Livv
Décisions

Cass. crim., 31 janvier 2018, n° 17-81.408

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (Sté), Pierre Fabre Médicaments (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Pichon

Avocat général :

M. Mondon

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié

Versailles, ch. instr., du 10 févr. 2017

10 février 2017

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société Pierre Fabre dermo-cosmétique, la société Pierre Fabre médicaments, tiers intervenants, contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Versailles, en date du 10 février 2017, qui, dans l'information suivie contre M. X et M. Y des chefs de blanchiment aggravé, faux et usage, a déclaré irrecevable la requête en contestation de l'ordonnance du juge d'instruction ordonnant une remise de biens meubles, en vue de leur aliénation, à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués ; - Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 1er du 1er Protocole additionnel à cette convention, 131-21 du Code pénal, 442-6 du Code de commerce, L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle, 1382 du Code civil devenu 1240 depuis l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, 99-2, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la requête en contestation de l'ordonnance de remise de cartons de produits parapharmaceutiques à l'AGRASC en vue de leur aliénation ;

"aux motifs que la perquisition réalisée le 6 avril 2016 au domicile de M. Y à Magnanville a permis la découverte et la saisie de plusieurs centaines de cartons de produits parapharmaceutiques (D233) placés sous le scellé Perq Y/dix-neuf, dont l'inventaire est détaillé en cote D239 ; que les scellés concernent les marques cosmétiques et parapharmaceutiques suivantes : Filorga, Arko Pharma, Novanuit, Caudalie, La Roche Posay, SVR, Gallia, Fureterer, Elgydium, Uriage, Avène, Lierac ; que les sociétés Pierre Fabre dermo-cosmétique et Pierre Fabre médicaments revendiquent leur qualité de tiers au sens de l'article 99-2 du Code de procédure pénale pour contester l'ordonnance de remise à l'AGRASC pour aliénation en date du 26 mai 2016 ; qu'il résulte des pièces de la procédure que les cartons de produits parapharmaceutiques saisis au domicile de M. Y ont été acquis auprès de pharmacies de la région parisienne, dont celle de M. X pour partie ; qu'il résulte des investigations que ces produits ont été acquis régulièrement par M. X, pharmacien agréé, auprès de ses distributeurs, pour être ensuite revendus par ses soins à prix coûtant à la société Z, moyennant le reversement d'espèces au titre de sa commission ; que s'il apparaît que les produits parapharmaceutiques placés sous main de justice ont pu être revendus par M. X à des tiers, en violation de ses obligations contractuelles auprès de ses fournisseurs et des sociétés requérantes, force est de constater que ces produits ont été régulièrement cédés par les requérants à l'intéressé ; que les requérants ne sont pas titulaires d'un titre de propriété sur les produits saisis ; que s'agissant d'un réseau de distribution sélective contractuel et non légal, portant sur des produits parapharmaceutiques, l'effet relatif des contrats de droit privé entre les parties sur les modalités de diffusion des produits ne saurait être un droit opposable aux autorités judiciaires au sens de l'article 99-2 du Code de procédure pénale ; que les dispositions de l'article L. 442-6 I 6° du Code de commerce protégeant les accords de distribution sélective ou exclusive, dont l'application est sollicitée par le conseil des requérants, vise limitativement "tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers" qui participerait à la violation de l'interdiction de revente hors réseau ; que ces dispositions n'ont pas vocation à s'adresser aux autorités judiciaires mais aux parties privées ; qu'ainsi les sociétés requérantes, par la vente de leurs produits auprès du pharmacien, ont cédé leur droit de propriété, et ne peuvent valablement faire prévaloir sur la procédure pénale les obligations du contrat de distribution qui ne lient que les parties entre elles ; qu'au surplus, les sociétés requérantes ne visent qu'une partie des cartons placés sous scellés, d'autres cartons de produits de marques différentes étant également concernés par l'ordonnance ; qu'en conséquence, les sociétés Pierre Fabre dermo cosmétique et Pierre Fabre Médicaments n'ont pas la qualité de tiers pour agir au sens de l'article 99-2 du Code de procédure pénale ;

"1°) alors que l'article 99-2 du Code de procédure pénale prévoit que la remise d'un bien, placé sous main de justice, à l'AGRASC en vue de son aliénation n'est possible que si le propriétaire ne l'a pas réclamé et " sous réserve du droit des tiers " ; que cette disposition consacre tant le droit du propriétaire matériel du bien que le droit d'un tiers, quel que soit ce droit ; que le titulaire d'une marque peut contester la remise du produit marqué à l'AGRASC en vue de son aliénation dès lors qu'elle est de nature à porter atteinte à sa marque ; qu'en déclarant irrecevables à agir les sociétés Pierre Fabre en ce qu'elles ne sont pas titulaires d'un droit de propriété matérielle sur les biens, lesdites sociétés ayant " cédé leur droit de propriété " tandis qu'il résulte de leur requête qu'il s'agissait de " produits de marques appartenant aux requérantes ", la chambre de l'instruction a méconnu cette disposition ;

"2°) alors que constitue également le droit d'un tiers sur un bien permettant de contester la mesure de remise de ce bien à l'AGRASC en vue de son aliénation, celui du titulaire de produit de parapharmacie faisant l'objet d'un réseau de distribution sélective ; que les sociétés invoquaient le réseau de distribution sélective de ces produits de parapharmacie relevant du domaine de la santé et autorisant le promoteur de ce produit à s'opposer à une nouvelle commercialisation ; qu'en estimant que les accords de distribution sélective ne s'appliquent qu'aux parties privées et que les sociétés requérantes avaient cédé leur droit de propriété et ne pouvaient donc pas faire prévaloir les obligations du contrat de distribution, la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs inopérants et n'a pas donné de base légale à sa décision ;

"3°) alors que les dispositions précitées prévoient la contestation par les tiers de la remise des biens à l'AGRASC ; que ces dispositions ne prévoient pas que la contestation doit nécessairement porter sur la totalité des biens ; qu'en écartant la recevabilité de la requête en ce que les sociétés Pierre Fabre " ne visent qu'une partie des cartons ", la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs inopérants" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. Y a été mis en examen des chefs de blanchiment aggravé et usage de faux dans le cadre d'une information judiciaire portant sur l'achat de produits parapharmaceutiques auprès de M. X, gérant de pharmacie, moyennant une commission, et leur revente par internet à des consommateurs chinois ; que, par ordonnance du 26 mai 2016, en application des dispositions des articles 131-21, alinéa 3, du Code pénal et 99-2 du Code de procédure pénale, le juge d'instruction a ordonné la remise à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), en vue de leur aliénation, de plusieurs centaines de cartons contenant de tels articles saisis lors d'une perquisition au domicile de M. Y ; que, le 14 octobre 2016, les sociétés Pierre Fabre dermo-cosmétique et Pierre Fabre médicament, arguant que la vente aux enchères de produits de leurs marques Furterer, Elgydium et Avène porterait atteinte aux droits qu'elles détiennent sur leurs réseaux de distribution sélective, ont déposé auprès du greffe d'instruction une requête en contestation de ladite ordonnance aux fins de retrait des lots concernés de la vente et destruction de ceux-ci ;

Attendu que les demandeurs ne sauraient se faire un grief de ce que la chambre de l'instruction a déclaré irrecevable leur requête faute de qualité à agir en tant que tiers au sens de l'article 99-2 du Code de procédure pénale, dès lors que la remise à l'AGRASC de biens meubles saisis, en vue de leur aliénation, dans le respect de ce texte et de l'article 131-21 du Code pénal, ne porte pas, par elle-même, atteinte aux droits résultant des contrats de distribution sélective dont font l'objet ces produits, non plus qu'à ceux du titulaire de la marque pour ces derniers ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.