princeps auprès des médecins et des pharmaciens.

629. Cette pratique a eu pour effet de limiter l'entrée de ces génériques sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital. Elle constitue un abus de position dominante prohibé par l'article L. 420-2 du code de commerce et l'article 102 du TFUE.

d) Sur l'infraction unique, complexe et continue

Les principes applicables

630. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de justice que la notion d' " exploitation abusive " est une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base de prestations des opérateurs économiques, au maintien d'une concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêts Hoffman-La Roche, précité, point 91, Akzo/Commission, précité, point 69, et du 17 février 2011, Telia Sonera Sverige, C-52/09, Rec. p. I-527, point 27).

631. Plus précisément et ainsi que l'a relevé la Cour de justice dans son arrêt Astra Zeneca e.a./Commission, précité, si " l'élaboration par une entreprise, même en position dominante, d'une stratégie ayant pour objet de minimiser l'érosion de ses ventes et d'être en mesure de faire face à la concurrence des produits génériques est légitime et relève du jeu normal de la concurrence ", il convient de veiller à ce que, pour autant, " le comportement envisagé ne s'écarte pas des pratiques relevant d'une concurrence par les mérites, de nature à profiter aux consommateurs " (point 129).

632. Il s'ensuit que l'article 102 TFUE interdit à une entreprise en position dominante de renforcer sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites et lui impose au contraire une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée sur le marché intérieur de l'Union (arrêts de la Cour de justice du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 57, et du 2 avril 2009, France Télécom/Commission, C-202/07 P, Rec. p. I-2369, point 105).

633. Lorsqu'une stratégie abusive globale est mise en œuvre par le biais de plusieurs comportements, ces derniers peuvent être appréhendés comme un tout, sans qu'il soit besoin de les scinder artificiellement en autant d'abus que de pratiques (décision n° 13-D-06 du 28 février 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le marché de la télétransmission de données fiscales et comptables sous format EDI à l'administration fiscale, paragraphe 187).

634. À cet égard, il résulte d'une jurisprudence constante des juridictions de l'Union que, lorsque les pratiques unilatérales d'une entreprise dominante relèvent d'un même plan d'ensemble et qu'elles sont complémentaires, celles-ci sont susceptibles de constituer une infraction unique et continue.

635. En effet, " la notion d'infraction unique et continue a trait à un ensemble d'actions qui s'inscrivent dans un plan d'ensemble, en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence. Aux fins de qualifier différents agissements d'infraction unique et continue, il y a lieu de vérifier s'ils présentent un lien de complémentarité, en ce sens que chacun d'entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et contribuent, par le biais d'une interaction, à la réalisation des objectifs visés dans le cadre de ce plan global. À cet égard il y a lieu de tenir compte de toute circonstance susceptible d'établir ou de remettre en cause ledit lien, telle que la période d'application, le contenu (y compris les méthodes employées) et corrélativement, l'objectif des divers agissements en question " (arrêt du Tribunal du 1er juillet 2010, AstraZeneca, T-321/05, point 892 ; confirmé par un arrêt de la Cour de justice du 6 décembre 2012, C-457/10P ; voir également arrêt du Tribunal du 12 juin 2014, Intel, T-286/09, point 1562).

636. Selon le Tribunal, " la preuve de l'existence d'une stratégie d'ensemble ne nécessite pas forcément un élément de preuve direct démontrant l'existence d'un plan cohérent anticoncurrentiel. La Commission peut démontrer l'existence d'un tel plan également par un faisceau d'indices " (arrêt Intel précité, point 1525).

637. Enfin, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, " pour établir une violation de l'article 102 TFUE, il n'est pas nécessaire de démontrer que le comportement abusif de l'entreprise en position dominante a eu un effet anticoncurrentiel concret sur les marchés concernés, mais seulement qu'il tend à restreindre la concurrence ou qu'il est de nature à ou susceptible d'avoir un tel effet " (arrêts de la Cour de justice du 17 février 2011, TeliaSonera, aff. C-52/09, point 61 ; du 3 juillet 1991, Michelin/Commission, aff. C-322/81, point 85 ; du 19 avril 2012, Tomra, aff. C-549/10 P, point 17).

Appréciation en l'espèce

638. Ainsi que cela ressort des développements ci-dessus, Janssen-Cilag a mis en œuvre des pratiques abusives - intervention juridiquement infondée auprès de l'AFSSAPS et dénigrement auprès des professionnels de la santé - sur le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé à l'hôpital.

639. Ces pratiques constituent, bien qu'elles revêtent des formes différentes, une infraction unique, dans la mesure où elles sont complémentaires et qu'elles relèvent d'un même plan d'ensemble établi par le laboratoire princeps, dont l'objectif commun est l'éviction des génériques concurrents de Durogesic, ou à tout le moins la préservation d'une position de marché prédominante pour Durogesic.

Sur le plan d'ensemble

640. Il ressort des paragraphes 427 et suivants de la présente décision que l'intervention juridiquement infondée de Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS visait à retarder, voire à empêcher, l'octroi d'AMM aux génériques de patchs fentanyl et donc l'entrée de ces derniers sur les marchés de la ville et de l'hôpital. De même, comme exposé aux paragraphes 539 et suivants ci-dessus, la campagne de dénigrement mise en œuvre par le laboratoire visait à empêcher ou au moins à limiter l'entrée et le développement des génériques sur les marchés de la ville et de l'hôpital.

641. Ainsi, l'ensemble des pratiques mises en œuvre par Janssen-Cilag participent d'un objectif unique du laboratoire princeps, visant à évincer les génériques de Durogesic ou, à tout le moins, à en limiter la pénétration sur le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé à l'hôpital.

642. En outre, le comportement de Janssen-Cilag procède d'une stratégie élaborée par les organes décisionnels du laboratoire princeps très en amont de l'entrée des génériques de Durogesic sur le marché (voir les paragraphes 115 et suivants de la présente décision).

643. En conséquence, les pratiques visées aux paragraphes 528 et 629 ont concouru à la réalisation d'un plan d'ensemble et visant un objectif unique, à savoir l'éviction des génériques de Durogesic ou, à tout le moins, la limitation de leur pénétration sur lesmarchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital.

Sur la complémentarité des pratiques

644. Les pratiques en cause présentent un fort degré de complémentarité à plusieurs égards.

645. En premier lieu, elles se sont inscrites dans une continuité temporelle, intervenant à deux stades distincts de l'entrée des génériques sur les marchés concernés. Elles constituent ainsi une réponse différente au même objectif d'éviction, selon le stade d'avancement de la pénétration des génériques. D'abord, Janssen-Cilag s'est immiscée dans la procédure d'AMM devant l'AFSSAPS pour ériger indûment une barrière réglementaire à l'entrée des génériques de Durogesic et préserver sa position de monopole sur les marchés de la ville et de l'hôpital pendant plusieurs mois supplémentaires. Ensuite, une fois les AMM délivrées pour ces spécialités, le laboratoire princeps a lancé une campagne massive et structurée de dénigrement afin de ralentir la pénétration des génériques de Durogesic et limiter l'érosion des ventes de Durogesic.

646. En deuxième lieu, les pratiques sont liées entre elles, puisqu'elles concernent les mêmes marchés (le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé à l'hôpital) et les mêmes concurrents (en particulier, Ratiopharm mais également les autres laboratoires génériques fabriquant du fentanyl transdermique).

647. En troisième lieu, ces pratiques revêtent un trait commun, dans la mesure où les arguments présentés Janssen-Cilag devant l'AFSSAPS sont similaires à ceux figurant dans la campagne de communication mise en œuvre par le laboratoire princeps auprès des professionnels de la santé. En effet, dans le cadre de ces deux pratiques, le laboratoire est revenu sur les conditions de fond d'octroi d'une AMM aux spécialités génériques de fentanyl transdermique, en contestant la bioéquivalence et l'identité de taille et de quantité de principe actif des génériques et en soulevant des arguments alarmistes de nature à générer une crainte sur les risques de santé publique liés à la commercialisation des génériques et à la substitution.

648. En conséquence, les mises en cause ne sont pas fondées à soutenir qu'il n'existerait pas de lien ou d'interdépendance entre les pratiques en cause.

Sur la durée

649. Il ressort des éléments du dossier que l'infraction a débuté le 25 mars 2008, date du premier courrier adressé par Janssen-Cilag à l'AFSSAPS et s'est achevée mi-août 2009, date à laquelle les derniers éléments de communication véhiculant un discours dénigrant ont été diffusés.

Conclusion

650. Il ressort de ce qui précède que les pratiques présentées ci-dessus - constituant, respectivement, un comportement abusif au regard des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE -étaient liées à une stratégie globale plus vaste de Janssen-Cilag visant à bloquer ou retarder l'entrée des génériques de Durogesic sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital et forment donc une infraction unique, complexe et continue.

E. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES

1. LES PRINCIPES APPLICABLES

651. Il résulte d'une jurisprudence constante que les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE visent les infractions commises par des entreprises.

652. La notion d'entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, celle-ci est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales. C'est cette entité économique qui doit, lorsqu'elle enfreint les règles de concurrence, répondre de cette infraction, conformément au principe de responsabilité personnelle (voir, notamment les arrêts de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97/08 P, Rec. p. I-08237, points 55 et 56, et du 20 janvier 2011, General Quimica/Commission, C-90/09 P, Rec. p. I-0001, point 36 ; voir, également l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., p. 18 et 20).

653. Ainsi, au sein d'un groupe de sociétés, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 58, General Quimica/Commission, point 37, et Lacroix Signalisation e.a., précité, pp. 18 et 19).

654. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Dans cette hypothèse, il suffit pour l'autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteur des pratiques à la société mère. Il est possible à la société mère de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d'action sur le marché. Si la présomption n'est pas renversée, l'autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère pour solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale (Akzo Nobel e.a./Commission, précité, points 60 et 61, General Quimica/Commission, points 39 et 40, et Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19-20).

655. Ainsi que l'a rappelé la cour d'appel de Paris dans son arrêt Lacroix Signalisation e.a., précité, ces règles d'imputabilité, qui découlent de la notion d'entreprise visée aux articles 101 TFUE et 102 TFUE, relèvent des règles matérielles du droit européen de la concurrence. L'interprétation qu'en donnent les juridictions européennes s'impose donc aux autorités nationales de concurrence lorsqu'elles appliquent le droit européen ainsi qu'aux juridictions qui les contrôlent (voir également, en ce sens, l'arrêt de la Cour de justice du 4 juin 2009, T- Mobile Netherlands e.a., C-8/08, Rec. p. I-04529, points 49 et 50).

656. Par ailleurs, comme l'ont rappelé les juridictions tant internes que de l'Union, cette présomption est compatible avec les principes de responsabilité personnelle et d'individualisation des peines. En effet, lorsqu'une entité économique enfreint les règles de concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction. Ce n'est pas une relation d'instigation relative à l'infraction.

2. APPRÉCIATION EN L'ESPÈCE

657. Le grief d'abus de position dominante a été notifié à Janssen-Cilag en tant qu'auteur des pratiques et à Johnson & Johnson, en sa qualité de société mère.

658. À la date des pratiques, la société Janssen-Cilag était détenue, indirectement, à 100 % par la société Johnson & Johnson. Janssen-Cilag était en effet détenue par la société Apsis à 99 %, elle-même détenue à 80 % par la société Johnson & Johnson, les 20 % restant étant partagés à part égale entre la société Neutrogena Corp, elle-même filiale à 100 % de Johnson & Johnsonet la société Depuys Synthes Inc., elle-même filiale à 100 % de Johnson& Johnson International, détenue à 100 % par Johnson & Johnson (cotes 31787 à 31794).

659. En conséquence, il convient d'imputer à Johnson & Johnson le grief d'infraction unique et continue pour les pratiques mises en œuvre par Janssen-Cilag en raison de sa qualité de société mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale pendant la période de commission des pratiques ce qui, du reste, n'est pas contesté par les mises en cause.

F. SUR LA SANCTION

660. Les dispositions du I de l'article L. 464-2 du code de commerce et l'article 5 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L1, p. 1) habilitent l'Autorité à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, ainsi que par les articles 101 et 102 du TFUE.

661. Le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du code de commerce précité prévoit que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le [titre VI du livre IV du code de commerce]. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".

662. Par ailleurs, aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du même code, " le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % de montant du chiffre d'affaires mondial hors taxe le plus élevé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".

663. En l'espèce, l'Autorité appréciera ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après, le " communiqué sanctions ").

664. La société Janssen-Cilag, ainsi que sa société-mère Johnson & Johnson, ont été mises en mesure de formuler des observations sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles, selon les services d'instruction, d'influer sur la détermination de la sanction pouvant leur être imposée. La présentation de ces différents éléments par les services d'instruction ne préjuge pas de l'appréciation du collège sur les déterminants de la sanction, qui relève de sa seule compétence.

1. SUR LA DÉTERMINATION DU MONTANT DE BASE DE LA SANCTION PÉCUNIAIRE

665. Le communiqué sanctions indique que " Le montant de base est déterminé pour chaque entreprise ou organisme en fonction de l'appréciation portée par l'Autorité sur la gravité des faits et sur l'importance du dommage causé à l'économie (...) " (point 22).

666. La durée des pratiques constituant un facteur pertinent pour apprécier tant la gravité des faits (voir, en ce sens, arrêts de la Cour de cassation du 28 juin 2003, Domo services maintenance, et du 28 juin 2005, Novartis Pharma), que l'importance du dommage causé à l'économie (arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge ciments e.a.), elle fera l'objet d'une prise en compte sous ce double angle selon les modalités pratiques décrites dans le communiqué sanctions précité.

a) Sur la valeur des ventes

667. En application du point 23 du communiqué sanctions, la pratique décisionnelle de l'Autorité retient comme assiette du montant de base pour le calcul de la sanction, la valeur des ventes réalisées par l'entreprise mise en cause pour les biens ou les services qui sont en relation avec l'infraction.

668. Par ailleurs, selon le point 33 du communiqué sanctions, la valeur des ventes est déterminée par référence au dernier exercice comptable complet de mise en œuvre des pratiques. Toutefois, suivant le point 37 du même communiqué, lorsque ce dernier exercice " ne constitue manifestement pas une référence représentative, l'Autorité retient un exercice qu'elle estime plus approprié ou une moyenne d'exercices, en motivant ce choix ".

669. Les marchés pertinents retenus en l'espèce sont, d'une part, le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et, d'autre part, le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé à l'hôpital. En effet, l'intervention juridiquement infondée de Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS a retardé l'arrivée des spécialités concurrentes de Durogesic, tant sur le marché de la ville que sur celui de l'hôpital. Quant au discours dénigrant tenu par Janssen-Cilag à l'égard des spécialités génériques de Ratiopharm, il a été diffusé auprès des professionnels de la santé exerçant en ville et à l'hôpital.

670. Il convient donc de retenir comme valeur des ventes, l'ensemble des ventes du princeps Durogesic réalisées par Janssen-Cilag au cours de la période litigieuse.

671. À cet égard, l'infraction reprochée à Janssen-Cilag est composée de deux pratiques distinctes. La première, qui a consisté à intervenir de manière abusive auprès de l'AFSSAPS, a débuté le 25 mars 2008 et s'est achevée le 10 décembre 2008. La seconde est une pratique de dénigrement, qui a pris place entre le 28 novembre 2008 et mi-août 2009. Si, dans son ensemble, l'infraction a perduré pendant 16 mois, soit une période supérieure à un an, sa mise en œuvre ne correspond à aucun exercice comptable complet. Dès lors, il convient de déterminer la référence appropriée pour établir le montant de base de la sanction.

672. Au vu des circonstances de l'espèce, la valeur des ventes réalisées par Janssen-Cilag durant l'exercice 2008 apparaît comme étant la référence la plus appropriée. En effet, d'une part, c'est au cours de l'année 2008 que les deux pratiques constitutives de l'infraction unique, complexe et continue se sont chevauchées et ont principalement pris place. D'autre part, le chiffre d'affaires réalisé par Janssen-Cilag en 2008 est le plus représentatif de l'ampleur de l'infraction et du poids relatif de l'entreprise en cause sur les marchés concernés. Au cours de l'année 2008, le laboratoire princeps a ainsi bénéficié d'un monopole sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital, qu'il a artificiellement maintenu par son intervention abusive auprès de l'AFSSAPS.

673. Selon les mises en cause, l'approche, qui consiste, en l'espèce, à retenir une valeur des ventes agrégée ne serait pas pertinente s'agissant de deux griefs totalement différents qui devraient être analysés indépendamment. Ainsi, il serait nécessaire de détailler, pour chacun des griefs, les valeurs des ventes à prendre en compte ainsi que l'année de référence la plus pertinente en fonction de la durée des pratiques.

674. Mais il convient de rappeler que s'il est reproché à Janssen-Cilag deux pratiques distinctes, celles-ci sont qualifiées d'infraction unique, complexe et continue. Dans ces conditions, il est justifié de déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire par référence à une seule valeur des ventes.

675. Il résulte de ce qui précède que l'assiette sur laquelle sera assise la sanction correspond à la valeur des ventes de Durogesic réalisées par Jansen-Cilag en 2008 sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital, soit 84 594281 euros.

b) Sur la proportion de la valeur des ventes

Sur la gravité des faits

676. Lorsqu'elle apprécie la gravité d'une infraction, l'Autorité tient notamment compte du secteur concerné, de la nature de l'infraction et de leurs caractéristiques objectives, telles que leur degré de sophistication (voir point 26 du communiqué sanctions).

677. À titre liminaire, il convient de rappeler que l'Autorité considère, de façon constante, que les pratiques intervenant " dans le secteur de la santé, dans lequel la concurrence est déjà réduite en raison de l'existence d'une réglementation destinée à assurer le meilleur service pour la population tout en préservant les équilibres budgétaires du système d'assurance maladie "sont, de manière générale, particulièrement graves. L'Autorité souligne également que les pratiques qui visent à entraver l'entrée sur le marché et le développement de médicaments génériques sont d'autant plus graves qu'elles contreviennent à l'objectif affiché des pouvoirs publics de réduire les dépenses de santé, dans un contexte budgétaire fortement contraint (voir la décision n°13-D-11, précitée, confirmée par les arrêts de la cour d'appel de Paris du 18 décembre 2014 et de la Cour de cassation du 18 octobre 2016, ainsi que la décision n° 13-D-21 précitée, confirmée par les arrêts de la cour d'appel de Paris du 26 mars 2015 et de la Cour de cassation du 11 janvier 2017).

678. Au cas d'espèce, il est reproché à Janssen-Cilag d'avoir commis une infraction unique, complexe et continue visant à empêcher, puis limiter la pénétration des génériques concurrents de Durogesic, lors de l'ouverture à la concurrence des marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital, en vue de favoriser les ventes de son propre produit, Durogesic. Le laboratoire princeps est notamment intervenu de manière infondée auprès de l'AFSSAPS, qui est un établissement public dont le rôle est de garantir, au travers de ses missions de sécurité sanitaire, l'efficacité, la qualité et le bon usage de tous les produits de santé destinés à l'homme.

679. Le comportement mis en œuvre par Janssen-Cilag constitue également une pratique d'éviction, traditionnellement qualifiée par les autorités de concurrence et les juridictions européennes et nationales, de grave, voire de très grave lorsqu'elle est mise en œuvre par une entreprise en situation de position dominante, et a fortiori en situation de monopole ou de quasi-monopole (voir, en ce sens, l'arrêt de la Cour de justice du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C-280/08 P, Rec. p. I-09555, point 275 ; voir également la décision de l'Autorité n° 09-D-36 du 9 décembre 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbes et France Telecom sur différents marchés de services de communications électroniques dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, paragraphe 446, confirmée par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 septembre 2010).

680. En outre, selon la jurisprudence, le nombre, le cumul et l'interaction des comportements anticoncurrentiels mis en œuvre en même temps constituent un facteur qui doit être pris en compte au titre de la gravité des faits (voir la décision n° 13-D-20 du 17 décembre 2013 relative à des pratiques mises en œuvre par EDF dans le secteur des services destinés à la production d'électricité photovoltaïque, confirmée sur ce point par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 21 mai 2015).

681. En l'espèce, les pratiques en cause sont complémentaires et se sont succédé dans le but commun de nuire à la concurrence des génériques sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital. Elles présentent également un fort degré de structuration et de sophistication, qui témoigne de l'existence d'une véritable stratégie d'éviction mise en place par Janssen-Cilag.

682. En effet, d'abord, pour empêcher l'entrée des génériques de Durogesic sur les marchés concernés, Janssen-Cilag est intervenu de manière répétée et régulière auprès de l'AFSSAPS, au cours de la procédure de délivrance des AMM aux spécialités de Ratiopharm, concurrentes de Durogesic, en ayant connaissance de la règlementation applicable, qui imposait à l'agence nationale de santé de reconnaître le statut de générique à ces spécialités.

683. Par la suite, pour empêcher la pénétration des génériques de Durogesic sur les marchés en cause, Janssen-Cilag, a diffusé un discours dénigrant auprès des professionnels de la santé exerçant en ville et en milieu hospitalier. Ce discours s'est décliné, de manière structurée, sous plusieurs formes et a été propagé selon différentes modalités afin de toucher le plus grand nombre de professionnels possible.

684. Enfin, il est à noter que l'infraction en cause entre en contradiction avec les termes de l'accord conclu entre le représentant des entreprises du médicament (LEEM) et le Comité économique des produits de santé (CEPS), prévoyant notamment que " le délégué médical s'abstient notamment de dénigrer les spécialités appartenant au même groupe générique que la spécialité présentée ainsi que d'inciter le prescripteur à s'opposer à la substitution par le pharmacien ".

685. Dans leurs observations, les mises en cause soutiennent que la gravité de la prétendue intervention juridiquement infondée devant l'AFSSAPS doit être atténuée. Selon elles, cette intervention aurait non seulement été permise par la règlementation et l'autorité de santé, mais aurait également été encouragée, puisqu'elle s'insèrerait dans le cadre de la mise en garde adoptée par l'AFSSAPS. Elles allèguent aussi que l'analyse consistant à qualifier l'intervention juridiquement infondée de Janssen-Cilag devant l'AFSSAPS de pratique anticoncurrentielle serait, en l'espèce, totalement inédite.

686. Elles font valoir, par ailleurs, que la campagne d'information de Janssen-Cilag auprès des professionnels de la santé était, quant à elle, pleinement justifiée tant par le rôle du laboratoire princeps dans la diffusion de cette information relative au bon usage de sa spécialité, que par la position de l'AFSSAPS elle-même, qui aurait, à travers sa mise en garde et diverses communications, appelé à encadrer drastiquement la substitution des spécialités à base de fentanyl. Elles ajoutent que les pratiques de dénigrement reprochées sont de très courte durée.

687. Mais en premier lieu, il convient de rappeler, qu'en intervenant auprès de l'AFSSAPS, Janssen-Cilag n'avait pas pour objectif d'alerter l'autorité nationale de santé sur les dangers relatifs à la substitution des génériques de Durogesic, au profit de l'adoption d'une éventuelle mise en garde mais bien, comme il a été relevé ci-dessus, de la convaincre de refuser l'octroi au niveau national du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, en dépit de l'obtention de ce statut au niveau européen. Les agissements de Janssen-Cilag étaient donc infondés et abusifs en ce qu'ils visaient uniquement à retarder l'entrée des génériques sur les marchés concernés, indépendamment de toute considération de santé publique.

688. En deuxième lieu, selon la jurisprudence européenne, le caractère inédit d'une pratique n'est pas de nature à justifier la réduction de l'amende dès lors que la pratique en cause a " pour objectif délibéré de tenir les concurrents à l'écart du marché " (voir arrêt de la Cour de justice, Astra Zeneca, précité, C-457/10 P, point 164).

689. Au cas présent, lorsque Janssen-Cilag a agi auprès de l'AFSSAPS, le laboratoire princeps avait clairement pour intention d'évincer ses concurrents des marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital, de sorte qu'il était nécessairement conscient de la nature anticoncurrentielle de son comportement.

690. Par conséquent, la circonstance que l'abus reproché en l'espèce serait inédit n'est pas de nature à remettre en cause la gravité des pratiques en cause.

691. En troisième lieu, contrairement à ce que soutiennent les mises en cause, les messages diffusés par le laboratoire princeps auprès des professionnels de la santé ont dépassé le contenu de la mise en garde adoptée par l'AFSSAPS, en ce qu'ils ont discrédité les spécialités génériques concurrentes de Durogesic, en instillant un doute dans l'esprit des professionnels de la santé sur leur efficacité et leur sécurité au bénéfice des spécialités princeps. Sur ce point, dans une lettre du 12 février 2009 adressée au laboratoire princeps, le directeur général de l'AFSSAPS a clairement rappelé à l'ordre ce dernier en indiquant qu'il souhaitait " dissiper toute ambiguïté quant à la portée de la décision de l'Agence, qui visait non pas à faire obstacle à toute substitution au moment même où l'inscription au répertoire était prononcée, mais à appeler l'attention des professionnels de santé concernés sur les précautions nécessaires en cas de changement de spécialité pour ce médicament " (cote 581).

692. Enfin, la prétendue faible durée de la pratique de dénigrement ne saurait non plus remettre en cause la gravité de l'infraction reprochée. En effet, le dénigrement a été mis en œuvre par Janssen-Cilag sur une période de huit mois environ, comprise entre le 28 novembre 2008 et la mi-août 2009. Or, une telle durée suffit amplement, au regard de la nature de la pratique en cause, à introduire " une opinion défavorable qui demeure attachée à l'entreprise ou au produit visé jusqu'à ce que l'expérience ou la diffusion d'une contre-opinion permette d'inverser l'appréciation négative instillée ", ainsi que la cour d'appel l'a jugé dans son arrêt du 18 décembre 2014, Sanofi, précité.

693. D'ailleurs, il convient de relever, qu'en l'espèce, si la pratique de dénigrement s'est déroulée sur une période de huit mois, elle a produit ses effets bien au-delà de cette période (cf. paragraphe 731 ci-après).

Sur l'importance du dommage causé à l'économie

694. L'importance du dommage causé à l'économie ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale qu'elles sont de nature à engendrer pour l'économie (voir, par exemple, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 8 octobre 2008, SNEF, n° 2007/18040, p. 4).

695. Dans un arrêt du 26 janvier 2010, Adecco France, la cour d'appel a précisé s'agissant du périmètre de cette perturbation générale que " l'appréciation de l'importance du dommage à l'économie (...) , qui ne se limite pas, par principe, à la seule atteinte au surplus économique des consommateurs, doit porter sur la perte du surplus subie par l'ensemble des opérateurs du marché, entreprises concurrentes, offreurs ou demandeurs ".

696. L'existence du dommage à l'économie ne se présume pas (arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Orange France e.a., précité). Elle s'apprécie de manière objective et globale en prenant en compte l'ensemble des éléments pertinents de l'espèce.

697. Cependant, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'Autorité n'est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie mais doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause (arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Orange France e.a., n° 09-12984, 09-13163 et 09-65940). Toujours selon la jurisprudence, pour apprécier le dommage causé à l'économie, l'Autorité prend en considération les effets tant avérés que potentiels de la pratique (arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2005, Novartis Pharma, n° 04 13910).

698. Enfin, l'Autorité tient notamment compte, pour apprécier l'incidence économique de la pratique en cause, de l'ampleur de l'infraction, telle que caractérisée en particulier par sa couverture géographique ou par la part de marché de l'entreprise sanctionnée sur le marché concerné, de sa durée, de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles, ainsi que des caractéristiques économiques du secteur concerné (voir, en ce sens, l'arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2005, Novartis Pharma, précité).

Sur l'ampleur de l'infraction

699. L'infraction complexe, unique et continue retenue a été mise en œuvre par Janssen-Cilag au niveau national, tant sur le marché de la ville que sur le marché de l'hôpital.

700. En outre, l'infraction est le fait d'un opérateur qui était, jusque fin 2008, en situation de monopole sur ces marchés et détenait en 2009 et 2010 une part de marché supérieure à 80 %.

701. Par ailleurs, les comportements de Janssen-Cilag ont été nombreux. En effet, en 2008, le laboratoire princeps est intervenu de manière insistante et répétée auprès de l'AFSSAPS.

702. De façon similaire, la campagne de dénigrement mise en place par Janssen-Cilag a été d'envergure. Tout d'abord, le message dénigrant de Janssen-Cilag a été diffusé sur les deux marchés connexes de la commercialisation du fentanyl transdermique, à savoir le marché de la ville et le marché de l'hôpital, afin de toucher l'ensemble des médecins et des pharmaciens susceptibles de prescrire ou de dispenser Durogesic et ses génériques. Ensuite, comme indiqué plus haut, la campagne de communication de Janssen-Cilag a mobilisé plusieurs canaux de communication, le laboratoire princeps ayant par ailleurs accentué son action sur les pharmaciens d'officine.

703. En particulier, sur la période allant de décembre 2008 à mars 2009, 12 800 officines ont été concernées par l'entretien confraternel, soit un peu plus de la moitié de l'ensemble des officines en France métropolitaine et Outre-mer. Par ailleurs, 5 400 officines ont été contactées dans le cadre de la formation à distance (cote 4997). Il est également établi que 12 000 médecins généralistes ont notamment disposé d'un économiseur d'écran portant sur le fentanyl transdermique (cote 37565). L'étude " Recall Durogesic ", qui a été commandée par Janssen-Cilag pour évaluer les effets de sa campagne, indique aussi que 75 % des pharmaciens interrogés ont reçu un visiteur médical (cote 15090).

704. Il résulte de ce qui précède que les pratiques en cause revêtent une ampleur importante.

Sur les caractéristiques des marchés affectés

705. Afin d'apprécier l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité s'attache à prendre en compte les caractéristiques du secteur concerné, dans la mesure où celles-ci sont de nature à influer sur les effets de la pratique. En l'espèce, plusieurs caractéristiques du secteur pharmaceutique sont de nature à avoir accru le dommage causé à l'économie par les pratiques mises en œuvre par Janssen-Cilag.

706. En premier lieu, en vertu du cadre réglementaire, un médicament générique ne peut être commercialisé sur le marché français que s'il bénéficie d'une AMM. En outre, un médicament générique ne peut être substitué au princeps en pharmacie que s'il est inscrit par l'agence nationale de santé au répertoire des génériques. En l'espèce, l'intervention de Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS a eu pour effet de créer artificiellement une barrière réglementaire à l'entrée des génériques, constitutive d'un obstacle déterminant à l'exercice de la libre concurrence sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital. Par ses pratiques, Janssen-Cilag a donc réduit très fortement l'animation concurrentielle qui aurait dû résulter de l'arrivée des génériques sur les marchés en cause et de la fin du monopole de la spécialité princeps.

707. En deuxième lieu, comme l'Autorité l'a précédemment relevé dans sa pratique décisionnelle, le secteur du médicament fait l'objet d'une forte réglementation, en particulier s'agissant des prix de vente en officine. De ce fait, la concurrence en prix sur le marché de la ville est pratiquement inexistante. La concurrence entre les opérateurs est ainsi fortement liée aux actions de communication mises en œuvre par les laboratoires pharmaceutiques auprès des professionnels de la santé (voir la décision n° 13-D-11, précitée).

708. Or, l'une des pratiques qui est reprochée à Janssen-Cilag concernait précisément ce critère de concurrence. Elle était donc de nature à réduire très fortement le jeu de la concurrence sur les marchés concernés.

709. En troisième lieu, le dénigrement en cause a largement tiré parti de la perception des professionnels de la santé ainsi que de leur mode de formation. En effet, il existe en France un climat de suspicion vis-à-vis des génériques. En outre, les médecins disposent de connaissances parfois limitées en pharmacologie et maîtrisent mal les procédures réglementaires d'autorisation et de substitution des génériques (voir la décision n° 13-D-11, précitée, paragraphe 660).

710. Enfin, il convient de relever qu'il existe en l'espèce entre le marché de la ville et le marché de l'hôpital un fort lien de connexité du fait que les médicaments initialement prescrits à l'hôpital sont souvent ensuite prescrits en ville quand le patient a regagné son domicile. Par conséquent, des pratiques de dénigrement mises en œuvre sur le marché de l'hôpital produisent nécessairement des effets sur le marché de la ville.

Sur les conséquences structurelles et conjoncturelles des pratiques

711. Il ne peut être contesté que, par ses interventions répétées auprès de l'AFSSAPS, le laboratoire Janssen-Cilag est parvenu à retarder de plusieurs mois la procédure de délivrance des AMM aux spécialités génériques concurrentes de Durogesic et la reconnaissance de leur statut de générique. Le laboratoire princeps a ainsi pu bénéficier, de manière indue, de la prolongation de son monopole sur les marchés pertinents concernés. Pendant cette période, l'effet d'éviction des concurrents de Durogesic a été quasiment absolu en rendant impossible la commercialisation des spécialités concurrentes en tant que génériques de Durogesic.

712. L'effet d'éviction des concurrents a non seulement produit un manque à gagner pour les laboratoires génériques mais a également conduit à l'existence d'un surprix payé par les consommateurs, dans un contexte marqué par les déficits chroniques des comptes sociaux.

Ainsi, sur le marché hospitalier, où les prix sont libres, la pression concurrentielle qui aurait été exercée par les génériques en l'absence de la pratique aurait fortement fait diminuer les prix, comme le montrent les décotes accordées par Janssen-Cilag à l'entrée effective des génériques (cotes 41547 et 41548). De même, sur le marché officinal, le maintien du monopole de Janssen-Cilag a également empêché une baisse des prix, par l'offre de génériques moins onéreux et l'application automatique d'une décote du prix de la spécialité princeps à l'arrivée des génériques. Le dommage ainsi causé est d'autant plus élevé que la décote appliquée aux médicaments génériques et que le prix des médicaments princeps sont élevés.

713. Ensuite, en ce qui concerne la pratique de dénigrement, il résulte de la pratique décisionnelle de l'Autorité que l'ampleur des conséquences conjoncturelles et structurelles d'une telle pratique peut être évaluée notamment au regard de la différence entre le taux de pénétration des génériques qui a été observé et celui qui aurait dû prévaloir en l'absence de pratique (voir notamment la décision n° 13-D-11 précitée).

714. Au cas présent, ainsi que cela ressort des paragraphes 105 et 106 ci-dessus, les taux de pénétration des génériques de Durogesic ont été particulièrement bas sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital, par rapport aux taux de pénétration observés en moyenne sur un large échantillon de médicaments, communiqués annuellement par la CNAMTS.

715. Selon les mises en cause, le caractère relativement limité de la pénétration des génériques de Durogesic ne résulterait pas de la pratique de dénigrement reprochée mais s'expliquerait par un certain nombre de facteurs, parmi lesquels l'existence d'une mise en garde, la dangerosité du produit (antalgique opioïdes puissant), les particularités des patients (maladies graves, fin de vie, etc.) et leurs réticences vis-à-vis de la substitution.

716. L'Autorité relève que le dispositif transdermique de fentanyl fait l'objet d'une mise en garde de la part l'AFSSAPS, laquelle a pu avoir un impact sur la substitution du princeps par les professionnels de la santé.

717. Ainsi, l'existence de cette mise en garde rend une comparaison des taux de pénétration des génériques de Durogesic avec les taux de pénétration communiqués par la CNAMTS peu probante au cas d'espèce.

718. De même, concernant les contrefactuels utilisés par les services d'instruction dans la note remise en séance le 12 octobre 2017 comparant le taux de pénétration du fentanyl avec ceux d'autres médicaments ayant fait l'objet d'une mise en garde par l'agence de santé, l'Autorité relève que les spécificités des spécialités concernées rendent incertaine la comparaison des taux de pénétration constatés pour chaque spécialité.

719. Il ressort cependant d'autres éléments du dossier que le dénigrement de Janssen-Cilag a gêné la pénétration des génériques.

720. En premier lieu, contrairement à ce que prétendent les mises en cause, les professionnels de la santé ont été sensibles aux messages véhiculés par Janssen-Cilag lorsqu'ils les ont reçus.

721. Ainsi, de nombreux professionnels de la santé ont indiqué avoir reçu un discours les incitant à ne pas substituer et avoir été inquiétés à ce sujet (voir paragraphes 326 et suivants ci-dessus).

722. En deuxième lieu, il ressort des éléments recueillis au cours de l'instruction que, préalablement à la mise en garde publiée par l'AFSSAPS et à l'entrée des génériques sur les marchés, Janssen-Cilag avait anticipé, dans ses analyses internes, des taux de pénétration des génériques de Durogesic nettement supérieurs aux taux de pénétration réellement observés.

723. Ainsi, le laboratoire princeps a mis en place un " observatoire de substitution de Durogesic " en pharmacie, avec un compte-rendu mensuel de l'évolution des taux de pénétration des génériques. Celui-ci constate ainsi que le nombre de délivrance de patchs génériques de fentanyl reste " très faible " (cotes 3324 à 3334). Sur ce point, le laboratoire princeps relève, dans le cadre de son suivi du taux de pénétration des génériques de Durogesic, que le taux de pénétration effectivement constaté est resté inférieur à ses anticipations, comme cela ressort par exemple du courriel interne du 10 avril 2009 (cote 8536).

724. Par ailleurs, dans le cadre de la présentation interne du 29 octobre 2007, Janssen-Cilag estimait notamment, dans le scénario qui lui était le plus défavorable, un taux de pénétration des génériques de Durogesic, à l'issue de leur première année de commercialisation, de 43 % sur le marché de la ville et de 40 % sur le marché de l'hôpital (cote 6070). Dans le même sens, dans un document daté de juin 2008, le laboratoire princeps a estimé des taux moyens respectifs de 42 % et 32 % pour la première année de commercialisation (cote 7342).

725. Ces anticipations de Janssen-Cilag datées d'octobre 2007 et de juin 2008 ne prennent pas en compte la mise en garde de l'AFSSAPS, qui ne sera émise qu'en novembre 2008. Elles ne constituent donc pas une mesure, même approximative, du taux de pénétration qui aurait été constaté en l'absence des pratiques. Cependant, et bien qu'ils puissent par ailleurs être affectés d'une marge d'incertitude, les niveaux très élevés des taux de pénétration anticipés dans les scenarii correspondant à une substitution possible entre princeps et génériques, relativisent les arguments de Janssen-Cilag selon lesquels les spécificités de Durogesic autres que la mise en garde avaient pour conséquence de rendre le médicament en cause impropre à la substitution.

726. Enfin, dans un document interne du laboratoire princeps daté du 19 février 2009, soit postérieur d'environ deux mois et demi à la publication de la mise en garde par l'AFSSAPS, Janssen-Cilag a une nouvelle fois anticipé des taux de pénétration des génériques de Durogesic supérieurs à ceux constatés. Or, dans ce document, le laboratoire princeps présente lui-même l'existence d'une mise en garde de l'AFSSAPS (en l'espèce, concernant les antiépileptiques) comme étant une circonstance lui étant favorable, ce qui signifie que les prévisions opérées tiennent bien compte de la mise en garde adoptée par l'AFSSAPS concernant les spécialités transdermiques de fentanyl (cotes 4294 et 4295).

727. Ces projections de février 2009 se présentent en 3 scénarii distincts : " Best ", " Base " et " Worst ". Comme le montre le tableau récapitulatif réalisé ci-dessous, le scénario " Base ", qui serait basé sur un taux de pénétration " modéré " et le scénario " Worst " correspondant à une pénétration " agressive ", conduisent à des tauxmoyens de pénétration des génériques anticipés significativement supérieurs à ceux effectivement constatés sur le marché officinal. La comparaison est moins nette s'agissant du marché hospitalier : les taux de pénétration constatés sont supérieurs à ceux anticipés dans le scénario " Base " mais inférieurs à ceux envisagés dans le scénario " Worst " :

<TABLEAU>

728. Les mises en cause soutiennent que le troisième scénario, dénommé " Best ", serait le scénario de référence dans la mesure où il correspond à un " taux de pénétration bas (6 %) aligné sur les " benchmark " antiépileptiques - recommandations de l'Afssaps " Non substituable " porté sur les prescriptions (commission de pharmacovigilance) " (cote 4295).

Il prendrait donc en compte la mise en garde diffusée par l'AFSSAPS sur les antiépileptiques, lesquels serviraient de référents pour la réalisation de ces projections.

729. Mais, la mise en garde diffusée par l'AFSSAPS concernant le fentanyl transdermique vise uniquement une catégorie limitée de patients (personnes âgées, enfants ou patients fébriles) et indique seulement qu'en cas de changement de spécialité à base de fentanyl, il est nécessaire de réaliser " une surveillance attentive du patient en cours de traitement ".

730. Ainsi, l'hypothèse évoquée dans le scénario " Best ", prévoyant que l'AFSSAPS recommanderait aux médecins d'apposer la mention " non substituable " sur leurs ordonnances de fentanyl transdermique, va au-delà du contenu effectif de la mise en garde diffusée par l'AFSSAPS pour cette spécialité. Les scénarii " Worst " et surtout " Base " sont donc les plus indicatifs des taux de pénétration qui auraient pu prévaloir en l'absence de pratique de dénigrement. Si la coexistence de ces deux scénarii montre qu'une anticipation précise est délicate du fait des nombreux facteurs susceptibles d'affecter les taux de pénétration, il demeure néanmoins qu'ils aboutissent tous les deux à des taux de pénétration anticipés supérieurs à ceux finalement observés.

731. En troisième lieu, il convient de relever que la pratique de dénigrement a nécessairement concouru au faible taux de pénétration des génériques de Durogesic, en amplifiant les effets de la mise en garde adoptée par l'AFSSAPS.Àcet égard, le dénigrement a produit des effets bien au-delà de la seule période de mise en œuvre des pratiques participant à la décision des pouvoirs publics d'imposer, en janvier 2011, un TFR après avoir constaté que les objectifs de substitution n'avaient pas été atteints. Comme indiqué plus haut (paragraphe 46), la conséquence de l'instauration de ce TFR est un alignement des prix du princeps et des génériques, favorisant la préservation de la part de marché du princeps.

Conclusion

732. Eu égard à l'ensemble de ces considérations, le dommage à l'économie causé par les pratiques mises en œuvre par Janssen-Cilag est certain.

Conclusion sur la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte

733. Compte tenu de l'appréciation qu'elle a faite de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie par l'infraction, l'Autorité retiendra, en l'espèce, une proportion de 15 % de la valeur des ventes de Durogesic réalisées par Janssen-Cilag en 2008.

Sur la durée de l'infraction

734. Dans le cas d'infractions qui se sont prolongées plus d'une année, l'Autorité s'est engagée à prendre en compte leur durée selon les modalités pratiques suivantes : la proportion retenue, pour donner une traduction chiffrée à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie, est appliquée une fois, au titre de la première année complète de participation individuelle aux pratiques de chaque entreprise en cause, à la valeur de ses ventes pendant l'exercice comptable de référence, puis à la moitié de cette valeur, au titre de chacune des années complètes de participation suivantes. Au-delà de cette dernière année complète, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent.

735. Dans chaque cas d'espèce, cette méthode se traduit par un coefficient multiplicateur, défini proportionnellement à la durée individuelle de participation de chacune des entreprises aux pratiques et appliqué à la proportion de la valeur des ventes effectuées par chacune d'entre elles pendant l'exercice comptable retenu comme référence.

736. Au cas présent, l'infraction a débuté le 25 mars 2008, date du premier courrier adressé par Janssen-Cilag à l'AFSSAPS et s'est achevée mi-août 2009 avec la fin de la mise place de l'opération promotionnelle Durogesic par économiseur d'écran chez les professionnels de la santé.

737. En conséquence, la durée des pratiques est de 1 an et 4 mois, soit un coefficient multiplicateur de 1,16.

c) Conclusion sur la détermination du montant de base de la sanction

738. Eu égard à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie par les pratiques en cause, le montant debase de la sanction pécuniairedéterminé en proportion des ventes de Janssen-Cilag en relation avec l'infraction, d'une part, et en fonction de la durée de l'infraction, d'autre part, doit être fixé à 14 719 405 euros.

2. SUR LA PRISE EN COMPTE DES CIRCONSTANCES PROPRES À JANSSEN-CILAG

739. L'Autorité s'est ensuite engagée à adapter le montant de base retenu reflétant la gravité des faits et l'importance du dommage causé à l'économie au regard du critère légal tenant à la situation individuelle de l'entreprise sanctionnée et, quand c'est le cas, du groupe auquel elle appartient.

740. À cette fin, et en fonction des éléments propres à chaque cas d'espèce, elle peut prendre en considération différentes circonstances atténuantes et/ou aggravantes caractérisant le comportement de l'entreprise mise en cause dans la commission des infractions, ainsi que d'autres éléments objectifs pertinents relatifs à sa situation individuelle. Cette prise en compte peut conduire à ajuster le montant de la sanction tant à la baisse qu'à la hausse.

a) Sur la puissance économique de Janssen-Cilag et du groupe auquel elle appartient

741. L'appréciation de la situation individuelle peut conduire l'Autorité à prendre en considération l'envergure de l'entreprise en cause ou du groupe auquel elle appartient (voir en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 28 avril 2004, Colas Midi-Méditerranée e.a., n° 02-15203).

742. En l'espèce, l'infraction en cause a été imputée à la société Janssen-Cilag, en tant qu'auteur et à la société Johnson & Johnson, en tant que société mère qui constituent, prises ensemble, une entreprise au sens du droit de la concurrence, ainsi que cela ressort des développements de la présente décision relatifs à l'imputabilité des pratiques.

743. La société Janssen-Cilag appartient au groupe américain Johnson & Johnson, qui se présente comme le leader mondial de la santé. Le groupe est présent dans la production et la vente de médicaments avec ou sans ordonnance, des dispositifs médicaux et des produits de soins. Janssen-Cilag consolide ses comptes en son sein.

744. Les ressources financières globales du groupe Johnson & Johnson sont très importantes. Ainsi, son chiffre d'affaires hors taxes a atteint 71,9 milliards de dollars, soit environ 65milliards d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2016.

745. La valeur des ventes retenue comme assiette de la sanction représente ainsi que 0,2 % du chiffre d'affaires total du groupe et moins de 1 % du résultat net consolidé.

746. Compte tenu de ces éléments et alors que l'efficacité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles requiert que la sanction soit effectivement dissuasive, au regard de la situation financière propre à l'entreprise au moment où elle est sanctionnée (voir arrêt de la Cour de cassation, 18 septembre 2012, n° 12.14401 et autres), le montant de base de la sanction pécuniaire infligée à Janssen-Cilag, solidairement avec sa société mère Johnson & Johnson, doit être augmenté de 70 %.

747. Eu égard à l'ensemble des éléments qui précèdent, le montant de la sanction à imposer à Janssen-Cilag, conjointement et solidairement avec sa société mère Johnson & Johnson, sera fixé à 25 millions d'euros.

b) Sur la vérification du maximum légal applicable

748. Lorsque les comptes sont consolidés, le plafond légal de la sanction correspond à 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes consolidé le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant le commencement des pratiques.

749. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Johnson & Johnson, qui consolide le chiffre d'affaires de Janssen-Cilag était de 74,3milliards de dollars pour l'année 2014, soit environ 56 milliards d'euros.

750. Le montant de sanction retenu précédemment étant inférieur à 10 % de ce chiffre, il n'y a pas lieu de le modifier.

3. SUR L'OBLIGATION DE PUBLICATION

751. Aux termes du cinquième alinéa du I de l'article L. 464-2 du code de commerce, l'Autorité peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Les frais sont supportés par la personne intéressée.

752. En l'espèce, afin d'attirer l'attention des professionnels de la santé il y a lieu, compte tenu des faits constatés par la présente décision et de l'infraction relevée, d'ordonner sur le fondement du I de l'article L. 464-2 du code de commerce la publication, dans les éditions le " Quotidien du médecin " et le " Quotidien du pharmacien ", du résumé de la présente décision figurant ci-après :

" Obligation de publication imposée par l'Autorité de la concurrence

À la suite d'une saisine par la société Ratiopharm, puis d'une auto-saisine, l'Autorité de la concurrence a rendu le 20 décembre 2017, une décision par laquelle elle sanctionne Janssen-Cilag SAS ainsi que Johnson & Johnson, en qualité de société mère, à hauteur de 25millions d'euros, pour avoir mis en œuvre entre 2008 et 2009, un abus de position dominante visant à empêcher, puis limiter la pénétration des génériques concurrents de Durogesic, lors de l'ouverture à la concurrence des marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital, en vue de favoriser leur propre produit, le princeps Durogesic.

Durogesic et ses génériques

Durogesic est un dispositif transdermique dont le fentanyl est le principe actif. C'est un antalgique opioïde puissant, prescrit pour le traitement de la douleur sévère. Introduit en France, en 1998, par le laboratoire Janssen-Cilag, Durogesic a bénéficié de la protection d'un brevet jusqu'en juillet 2005.

Sur le territoire national, les premières spécialités commercialisées en tant que génériques de Durogesic ont été celles produites par Ratiopharm, dont le statut de générique a été reconnu par une décision de la Commission européenne à l'issue d'une procédure de reconnaissance mutuelle.

L'AFSSAPS a autorisé la mise sur le marché des spécialités concurrentes de Durogesic au second semestre 2008 et a assorti l'inscription de ces spécialités au répertoire des génériques d'une mise en garde spécifique concernant les conditions de substitution pour certaines catégories de personnes.

Un abus de position dominante composé de deux types de pratiques successives et complémentaires

L'intervention juridiquement infondée de Janssen-Cilag dans le processus décisionnel de l'Agence nationale de santé : l'AFSSAPS

Dans un premier temps, Janssen-Cilag s'est immiscée indûment, par une intervention juridiquement infondée, dans la procédure nationale d'examen des demandes d'autorisation de mise sur le marché portant sur les spécialités génériques de fentanyl transdermique. Plus spécifiquement, le laboratoire princeps a présenté à l'AFSSAPS des arguments portant sur les conditions de fond de délivrance d'une AMM pour des spécialités génériques, afin de la convaincre de refuser l'octroi au niveau national du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, en dépit de l'obtention de ce statut au niveau européen. Le laboratoire princeps avait pourtant connaissance de la réglementation applicable imposant à l'agence nationale de santé de reconnaître le statut de générique à ces spécialités.

La pratique de dénigrement

Dans un second temps, une fois les autorisations de mise sur le marché délivrées, Janssen- Cilag a mis en œuvre une campagne de dénigrement à l'égard des spécialités génériques concurrentes de Durogesic, en diffusant à l'échelle nationale auprès des professionnels de la santé exerçant en milieu hospitalier et en ville, un discours de nature à instiller un doute dans leur esprit sur l'efficacité et l'innocuité des génériques concurrents de Durogesic et à discréditer ces derniers au bénéfice de ses propres spécialités.

Le laboratoire princeps a élaboré une campagne de communication globale et structurée, diffusée selon différentes modalités, qui a touché un grand nombre de médecins et pharmaciens. Le discours propagé a porté sur les différences entre les dispositifs de fentanyl transdermique, discréditant les études de bioéquivalence et dépassant le libellé de la mise en garde insérée par l'AFSSAPS au répertoire des génériques.

Ce discours trompeur a eu pour effet de susciter de fortes inquiétudes chez les professionnels de la santé, rencontrant un écho d'autant plus important qu'il subsiste chez ces derniers une certaine réticence vis-à-vis des médicaments génériques, laquelle s'explique notamment par leur méconnaissance des procédures d'autorisation de mise sur le marché, par leur mauvaise appréhension du cadre réglementaire relatif à la substitution et par leur volonté de se prémunir contre tout risque de voir leur responsabilité civile ou pénale engagée.

Ces pratiques sont constitutives d'une infraction unique, complexe et continue en ce qu'elles ont poursuivi un objectif anticoncurrentiel unique visant à empêcher puis limiter la pénétration des génériques de Durogesic sur les marchés concernés.

Des pratiques graves qui ont retardé l'arrivée des génériques sur les marchés et empêché leur développement

Par ses interventions répétées auprès de l'AFSSAPS, Janssen-Cilag est parvenu à retarder de plusieurs mois la procédure de délivrance des autorisations de mise sur le marché aux spécialités génériques concurrentes de Durogesic et la reconnaissance de leur statut de générique. L'effet d'éviction des concurrents de Durogesic a été quasiment absolu en rendant impossible la commercialisation des spécialités concurrentes en tant que génériques de Durogesic.

Il apparaît également que le dénigrement de Janssen-Cilag a gêné la pénétration des génériques. En effet, il est établi que les professionnels de la santé ont été sensibles aux messages véhiculés par Janssen-Cilag et que le dénigrement s'est inscrit dans le cadre de la mise en garde de l'AFSSAPS et en a amplifié les effets, concourant ainsi au faible taux de pénétration des génériques.

Une sanction proportionnée à la gravité des faits, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de Janssen-Cilag

Sur la base de l'ensemble de ces éléments, l'Autorité de la concurrence a considéré que Janssen-Cilag avait abusé de sa position dominante sur les marchés français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et à l'hôpital et avait, à ce titre, enfreint l'article L. 420-2 du code de commerce ainsi que l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Johnson & Johnson, en sa qualité de société mère, a été tenue pour responsable du comportement de sa filiale.

L'infraction, qui est particulièrement grave et qui a causé des effets anticoncurrentiels, justifie la sanction de 25 millions infligée à Janssen-Cilag ".

DÉCISION

Article 1er : Il est établi que la société Janssen-CilagSAS, en tant qu'auteur des pratiques, et la société Johnson & Johnson, en sa qualité de société mère de la société Janssen-CilagSAS, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce ainsi que celles de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en mettant en œuvre plusieurs pratiques constituant une infraction complexe, unique et continue, sur le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé à l'hôpital et sur le marché français du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville.

Article 2 : Au titre de l'infraction visée à l'article 1er, il est infligé solidairement à Janssen-Cilag SAS et Johnson & Johnson une sanction pécuniaire d'un montant de 25 millions d'euros.

Article 3 : Les personnes morales visées à l'article 1er feront publier à leurs frais le texte figurant au paragraphe 752 de la présente décision dans les journaux " Le Quotidien du médecin " et " Le Quotidien du pharmacien " en respectant la mise en forme. Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : " Décision de l'Autorité de la concurrence n° 17-D-25 du 20 décembre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des dispositifs transdermiques de fentanyl ". Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la cour d'appel de Paris si de tels recours sont exercés. Les personnes morales concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de cette publication, dès leur parution et au plus tard le 20 février 2018.