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Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re ch. A, 23 janvier 2018, n° 16-05477

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

FCA France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vidal

Conseillers :

Mmes Dampfhoffer, Vignon

TGI Marseille, du 10 mars 2016

10 mars 2016

Faits, procédure et prétentions des parties :

Suivant acte d'huissier du 27 janvier 2015, M. X, acquéreur le 15 février 2008 d'un véhicule JEEP neuf, tombé en panne le 12 avril 2013 après avoir roulé 144 000 kms, a fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Marseille la SA FCA France (anciennement dénommée la SA Fiat France), son vendeur, pour obtenir sa condamnation à l'indemniser de ses préjudices (remise en état du véhicule, frais de remorquage et de gardiennage, primes d'assurance, perte de valeur du véhicule et préjudice moral), à titre principal sur le fondement de la garantie des vices cachés et à titre subsidiaire en application de l'article 1382 du Code civil, soutenant que son action n'est pas prescrite en l'état de l'ordonnance de référé rendue le 10 juillet 2014 ayant condamné la société défenderesse à lui verser une provision de 9 000 euros à valoir sur les frais de gardiennage du véhicule.

Par jugement du 10 mars 2016, le Tribunal de grande instance de Marseille a :

- déclaré M. X irrecevable à agir sur le fondement de la garantie des vices cachés, considérant que l'action se trouve enfermée, dans le délai de deux ans de l'article 1648 du Code civil à compter de la découverte du vice, mais également à raison de la prescription de l'article L. 110-4 du Code de commerce, soit, en application des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008, dans un délai de cinq ans qui était déjà prescrit à la date de l'assignation en 2015,

- rejeté ses prétentions sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, à défaut pour le demandeur d'établir l'existence d'une faute commise par la SA FCA France consistant à mettre en vente un véhicule dont elle savait qu'il était atteint d'un vice,

- condamné M. X à restituer la somme de 9 000 euros obtenue à titre de provision,

- condamné M. X à payer à la SA FCA France une somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

M. X a interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 25 mars 2016.

M. X, suivant conclusions n° 3 signifiées le 19 octobre 2017, demande à la cour, au visa des articles 1645 et 2224 du Code civil, de :

- constater l'existence d'un vice caché connu du constructeur affectant le moteur du véhicule litigieux et contraignant M. X à faire procéder à un changement de moteur,

- dire que M. X est parfaitement recevable à solliciter l'indemnisation de ses préjudices résultant du vice caché,

- réformer en totalité le jugement déféré,

en conséquence,

- débouter la SA FCA France de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- dire que la SA Fiat France engage sa reponsabilité sur la qualification du désordre,

- condamner la SA Fiat France au paiement du coût de remise en état du véhicule, soit la somme de 7 801,50 euros, déduction faite de la provision versée,

- constater que la vente du véhicule a occasionné d'importants frais pour M. X,

En conséquence,

- condamner la SA Fiat France au paiement de la somme de 8 761,50 euros correspondant aux frais de remorquage et de gardiennage du véhicule, déduction faite de la provision versée,

- condamner la SA Fiat France au paiement de la somme de 2 366,33 euros correspondant aux primes d'assurances réglées par M. X durant la période d'avril 2013 à août 2014,

- condamner la SA Fiat France au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral, outre la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir (sic).

Il rappelle que le véhicule a été acheté neuf le 15 février 2008, qu'il est tombé en panne le 12 avril 2013 et que l'expert d'assurance a conclu le 23 septembre 2013, après une expertise contradictoire, que le moteur devait être remplacé, qu'il présentait un défaut connu dans le réseau Volkswagen dont il est issu, que le coût des réparations était évalué à 15 603,31 euros TTC et que ce type de véhicule est capable de rouler 300 000 kms.

Il ajoute que le juge des référés a, par ordonnance du 10 juillet 2014, considéré que la responsabilité de la SA Fiat France n'était pas contestable sur l'identification et la qualification du désordre et l'a condamnée au paiement d'une somme provisionnelle de 9 000 euros incluant la prise en charge du gardiennage.

Il fait valoir les moyens suivants :

- la demande en nullité de la déclaration d'appel pour défaut de connaissance de l'adresse de l'appelant doit être rejetée, l'intimée ne démontrant pas que l'adresse indiquée ne serait pas celle du domicile de M. X et n'établissant pas subir un grief ;

- l'action en garantie des vices cachés n'est pas prescrite : en effet, l'acheteur a le choix entre l'action rédhibitoire et l'action estimatoire, mais l'action en réparation des préjudices subis est autonome et soumise à la prescription de droit commun, à savoir un délai de cinq ans qui court à compter de la découverte du vice affectant la chose vendue et non à compter du contrat ;

- le vice caché est avéré : l'expertise amiable a été réalisée de manière contradictoire et retient que la motorisation du véhicule a fait l'objet d'une note technique du constructeur, Volkswagen, mentionnant que les désordres ont leur origine dans un axe d'entrainement de pompe à huile émoussé ;

- le coût de la réparation du moteur est de 15 603,31 euros, pris en charge pour moitié par la provision accordée par le juge des référés ; le véhicule est resté immobilisé au garage S. du 12 avril 2013 au 18 août 2014, soit un coût de 9 880 euros ressortant d'une attestation de ce garage ; il convient d'y ajouter le coût des assurances pour 2 366,33 euros entre avril 2013 et août 2014, et son préjudice moral, étant précisé que le vice était connu du constructeur qui n'a pourtant pas jugé utile de rappeler le véhicule.

La SA FCA France, en l'état de ses écritures signifiées le 14 juin 2016, demande à la cour, au visa des articles L. 110-4 du Code de commerce, 1315 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, 1641 et suivants du Code civil et 488 du Code de procédure civile, de :

- confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Marseille,

A titre principal,

- dire que l'action de M. X est prescrite,

A titre subsidiaire,

- dire que l'action de M. X n'est pas fondée,

- en conséquence, le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,

A titre reconventionnel,

- condamner M. X à rembourser à la SA FCA France la somme de 9 000 euros, outre une somme de 800 euros,

- le condamner à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.

Dans les motifs de ses écritures, la SA FCA France expose que la déclaration d'appel est nulle faute de pouvoir connaître le domicile de M. X, ce qui ne lui permettra pas de faire signifier la décision et d'obtenir son exécution.

Elle soulève la prescription de l'action en rappelant qu'en application de l'article L. 110-4 du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription est de cinq ans et que le délai d'exercice de l'action en garantie des vices cachés ne peut être utilement invoqué qu'à l'intérieur la prescription extinctive de l'article L. 110-4, dont le délai court à compter de la naissance de la créance, soit au jour de la conclusion du contrat ; le fait que le demandeur ait choisi d'exercer une action indemnitaire plutôt que l'action rédhibitoire ou l'action estimatoire ne peut modifier le régime de la prescription ; or, le délai de cinq ans a couru, en application des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008, à compter du 19 juin 2008 et l'action était prescrite lors de l'assignation en référé, le 6 mars 2014.

Elle soutient subsidiairement, sur le fond, que le rapport d'expertise amiable ne peut servir de preuve de l'existence d'un vice caché, a fortiori antérieur à la vente, intervenue 5 ans auparavant et alors que le véhicule a roulé 144 429 kms. Elle conteste les demandes indemnitaires de M. X en indiquant qu'il ne verse pas la facture de réparation aux débats et que l'attestation du garagiste sur les frais de gardiennage ne fait état d'aucun paiement.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 7 novembre 2017.

Motifs de la décision :

Attendu qu'en application de l'article 954 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ; qu'elle n'est pas saisie des demandes qui ne sont formulées que dans les motifs des écritures ; que dès lors, il n'y a pas lieu de statuer sur la question de la nullité de la déclaration d'appel évoquée par la SA FCA France dans le corps de ses conclusions mais non énoncée dans le dispositif ; qu'au demeurant, une telle demande relèverait de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état en application des dispositions combinées des articles 771 et 914 du Code de procédure civile ;

Attendu que M. X agit en réparation des préjudices résultant du vice caché dont il indique qu'est affecté son véhicule, acheté le 15 février 2008 et tombé en panne le 12 avril 2013 ;

Que le tribunal a retenu, pour déclarer prescrite l'action engagée par M. X sur le fondement de la garantie des vices cachés le 21 janvier 2015, que son action se trouve soumise, outre le délai de deux ans à compter de la découverte du vice de l'article 1648 du Code civil, à la prescription de cinq ans à compter de la date du contrat de vente de l'article L. 110-4 du Code de commerce et que ce délai était expiré, en application des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008, au 19 juin 2013 ;

Que M. X soutient devant la cour que son action échapperait à ces dispositions au motif qu'il n'exerce pas l'action rédhibitoire ou l'action estimatoire mais l'action en indemnisation des préjudices résultant du vice qui est considérée par la jurisprudence comme une action autonome ouverte à l'acheteur et qui relèverait, selon lui, de la prescription de droit commun en matière contractuelle et non des dispositions propres à l'action en garantie des vices cachés ;

Mais qu'il convient de retenir que, si la jurisprudence admet que l'action en réparation du préjudice éventuellement subi du fait d'un vice caché constitue une action autonome de l'action rédhibitoire ou de l'action estimatoire, permettant ainsi qu'elle puisse être exercée indépendamment de celles-ci, il n'en demeure pas moins que cette action est fondée sur les dispositions de l'article 1645 du Code civil et que, ce faisant, elle s'inscrit dans le dispositif prévu par l'article 1648 du Code civil qui prévoit que " l'action résultant des vices rédhitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. "; que ce sont donc les conditions de prescription de cet article qui s'appliquent à la demande présentée sur le seul fondement de l'article 1645, à l'exclusion de tout autre délai de prescription ; que, dès lors que la demande en dommages et intérêts présentée par l'acquéreur au titre de la garantie des vices cachés est présentée dans le délai de deux ans de la découverte du vice, l'action n'est pas prescrite, quelle que soit la date à laquelle le contrat de vente a été conclu ;

Que M. X a acheté le véhicule le 15 février 2008 et que celui-ci est tombé en panne le 12 avril 2013 ; qu'il n'a découvert le vice dont il se plaint dans ses écritures qu'au travers des conclusions du rapport d'expertise automobile établi le 23 septembre 2013 et qu'il a assigné la SA FCA France le 21 janvier 2015, soit dans le délai de deux ans de l'article 1648 du Code civil ;

Que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré l'action de M. X fondée sur les vices cachés prescrite ;

Attendu que M. Y, expert du cabinet d'expertise automobile Marseille Expertises, désigné par la protection juridique de M. X, après avoir constaté, le 23 mai 2013, que le moteur était bloqué et indiqué d'emblée qu'il convenait de procéder à des investigations et à un démontage du véhicule, a procédé aux opérations de démontage et à ses constatations techniques après avoir convoqué la société Fiat (M. Z) ; qu'il conclut que la panne provient d'un émoussement de l'axe de la pompe à huile (avec six pans arrondis) et qu'il en résulte un jeu important et anormal au niveau de l'axe du turbo ; que le moteur doit être remplacé, soit un coût de 15 603,31 euros TTC ; que le véhicule ayant une valeur de 12 000 euros, il est économiquement non réparable mais que M. Z est d'accord avec le remplacement ;

Que l'expert ajoute : " Nous estimons que le désordre est anormal, au vu de l'absence de carence dans l'entretien du véhicule. Au vu de ces éléments et étant donné que le désordre est connu dans le réseau de la marque Volskswagen (annexe 14) dont cette motorisation est issue, nous adressons une réclamation pour la prise en charge du montant de la remise en état auprès de Fiat France, à réception du devis du réparateur. (...) Le véhicule de M. X étant un modèle année 2008 et affichant un kilométrage de 144 429 kilomètres, nous estimons qu'il est raisonnable d'estimer que ce dernier est capable de parcourir 300 000 kms, sous réserve d'un entretien conforme aux préconisations du constructeur. " ; qu'il en déduit que Fiat France devrait participer à la réparation à proportion de 50 % du coût des travaux de remise en état, alors que M. X réclame la totalité de la prise en charge et que Fiat France n'a offert qu'une participation de 30 % à titre de geste commercial ;

Attendu que c'est en vain que la SA FCA France soutient que ce rapport ne pourrait servir de preuve suffisante de l'existence du vice caché affectant le véhicule alors, d'une part que les opérations ont été menées au contradictoire de Fiat France aux droits de laquelle elle vient, avec l'intervention de son représentant, M. Z, qui a pu constater la défectuosité de la pièce du moteur à l'origine de son blocage et admettre la nécessité de son remplacement, d'autre part que les constatations techniques de l'expert ne sont pas sérieusement discutées, enfin que ce type de véhicule a vocation à circuler plus de 300 000 kms et que la défectuosité d'une pièce du moteur, déformée après 144 000 kms malgré un entretien régulier et conforme aux préconisations du constructeur vérifié par l'expert, constitue un vice caché affectant le véhicule dès l'origine et dont le vendeur doit la garantie ;

Que le vendeur ayant la qualité de vendeur professionnel, il n'est point besoin pour l'acheteur de prouver la connaissance du vice par celui-ci pour obtenir sa condamnation sur le fondement de l'article 1645 du Code civil à lui verser des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis ;

Attendu que M. X réclame à titre de dommages et intérêts le coût des travaux de remplacement du moteur, soit 15 603,31 euros, sous déduction de la provision de 7 801,50 euros reçue en référé ; que la SA FCA France oppose vainement qu'il ne produit pas la facture de travaux dès lors qu'il ressort des deux attestations du garage S. (auteur du devis de réparations) que le véhicule a été réparé et qu'il est sorti du garage en août 2014 ;

Que M. X réclame ensuite des frais de remorquage pour 80 euros et produit la facture de remorquage du 12 avril 2013 ;

Qu'il sollicite également des frais de gardiennage à hauteur de 9 960 euros, sous déduction de la provision de 1 198,35 euros allouée par le juge des référés ; qu'il produit pour ce faire une attestation d'hébergement du véhicule établie par le garage S. et une seconde attestation du même garage S. du 5 janvier 2015 ; mais que la première atteste que la JEEP a été hébergée du 11 avril 2013 au 18 août 2014 et que la seconde indique : " Suite aux réparations et à l'entretien du véhicule concerné, ainsi qu'à titre de client de mon établissement, il a été convenu d'un accord amiable entre M. X Laurent et le garage S. que je représente, qui atteste que le certificat d'hébergement du véhicule JEEP 94 BKX 13 sera transformé en facture à raison de 20 € par jours comme stipulé auprès de l'expert, cela dès la fin de la procédure entamée par M. X à l'encontre du constructeur. "; qu'aucune facture n'est produite et que le tarif de gardiennage appliqué effectivement par le garage S. à M. X n'est pas établi ; qu'il sera retenu une somme de 5 000 euros ;

Que M. X fait état de dépenses d'assurance entre avril 2013 et août 2014 à hauteur de 2 366,33 euros ; que, certes, il aurait fait cette dépense si son véhicule avait fonctionné, mais qu'il l'a supportée en pure perte puisqu'il n'en profitait pas et qu'il est donc bien fondé à solliciter l'indemnisation de cette dépense ;

Qu'enfin, M. X réclame une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, arguant d'un stress important résultant du refus de prise en charge de Fiat France ; mais qu'il n'est apporté aucun élément justifiant ce stress et que le refus de prise en charge amiable de la réparation n'est pas en soi constitutif d'une faute de la part du vendeur dans les circonstances de ce dossier ;

Qu'ainsi, l'indemnisation due à M. X par la SA FCA France, venant aux droits de Fiat France, sera fixée à 15 603, 31 € + 80 € + 5 000 € + 2 366,33 € = 23 049,64 €, dont il convient de déduire la provision de 9 000 euros allouée par le juge des référés, de sorte que la SA FCA France sera ici condamnée à lui payer la somme de 14 049,64 euros à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudice confondues ;

Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu l'article 696 du Code de procédure civile,

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Constate que la cour n'est pas valablement saisie par la SA FCA France d'une demande en nullité de la déclaration d'appel ; Infirme le jugement du Tribunal de grande instance de Marseille déféré en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau et y ajoutant, Déclare recevable et non prescrite l'action en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de la garantie des vices cachés engagée par M. X contre la SA FCA France ; Condamne la SA FCA France à payer à M. X la somme de 14 049,64 euros à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudices confondues, après déduction de la provision de 9 000 euros allouée par le juge des référés ; Déboute la SA FCA France de toutes ses demandes à l'encontre de M. X ; Condamne la SA FCA France à payer à M. X une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; La condamne aux dépens de première instance et aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.