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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 25 janvier 2018, n° 16-06749

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

EDI Viandes (SARL)

Défendeur :

DAF Trucks France (SARL), Turbotrucks Lille (SARL), Turbotrucks Saint-Omer (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mmes Vercruysse, Aldigé

T. com. Boulogne-sur-Mer, du 12 juill. 2…

12 juillet 2016

Le 1er août 2008, la SARL EDI Viandes a commandé à la SARL Lille poids lourds, concessionnaire DAF, un porteur DAF neuf à usage de porte-viande suspendue.

Le 7 août 2008, la SARL Lille Poids Lourds, désormais dénommée Turbo Trucks Lille, concessionnaire DAF, a commandé à la société DAF Trucks NV un porteur DAF neuf pour répondre à cette commande. Cette commande a été facturée le 11 septembre 2008.

La SARL Lille Poids Lourds a facturé cette acquisition le 16 janvier 2009 à la société Lixxbail avec laquelle la SARL EDI Viandes a conclu un contrat de crédit-bail finançant l'acquisition du porteur et de ses aménagements dont le terme était prévu pour le 16 janvier 2014.

Ce tracteur a été équipé par la société de carrosserie Delcroix d'une carrosserie isotherme, et livré par elle à la société Lixxbail le 14 janvier 2009.

Le véhicule a été immatriculé 9649 YM 62, et mis en circulation le 15 janvier 2002 par la SARL EDI Viandes.

Le 29 janvier 2009, dans un virage à droite en sortie de l'autoroute A 16, le véhicule s'est déséquilibré et s'est couché sur le flanc gauche.

Il enregistrait 2648 kilomètres au compteur.

Suite à cet accident, une réunion amiable s'est déroulée le 12 février 2009 entre les différentes parties concernées par ce litige, sans qu'un accord puisse être trouvé sur la cause de l'accident.

Pour la SARL EDI Viandes, le chauffeur du véhicule n'avait pas commis d'erreur de conduite et l'accident était dû, incontestablement, à un problème technique ou à une mauvaise définition du matériel.

Pour les autres parties, l'accident s'expliquait par une vitesse trop élevée en virage, compte-tenu du chargement : viande suspendue avec un centre de gravité haut.

À la suite de cet accident, le véhicule a été réparé par la société Saint-Omer Poids Lourds (Turbo Trucks Saint-Omer), selon facture en date du 30 avril 2009 pour un montant total de 26 775,53 euros, et a de nouveau été utilisé.

Par ordonnance du 28 octobre 2009, le juge des référés du Tribunal de grande instance d'Amiens a missionné Monsieur l'expert X aux fins de rechercher la cause et l'origine des défauts pouvant affecter le véhicule.

L'expert a déposé un premier rapport le 8 octobre 2012.

La SARL EDI Viandes a signalé un nouveau sinistre similaire survenu le 1er juillet 2010 sur la commune de Luzarches (95). Le compteur du véhicule lors du second accident totalisait alors 106 563 km.

M. l'expert X désigné cette fois sur ordonnance du 7 octobre 2010 par le Tribunal de commerce de Pontoise a déposé un second rapport le 28 janvier 2013.

C'est en l'état de ces constatations que la SARL EDI Viandes a assigné les sociétés Turbo Trucks Lille, Turbo Trucks Saint-Omer et DAF Trucks France devant le Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer dans le cadre d'une action en résolution de vente et en demande de dommages et intérêts, par acte d'huissier en date du 7 janvier 2014.

En parallèle, sur demande de la société Saint-Omer Poids Lourds (Turbo Trucks Saint-Omer) le Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a rendu le 8 février 2011 une injonction de payer à l'encontre de la SARL EDI Viandes concernant le solde des réparations du premier accident, pour les sommes de :

- 7 428,11 euros en principal,

- 162,76 euros de frais accessoires (sommation de payer),

- 52,62 euros de frais de présentation,

outre intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2010, et les dépens fixés à la somme de 38,87 euros.

La SARL EDI Viandes a formé opposition contre cette ordonnance le 8 mars 2011.

Par jugement du 26 mars 2014 le Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a ordonné la jonction des deux instances.

Par jugement en date du 12 juillet 2016, le Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a :

- constaté la jonction des instances 2011100346 et 2014000377,

- mis à néant l'injonction de payer rendue le 8 février 2011 et statuant à nouveau,

- déclaré recevable mais mal fondée la demande en résolution de vente,

- débouté la SARL EDI Viandes de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la SARL EDI Viandes à régler à la SAS Turbo Trucks Saint-Omer la somme de 7 428,31 euros en principal, majorée des intérêts légaux, à compter de la sommation de payer du 20 décembre 2010,

- débouté la SARL EDI Viandes de sa demande de dédommagement pour préjudice moral,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné la SARL EDI Viandes à verser 1 000 euros à chacune des sociétés Turbo Trucks Saint-Omer, DAF Trucks Lille et DAF Trucks France, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit que les dépens et frais d'expertise diligentées dans le cadre des procédures devant les tribunaux de commerce d'Amiens et de Pontoise seraient supportés par moitié entre les sociétés EDI Viandes et DAF Trucks Saint-Omer,

- laissé à la charge de la SARL EDI Viandes les entiers dépens relatifs à la procédure d'injonction de payer et d'opposition, en ce compris les frais de sommation de payer et de présentation de requête.

La SARL EDI Viandes a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions signifiées le 12 avril 2017, la SARL EDI Viandes demande à la cour d'appel, sur le fondement des articles 1603 et suivants, 1641 et suivants et 1146 et suivants du Code civil, de :

- réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

- la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes,

Et y faisant droit,

- constater que le véhicule livré par les sociétés Turbo Trucks Lille anciennement dénommée Lille Poids Lourds, Turbo Trucks Saint-Omer, anciennement dénommée Saint-Omer Poids Lourds et DAF Trucks France à la SARL EDI Viandes n'est pas conforme à la commande effectuée par la SARL EDI Viandes,

- prononcer la résolution de la vente du véhicule DAF FA LF 55ST17.9N du 1er août 2008,

- condamner la société Turbo Trucks Lille anciennement dénommée Lille Poids Lourds à restituer la somme de 45 000 euros HT à la SARL EDI Viandes au titre du montant du prix de vente du véhicule DAF FA LF 55ST17.9N,

- ordonner la restitution par la SARL EDI Viandes du véhicule DAF qui lui a été livré par la société Lille Poids Lourds à cette dernière aux frais de la société Turbo Trucks Lille anciennement dénommée Lille Poids Lourds,

- condamner solidairement les sociétés Turbo Trucks Saint-Omer, anciennement dénommée Saint-Omer Poids Lourds, Turbo Trucks Lille anciennement dénommée Lille Poids Lourds et DAF Trucks France à indemniser les préjudices subis du fait de la non-conformité du camion livré avec le camion commandé,

- condamner solidairement les sociétés Turbo Trucks Saint-Omer, anciennement dénommée Saint-Omer Poids Lourds, Turbo Trucks Lille anciennement dénommée Lille Poids Lourds et DAF Trucks France à payer à la SARL EDI Viandes au titre de ses différents préjudices les sommes suivantes :

- sur les préjudices liés à l'accident du 29 janvier 2009 :

la somme de 22 387,57 euros au titre du montant total des réparations selon la facture du 30 avril 2009 émise par la société Saint-Omer Poids Lourds,

la somme de 3 032 euros au titre des frais de dépannage et de rapatriement du camion selon la facture émise par l'EURL Autocam Dépannage,

la somme de 39 024 euros au titre du préjudice de perte d'exploitation lié à l'immobilisation du véhicule,

- sur les préjudices liés à l'accident du 1er juillet 2010 :

la somme de 28 875 euros au titre du préjudice matériel correspondant à la valeur de la caisse frigorifique et du groupe frigorifique conformément au chiffrage de l'expert judiciaire,

la somme de 8 606,21 euros au titre des frais de dépannage et de gardiennage selon la facture du 1er juillet 2010 de la société Codra,

la somme de 57 776 euros au titre des échéances honorées auprès de la société de crédit-bail, la société Lixxbail et correspondant à la période d'immobilisation du véhicule,

la somme de 145 304 euros au titre du préjudice lié à la perte d'exploitation pendant la période d'immobilisation du véhicule, soit du 1er juillet 2010 au 30 septembre 2013,

la somme de 62 487 euros au titre des frais financiers,

la somme de 22 121,47 euros au titre de la perte des marchandises,

la somme de 919 euros au titre des frais d'équarrissage selon la facture de la société Atemax du 2 juillet 2010,

- subsidiairement et si une expertise était ordonnée sur le préjudice immatériel, la prescrire aux frais avancés des intimées, et condamner les sociétés intimées au paiement d'une provision de 150 000 euros à valoir sur l'ensemble des préjudices immatériels,

- débouter les sociétés Turbo Trucks Lille anciennement dénommée Lille Poids Lourds, Turbo Trucks Saint-Omer, anciennement dénommée Saint-Omer Poids Lourds et DAF Trucks France de leurs demandes,

- condamner solidairement les sociétés Turbo Trucks Saint-Omer, anciennement dénommée Saint-Omer Poids Lourds, Turbo Trucks Lille anciennement dénommée Lille Poids Lourds et DAF Trucks France à payer à la SARL EDI Viandes la somme de 3 000 euros au titre du préjudice moral subi,

- condamner solidairement les sociétés Turbo Trucks Saint-Omer, anciennement dénommée Saint-Omer Poids Lourds, Turbo Trucks Lille anciennement dénommée Lille Poids Lourds et DAF Trucks France à payer à la SARL EDI Viandes la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner solidairement les sociétés Turbo Trucks Saint-Omer anciennement dénommée Saint-Omer Poids Lourds, Turbo Trucks Lille anciennement dénommée Lille Poids Lourds et DAF Trucks France aux entiers dépens de première instance et d'appel dont les frais des deux expertises diligentées dans le cadre des procédures devant le tribunal de grande instance d'Amiens et le Tribunal de commerce de Pontoise.

Au soutien de ses demandes, elle argue principalement :

- que la société DAF Trucks France expose elle-même être la filiale française du constructeur néerlandais et avoir pour rôle d'apporter une assistance après-vente aux concessionnaires de la marque, de sorte que sa présence aux débats était utile et naturelle,

- sur la résolution de la vente :

- à titre principal, sur le fondement des articles 1603 et suivants du Code civil, que le véhicule qui lui a été livré, soit un véhicule 15 tonnes FA LF 55 ST 15N n'est pas le véhicule 17,9 tonnes déclassé qu'elle avait commandé (FA LF 55 EURO ST17,9N),

- qu'elle n'avait aucun moyen de vérifier que la chose livrée n'était pas conforme à la commande effectuée, ayant réceptionné chez le carrossier Delcroix l'intégralité de l'assemblage châssis-cabinet/caisse frigorifique,

- qu'elle n'est pas un professionnel de l'automobile,

- que l'exercice de cette action est soumis à un délai de prescription de 5 ans, qu'elle n'est en l'espèce donc pas prescrite, et ce d'autant plus qu'elle n'a été informée de manière officielle du défaut de conformité du camion dont elle est propriétaire par rapport au camion commandé qu'à compter du rapport de l'expert judiciaire dommages et intérêts 28 janvier 2013,

- à titre subsidiaire, sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil, que le vendeur ne pouvait ignorer le vice qui affectait le camion livré, puisqu'il s'agit d'un modèle non-conforme à celui qu'elle avait commandé, et que force est de constater que ce véhicule n'était pas conforme à l'usage auquel il était destiné, ce qui constitue un vice caché,

- à titre infiniment subsidiaire, sur le fondement des articles 1146 et suivants du Code civil, que les intimées ont manqué à leurs obligations de livraison du camion commandé, au mépris du contrat régularisé entre les parties, et ce d'autant plus qu'elles étaient soumises en leur qualité de vendeur professionnel à une obligation de conseil envers leur acquéreur,

- sur la réparation de ses préjudices

- que les deux accidents survenus lui ont causé des préjudices, détaillés poste par poste,

- sur l'ordonnance d'injonction de payer

- que dès lors que la résolution de la vente sera prononcée, la SARL EDI Viandes sera réputée n'avoir jamais été l'acquéreur du véhicule, de sorte qu'aucun des travaux effectués sur lui ne pourra être mis à sa charge.

Par dernières conclusions signifiées le 28 mars 2017, la SAS Turbo Trucks Saint-Omer et la SARL Turbo Trucks Lille demandent à la cour d'appel de :

- déclarer irrecevable et en tout cas mal fondée l'action en annulation de vente de la SARL EDI Viandes de quelque chef que ce soit,

- débouter la SARL EDI Viandes de toutes ses demandes,

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la SARL EDI Viandes à payer à la société Turbo Trucks Saint-Omer la somme de 7 428,31 euros en principal, majorée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, outre le paiement de la somme de 211,74 euros au titre de la sommation de payer et celle de 52,62 euros au titre des frais de présentation,

À titre très subsidiaire, sur le préjudice :

- voir nommer tel expert qu'il plaira à la cour afin de se faire remettre tout document utile notamment sur l'activité antérieure, intermédiaire et postérieure de la SARL EDI Viandes après sinistre,

- se faire communiquer tous éléments permettant d'apprécier les moyens mis en œuvre par la SARL EDI Viandes pour développer son activité et établir des comparaisons chiffrées dans le cadre d'un débat contradictoire,

- condamner la SARL EDI Viandes à payer à chacune des sociétés concernées la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens, tant de première instance que d'appel.

À l'appui de leurs prétentions, elles soutiennent essentiellement :

- sur la résolution de la vente

- que le véhicule livré correspond bien à celui qui a été commandé, en toute connaissance de cause, par la SARL EDI Viandes,

- que l'expert ne fournit aucune explication technique sur cette non-conformité démentie par les pièces du dossier et les éléments qui fonderaient une utilisation ne répondant pas aux exigences de ce type de transport,

- que la prétendue non-conformité ne peut être une cause en tant que telle de l'utilisation non conforme,

- sur les préjudices

- que l'appelante ne démontre ni son préjudice ni son montant,

- que si la cour d'appel infirmait la décision du tribunal de commerce, il conviendrait de désigner expert afin d'analyser poste par poste les éléments de préjudice,

- sur la demande reconventionnelle en paiement

- que les travaux réalisés ne sont pas contestés, qu'ils ont permis au véhicule de parcourir un peu plus de 80 000 kilomètres, que la facture est parfaitement justifiée.

Par dernières conclusions signifiées le 27 février 2017, la SARL DAF Trucks France demande à la cour d'appel, vu l'article 32-1 du Code de procédure civile, de :

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer du 12 juillet 2016 en ce qu'il a débouté la SARL EDI Viandes de ses demandes à son encontre,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer du 12 juillet 2016 en ce qu'il a rejeté sa demande contre la SARL EDI Viandes pour procédure abusive et statuant à nouveau sur ce point uniquement,

- condamner la SARL EDI Viandes à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile,

- condamner la SARL EDI Viandes à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour la procédure d'appel et la condamner aux dépens.

Elle soutient ainsi en substance :

- qu'alors que cette preuve lui incombe, l'appelante ne démontre pas l'existence d'un lien contractuel entre elles, qu'à défaut de lien ses demandes sont mal fondées,

- que le fait pour l'appelante de l'intimer en appel en sachant qu'elle n'avait tenu aucun rôle dans la vente du véhicule litigieux est abusif.

La cour d'appel renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Lors de l'audience, la cour d'appel a sollicité des parties la production de l'original du bon de commande du 1er août 2008, ce qui a été fait en cours de délibéré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

À titre liminaire, il y a lieu de préciser qu'il sera fait application des dispositions du Code civil dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve de l'obligation.

Sur les demandes formulées à l'encontre de la SARL DAF Trucks France

Il ressort des pièces produites aux débats que la chaîne contractuelle concernant l'acquisition du porteur DAF litigieux est la suivante :

- la SARL EDI Viandes a commandé le porteur à la SARL Turbo Trucks Lille (anciennement la SARL Lille Poids Lourds), après avoir pris des renseignements auprès de la SARL Turbo Trucks Saint-Omer (anciennement la SARL St-Omer poids lourds), le commercial exerçant dans les deux structures,

- la SARL Turbo Trucks Lille (anciennement la SARL Lille Poids Lourds) a commandé le porteur à la société DAF Trucks NV, qui le lui a facturé en retour,

- la société DAF Trucks NV a livré le porteur directement à la carrosserie Lavoisier pour qu'elle l'équipe de la cabine isotherme,

- la carrosserie Lavoisier a équipé le porteur et l'a livré et facturé à la société Lixxbail, crédit-bailleur,

- la SARL EDI Viandes en a pris possession auprès de la société Lixxbail.

La SARL DAF Trucks France, en qualité de représentant accrédité de la société DAF Trucks NV, a certifié le 28 août 2008 que le véhicule sortant d'usine était conforme au type variante version.

La SARL Turbo Trucks Saint-Omer (anciennement la SARL Saint-Omer Poids Lourds) est intervenue dans le cadre de la réparation du véhicule à la suite du premier accident.

Force est de constater qu'aucun lien de nature contractuelle n'a été formé entre la SARL EDI Viandes et la SARL DAF Trucks France, qui n'est donc pas redevable à l'égard de l'appelante au titre de l'obligation de délivrance, de la garantie des vices cachés ou de toute responsabilité de nature contractuelle.

La SARL EDI Viandes ne formule d'ailleurs aucune demande à l'encontre de la SARL DAF Trucks France spécifiquement, et ne développe dans le cadre de ses écritures aucun moyen ou argument démontrant qu'elle ait commis une faute engageant sa responsabilité, même délictuelle.

Il convient donc de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a débouté la SARL EDI Viandes de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la SARL DAF Trucks France.

Sur la demande de résolution de la vente

En l'espèce, la SARL EDI Viandes sollicite la résolution de la vente et des dommages et intérêts sur trois fondements qu'il convient d'examiner tour à tour : elle soutient à titre principal que le porteur DAF FA LF 55 15 tonnes qui lui a été livré n'est pas conforme au porteur DAF FA LF 55 17,9 tonnes qu'elle avait commandé et qu'il existe ainsi une non-conformité entre les caractéristiques du porteur livré et l'usage qui en est fait.

À titre subsidiaire, elle fait valoir que le véhicule n'est pas conforme à l'usage auquel il était destiné, ce qui constitue un vice caché, tandis qu'à titre infiniment subsidiaire elle estime que les intimées, vendeurs professionnels dans le domaine des véhicules poids lourds, ont failli à l'obligation de conseil qui leur incombait à son égard, en lui fournissant toutes informations utiles et conseils sur le choix approprié en fonction de l'usage auquel le produit était destiné, à savoir un usage de porte-viande.

• Sur l'obligation de délivrance

Sur le fondement des articles 1604 et suivants du Code civil, le vendeur est tenu d'une obligation de délivrance de la chose, c'est-à-dire de fournir à l'acheteur un bien conforme à l'objet de la commande.

Le défaut de délivrance s'entend ainsi de la remise à l'acheteur d'un bien qui ne correspond pas aux spécifications contractuelles convenues.

Sur ce,

La cour d'appel constate que c'est aux termes d'une motivation claire et tout à fait pertinente, qu'elle adopte, que le tribunal de commerce a démontré que la SARL EDI Viandes a bien commandé, selon bon de commande explicite en date du 1er août 2008 revêtu de son cachet et de sa signature, un porteur DAF FA LF 55 15T 250, à savoir un porteur 15 tonnes et non un porteur 17,9 tonnes comme elle le soutient.

Sa connaissance du véhicule acquis ressort ainsi des stipulations claires du bon de commande, et des documents pré-contractuels, notamment l'étude technique sollicitée à la société Carrosserie Delcroix portant précisément sur la possibilité et les caractéristiques techniques de l'installation d'une cabine isotherme sur le porteur 15 tonnes, étude datée du 30 juillet 2008 et immédiatement suivie de la commande du porteur correspondant.

La SARL EDI Viandes sera ainsi déboutée de sa demande fondée sur le défaut de conformité, et la décision déférée confirmée de ce chef.

• Sur la garantie des vices cachés

Cette garantie régie par les articles 1641 et suivants du Code civil est due en raison des vices cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Il incombe à l'acquéreur d'apporter la preuve du vice caché et de ses différents caractères au sens de l'article 1641 du Code civil, à savoir que la chose vendue est atteinte d'un vice :

- inhérent à la chose et constituant la cause technique des défectuosités,

- présentant un caractère de gravité de nature à porter atteinte à l'usage attendu de la chose,

- existant antérieurement à la vente, au moins en l'état de germe,

- n'étant, au moment de la vente, ni apparent ni connu de lui, le vendeur n'étant pas tenu "des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même" conformément à l'article 1642 du Code civil.

En application de l'article 1648 du Code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

La connaissance certaine du vice par l'acheteur, marquant le point de départ du bref délai, peut se situer au jour de la notification du rapport d'expertise.

Sur ce,

À titre préliminaire, il convient de relever que les causes des deux accidents du porteur, non évidentes, ayant été longuement débattues au cours des deux opérations d'expertise menées par M. X, la connaissance certaine par la SARL EDI Viandes d'un vice affectant le camion doit être fixée au 28 janvier 2013, date de dépôt du rapport d'expertise définitif.

Dans ces conditions, l'assignation qu'elle a délivrée le 7 janvier 2014 respecte le délai biennal prescrit par les dispositions sus-citées, de sorte que la SARL Turbo Trucks Lille et la SARL Turbo Trucks Saint-Omer seront déboutées de leur demande tendant à voir déclarer cette action irrecevable.

Sur le fond, plusieurs éléments ressortant des deux rapports d'expertise déposés par M. X doivent être soulignés :

- le porteur DAF litigieux est parfaitement conforme techniquement, et n'est affecté d'aucun défaut technique,

- les deux accidents n'ont pas été causés par une erreur de conduite du chauffeur ou un excès de vitesse,

- le véhicule porte-viande a par construction un centre de gravité très haut, en raison de la suspension de la quasi-totalité de sa charge au plafond de la carrosserie, du ballant de la marchandise, et du placement du groupe frigorifique en position frontale sur la face avant de la caisse et au-dessus de la cabine du porteur,

- au fur et à mesure de l'évolution des livraisons, ce véhicule correctement chargé au départ (répartition et charge utile maximale respectées) peut voir sa répartition de charge devenir très déséquilibrée au fil des déchargements intermédiaires, au point que partiellement chargé, la répartition de la charge sera telle que l'essieu avant sera en surcharge et provoquera le déséquilibre du véhicule.

L'expert explique ainsi qu'il est d'usage courant que tous les châssis cabine destinés à recevoir des carrosseries frigorifiques pour pavillon viande soient choisis et commercialisés avec un essieu avant de la catégorie supérieure à celle correspondant à la charge utile désirée.

La SARL EDI Viandes ne caractérise pas d'autre vice à l'appui de ses demandes que celui de la non-conformité au véhicule commandé, moyen auquel il a déjà été répondu ci-dessus au titre du défaut de conformité, et de la non-conformité du véhicule à l'usage prévu, ce qui ne constitue pas un vice au sens des dispositions rappelées.

Or il ressort de ces éléments que le déséquilibre du véhicule n'intervient qu'au moment où, la répartition de la charge étant inégale au sein de la cabine, le poids maximal autorisé sur l'essieu avant est dépassé.

Ainsi ce n'est pas le véhicule qui, affecté d'un vice et malgré un usage conforme, est sujet à des déséquilibres le rendant impropre à sa destination, mais en réalité l'usage du véhicule qui, ne respectant pas ses caractéristiques techniques, provoque des déséquilibres.

La SARL EDI Viandes, dont l'activité consiste à aller chercher de la viande dans les abattoirs pour la livrer dans divers points de vente, doit être considérée comme une professionnelle du transport qui doit veiller à ce que ses véhicules soient utilisés conformément à leur destination et à leurs caractéristiques.

Or n'est pas tenu à la garantie des vices cachés le vendeur d'un produit normalement fabriqué et techniquement correct qui a été utilisé de façon défectueuse par l'acheteur, lequel était au surplus un professionnel dont l'ignorance peut paraître inexcusable.

La SARL EDI Viandes sera donc également déboutée de ses demandes sur ce fondement, et la décision déférée confirmée sur ce point, à ces seuls motifs.

• Sur le manquement à l'obligation de conseil

Le vendeur professionnel est tenu d'un devoir de conseil et d'une obligation de renseignement. Il lui appartient ainsi de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer quant à l'adéquation de la chose proposée à l'utilisation qui en est prévue.

Il est débiteur de cette obligation et doit justifier de son exécution.

Par ailleurs l'obligation d'information et de conseil du vendeur à l'égard de son client sur l'adaptation du matériel vendu à l'usage auquel il est destiné existe à l'égard de l'acheteur professionnel dans la mesure où sa compétence ne lui donne pas les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du matériel.

Les juges du fond doivent donc rechercher si l'acheteur a les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques des biens qui lui sont livrés.

Sur ce,

En l'espèce, la SARL EDI Viandes, en sa qualité de professionnelle du transport de viande, disposait de la compétence nécessaire pour pouvoir apprécier la portée des caractéristiques du porteur acquis, en particulier celles liées au centre de gravité et à la charge maximale autorisée sur chaque essieu.

Il est constant que la SARL Turbo Trucks Lille et la SARL Turbo Trucks Saint-Omer dans le cadre des discussions pré-contractuelles étaient parfaitement informées de l'usage prévu pour le véhicule, et du souhait de la SARL EDI Viandes d'acquérir un véhicule de taille suffisamment importante pour que sa capacité soit suffisante, mais également suffisamment maniable pour pouvoir circuler en centre-ville, notamment à Paris.

C'est ainsi que la SARL EDI Viandes a reçu les données techniques et des informations sur les deux véhicules, 15T et 17,9T.

Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que la SARL Turbo Trucks Lille, qui n'a pris la commande du porteur 15T qu'après avoir informé sa cliente des caractéristiques techniques des deux véhicules qu'elle lui proposait, et surtout après avoir fait réaliser une étude technique par la carrosserie Delcroix portant sur la question de la répartition des charges spécifiquement sur le porteur 15 tonnes, a manqué à son obligation de conseil.

La SARL EDI Viandes sera donc également déboutée de ses demandes sur ce fondement, et la décision déférée confirmée, pour ces seuls motifs.

Sur la demande de dommages et intérêts de la SARL EDI Viandes pour préjudice moral

S'il est compréhensible que les deux sinistres qui ont affecté le porteur qu'elle avait acquis ont causé un préjudice moral à la SARL EDI Viandes, la cause de ces deux sinistres ne peut pour autant pas être imputée à la SARL Turbo Trucks Lille et la SARL Turbo Trucks Saint-Omer contre lesquels aucune faute n'est retenue.

La SARL EDI Viandes sera donc déboutée de cette demande et la décision déférée confirmée.

Sur la demande en paiement de la SARL Turbo Trucks Saint-Omer

C'est par des motifs pertinents, et que la cour adopte, que le tribunal de commerce a condamné la SARL EDI Viandes au règlement des sommes sollicitées par la SARL Turbo Trucks Saint-Omer.

La décision sera donc également confirmée sur ce point.

Sur la demande en dommages et intérêts pour résistance abusive

Il résulte des articles 1382 du Code civil et 32-1 du Code de procédure civile, qu'une partie ne peut engager sa responsabilité pour avoir exercé une action en justice ou s'être défendue que si l'exercice de son droit a dégénéré en abus. L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'étant pas, en soi, constitutive d'une faute, l'abus ne peut se déduire du seul rejet des prétentions par le tribunal.

En l'espèce, l'appréciation inexacte de la portée de son engagement par la SARL EDI Viandes qui a vu chez la SARL DAF Trucks France un interlocuteur engagé dès l'expertise engagée après le premier sinistre et a donc jugé opportun de l'assigner au fond, n'a pas dégénéré en abus.

Il y a donc lieu de débouter la SARL DAF Trucks France de sa demande de dommages et intérêts formulée à ce titre, et de confirmer en cela les premiers juges.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En application des articles 696 et 700 du Code de procédure civile, la partie perdante est, sauf décision contraire motivée par l'équité ou la situation économique de la partie succombante, condamnée aux dépens, et à payer à l'autre partie la somme que le tribunal détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Il y a lieu de confirmer la décision déférée du chef des dépens et des frais irrépétibles, et y ajoutant de condamner la SARL EDI Viandes au paiement des entiers dépens de l'appel et à payer à la SARL Turbo Trucks Lille, la SARL Turbo Trucks Saint-Omer et la SARL DAF Trucks France chacune la somme de 4 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

Par ces motifs, Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions, Y ajoutant : Condamne la SARL EDI Viandes aux entiers dépens d'appel, Condamne la SARL EDI Viandes à verser à la SARL Turbo Trucks Lille, la SARL Turbo Trucks Saint-Omer et la SARL DAF Trucks France chacune la somme de 4 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.