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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 7 février 2018, n° 16-00080

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Solutions Béton Préfabriqués (SAS)

Défendeur :

Tech Inter (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Gicquel, de la Taille, Fedon

T. com. Rennes, du 19 nov. 2015

19 novembre 2015

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant contrat du 15 novembre 2002, la société Tech Inter qui est spécialisée dans le négoce, la location et la fabrication de transformateurs électriques a passé commande " ferme et irrévocable " à la société Solutions Béton Préfabriqués, anciennement dénommée Agribat, qui exerce une activité de fabrication d'éléments en béton pour le secteur de la construction, d'un minimum annuel pour la première année de 100 postes transformateurs tels que décrits à l'année 1, la quantité passant à 120 pour la deuxième année et à 150 pour la troisième année, au prix unitaire convenu de 4 268 euros HT, révisable chaque année. Ce contrat conclu pour une durée initiale de 3 ans se terminant le 31 octobre 2005 et renouvelable, d'année en année, par tacite reconduction, prévoyait également une exclusivité de fabrication et de commercialisation.

Au cours de l'année 2012, après neuf années de relations commerciales, la société Tech Inter a cessé de passer des commandes.

Par exploit du 13 février 2014, la société Agribat a assigné la société Tech Inter en indemnisation pour non-respect des volumes annuels de commandes depuis 2003 et pour rupture brutale des relations commerciales établies, devant le Tribunal de commerce de Rennes, lequel a, par jugement du 19 novembre 2015 :

- dit que l'action portant sur des faits antérieurs au 13 février 2009 est prescrite, et que seules les demandes portant sur des faits intervenus depuis le 13 février 2009 sont recevables,

- condamné la société Solutions Béton Préfabriqués, anciennement dénommée Agribat, à verser à la société Tech Inter la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Solutions Béton Préfabriqués aux entiers dépens,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions,

- liquidés les frais de greffe à la somme de 81,34 euros, tels que prévu aux articles 695 et 701 du Code de procédure civile.

LA COUR

Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions déposées et notifiées le 8 juillet 2016 par lesquelles la société Solutions Béton Préfabriqués invite la cour, au visa des articles 1134, 1147 du Code civil et l'article L. 442-6 du Code de commerce, à :

- dire la société Solutions Béton Préfabriqués, anciennement dénommée Agribat, recevable et bien fondée en son appel et ses demandes,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 novembre 2015 par le Tribunal de commerce de Rennes,

statuant à nouveau,

- condamner la société Tech Inter à verser la société Solutions Béton Préfabriqués, anciennement dénommée Agribat, la somme de 1 275 513,84 euros à titre de dommages et intérêt du fait du non-respect de ses obligations contractuelles par la société Tech Inter,

- condamner la société Tech Inter à verser à la société Solutions Béton Préfabriqués, anciennement dénommée Agribat, la somme de 205 685,98 euros à titre de dommages et intérêt pour rupture brutale des relations commerciales établies,

- assortir la condamnation à intervenir des intérêts au taux légal compter du jour de la présente demande,

- ordonner la capitalisation des intérêt échus dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,

- débouter la société Tech Inter de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Tech Inter à verser à la société Solutions Béton Préfabriqués, anciennement dénommée Agribat, la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouter la société Tech Inter de toutes ses demandes reconventionnelles,

- condamner la société Tech Inter aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris Versailles, en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 10 mai 2016 par lesquelles la société Tech Inter, intimée ayant fait appel incident, invite la cour, au visa des articles 117 du Code de procédure civile, 2224 et 2254 du Code civil, 1134 1147 et 1184 du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, à :

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes du 19 novembre 2015 en ce qu'il a débouté la société Solutions Béton Préfabriqués de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et l'a condamnée à verser à la société Tech Inter la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- débouter la société Solutions Béton Préfabriqués de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- réformer le jugement entrepris pour le surplus,

statuant à nouveau,

- dire que la société Solutions Béton Préfabriqués a commis une faute en violant l'obligation contractuelle d'exclusivité,

sur le préjudice subi par la société Tech Inter au titre de la violation de la clause d'exclusivité par la société Solutions Béton Préfabriqués :

- ordonner une expertise judiciaire, aux frais avancés de la société Tech Inter, confiée à un expert-comptable, expert près la cour d'appel, dont la mission sera de se faire remettre par la société Solutions Béton Préfabriqués l'intégralité de sa comptabilité sur les années 2002 à 2012 et de chiffrer le nombre de postes de 10m2 vendus à des sociétés autres que la société Tech Inter,

- dire qu'une fois le rapport d'expertise intervenu, la société Tech Inter aura la possibilité de chiffrer ou faire chiffrer son préjudice et de le soumettre à l'appréciation de la cour d'appel de Paris,

- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour estimerait nécessaire d'apprécier le préjudice de la société Solutions Béton Préfabriqués :

- ordonner une expertise judiciaire, aux frais avancés de la société Solutions Béton Préfabriqués, confiée à un expert-comptable, expert près la cour d'appel, dont la mission sera de se faire remettre par la société Solutions Béton Préfabriqués l'intégralité de sa comptabilité sur les années 2002 à 2012 et de chiffrer la marge sur coûts variables par poste,

- fixer à trois mois la durée du préavis qui aurait dû s'appliquer entre les parties,

en tout état de cause,

- condamner la société Solutions Béton Préfabriqués à payer à la société Tech Inter la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens ;

SUR CE

Sur la demande d'indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies

Sur la rupture brutale

La société Solutions Béton Préfabriqués indique qu'elle entretenait avec la société Tech Inter des relations commerciales stables et établies depuis la conclusion du contrat du 15 octobre 2002, renouvelé par tacite reconduction chaque année depuis 2006, soit à 6 reprises, ce que reconnaît la société Tech Inter dans un courriel du 6 octobre 2011 dans lequel elle admet " depuis 2003, nous assurons en majeure partie le fonctionnement de votre société Agribat par nos commandes régulières sans avoir commis une seule infidélité à votre production. " . Puis, elle affirme qu'au cours de l'année 2012, la société Tech Inter a cessé brusquement et unilatéralement de passer toute commande sans adresser le moindre préavis. Elle relève que rien dans les propos ni dans le comportement de la société Tech Inter ne pouvait lui laisser penser qu'elle envisageait d'interrompre ses relations commerciales pour l'avenir, bien au contraire. Elle affirme que, compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales de 9 ans ainsi que de sa dépendance économique, elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 12 mois.

La société Tech Inter lui oppose une violation, à de nombreuses reprises, de son obligation d'exclusivité, sans l'informer de ses nombreuses ventes à des tiers, de sorte que ce manquement à une obligation essentielle du contrat est suffisamment grave pour justifier la rupture des relations commerciales sans préavis. Elle ajoute que les différentes malfaçons affectant la qualité du béton des postes sont avérées et récurrentes. A titre subsidiaire, elle soutient que la durée de préavis devrait être au maximum de 3 mois, en relevant l'absence de régularité des volumes commandés et sa propre acquisition de la société Genitic, directement concurrente de la société Agribat laquelle, également candidate à ce rachat, n'a pas été retenue par le propriétaire, ce dont elle déduit que la société Agribat pouvait s'attendre à une diminution de commandes avec, à terme, la fin du partenariat, de sorte que la rupture était prévisible et par suite, ne peut être considérée comme brutale. Elle ajoute que postérieurement à cette acquisition, les relations commerciales se sont poursuivies en 2011 et 2012, ce qui témoigne de sa bonne foi.

Les parties s'accordent à reconnaître que les relations commerciales initiées par contrat du 15 novembre 2002, pour une durée de trois ans et venu à son terme fixé au 31 octobre 2005, se sont poursuivies, sans interruption, par renouvellement tacite par période d'une année, jusqu'à leur cessation au cours de l'année 2012, sans préavis écrit, par l'arrêt des commandes de la société Tech Inter. Il y a donc lieu de retenir une ancienneté des relations commerciales de 11 années.

La société Solutions Béton Préfabriqués entend rechercher la responsabilité de la société Tech Inter sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce qui dispose qu' " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (..) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels ".

Cet article prévoit in fine que ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations contractuelles. Ce dernier alinéa ne précise ni la nature ni le degré de l'inexécution contractuelle autorisant la dispense de préavis. Toutefois, dès lors qu'il instaure une dérogation à l'exigence d'un préavis prévu au premier alinéa, son application nécessite que l'inexécution des obligations contractuelles qu'il vise, présente un caractère de gravité suffisant pour justifier une rupture immédiate eu égard à l'ancienneté des relations des relations commerciales.

La société Tech Inter se prévaut de la violation, à 67 voire 82 reprises, par la société Agribat de son obligation d'exclusivité outre des malfaçons dans les produits commandés qui justifiaient la rupture sans préavis des relations commerciales, de sorte que la rupture n'est pas brutale.

La société Solutions Béton Préfabriqués ne conteste pas avoir vendu quelques postes transformateurs à d'autres clients mais soutient que la société Tech Inter n'a pas respecté son engagement de volumes de sorte qu'en application de l'exception d'inexécution, elle était bien fondée à procéder ainsi et ce, d'autant qu'elle y a été autorisée. En effet, elle précise que compte tenu de l'insuffisance de volumes commandés, elle avait proposé un assouplissement du contrat en demandant l'autorisation de vendre à des tiers, ces ventes étant imputées sur l'objectif de volumes de la société Tech Inter (cf. mail du 15 mars 2004), que celle-ci l'a autorisée à vendre à des tiers (cf. mail du 20 juillet 2004). Elle estime que du fait de la reconduction tacite, un nouveau contrat reprenant les caractéristiques du précédent a été voulu par les parties et fait alors observer que le tribunal a arbitrairement procédé à un choix dans les dispositions contractuelles qu'il lui semblait opportunes d'être renouvelées ou pas et a écarté les volumes exigés mais considéré que la clause d'exclusivité, seule, serait reconduite. Elle conteste les griefs de malfaçons qu'elle considère mineurs.

Il y a lieu de se référer au contrat qui définit son " objet " dans les termes suivants : " La SA Tech Inter ayant exigé une exclusivité de commercialisation du modèle ci annexé, la société Agribat devant réaliser un investissement significatif afin de réaliser la fabrication demandée par la SA Tech Inter, cette dernière passe, par la présente une commande ferme et irrévocable d'un minimum annuel pour la première année de 100 , la quantité passant à 120 pour la deuxième année puis 150 la troisième année au prix convenu ci-après. Sans cette commande ferme, la SA Agribat n'aurait pas accepté d'entreprendre la fabrication de ce produit, et encore moins d'accorder l'exclusivité de sa fabrication. Tech Inter accorde également à Agribat l'exclusivité de la fabrication dudit poste. (...) ".

Il en ressort clairement que les parties ont notamment convenu qu'en contrepartie d'une commande ferme et irrévocable d'une quantité minimum de volumes de commandes de postes transformateurs par la société Tech Inter, la société Agribat lui conférait l'exclusivité de la fabrication des produits et de leur commercialisation, la société Tech Inter lui accordant également l'exclusivité de la fabrication. La cause de l'engagement d'exclusivité de la société Agribat résidait donc dans l'engagement ferme et définitif de volumes minimum de la société Tech Inter.

Dès lors, la société Tech Inter qui reconnaît ne pas avoir respecté les volumes indiqués au contrat du 15 novembre 2002, dès 2003, comme, au demeurant, cela ressort d'une lettre du 15 mars 2004 de la société Agribat se plaignant de cette défaillance commerciale (pièce appelante n° 13), ne peut sérieusement reprocher à la société Agribat d'avoir commercialisé auprès de tiers les postes transformateurs qu'elle n'avait pas commandés au mépris de son propre engagement. De plus, la société Tech Inter qui prétend qu'à compter du renouvellement tacite du contrat le 31 octobre 2005, aucun volume ferme et irrévocable n'a été prévu par les parties de sorte qu'à compter de cette date, elle n'était plus tenue à un minimum de commandes de postes, ne peut utilement faire valoir que son engagement de commandes a disparu mais qu'en revanche, la clause d'exclusivité, qui en est la contrepartie, demeure. Au demeurant, la cour constate que la société Tech Inter se contredit en ce qu'elle soutient simultanément d'une part, qu' " au travers des échanges de courriels, il est possible de constater que les parties se sont éloignées du contrat initial tant en diminution et caractéristiques des produits que des prix, et qu'il est formellement établi que chacune des parties au contrat a fait évoluer ses propres obligations essentielles (volume de commandes pour Tech Inter et clause d'exclusivité pour Agribat) au point de voir leurs rapports régis par une nouvelle convention débarrassée de tout volume pour Tech Inter et d'exclusivité pour Agribat. " (page 10 de ses dernières écritures), et d'autre part, que la rupture des relations commerciales sans préavis est justifiée par les manquements de la société Agribat à son obligation essentielle d'exclusivité. La société Tech Inter ne peut pas plus soutenir que la société Agribat ne l'aurait pas informée de ses nombreuses ventes faites à des tiers alors qu'il ressort des courriels échangés en 2004 et le 4 janvier 2005 (pièces appelante n° 13, 14, 15) que du fait de ses difficultés à honorer ses commandes selon la quantité convenue, la société Tech Inter a autorisé la société Agribat à vendre des postes à d'autres clients, ces postes venant s'imputer sur les quantités prévues au contrat, peu important à cet égard que la société Agribat, qui selon le contrat, s'était réservée la possibilité de dénoncer la clause d'exclusivité, celle-ci devenant caduque 3 mois après l'envoi d'une lettre recommandée, n'ait pas respecté les formes prescrites. Enfin, la société Tech Inter qui affirme que " Agribat a fait le choix d'adopter un comportement déloyal en ne révélant à aucun moment jusqu'à la présente procédure les ventes faites à des tiers... " et que " ce n'est qu'à l'occasion de l'instance devant le Tribunal de commerce de Rennes que Tech Inter a découvert qu'Agribat avait sciemment violé le contrat dans sa partie " exclusivité " dans une ampleur insoupçonnée jusqu'alors ", ne peut sérieusement faire valoir que ces manquements dont elle n'aurait découvert l'existence, voire l'importance et donc la gravité, qu'à compter du 13 février 2013, date de l'exploit introductif d'instance, justifieraient une rupture survenue en 2012. Par suite, elle ne démontre aucun manquement grave à ce titre justifiant une rupture sans préavis.

S'agissant des malfaçons invoquées, qui lui auraient causé un préjudice d'image auprès de ses clients, la société Tech Inter se prévaut de diverses pièces. Le courriel du 10 décembre 2011 (pièce n° 1) et ceux échangés entre février et le 23 avril 2012 (pièce n° 3), ainsi qu'un procès-verbal de réception avec quelques réserves du 12 décembre 2004 (pièce n° 19), et l'énumération de réserves en 2009 (pièces n° 20 et 21), en novembre 2006 (pièce n° 22) n'attestent que de dysfonctionnements mineurs auxquels, de surcroît, il est établi que la société Agribat y a remédié. Le récapitulatif des frais que la société Tech Inter aurait dû supporter " liés aux postes Agribat " (pièce n° 2), établi par celle-ci n'a aucune valeur probante, faute d'être corroboré par d'autres éléments. Les attestations que la société Tech Inter produit (pièces n° 74, 78 à 80), émanent de ses salariés de sorte qu'elles ne présentent aucune garantie d'impartialité et doivent donc être considérées avec circonspection. Il ne ressort pas de l'ensemble de ces éléments l'existence de manquements graves justifiant la rupture des relations commerciales sans préavis.

Par ailleurs, la société Tech Inter soutient que la rupture était prévisible en ce que du fait de son acquisition de la société Genitic, directement concurrente de la société Agribat, cette dernière pouvait s'attendre à une diminution de commandes avec, à terme, la fin du partenariat. Or, le caractère prévisible de la rupture ne peut priver celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir le préavis et si la société Tech Inter était en droit de ne pas poursuivre les relations commerciales avec sa prestataire dans le cadre du contrat devenu à durée indéterminée par suite de son renouvellement tacite, et ce sans avoir à justifier d'un motif légitime, elle avait, toutefois, l'obligation légale de respecter un préavis suffisant.

Par suite, faute d'être justifiée par l'existence de manquements graves, la rupture intervenue à l'initiative de la société Tech Inter sans préavis écrit est brutale.

Sur le préavis suffisant

L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables engagées par elle et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire.

Compte tenu des pièces produites et eu égard à l'ancienneté des relations commerciales d'une durée de 9 ans, au volume d'affaires, à la part de la société Tech Inter dans le chiffre d'affaires total de la société Solutions Béton Préfabriqués (1/3), à la nature de l'activité considérée, à la réalité du marché concerné, au peu d'importance des investissements dédiés (moule de 10 m² standard, non modulable) et de surcroît, largement amortis, et à défaut de la justification d'une dépendance économique, le délai de préavis qui aurait dû être donné afin de pallier les incidences de la perte des prestations qu'elle prodiguait à la société Tech Inter doit être estimé à 4 mois.

Sur la réparation du préjudice subi

La société Solutions Béton Préfabriqués sollicite la somme de 205 685,98 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice au titre de la brutalité de sa rupture.

Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de marge que la victime de la rupture pouvait escompter tirer pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. L'assiette retenue doit être la moyenne du chiffre d'affaires hors taxes réalisé au cours des trois dernières années précédant la rupture, à laquelle doit être affectée la marge bénéficiaire.

Pour évaluer le gain manqué, il y a lieu de prendre en compte le chiffre d'affaires moyen mensuel réalisé par la société Agribat avec la société Tech Inter, calculé à partir des chiffres d'affaires des deux dernières années pleines précédant la rupture (2010 et 2011), et qui s'établit à 398 925,50 euros (797 851 / 2), comme attesté par l'expert-comptable de la société Agribat et non contesté par l'intimée (qui concentre ses critiques sur le taux de marge invoqué), soit la somme mensuelle de 33 243,79 euros.

La société Tech Inter soutient qu'un taux de marge allégué qui se situe entre 46 % et 44,30 %, est très élevé et peu réaliste, sollicitant dès lors, avant dire droit, une expertise judiciaire. Toutefois, la société Solutions Béton Préfabriqués avance un taux de marge sur coûts variables moyen de 25,78 %, comme attesté par son expert-comptable, qui, bien que non détaillé, apparaît cohérent au regard des éléments du dossier et des observations de la société Tech Inter. Par suite, il y a lieu d'évaluer le taux de marge sur coûts variables à 25,78 % sans que le recours à une expertise n'apparaisse nécessaire. Dès lors, le manque à gagner de la société Agribat s'établit à la somme de 34 280,99 euros (33 243,79 x 4 x 25,78 %) au paiement de laquelle la société Tech Inter sera condamnée. Cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2016, date de signification des dernières conclusions, en application des dispositions de l'article 1153 ancien du Code civil, conformément à la demande. Il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 ancien du Code civil.

Sur la demande en indemnisation au titre du non-respect de ses obligations contractuelles par la société Tech Inter

La société Solutions Béton Préfabriqués soutient que la société Tech Inter a manqué à ses obligations contractuelles de commande ferme et irrévocable d'un minimum annuel de postes transformateurs à compter de 2003 jusqu'à la rupture du contrat en 2012. Elle indique que sur cette période, seuls 579 postes transformateurs ont été effectivement enlevés en lieu et place des 1420 contractuellement prévus. Elle sollicite à ce titre la somme de 1 275 513,84 euros à titre de dommages et intérêts et correspondant à sa perte de gains sur la base de 841 postes transformateurs manquants diminués des 82 postes qu'elle a été contrainte de livrer à d'autres électriciens.

La société Tech Inter lui oppose la prescription.

Sur la recevabilité de la demande

La société Tech Inter rappelle les dispositions de la loi du 17 juin 2008 réduisant la prescription à cinq ans à compter de sa date d'entrée en vigueur puis relève que dès 2003, la société Agribat a constaté qu'elle n'était pas en mesure d'honorer les commandes contractuellement prévues. Elle en déduit que la société Agribat était en mesure d'agir en paiement à cette date et qu'elle avait jusqu'au 18 juin 2013 pour engager son action de sorte que l'action est prescrite dès lors qu'elle a été introduite par un acte du 13 février 2014.

La société Agribat réplique que son action est recevable dès lors qu'au cours de l'exécution du contrat, elle n'a pas facturé les postes transformateurs devant être commandés de sorte qu'elle a suspendu volontairement l'exigibilité de la dette de la société Tech Inter à son égard, et que le contrat étant désormais rompu, elle dispose aujourd'hui d'une créance de dommages et intérêts exigibles lui permettant d'agir. A titre subsidiaire, elle sollicite qu'il soit fait droit à ses demandes portant sur les années 2009 à 2012.

Il sera rappelé d'une part qu'une action en responsabilité contractuelle née à l'occasion du commerce entre commerçants, comme tel est le cas en l'espèce, relève du régime de la prescription quinquennale - anciennement décennale - de l'article L. 110-4 du Code de commerce, instaurée par la loi du 17 juin 2008 laquelle est applicable à compter du 18 juin 2008, date de son entrée en vigueur, conformément aux dispositions transitoires prévues à l'article 26-II, dès lors que le délai de prescription décennale n'était pas expiré à cette date.

Par suite et compte tenu du fait que la société Agribat a eu connaissance, au 31 décembre de chaque année en cause, du dommage qu'elle allègue aujourd'hui, à savoir l'absence de quantités suffisantes de commandes, son action initiée par exploit du 13 février 2014 est prescrite, par application des dispositions sus visées, pour les années 2003 à 2008. S'agissant des années 2009 à 2012, l'action expirait successivement les 31 décembre 2014, 2015, 2016 et 2017. Les demandes en paiement concernant ces années sont donc recevables.

Sur le non-respect des volumes de commandes entre 2009 et 2012

Les premiers juges ont considéré qu'à compter du 31 octobre 2005, plus aucun volume ferme et irrévocable n'était prévu par les parties et ayant constaté que la société Agribat s'était abstenue de facturer les quantités qu'elle prétend aujourd'hui être manquantes et qu'elle n'était ni juridiquement ni économiquement dans l'attente des volumes de commandes qu'elle reproche désormais, ils l'ont déboutée de sa demande d'indemnisation formée à ce titre.

La société Solutions Béton Préfabriqués rappelle que sans l'engagement de volume, elle n'aurait pas consenti l'exclusivité de la commercialisation des postes transformateurs, que dès la première année en 2003, la société Tech Inter n'a pas respecté son engagement, que sur les années 2003 à 2012, il manque la commande de 841 postes transformateurs de sorte que la cour ne pourra que constater les manquements répétés et illégitimes de la société Tech Inter à son obligation contractuelle de commande ferme et irrévocable d'un minimum annuel de postes transformateurs.

La société Tech Inter réplique qu'après le 31 octobre 2005, aucun volume " ferme et irrévocable " n'a été prévu par les parties. Elle ajoute que l'appelante ayant violé la clause contractuelle d'exclusivité, qui avait pour contrepartie un engagement de volume chiffré, en commercialisant les postes, objet du contrat, à des tiers, concurrents de la société Tech Inter, elle-même n'était plus liée au moindre chiffre en termes de quantité de postes à commander. Elle fait également valoir, comme il a été rappelé ci-dessus, que chacune des parties au contrat a fait évoluer ses propres obligations essentielles (volume de commandes et clause d'exclusivité) au point de voir leurs rapports régis par une nouvelle convention débarrassée de tout volume pour elle-même et d'exclusivité pour Agribat.

Il a été vu ci-dessus que les relations contractuelles entre les parties avaient évolué en ce que la société Tech Inter n'a pas respecté les volumes de commandes en 2003 et a autorisé en 2004 la société Agribat à vendre à des tiers, ces ventes venant s'imputer sur ses quantités minimums. Il ressort de l'instruction du dossier que par la suite, et notamment durant la période non prescrite, soit de 2009 à 2012, comme le soutient à juste titre la société Tech Inter, les parties se sont accordées dans le cadre du renouvellement tacite du contrat, sur d'autres modalités d'exécution concernant les produits et par voie de conséquence les prix, modifiant ainsi l'accord initial. Bien qu'aucune des parties n'ait jugé utile de communiquer l'annexe 1 du contrat initial décrivant les produits, objet du contrat, il ressort des pièces produites (pièces intimée n° 16 commande du 18 novembre 2005 et 23 à 64 bons de commandes), que s'il s'est agi initialement de blocs d'une surface de 10 m², les commandes se sont ensuite portées sur des blocs de dimensions diverses de sorte que les conditions essentielles du contrat d'origine ont été profondément modifiées d'un commun accord des parties et que notamment la clause relative aux quantités minimum de commandes et à l'engagement d'exclusivité qui en était la contrepartie et dont chaque partie s'est déliée, n'était plus applicable. Par suite, la société Solutions Béton Préfabriqués n'est pas fondée à faire valoir le non-respect de la société Tech Inter à ses obligations en terme de volumes. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée des demandes formées à ce titre.

Sur les autres demandes

La société Tech Inter qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel et devra verser à la société Solutions Béton Préfabriqués la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Solutions Béton Préfabriqués de sa demande en indemnisation pour non-respect des obligations contractuelles ; statuant à nouveau : Dit que la société Tech Inter a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Solutions Béton Préfabriqués ; en conséquence, Condamne la société Tech Inter à verser à la société Solutions Béton Préfabriqués la somme de 34 280,99 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2016 et avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154 ancien du Code civil ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; Condamne la société Tech Inter aux dépens de première instance et d'appel ; Condamne la société Tech Inter à verser à la société Solutions Béton Préfabriqués la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.