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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 6 février 2018, n° 15-04765

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Domaines Lapalu (SAS)

Défendeur :

Wine Partners (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chelle

Conseillers :

Mme Fabry, M. Pettoello

Avocats :

Mes Fonrouge, Denel, Deneuville

T. com. Bordeaux, du 25 juin 2015

25 juin 2015

Faits et procédure

La SAS Domaines Lapalu, qui exploite des domaines viticoles en Médoc et Haut Médoc, employait M. X en qualité de directeur commercial export depuis février 2003.

À compter du 30 septembre 2007, M. X a démissionné de ses fonctions auprès de la société Domaines Lapalu et a constitué la SARL Wine Partners. Les sociétés Lapalu et Wine Partners ont alors signé, le 1er octobre 2007, un contrat de partenariat dont l'objet était le développement et la promotion à l'export des produits vendus par la société Domaines Lapalu.

Les relations commerciales entre les sociétés Domaines Lapalu et Wine Patners ont été rompues en octobre 2014. Un désaccord s'en est ensuivi sur le montant des rémunérations dues à la société Wine Partners.

Par acte du 9 février 2015, la société Wine Partners a assigné en référé la société Domaines Lapalu pour demander sa condamnation à lui payer la somme provisionnelle de 135 817,51 euros au titre des commissions d'agent. Par ordonnance du 17 mars 2015, le président du Tribunal de commerce de Bordeaux a dit n'y avoir lieu à référé en raison de l'existence d'une contestation sérieuse et a renvoyé l'affaire devant le juge du fond.

Par jugement du 25 juin 2015, le Tribunal de commerce de Bordeaux a notamment :

Condamné la société Domaines Lapalu à payer à la société Wine Partners SARL la somme de 135 817,51 euros au titre des commissions dues, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2015,

Condamné la société Wine Partners à payer à la société Domaines Lapalu la somme de 1 326,34 euros TTC en exécution du contrat de prestation de service dit " avenant contrat de partenariat " du 12 avril 2010,

Ordonné l'exécution provisoire sous réserve de constituer caution à concurrence de 134 491 euros,

Débouté la société Wine Partners de sa demande relative à la résistance abusive,

Condamné la société Domaines Lapalu aux dépens.

Par déclaration du 24 juillet 2015, la société Domaines Lapalu a interjeté appel de la décision.

Le 14 octobre 2015, une mesure de médiation judiciaire a été proposée aux parties, qui ne se sont pas accordées sur le principe d'une acceptation.

Prétentions des parties

Par conclusions déposées en dernier lieu le 14 octobre 2015, auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses moyens et arguments, la société Domaines Lapalu demande à la cour de :

- Déclarer recevable en la forme et juste au fond l'appel interjeté par la société Domaines Lapalu.

- Constater que la société Wine Partners a qualifié le contrat de partenariat du 1er octobre 2007, de contrat d'agent commercial, soumis comme tel, depuis l'origine de la relation contractuelle entre les parties, aux dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce.

- Constater que devant le premier Juge la société Domaines Lapalu n'a pas contesté cette qualification d'agent commercial.

- Infirmant la décision entreprise,

- Dire et juger que les sommes qui ont été versées par la société Domaines Lapalu à la société Wine Partners durant l'exécution du contrat litigieux, s'analysent en des commissions d'agent au sens de l'article L. 134-6 du Code de commerce.

- Dire et juger que la société Wine Partners ne peut prétendre percevoir des commissions sur un chiffre d'affaires qui a été réalisé sans son entremise, antérieurement à son existence et au démarrage de son activité pour le compte de la société Domaines Lapalu.

- Infirmant la décision entreprise,

- Dire et juger que la société Wine Partners a été intégralement été remplie de ses droits au titre des commissions qui lui sont dues par la société Domaines Lapalu.

- Débouter en conséquence la société Wine Partners de ses demandes, fins et conclusions.

- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a jugé que la société Wine Partners était redevable envers la société Domaines Lapalu d'une somme de 71 431,90 €.

- Infirmant la décision entreprise également de ce chef.

- Condamner la société Wine Partners à payer à la société Domaines Lapalu cette somme de 71 431,90 €, outre intérêts au taux conventionnel, soit une fois et demi le taux de l'intérêt légal à compter de la mise en demeure du 6 janvier 2015 et jusqu'à parfait paiement.

- Condamner également la société Wine Partners au paiement de la somme de 48 842 € HT à titre de restitution du trop-perçu de commissions.

- Condamner la société Wine Partners au paiement de la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC.

- La Condamner aux entiers dépens.

Outre les diverses demandes reprises intégralement ci-dessus de " constater " ou " dire que ", qui ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du Code de procédure civile, mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, la société Domaines Lapalu fait notamment valoir que la société Wine Partners a elle-même sollicité que le contrat soit qualifié de contrat d'agent commercial ; qu'en application de cette qualification, les dispositions de l'article L. 134-6 du Code de commerce selon lesquelles l'agent a droit à une commission pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat s'applique ; qu'il ressort également des termes du contrat de partenariat que la société Wine Partners n'est rémunérée que pour une mission qui lui est confiée ; que, par conséquent, la société Wine Partners ne peut pas être rémunérée au titre de la période antérieure au 1er octobre 2007 alors que c'est à partir de cette date qu'elle a commencé son activité ; qu'ainsi, les sommes payées en 2007 ne peuvent être considérées que comme des avances et, par effet de décalage, les commissions versées à la société Wine Partners en 2014 l'ont été pour son activité de 2014 et non pour celle de 2013 ; que la société Wine Partners est débitrice d'une facture d'un montant de 70 105,66 euros, ce qu'elle a reconnu, ainsi que d'une facture d'un montant de 1 326,24 euros ; que la société Wine Partners a perçu un surplus de commissions d'un montant de 48 842 euros HT puisque les commissions dues s'élèvent à 1 134 019 euros HT alors que la société Domaines Lapalu lui a versé la somme totale de 1 182 861 euros HT.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 14 décembre 2015, auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses moyens et arguments, la société Wine Partners demande à la cour de :

Vu l'article 1134 du Code civil,

Vu le contrat conclu entre les parties, il est demandé à la Cour d'appel de Bordeaux de :

- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux le 25 juin 2015,

En conséquence :

- Ordonner que la société Wine Partners conservera la somme de 134 491 € qui lui a été versée par la société Domaines Lapalu en exécution du jugement intervenu ainsi que les intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 9 janvier 2015,

- Ordonner la mainlevée de la caution consentie par la société Wine Partners à la société Domaines Lapalu en garantie du remboursement de la somme précitée,

- Débouter la société Domaines Lapalu de l'ensemble de ses demandes,

- Condamner la société Domaines Lapalu à verser à la société Wine Partners la somme de 7 000 € au titre de l'article 700 du CPC,

- Condamner la société Domaines Lapalu aux entiers dépens.

La société Wine Partners fait notamment valoir que peu importe la qualification du contrat de partenariat qui est indifférente, le contrat doit être exécuté selon ses termes ; que le contrat prévoit la rémunération de la société Wine Partners à hauteur de 5 % du chiffre d'affaires réalisé par la société Domaines Lapalu et que ces commissions sont payables l'année suivant leur fait générateur ; que, les commissions dues au titre des années 2013 et 2014 restent impayées ; qu'elle reconnaît devoir à la société Domaines Lapalu les sommes de 71 431,90 euros et de 1 326,24 euros qui sont par conséquent déduites de la somme totale due par la société Domaines Lapalu ; que les commissions payées par la société Domaines Lapalu en 2014 jusqu'à la rupture du contrat sont, conformément au contrat et à la pratique antérieure, le paiement des commissions dues au titre de l'année 2013 et non de l'année 2014.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 décembre 2017.

Malgré les prescriptions de l'article 912 alinéa 3 du Code de procédure civile qui l'imposent, ni la société Domaines Lapalu, ni la société Wine Partners, n'ont déposé à la cour quinze jours avant la date fixée pour l'audience de plaidoiries le dossier comprenant les copies des pièces visées dans les conclusions.

MOTIFS DE LA DECISION

La société Domaines Lapalu conteste dans son intégralité la décision du tribunal de commerce sur le principal de la demande, en soutenant que l'ensemble des commissions dues à la société Wine Partners pendant le temps d'exercice du contrat, du 1er octobre 2007 au 1er octobre 2014, avait déjà été payées, et qu'il existait même un trop perçu.

Elle poursuit donc l'infirmation totale du chef de jugement l'ayant condamnée à payer la somme de 135 817,51 euros.

La même société Domaines Lapalu conteste également les chefs du jugement relatifs à ses demandes reconventionnelles :

Dans le dispositif de ses conclusions, elle demande d'abord la " confirmation " de la décision en ce qu'elle aurait " jugé que la société Domaines Lapalu était redevable envers [elle] d'une somme de 71 431,90 euros ", alors qu'aucun chef de décision en ce sens ne figure pourtant au dispositif du jugement, seul siège des décisions de la juridiction.

Elle demande enfin la condamnation de la société Wine Partners à lui payer cette même somme de 71 431,90 euros en principal.

Pour sa part, la société Wine Partners demande la confirmation intégrale de la décision du tribunal de commerce, sans former d'appel incident.

La société Wine Partners présente toutefois en sus des demandes tirées de l'exécution provisoire ordonnée par le tribunal de commerce.

Sur ce point, et alors que les éventuelles difficultés relatives à l'exécution provisoire ne sont pas du ressort de la cour statuant au fond, il doit être rappelé que le présent arrêt constituera le titre exécutoire ouvrant droit à, soit la conservation, soit la restitution des sommes versées en exécution du jugement, le cautionnement fourni à ce titre devenant alors sans objet s'il est jugé dans le même sens que le premier juge, ou au contraire si la restitution est effectuée.

Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de Wine Partners relatives à l'exécution provisoire de la décision de première instance.

Sur les commissions réclamées par la société Wine Partners

Pour contester le montant des commissions allouées à la société Wine Partners, la société Domaines Lapalu soutient que celle-ci n'a pas vocation à percevoir des commissions d'agent commercial pour la période antérieure au 1er octobre 2007.

Elle fait valoir que Wine Partners n'a eu aucune activité, directe ou indirecte, pour son compte avant le 1er octobre 2007, alors qu'un agent commercial ne peut percevoir que des commissions correspondant à son activité propre.

Elle ajoute que les commissions versées au démarrage de l'activité de Wine Partners le 1er octobre 2007 ne peuvent correspondre qu'à des avances, que les commissions versées en 2008 ne peuvent correspondre qu'à l'activité de l'année 2008, de même de 2009 à 2013, et que celles versées jusqu'au 3 octobre 2014 correspondent aux commissions dues au titre de l'année 2014.

La société Wine Partners soutient que, quel que soit le contrat conclu, il y a lieu d'en respecter les termes, et qu'elle demande légitimement le paiement conformément à la convention des parties ; que la pratique suivie est l'application de la convention des parties et la traduction de la proposition initiale de Lapalu dans son courriel du 3 septembre 2007 (sa pièce n° 14).

Le tribunal de commerce a dénié au contrat entre les parties la qualification de contrat d'agent commercial.

En effet, le tribunal a relevé que, aux termes du contrat, Wine Partners était propriétaire de la nouvelle clientèle qu'elle développait, alors que l'agent commercial n'a pas de clientèle propre ; que l'évocation d'un " contrat d'agent commercial " dans la lettre de la société Wine Partners traitant de la rupture n'emporte pas qualification du contrat en ce sens.

Il a donc qualifié le contrat de " contrat de partenariat particulier ", et estimé que les commissions réclamées étaient la contrepartie d'un travail effectué.

Aux termes des dispositions de l'article L. 134-1 du Code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de service, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente (...) au nom et pour le compte de producteurs (...).

En l'espèce, il résulte des termes du contrat que la mission confiée à Wine Partners ne correspond pas à celle définie pour les agents commerciaux par l'article L. 134-1 du Code de commerce ci-dessus, mais à une " mission de conseil à l'export et de représentation exclusive des produits vendus par la société Domaines Lapalu " (article 1er), et qu'elle avait la charge de " rechercher ou faire rechercher des informations (...) susceptibles de faire connaître les besoins du marché, (...) de développer de nouveaux contacts (...), d'entreprendre et faire exécuter toutes formalités nécessaires à la conclusion de contrats de vente (...) " (article 6).

De même, il résulte de l'article 9 que la société Wine Partners développe sa propre clientèle, ce qui n'est pas le cas d'un agent commercial.

C'est donc à bon droit que le tribunal de commerce, en considération de la volonté des parties lors de la conclusion du contrat, a jugé qu'il ne s'agissait pas d'un contrat d'agent commercial, mais d'un contrat de partenariat sui generis.

L'article 8 du contrat prévoit une rémunération " égale à 5 % HT du chiffre d'affaires export (...) de l'année n-1 ".

Par ailleurs, il résulte du document invoqué par Wine Partners, émanant de M. Y. pour Domaines Lapalu, que " Nous vous confirmons notre accord sur le montant de la commission qui sera à vous régler en 2008 et sera calculée sur l'ensemble du CA export n-1 : 2007 "

Il en résulte que, contrairement à ce que soutient maintenant Domaines Lapalu, les versements opérés après le 1er octobre 2007 correspondaient bien, non pas à une avance, mais à des commissions considérées comme dues au titre du chiffre d'affaires export de 2007.

Les chiffres d'affaires ayant servi d'assiette aux calculs des sommes revendiquées ne sont pas contestés.

Ainsi, c'est par un calcul exact, et d'ailleurs non contesté en lui-même, que le tribunal de commerce a établi à 50 471,85 euros les commissions restant dues sur le chiffre d'affaires de l'année 2013, et à 155 451,17 euros celle sur celui de 2014, soit un total de 205 923,17 euros.

La société Wine Partners convient qu'il doit en être déduit une somme de 70 105,66 euros due à Domaines Lapalu, soit un solde de 135 817,51 euros restant dus.

Le jugement ayant condamné la société Domaines Lapalu à payer cette somme à la société Wine Partners, après avoir écarté à bon droit l'analyse de la débitrice relative à un contrat d'agent commercial, doit donc être confirmée.

Sur les sommes réclamées par la société Domaines Lapalu

La société Domaines Lapalu réclame d'abord paiement de factures.

Comme énoncé ci-dessus, la société Wine Partners reconnaît devoir la somme de 70 105,66 euros TTC à la société Domaines Lapalu, déjà déduite par le tribunal des commissions dues, à laquelle elle ajoute une somme de 1 326,34 euros ressortant d'une facture additionnelle, comme l'a jugé le tribunal de commerce.

C'est donc bien un total de 71 431,90 euros qui était dû par Wine Partners, ce que le tribunal de commerce a exactement jugé, sous réserve d'une erreur mineure de décimale sans incidence.

Il n'est en revanche pas justifié, ni même explicité, d'un quelconque intérêt conventionnel sur ces sommes, et la prétention du dispositif des conclusions de la société Domaines Lapalu ne saurait prospérer sur ce point.

La société Domaine Lapalu demande aussi 48 842 euros HT à titre de restitution d'un trop perçu de commissions.

Or, les commissions trop perçues ainsi calculées relèvent en réalité de la seule soustraction par la société Domaines Lapalu de ce qu'elle nomme, sans davantage s'en expliquer, des " honoraires " versés qui correspondraient " en réalité à des commissions " du montant de ce qu'elle considère des " commissions dues ".

Ces affirmations elliptiques ne sont pas de nature à établir un trop perçu par la société Wine Partners, et cette demande a été rejetée à juste titre par le tribunal.

Ainsi, le jugement sera confirmé dans son intégralité.

Sur les autres demandes

Les autres demandes présentées par Domaines Lapalu et rappelées intégralement ci-dessus, de " constater " ou " dire que ", comme vu supra, ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du Code de procédure civile, mais les moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer davantage.

Partie tenue aux dépens d'appel, la société Domaines Lapalu paiera à la société Wine Partners la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Dit qu'il n'y a pas lieu de statuer ici sur les demandes de la société Wine Partners relatives à l'exécution provisoire de la décision de première instance, Confirme le jugement rendu entre les parties par le Tribunal de commerce de Bordeaux le 25 juin 2015, Condamne la société Domaines Lapalu à payer à la société Wine Partners la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la société Domaines Lapalu aux dépens d'appel.