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Décisions

Cass. crim., 13 octobre 2015, n° 14-85.547

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

X

Défendeur :

Y (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

M. Fossier

Avocat général :

M. Liberge

Avocats :

Me Le Prado, SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, Poupot, SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Gatineau, Fattaccini

Versailles, 9e ch., du 2 juill. 2014

2 juillet 2014

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par X et Y contre l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 2 juillet 2014, qui, pour homicides et blessures involontaires, et contravention de blessures involontaires, a condamné le premier, à deux ans d'emprisonnement avec sursis et 1 500 euros d'amende, la seconde, à 200 000 euros et 4 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu le mémoire commun aux demandeurs et les mémoires en défense produits ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le 4 août 2007, le détachement partiel d'une nacelle de manège de type " booster " tournant à grande vitesse et sa collision avec le sol ont causé la mort de Jean-Pierre Y. et de son fils Nicolas, et des blessures physiques ou psychologiques à d'autres membres de la même famille ainsi qu'à M. Johan Z. et M. Patrice A. ; que la société X. et son gérant, constructeurs du manège, ainsi que M. Philippe C., le forain exploitant et la société D. et son gérant M. Paolo D., auteurs de soudures qui ont cédé lors de l'accident, ont été renvoyés du chef d'homicides et blessures involontaires devant le tribunal correctionnel, qui les a condamnés et a prononcé sur les intérêts civils au profit des consorts Y., de M. Z. et de la Fédération des victimes d'accidents collectifs ; qu'appel a été interjeté par les prévenus, puis par les parties civiles et le ministère public ;

En cet état ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention des droits de l'homme, 121-2, 121-3, 131-38, 131-41, 221-6, 221-7, 222-19, 222-20, 222-21, R. 625-2 et R. 625-5 du Code pénal, 1382 du Code civil, 169, 435, 444, 513, 591 et 593 du Code de procédure pénale ; " en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. X. et la société X. park coupables d'homicide involontaire et de blessures involontaires, a infligé au premier une peine d'emprisonnement avec sursis et d'amende contraventionnelle et à la seconde une peine d'amende délictuelle et d'amende contraventionnelle et les a condamnés à réparer les préjudices subis par celles des parties civiles à l'égard de qui il n'avait pas été sursis à statuer ; " aux motifs qu'en début d'audience, la cour avait refusé de faire droit à la demande d'audition de M. E., ancien président de la Naflic ; qu'en revanche, il avait été décidé d'admettre parmi les pièces utiles le rapport sur l'accident du 4 août 2007 établi par celui-ci ; que les experts F. et G., désignés par l'arrêt comme " témoins ", avaient été entendus, serment préalablement prêté ; " alors qu'en ne s'expliquant pas sur les raisons de son refus d'entendre lors des débats M. E., technicien spécialiste de haut niveau des manèges forains cité comme témoin en cause d'appel par M. X. et la société X. park ¿ et ayant conclu par écrit, au vu des pièces du dossier, que l'accident était imputable à une vitesse de rotation excessive du manège, témoin dont la confrontation avec les experts judiciaires lors des débats aurait donc été de nature à fournir à ces prévenus une occasion adéquate et suffisante de contester la thèse desdits experts, la cour d'appel n'a pas donné à sa décision une motivation suffisante " ;

Attendu que, pour refuser de faire droit à la demande d'audition de l'expert en manèges E., non cité comme témoin, les juges retiennent qu'ils admettent parmi les pièces utiles le rapport sur l'accident du 4 août 2007 établi par celui-ci ; que les juges en citent de larges extraits, d'où il ressort que les éléments résultant de ce rapport privé ont été débattus contradictoirement ;

Attendu qu'en cet état, les griefs allégués ne sont pas encourus ; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention des droits de l'homme, 121-2, 121-3, 131-38, 131-41, 221-6, 221-7, 222-19, 222-20, 222-21, R. 625-2 et R. 625-5 du Code pénal, 1382 du Code civil, 169, 435, 444, 513, 591 et 593 du Code de procédure pénale ; " en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. X. et la société X. park coupables d'homicide involontaire et de blessures involontaires, a infligé au premier une peine d'emprisonnement avec sursis et d'amende contraventionnelle et à la seconde une peine d'amende délictuelle et d'amende contraventionnelle et les a condamnés à réparer les préjudices subis par celles des parties civiles à l'égard de qui il n'avait pas été sursis à statuer ; " aux motifs propres que les investigations et les expertises avaient permis de vérifier que M. C. avait acquis le Booster, fabriqué en 2001 par la société X., auprès d'un collègue forain danois en 2003 ; que les premières constatations effectuées par M. H., confortées par le sapiteur M. I., spécialiste en automatisme, avaient révélé que le paramètre de réglage de la vitesse de rotation de l'appareil était de 2750 tours par minute au lieu de 1900 tours par minute, prévue par le constructeur ; que si M. C. avait formellement, et avec constance, contesté avoir lui-même manipulé le boîtier permettant de modifier cette vitesse, les autres forains entendus avaient admis qu'une telle modification était possible en ayant recours à un technicien ; que M. H. et son sapiteur avaient déduit de cette constatation que la vitesse de rotation des hélices pouvait atteindre 15 tours par minute au lieu de 11, 5 tours par minute ; que de même, M. I. avait fait apparaître que les paramètres d'accélération/ décélération étaient réglés à 293, 09 ampères au lieu de 250 ampères, ce qui avait pour effet de produire des accélérations/ décélérations plus fortes que prévues par le constructeur ; que par la suite, dans son rapport d'expertise conjointe avec M. G. ou lors des débats d'audience, M. H. était revenu sur ses premières conclusions et avait estimé que la vitesse de rotation du Booster avait été de 11,5-12 tours par minute et que, après avoir également expliqué le contraire lors de ses premières constatations, le système 8 S, permettant de réguler la vitesse au moment de sa vitesse maximale, fonctionnait sur le Booster de M. C. et empêchait ainsi que le manège tournât à la vitesse précitée de 15 tours par minute ; que pourtant, après avoir procédé à l'examen de tous les Boosters en circulation sur le territoire français, l'expert H. avait conclu que celui exploité par le prévenu était " le plus rapide et le plus brusque " ¿ " pour avoir des sensations extrêmes " ; qu'en outre, M. H. avait constaté que, de tous les Boosters examinés, celui dont M. C. était propriétaire présentait des fissures graves alors qu'aucun des autres ne montrait de signes de fissures visibles à l'œil nu ; que ces constatations, relatives à la structure de l'appareil et à sa vitesse, avait été rejointes par celles de l'expert M. G. qui avait mis en évidence qu'au moment de l'accident, le Booster de M. C. présentait des fissures verticales, d'une longueur de 135 mm d'un côté et de 43 mm de l'autre et avait estimé que, compte tenu de la présence de saleté et traces d'huile, ces fissures étaient antérieures à l'accident ; que devant la cour, cet expert avait confirmé qu'en dehors des nacelles, selon lui, le manège était en train de se fissurer aussi au niveau des poutres constituant les deux pales de l'hélice, au niveau des différentes soudures de jonction ; que confortant l'avis de son collègue M. H., M. G. avait, devant la cour, affirmé que, si la machine avait tourné à 2700 tours par minute, les contraintes auraient été multipliées par deux et les hélices se seraient cassées en une année environ ; que dans le rapport remis à la cour par l'avocat de la société X., M. E., expert britannique, membre de la Naflic, considérait, au vu des premières constatations réalisées par M. H. sur la vitesse de rotation, à partir d'un graphique généré par ordinateur, que l'augmentation de vitesse avait des incidences directes sur la structure évaluées à 67 %, celles-ci entraînant une réduction de la durée de vie de l'appareil ; que cette estimation concordait avec l'avis de M. G. ; que de ces conclusions expertales relatives à l'état du Booster et plus spécialement à la présence de fissures, sans déduire que M. C. aurait modifié ou fait modifier les paramètres de vitesse du Booster ou acheté celui-ci ses paramètres antérieurement modifiés par son précédent propriétaire, il ressortait que l'exploitant, qui avait l'habitude de procéder au montage et au démontage du manège, aurait dû remarquer ces fragilités sur la structure du manège ; que s'agissant des causes directes de l'accident, savoir l'état des soudures sur la nacelle, les experts avaient relevé que même s'il était difficile pour l'exploitant d'accéder à certains endroits, compte tenu des sièges, celui-ci aurait dû remarquer à la fois des traces de peinture boursouflée révélant de la corrosion sous la peinture ; que sur ce point, les représentants de la société X.avaient expliqué que le contrôle de cette zone, qui était effectué par les exploitants allemands, pouvait être réalisé en ôtant un " petit chapeau métallique " permettant de vérifier, sous les sièges, l'état des soudures ; que M. C. avait admis ne pas avoir respecté les préconisations du constructeur prévoyant une vérification visuelle des soudures par quinzaine ; que s'il avait respecté la norme prévoyant un contrôle tous les trois ans et avait fait effectuer le dernier contrôle par la société CTS quelques mois avant l'accident, il ne pouvait ignorer que ces contrôles étaient visuels, superficiels et accomplis par des employés n'ayant aucune compétence technique ; qu'en outre, sachant que la manuel d'utilisation du Booster, dont il avait pris connaissance peu après l'achat de celui-ci, prévoyait une inspection annuelle par un technicien spécialisé de la société X., il lui appartenait de solliciter de celle-ci le contrôle afin de prévenir le risque d'accident ; que même s'il n'était pas établi que le Booster accidenté avait une vitesse modifiée, les constatations des experts avaient permis de démontrer que l'état général de l'appareil, notamment au niveau des poutres et plus spécialement au niveau des soudures à l'endroit où les nacelles étaient installées, se dégradait, par la présence de fissures, peinture boursouflée et de graisse, et que ces dégradations rendaient la structure fragile ; que compte tenu des contraintes sur la structure du manège, la poursuite de l'exploitation de cet appareil, de haute technicité, constituait à son encontre un manquement majeur ; que dans son rapport, M. E., directeur de la société John E.Ltd, ayant pour activité la construction, la réparation, la maintenance et l'inspection des manèges, membre et ancien président de l'association Naflic, qui s'était livré à une expertise sur pièces, sans avoir examiné le Booster objet de la présente affaire, insistait sur la modification apportée, selon lui, au paramètre de vitesse maximale ; que reprenant les premières conclusions de M. H., elles-mêmes confirmées par les constatations de M.

Attendu que, pour dire établis les délits d'homicides et blessures involontaires et la contravention de blessures involontaires, reprochés à M. X. et à la société X., l'arrêt, après avoir retenu la responsabilité pénale de l'exploitant du manège, M. C., et celle de l'auteur des soudures, la société D. et son gérant, énonce notamment que la société X. a conçu et commercialisé le manège, dont les experts et les sapiteurs ont mis en évidence les défauts majeurs dans la fabrication et le montage, et l'absence de contrôle lors de sa fabrication ; que les juges ajoutent que s'agissant d'un manège à sensations fortes soumis à des contraintes spécifiques, il importe que la société constructrice transmette à l'exploitant les instructions relatives à son entretien, aux conditions de son montage et démontage et à son utilisation ; que la cour d'appel en déduit que l'accident a pour cause et origine les défauts majeurs dans la conception et la fabrication du manège, que la société constructrice aurait dû empêcher en contrôlant et vérifiant, suivant un protocole qu'il lui appartenait d'établir, la qualité du travail de ses sous-traitants ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, d'où il s'évince que la faute de la société X. et celle de son gérant ont concouru aux dommages ayant justifié la poursuite, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle et caractérisé, en tous leurs éléments, tant matériel qu'intentionnel, les délits et la contravention dont elle a déclaré les prévenus coupables, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette les pourvois.