CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 25 janvier 2018, n° 15-16340
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Moloko (SARL), Josse (ès qual.), Perdereau (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Schaller, du Besset
Avocats :
Mes Ohana, Chouraki, Lallement
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Moloko, créée en 1996, commercialise sous sa marque du prêt-à-porter et exploite plusieurs boutiques ateliers et points de vente en France et à l'étranger.
Par contrat du 10 août 2004, elle a confié un mandat exclusif d'agent commercial à la société de droit anglais, Rogard Ltd, représentée par M. Y, pour tout le secteur Sud-est et Rhône-Alpes du territoire français, ainsi que pour le territoire de Monaco.
Selon contrat du 6 janvier 2012, la société Rogard Ltd a cédé à un autre agent commercial, M. X, le secteur Sud-est/Rhône-Alpes précité, moyennant un prix de 19 000 euros.
Le contrat d'agent commercial s'est poursuivi sans difficultés particulières entre la société Moloko et M. X s'agissant des collections des saisons hiver 2012/2013 et été 2013, ce dernier étant payé des commissions afférentes.
En mars et avril 2013, M. X a passé commande auprès de sa mandante pour dix clients concernant la collection hiver 2013/2014.
Selon courriel du 10 juillet 2013, la société Moloko a indiqué à M. X : " Comme convenu, je préviens depuis hier les clients que nous ne livrerons pas l'hiver et que tu n'auras pas la collection Eté en show-room. La nouvelle est plutôt bien accueillie (...) ", un tableau joint en annexe récapitulant les réactions des 10 clients contactés par Moloko.
Selon courrier recommandé AR du 17 novembre 2013, M. X a reproché à la société Moloko de manquer à ses obligations contractuelles en ne livrant pas la collection hiver, en dépit des commandes passées, et en prévoyant l'absence de collection pour l'été 2014, ce qui s'analysait selon lui en une brusque rupture de leur relation commerciale, dont il entendait obtenir réparation.
C'est dans ce contexte que le 16 décembre 2013, M. X a assigné la société Moloko en paiement de dommages et intérêts pour violation de ses obligations de mandant.
Selon jugement du 27 janvier 2014 du Tribunal de commerce de Paris, la société Moloko a été mise en redressement judiciaire, Maître Perdereau étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire et Maître Josse en qualité de mandataire judiciaire.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 13 mars 2014, M. X a procédé à la déclaration de sa créance, et, les 20 mars et 18 avril 2014, il a mis en cause les organes de la procédure de redressement judiciaire.
Par jugement du 18 mai 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :
- joint les deux procédures enregistrées sous les numéros 2014001482 et 2014029421 sous le seul et même numéro J2015000222 ;
- fixé la créance de M. X au passif de la société Moloko, prise en la personne de Maître Marie-José Josse mandataire judiciaire et de la SCP Thevenot Perdereau Maniere Elbaz en sa qualité d'administrateur, à la somme de 29 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- condamné la société Moloko, prise en la personne de Maître Marie-José Josse mandataire judiciaire et de la SCP Thevenot Perdereau Maniere Elbaz en sa qualité d'administrateur, à payer M. X la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
- condamné la société Moloko aux dépens.
Le 27 mai 2015, un plan de redressement par continuation de la société Moloko d'une durée de 10 ans a été arrêté.
Vu la déclaration d'appel du 27 juillet 2015 de la société Moloko, ainsi que de Maître Marie-José Josse et de la SCP Thevenot Perdereau Maniere Elbaz, ès qualités respectivement de mandataire judiciaire et d'administrateur de celle-ci ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 3 octobre 2017 par la société Moloko, Me Marie-José Josse et la SCP Thevenot Perdereau Maniere Elbaz, ès qualités, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu les articles 1134 et 1147 du Code civil,
Vu l'article L. 622-13 du Code de commerce,
Vu les pièces versées au débat,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 27 janvier 2014 qui a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Moloko,
- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 18 mai 2015 ;
Et, statuant à nouveau,
- constater que le contrat d'agent commercial était un contrat en cours au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Moloko le 27 janvier 2014 ;
- constater que Monsieur B. n'a pas souhaité reprendre l'exécution du contrat d'agent commercial en s'abstenant de répondre à la proposition de la société Moloko du 6 août 2014 ;
- constater l'absence de rupture des relations commerciales entre la société Moloko et Monsieur B. imputable à la société Moloko ;
- constater en tout état de cause le respect par la société Moloko de ses obligations de loyauté et de bonne foi ;
- débouter Monsieur B. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner Monsieur B. à payer à la société Moloko la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Monsieur B. aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions signifiées le 17 décembre 2015 par M. X, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu le contrat d'agent en date du 10 août 2004,
Vu le contrat de cession de secteur du 6 janvier 2012,
Vu les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce,
Vu les articles 1108 et s., 1134, 1998 et s. du Code civil,
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 18 mai 2015,
- dire et juger mal fondé l'appel interjeté par la SARL Moloko, Maître Josse ès qualités de mandataire judiciaire au redressement de la SARL Moloko, la SCP Thevenot Perdereau Maniere Elbaz, ès qualités d'administrateur au redressement de la SARL Moloko ;
- débouter la SARL Moloko, la SCP Thevenot Perdereau Maniere Elbaz ès qualité d'administrateur au redressement de la SARL Moloko de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
- confirmer le jugement dans l'ensemble de ses dispositions ;
- condamner la SARL Moloko prise en la personne de Maître Josse Mandataire judiciaire et de la SCP Thevenot Perdereau Maniere Elbaz en sa qualité d'administrateur au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens distraits pour ceux d'appel au profit de la SCP Bolling Durand Lallement Avocats aux offres de droit.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 novembre 2017.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Motifs :
L'article L. 134-4 du Code de commerce dispose que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties (alinéa 1) ; que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information (alinéa 2) ; que l'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; et que le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat (alinéa 3).
L'article L. 134-12 du même Code, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; qu'il perd toutefois le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ; et que ses ayants droit bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.
L'article L. 134-13 précise toutefois que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :
1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;
2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;
3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.
L'indemnité de rupture est destinée à réparer le préjudice subi par l'agent du fait de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune. Son quantum n'étant pas réglementé, il convient de fixer son montant en fonction des circonstances spécifiques de la cause, même s'il existe un usage reconnu qui consiste à accorder l'équivalent de deux années de commissions, lequel usage ne lie cependant pas la cour.
En l'espèce, M. X sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a fixé sa créance au passif de Moloko à la somme totale de 29 000 euros, à titre de dommages intérêts, se décomposant comme suit :
- 4 000 euros, au titre de l'indemnité de rupture prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce,
- 15 000 euros, au titre du préjudice subi du fait de l'acquisition du secteur (soit, le prix d'achat de 19 000 euros, déduction faite de 4 000 euros, correspondant à l'exercice effectif du mandat pendant une année),
- 10 000 euros, au titre de la rupture brusque du contrat d'agent commercial.
Or, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la rupture du contrat était effectivement intervenue et imputable à Moloko, la dite rupture résultant du courriel explicite de celle-ci du 10 juillet 2013 par lequel elle a informé M. X de ce qu'elle ne pourrait pas livrer la collection de l'hiver 2013/2014 et de ce que la collection de l'été 2014 ne pourrait être présentée, avec en pièce jointe un tableau récapitulant de façon précise les démarches faites par elle-même pour annuler auprès des dix clients concernés les commandes passés par eux par l'intermédiaire de M. X, et ceci caractérisant une inexécution manifeste par le mandant de ses obligations contractuelles, et ce, sans préjudice de sa bonne foi qui n'est pas discutée.
Par suite, il apparaît que c'est de façon légitime que M. X a pris acte de cette rupture dans son courrier RAR du 17 novembre 2013 et fait valoir qu'il entendait réclamer l'indemnité légale de rupture, et ce, avant même l'ouverture à l'encontre de Moloko d'une procédure de redressement judiciaire, celle-ci n'étant donc pas fondée à lui opposer a posteriori dans le cadre de la présente instance une suspension du contrat, puisque celui-ci était déjà résilié, une telle suspension n'étant au demeurant ni contractuelle, ni consensuelle, ni légalement prévue.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande d'indemnité de rupture, dont le calcul et le quantum ne sont pas discutés, et en ce qu'il a alloué une somme supplémentaire de 15 000 euros au titre du préjudice subi du fait de l'acquisition du secteur, qui s'analyse en réalité en un complément d'indemnité de rupture, en ce qu'il vient aussi compenser la privation des revenus escomptés par l'agent, étant rappelé que lors du contrat de cession de secteur du 6 janvier 2012, M. X s'est vu céder tous les droits et obligations que Rogard Ltd tenait du contrat d'agent commercial d'origine, en ce compris le droit à indemnité de rupture (que le cédant perdait). Il importe peu à cet égard que Moloko n'ait pas été partie à ce contrat de cession, dès lors que cette cession lui est opposable, ayant été tacitement approuvée par elle puisque le contrat d'agent commercial s'est poursuivi entre elle et le cessionnaire, et compte tenu de ce que la présente demande indemnitaire n'a pas pour objet un remboursement ou une révision du prix de cession.
En revanche, le jugement entrepris sera réformé en ce qu'il a accordé à M. X la somme de 10 000 euros, au titre de la rupture brusque du contrat d'agent commercial, les éléments du débat ne faisant pas apparaître que la rupture, dont M. X a en particulier été dûment informé par Moloko au moyen du mail précité du 10 juillet 2013, soit intervenue dans des conditions fautives, à raison de sa soudaineté ou sa brutalité.
La société Moloko qui succombe supportera les dépens d'appel ; l'équité commande de ne pas faire droit à la demande de M. X formée en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, excepté concernant le montant de la créance de M. X fixée au passif de la société Moloko, Statuant de nouveau sur le point réformé, Réduit le montant de cette créance à 19 000 euros ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Moloko aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Bolling Durand Lallement en application de l'article 699 du Code de procédure civile.