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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 1 février 2018, n° 15-13726

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

GVC Conseil (SARL)

Défendeur :

Amos Lille - CTC (SAS), Amos Holding (SARL), CQFD (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Gastebled, Mere, Lilti

T. com. Paris, du 26 mai 2015

26 mai 2015

FAITS ET PROCÉDURE :

La société GVC Conseil (ci-après GVC), gérée par M. Guillaume Verney-Carron, est un cabinet de conseil en développement des ressources humaines, se faisant également appeler " Personalis " (sans pour autant qu'il s'agisse de son nom commercial ou de son enseigne).

Le groupe Amos regroupe des écoles de commerce spécialisées dans le management du sport ; il se compose de trois sociétés, qui ont le même gérant, M. Patrick Touati :

- Amos Holding, qui est une société holding,

- CQFD, exerçant sous le nom commercial Amos, qui assure la gestion de l'établissement d'enseignement implanté à Paris,

- Amos Lille, exerçant sous l'enseigne CTC, qui assure la gestion de l'établissement d'enseignement implanté à Lille.

A partir de 2007, la société GVC a dispensé des cours, destinés à favoriser l'intégration des jeunes diplômés dans les entreprises, dans l'établissement Amos de Paris et, à partir de 2012, également dans l'établissement Amos de Lille, un contrat n'ayant été formalisé par écrit que le 1er octobre 2013 pour l'année universitaire 2013/2014 de la seule école parisienne. Ce contrat prévoyait une rémunération de " 85,72 euros net de l'heure ".

Fin 2013, un différend est né entre les parties sur la facturation par la société GVC des heures de cours, notamment sur l'application de la TVA, donnant lieu à un certain nombre d'échanges entre elles, et, faute d'être solutionné, a conduit à la cessation de leurs relations courant novembre 2013. Après une vaine mise en demeure par courrier recommandé AR du 20 janvier 2014, le 5 mai 2014, la société GVC a assigné les sociétés Amos Lille CTC, CQFD-Amos et Amos Holding, ci-après " les sociétés Amos ", en paiement de factures impayées et en indemnisation au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie.

Par jugement du 26 mai 2015, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit recevables les demandes de la société GVC Conseil - Personalis RH à l'encontre de la société Amos Holding, de la société Amos Lille CTC et de la société CQFD-Amos ;

- dit que le contrat conclu entre la société GVC Conseil - Personalis RH et les sociétés Amos Holding, Amos Lille CTC et CQFD-Amos a été rompu de manière brutale mais non abusive ;

- condamné solidairement les sociétés Amos Holding et CQFD - Amos au paiement, en deniers ou quittance valables, à la société GVC Conseil - Personalis RH de 3 343,48 euros au titre des factures n° 131347 et 131351 ;

- condamné solidairement les sociétés Amos Holding et Amos Lille CTC au paiement à la société GVC Conseil - Personalis RH de 1 414,38 euros au titre de la facture n° 131350 ;

- condamné solidairement les sociétés Amos Holding, Amos Lille CTC et CQFD-Amos au paiement à la société GVC Conseil - Personalis RH de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie ;

- condamné solidairement les sociétés Amos Holding, Amos Lille CTC et CQFD-Amos aux dépens.

Vu la déclaration d'appel du 24 juin 2015 de la société GVC Conseil ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 8 février 2017 par la société GVC Conseil, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles 1134 et suivants et 1382 du Code civil,

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce,

En premier lieu,

- constater l'intérêt à agir de la société GVC Conseil - Personalis à l'encontre des sociétés Amos Holding, CQFD - Amos et Amos Lille " CTC " ;

En conséquence,

- déclarer la société GVC Conseil - Personalis recevable en ses demandes ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action de la société GVC Conseil - Personalis à l'encontre des trois sociétés du groupe Amos ;

En deuxième lieu,

- dire et juger que la société GVC Conseil- Personalis est bien fondée à solliciter le paiement des trois factures n° 13.1347AC, n° 13.1351AC, et n° 13.1350AC pour un montant total TTC de 6 866,41 euros ;

En conséquence,

- déclarer la société GVC Conseil- Personalis bien fondée en ses demandes ;

- confirmer le jugement du 26 mai 2015 en ce qu'il a condamné les sociétés du groupe Amos au paiement des trois factures litigieuses ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a refusé de condamner les sociétés du groupe Amos au paiement de la TVA afférente à ces trois factures ;

- condamner in solidum les sociétés Amos Holding, CQFD - Amos, et Amos Lille " CTC " à régler à la société GVC Conseil - Personalis une somme de 6 866,41 euros correspondant au montant total TTC des trois factures TTC n° 13.1347AC, n° 13.1351AC, et n° 13.1350AC ;

En troisième lieu,

- dire et juger que les sociétés Amos Holding, Amos Lille " CTC " et CQFD - Amos ont rompu brutalement les relations commerciales établies préexistants entre elles et la société GVC Conseil-Personalis ;

En conséquence,

- déclarer la société GVC Conseil - Personalis bien fondée en ses demandes ;

- infirmer le jugement du 26 mai 2015 en ce qu'il a débouté la société GVC Conseil - Personalis de ses demandes d'indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

- condamner in solidum les sociétés Amos Holding, Amos Lille " CTC " et CQFD - Amos au paiement, au profit de la société GVC Conseil - Personalis, d'une somme de 25 115,96 euros au titre du manque à gagner résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies imputables aux sociétés du groupe Amos ;

- condamner in solidum les sociétés Amos Holding, Amos Lille " CTC " et CQFD- Amos au paiement au profit de la société GVC Conseil - Personalis d'une somme de 51 890 euros au titre de la perte d'un partenariat fructueux avec un ou plusieurs établissements concurrents du groupe Amos ;

- condamner in solidum les sociétés Amos Holding, Amos Lille " CTC " et CQFD - Amos au paiement au profit de la société GVC Conseil - Personalis d'une somme de 10 000 euros au titre de la perturbation de son activité et son organisation ;

- condamner in solidum les sociétés Amos Holding, Amos Lille " CTC " et CQFD - Amos au paiement au profit de la société GVC Conseil - Personalis d'une somme de 10 000 euros au titre du préjudice de réputation ;

En tout état de cause,

- condamner solidairement les sociétés Amos Holding, Amos Lille " CTC " et CQFD - Amos au paiement au profit de la société GVC Conseil - Personalis d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner solidairement les sociétés Amos Holding, Amos Lille " CTC " et CQFD - Amos au paiement des entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP LUSSAN.

Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 11 mai 2017 déclarant irrecevables les uniques conclusions signifiées le 12 janvier 2017 par les sociétés Amos ;

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 novembre 2017.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS :

- Sur la recevabilité des demandes :

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a déclaré GVC recevable à agir à l'encontre des trois sociétés du groupe Amos, par motifs adoptés que rien ne permet de remettre en cause, les pièces versées faisant en effet apparaître dans une certaine mesure une confusion des rôles de chacune d'elles (qui ont le même gérant, M. Patrick Touati) vis-à-vis de GVC.

- Sur les factures impayées :

Le jugement dont appel sera infirmé en ce qu'il a exclu du montant de la condamnation au paiement des factures impayées la TVA, GVC démontrant dûment en appel qu'elle était assujettie à cette taxe, faute de remplir les conditions d'exonération prévues à l'article 261-4-4° du Code général des impôts pour les prestataires de formation professionnelle continue, ayant en effet fait l'objet d'un redressement fiscal à ce titre, ainsi qu'elle en justifie par ses nouvelles pièces n° 37 et 38 (rejet partiel de son recours hiérarchique et paiement par virement des droits éludés).

Le reliquat impayé des factures n° 13.1347 et 13.1351 d'un montant total de 5 174,81 euros TTC n'était pas contesté en première instance par CQFD, puisque celle-ci prétendait alors à une compensation sous forme d'avoir avec une autre facture indue selon elle. Ces deux factures correspondant à des heures de cours effectivement dispensées par GVC en septembre et octobre 2013 au sein de l'école parisienne, seule CQFD sera tenue au paiement à due proportion, en deniers et quittances, le jugement étant partiellement infirmé sur ce point.

Pour sa part, la facture impayée n° 13.1350 du 20 novembre 2013 d'un montant total de 1 691,60 euros TTC, libellée au nom d'Amos, 5/7 rue du Plat, 59000 Lille, correspond aux 16,5 heures d'enseignement prévues à l'école de Lille les 6, 14 et 15 novembre 2013, mais annulées par Amos Lille respectivement les 5 et 13 novembre 2013 sans proposition de report. Or, cette annulation ayant eu lieu du fait de l'école moins d'une semaine avant la date prévue des cours, la facture s'avère due, conformément à l'article III du contrat du 1er octobre 2013 qui lie également Amos Lille, en ce que les références de celle-ci figurent en bas des pages et d'après la volonté des parties mises en évidence par les échanges entre elles.

Par suite, seule Amos Lille sera condamnée au paiement de cette facture TTC, en deniers et quittances, le jugement étant aussi partiellement infirmé sur ce point.

- Sur les demandes indemnitaires :

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...). A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En l'espèce, l'existence d'une relation commerciale établie au sens de ce texte entre GVC et les trois sociétés Amos, au demeurant non véritablement contestée par ces dernières en première instance, est établie par les pièces du dossier et en particulier par la succession de contrats verbaux ou écrit conclus et par le planning d'intervention prévu pour les sites parisien et lillois pour l'année universitaire 2013/2014 jusqu'au 15 mai 2014 pour un nombre d'heures total de 424,50.

Or, c'est à bon droit et par motifs adoptés que les premiers juges ont estimé que cette relation (et non " le contrat ") avait été rompue de manière brutale par les sociétés Amos en novembre 2013, avec prise d'acte par GVC le 18 novembre 2013, en ce qu'en " transition de [leur] rupture de collaboration " (sic), M. Patrick Touati a tenté d'imposer à GVC une baisse drastique du nombre d'heures de cours prévus, ainsi que du taux horaire payé jusque-là, puis a annulé sans report et à la dernière minute les cours prévus à l'école lilloise. En effet, cette brutalité se caractérise par l'absence totale de notification d'un préavis écrit et exécuté en pratique.

Or, compte tenu des éléments du dossier et notamment de l'ancienneté de la relation des parties (depuis 2007 pour Paris et 2012 pour Lille), ainsi que de la clause de non-concurrence insérée au contrat du 1er octobre 2013 et de la particularité du domaine d'activité en cause (l'enseignement secondaire qui implique de tenir compte du calendrier de l'année universitaire) et malgré le caractère seulement prévisionnel du planning précité, il apparaît que le préavis manqué aurait dû être de six mois pour permettre à GVC de se réorganiser correctement.

En revanche, le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu le caractère non abusif de la rupture, lequel n'était pas dans le débat et n'empêche pas en toutes hypothèses l'indemnisation de la brutalité de la rupture.

S'agissant du préjudice consécutif à cette brutalité, il est de principe que celui-ci peut être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance du préavis.

En l'espèce, GVC demande les indemnités suivantes :

- 25 115,96 euros, au titre du manque à gagner,

- 51 890 euros, au titre de la perte d'un partenariat fructueux avec un ou plusieurs établissements concurrents du groupe AMOS,

- 10 000 euros, au titre de la perturbation de son activité et son organisation,

- 10 000 euros, au titre du préjudice de réputation.

Le premier poste correspond à la perte du chiffre d'affaires escompté d'après le nombre d'heures de cours planifiées sur les six mois restants ; par suite, il convient de lui appliquer le taux de marge brute habituellement généré dans ce type d'activité, soit 80 % ; la demande sera donc accueillie à hauteur de 25 115,96 x 80 % = 20 092,76 euros.

Il n'est pas justifié en revanche par GVC que la perte alléguée de partenariat avec des concurrents d'Amos serait la conséquence de la brutalité de la rupture et ainsi de nature à engager la responsabilité des sociétés Amos sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Par suite, la demande indemnitaire formée à ce titre sera rejetée.

GVC sera également déboutée de sa prétention au titre de la perturbation de son activité et son organisation, faute de démontrer le caractère distinct de ce préjudice par rapport à la perte de marge brute déjà réparée ; il en ira de même de sa demande au titre du préjudice de réputation, qu'aucune pièce du dossier ne vient étayer et justifier.

Les dépens d'appel seront supportés in solidum par les sociétés Amos et par équité il sera fait droit à la demande de GVC fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de la société GVC Conseil, dit que la relation avait été rompue de manière brutale et débouté la société GVC Conseil de ses demandes au titre de la perte d'un partenariat fructueux, de la perturbation de son activité et de son organisation et de son préjudice de réputation, ainsi que concernant les dépens et l'indemnité au titre des frais irrépétibles ; L'infirme pour le surplus, Et, statuant de nouveau, Condamne, en deniers et quittances, la société CQFD à payer à la société GVC Conseil la somme de 5 174,81 euros TTC, au titre du reliquat des factures n° 13.1347 et 13.1351; Condamne, en deniers et quittances, la société Amos Lille à payer à la société GVC Conseil la somme de 1 691,60 euros TTC, au titre de la facture n° 13.1350 ; Condamne in solidum les sociétés Amos Holding, CQFD et Amos Lille à payer à la société GVC, Conseil les sommes de : - 20 092,76 euros, à titre de dommages intérêts, au titre de la brutalité de la rupture,- 5 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne in solidum les sociétés Amos Holding, CQFD et Amos Lille aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Lussan, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.